Il est 16 heures, il fait grand soleil, mais avec une petite brise agréable qui empêche d'être étouffé par la chaleur. Un temps parfait pour profiter de l'extérieur quoi ! Et moi ? Eh bien moi je suis là comme un con dans le dortoir. Assis sur l'appuie de fenêtre, le front contre la vitre, je regarde les gosses qui jouent dans la cour. Ils sont accompagnés par deux jeunes instit' qui m'ont l'air plus que jolies... Mais ça ne me fait même pas sourire. Je suis focalisé sur les mômes. Et je repense à Alice et son putain de ventre arrondi. Et surtout à ce bébé, qui aurait du être le mien mais que je ne verrai sans doute jamais... Ça y est, j'ai envie de vomir. Ou de pleurer, je ne sais pas trop !

Je fouille dans ma valise après une bouteille de rhum. Plus rien, bien sûr, faut dire que j'ai abusé ces derniers temps ! Je donne un coup de pied dans ma valise dans un geste de rage, et décide dans la foulée de faire un tour au village. Au bar plus exactement, est-il nécessaire de le préciser ? J'attrape mon portefeuille et mon portable sur la table de nuit - on ne sait jamais que j'ai envie de compagnie, j'ai déjà récupéré quelques numéros - avant de sortir.

Il fait un temps magnifique, je ne sais pas trop pourquoi mais ça me déprime encore plus en fait. Ça doit être de voir les gens heureux, je pense. Tout le monde a le smile, moi j'ai juste envie de leur foutre mon poing dans la figure. Je ne parle même pas des jeunes couples amoureux... A gerber ! Quelle violence, oui... Mais sérieux, c'est dur de supporter le bonheur des gens quand t'es toi-même malheureux comme une pierre ! Je presse le pas en prenant bien soin de regarder mes pieds. Jolies chaussures Theo !

Je tourne à l'angle de la rue ou se trouve le bar, quand mon regard est attiré par quelque chose de coloré et vivant. La devanture d'une animalerie. J'ai toujours rêvé d'avoir un animal, mais Alice était allergique aux poils... Et elle trouvait que ça demandait trop d'attention et d'entretien... Sans plus y réfléchir, je rentre à l'intérieur avec la ferme intention de ne pas ressortir les mains vides. C'est le moment, non ? De faire ces choses que j'ai toujours voulues mais qui m'étaient interdites ! Et puis, j'ai besoin de compagnie, genre de la compagnie affectueuse et silencieuse, ça ne peut que me faire du bien...

Il y a une fille à l'intérieur, sans doute la vendeuse ? Une excentrique à en juger par la couleur de ses cheveux ! J'ai déjà vu tout et n'importe quoi, mais bleu comme ça, c'est rare ! Évitons les remarques désagréables et les vannes pourries d'entrée de jeu, le but c'est qu'elle m'aide et pas qu'elle se casse ou m'envoie son pied dans les roustons ! Je lui tapote doucement l'épaule, affichant mon sourire le plus charmeur.

"Hum, excusez-moi, mademoiselle ? Vous travaillez ici ? J'aurais aimé avoir quelques renseignements s'il vous plaît !"

Il fait tellement chaud... Je n'en peux plus... J'ai la sensation que je suis ici, à errer entre les boutiques, depuis des heures. Et pourtant je n'ai rien acheté. Je ne suis pas ici pour dépenser les quelques sous que je mets de côté depuis que j'ai été embauchée à la librairie, plutôt pour m'occuper. La patronne me laisses deux heures de pause à midi, heures que je passe la plupart du temps à flâner et observer étant donné que je ne mets qu'un petit quart d'heure, voire moins, à manger. Je regarde l'heure: il me reste encore 1h. C'est un peu long...

Soudain, alors que je marche, me frayant un chemin entre les gens occupés, eux, à vider leur compte, un aboiement attire mon oreille. Enfin, plus petit qu'un aboiement. Un jappement plutôt. Récurrent. Je me tourne vers la droite et vois l'animalerie. Dans celle-ci, un joli petit chiot tout à fait adorable jappe tant qu'il le peut. Je m'approche et pose ma main sur la vitre devant laquelle sa cage est posée.

" Bah mon toutou, t'es tout triste? Tu sais, j'aimerais bien t'adopter. Moi aussi, je suis seule et des fois je me sens en cage, comme si j'avais la possibilité de m'envoler mais que quelqu'un m'en empêchait. Pourtant à l'institut personne n'est comme ça... Enfin. Je ne peux pas te ramener, je doute qu'ils apprécieraient que je ramène un adorable petit chiot comme toi dans les chambres. Et puis je ne pourrais pas bien m'occuper de toi, tu serais souvent seul. "

Finalement, ses petits yeux tristes me font craquer et je rentre. Cependant, aucun vendeur n'est visible, et il n'y a personne en caisse. Ce magasin serait-il désert? Je m'approche donc seule du petit... Petit quoi d'ailleurs? Une étiquette est visible sous la cage où sont écrites les caractéristiques du chiot. Un Husky apparemment. Je souris en voyant que le petit est content que quelqu'un s'intéresse à lui. Mais alors que je suis toute à ma contemplation, une main se pose sur mon épaule. Je sursaute et lance mon regard le plus farouche à celui qui vient de me déranger. Il n'a cependant pas l'air méchant. Un air charmeur sur son visage, il me demande si je suis une vendeuse. Pendant quelques secondes, l'idée de lui faire croire que oui et lui fourrer le joli Husky dans les bras me parait extrêmement tentante. Néanmoins, malheureusement peut être, mon honnêteté reprend le dessus.

" Je suis bien vendeuse, mais pas ici désolée. Par contre, je suis capable de donner des conseils! En voici un, ce chiot est juste adorable, si vous cherchez une petite peluche vivant, n'hésitez plus! "

Je lui adresse un petit sourire, les joues légèrement colorées par la gêne de parler à un inconnu. Nerveusement, je passe la main dans mes cheveux. Plus sérieusement, je reprends la parole.

" Hum... A vrai dire je n'ai pas vu de vendeurs ou vendeuses depuis que je suis rentrée. Mais je suis par contre sincère, ce petit Husky a l'air tout à fait gentil et câlin! Regardez ces jolis yeux tristes! "

Les miens quand je dis cela ressemblent étrangement à ceux du chiot, tout aussi tristes et grands. C'est à dire qu'il me fait de la peine, le toutou.

La jeune femme me regarde un moment avant de m'avouer qu'elle ne travaille pas dans ce magasin. C'est assez ennuyant, étant donné qu'il n'y a qu'elle et moi ici... Les vendeurs auraient déserté la zone ? Pas très professionnel tout ça ! Je regarde autour de moi, il n'y a pas l'air d'avoir d'animal enragé qui les auraient fait fuir pourtant...

Je reporte mon attention sur la fille aux cheveux bleus, qui essaye directement de me refourguer un chiot. Eh là, minute ! Elle ne travaillerait pas ici en faisant semblant que non, tout ça pour refourguer des bestioles sans en avoir l'air ? Ok, ok, un peu tordu comme raisonnement, ça ne tient pas la route.

"En fait, c'est que j'avais pensé plutôt à un lézard, un caméléon ou quelque chose du style..."

Oui, un animal n'est pas une chose, je sais ! A vrai dire, je pensais plutôt me trouver une compagnie calme et qui ne demande pas non plus trop de soins - on va dire que je suis pas sûr d'être toujours hyper présent... Un chien, ça demande énormément d'attention, en plus il faut les éduquer sinon ça tourne au n'importe quoi !

Je regarde tout de même le petit Husky dont elle essaye de vanter les mérites. Ok, il est mignon, j'avoue. Super mignon, même ! Ses grands yeux vairons me regardent fixement. Un aussi bleu que mes propres yeux, et l'autre blanc. Le husky typique moi... Y'a pas de souci à se faire, il va se faire adopter super vite avec une bouille pareille !

"Ah, très professionnel tout ça... Ils auraient pu mettre une pancarte sur la porte au moins, je ne sais pas moi ! Ceci dit, pour en revenir au chiot, ça ne va vraiment pas le faire... Je ne sais pas si on a le droit à l'institut, puis en plus dans les dortoirs ça va être la galère... Mais c'est vrai qu'il est adorable !"

Puis je vais bientôt avoir une chambre à moi je pense... Puis de toute façon, c'est pas comme si j'en avais quelque chose à foutre de déranger les autre pensionnaires... Puis en plus ça m'obligerait à rester le soir pour m'en occuper au lieu d'aller picoler et draguer tout ce qui bouge... Puis regardez ces yeux, merde ! Autant ceux du chiot que ceux de la fille - qui sont d'ailleurs d'une couleur aussi particulière que ses cheveux, mais ça se marie très bien ensemble... Mon regard passe du chiot à la jeune femme, hésitant.

"Bon ok. Je craque... Je vais le prendre à l'essai !"

J'attrape la boule de poils dans sa cage et la soulève gentiment pour avoir sa truffe au niveau de mon visage. Ok, y'a moyen que ça le fasse ! Promis, je vais essayer de bien m'en occuper. En plus, les filles vont se retourner deux fois plus sur mon passage si je marche avec cette petite chose adorable à mes côtés. Oui oui c'est bon, j'arrête de tout rapporter aux femmes ! C'est justement pour me passer de leur compagnie que je cherche à adopter un animal... Je reporte mon attention sur la jeune femme.

"Alors, dilemme... On attend que le vendeur refasse surface ou on s'échappe comme des voleurs avec le petit ?"

Je lui adresse un sourire en coin. Ce n'est pas raisonnable... Mais ce qui n'est pas raisonnable est drôle, et j'ai toujours pensé qu'il fallait vivre dangereusement pour que ça en vaille la peine ! Ok, s'échapper d'un magasin avec un bébé chiot n'est pas super dangereux mais... Vous avez compris l'idée hein !

Le jeune homme ne semble tout d'abord pas du tout emballé par l'idée, et une légère grimace triste s'affiche sur mon visage. Mais je le comprends, ramener un chiot à l'institut est compliqué, surtout qu'un husky deviendra grand. Cependant, je vois qu'il ne peut en détacher les yeux et garde au fond de moi l'espoir qu'il le prenne. Si je n'ai pas le cran de le faire, que quelqu'un me montre ce que c'est que le courage. Je ris lorsqu'il parle du manque de professionnalisme de l'endroit.

" Oui en effet. N'importe qui pourrait se faire passer pour un vendeur du coup avec leurs bêtises! "

C'est une petite taquinerie sur le fait qu'il m'ait au début prise pour une vendeuse, rien de bien méchant. Je vois tout de même une tendresse naître dans les yeux du garçon. Celui ci passe son regard du chiot à moi, de moi au chiot, hésite, et finalement, dit la phrase tant attendue. Il le prend! Je ne peux retenir un petit cri content.

" Super! Je n'aurais pas supporté l'idée de savoir cette petite boule de poil toute seule ici. C'est méchant pour les autres animaux mais bon... Lui je l'ai repéré directement! "

Quand je vois de quelle manière ce jeune homme porte le chiot, tout en douceur, je me dis que j'ai bien fait de tenter de le lui refourguer. Je tends une main timide vers la tête du husky, n'ayant jamais été rassurée par les chiens. Mais ses poils doux et son regard adorable diminue ma peur. Finalement, le garçon repose son regard sur moi. Il me fait alors une proposition pour le moins intéressante. Partir en courant avec le chiot. L'idée de voler ne m'a jamais réellement posé de problème, j'ai même toujours eu l'envie d'un jour oser. Serait-ce aujourd'hui le jour J? Peut être. Je réfléchis un moment avant de poser mes yeux sur le jeune homme, une lueur de défi les habitant.

" On part comme des voleurs, mais j'ai une condition. Quitte à le piquer, il faut le faire bien. Déjà... "

Sans lâcher du regard le futur possesseur du husky, je tends ma main droite et attrape une laisse qui était de base vendue avec le chiot et la fourre dans mon sac.

" Tu auras besoin de ça. Ensuite, si on s'enfuit, je veux qu'on court! "

Je lui adresse un grand sourire et lui attrape la main, faisant attention à ce qu'il tienne bien le chiot de l'autre.

" Et on le fait maintenant! "

En éclatant de rire, je l'entraine en courant à ma suite. Quelques personnes nous regarde avec étonnement, et je crois vaguement entendre un cri d'incompréhension. Peut être la vendeuse a-t-elle enfin refait surface. Mais je ne pense pas qu'elle aura eu le temps de nous repérer. Je nous fais traverser les ruelles du village ressemblant à un labyrinthe, et m'arrête finalement lorsque je n'ai plus de souffle. Je continue tout de même de rire.

" Désolée! J'ai toujours rêvé de faire une sortie qui donne la sensation de faire quelque chose de super dangereux! "

Je m'assois à même le sol un moment, la chaleur ajoutée à la course apportant une désagréable sensation d'épuisement. Le chiot dans les bras du garçon s'agite un peu, il doit avoir envie de se dégourdir les pattes. Je le regarde, et d'en bas, m'aperçois en fait que c'est une femelle.

" Oh! C'est pas un petit chiot que tu as chipé, mais une future jolie chienne! "

Je souris au garçon et me relève. Je remets rapidement mes cheveux en place, et réalise soudain que nous ne nous sommes pas présentés.

" Au fait, je m'appelle Oksa. Oksa Skily. Et toi? "

La jeune femme semble soulagée que je craque pour le chiot. Eh, mais s'il lui plaît tant, elle n'a qu'à le prendre ! Au lieu de me faire culpabiliser et craquer... Arnaque tout cela ! Elle semble également séduite par l'idée de partir comme des voleurs. Bon, j'avais proposé ça plutôt pour rire mais, si ça l'amuse... De toute façon, il n'y a personne ! Je la regarder fourrer une laisse dans son sac avec un sourire, avant de hocher la tête quand elle me propose de courire.

"Eeeeeh !"

Je pousse un cri surpris quand elle m'agrippe la main en commençant à courir. Ça, en revanche, je ne m'y attendais pas ! J'ai failli lâcher le chiot sur le coup, c'est malin. Une fois la surprise passée, j'accompagne la jeune femme dans son rire, la laissant m'entraîner au travers des rues. Je me demande si elle sait ou elle va, ou si elle tourne juste au hasard pour semer nos éventuels poursuivants. Elle finit par s'arrêter et s'asseoir par terre, toute essoufflée. Eh bien mademoiselle, c'est quoi cette condition physique !

"Ah, pas de souci ! Tu m'as pris au dépourvu, mais c'était drôle ! De toute façon, c'est de leur faute, ils n'avaient qu'à pas laisser le magasin sans surveillance hein..."

Mes yeux s'arrondissent quand elle me dit que mon chiot est une femelle. C'est bien ma veine ! Moi qui m'imaginais déjà en baroudeur solitaire avec son bon gros chien fidèle... Ben c'est raté ! A croire que j'attire les femelles de toutes les espèces, ahah ! La jeune femme se présente et je lui souris en tendant ma main libre.

"Theodore Walsh, enchanté ! Mais tu peux m'appeler Theo. Et toi petite boule de poils, comment est-ce qu'on va t'appeler ?"

Je pose la question tout en soulevant la petite chienne devant mes yeux. A croquer, définitivement ! Je m'assieds à mon tour à côté d'Oksa, et pose la petite husky entre mes jambes écartées. Je garde une main sous son ventre pour ne pas qu'elle s'échappe tout de même.

"Mmmh... Que penses-tu de... Crystal ?"

Je m'adresse autant à la jeune femme qu'au chiot. Je n'ai jamais été doué d'une grande originalité... Mais je trouve ce nom joli, puis il correspond très bien à la petite boule de poils aux yeux si bleus !

Le jeune homme me tend la main en se présentant. Et là, c’est le bug. Je réalise soudain ce que je fais. Pas le vol du chien, non, ça je le vis assez bien. Le fait de l’avoir fait avec un inconnu à qui je parle tranquillement et surtout… surtout A QUI J’AI TENU LA MAIN. Et qui veut à nouveau me la prendre d’ailleurs ! ET EN PLUS C’EST UN GARCON. Sérieux, je suis flippée des gens et là, juste pour les beaux yeux de cette petite bête, j’ai oublié ma timidité ? Ah bah si j’avais su plus tôt que les animaux me rendaient ainsi, j’aurais peut-être eu plus d’amis !

Mon cerveau se vide, mes joues deviennent aussi rouges que si j’avais pris un coup de soleil, mes yeux s’agrandissent, et je bégaie en attrapant sa main tendue de la mienne tremblante.

« D… D’a… D’accord… En… Enchantée Théo… »

Il s’assoit. A côté. Près.

Je me lève d’un coup. J’ai l’air totalement stupide j’en ai tout à fait conscience. Comme pour me donner contenance je reprends, toujours d’une voix mal assurée.

« Dé… Désolée j’avais besoin de… De me lever un peu… Crystal c’est bien… Oui très bien… »

Je me ridiculise toute seule, j’en ai horriblement conscience. Si seulement quelque chose pouvait m’aider là. Quelque chose. N’IMPORTE QUOI.

DIEU M’A ENTENDUE.

Un matou vient me donner une bonne excuse pour ne rien dire de plus et m’enfuir. Il passe en courant dans la rue, et là la jolie chienne décide de n’en faire qu’à sa tête. Prenant Theodore par surprise elle s’échappe de ses bras en se débâtant quelques secondes et court à la poursuite du félin. Sans réfléchir – mon cerveau est HS – je me lance à sa suite, le beau brun à mes côtés.

Nous arrivons finalement à un cul de sac et le chat grimpe sans soucis par une gouttière, échappant aux dents de Crystal. Sauf qu’évidemment, juste avant de m’arrêter, je me ramasse, déchirant du coup mon pantalon de travail au genou droit, ce dernier se retrouvant en sang. Mes poignets prennent aussi un léger coup lorsque je les utilise pour amortir le choc, mais rien de bien grave. Pour une fois, je n’ai entraîné personne dans ma chute. Je me tourne en grimaçant, m’asseyant sur les fesses. La chienne s’approche de moi et vient tenter de lécher ma plaie. Je la pousse doucement et soupire. Je suis vraiment maladroite quand je m’y mets. Et en plus, je me retrouve à nouveau confronté au jeune homme… et à une des choses qui me dégoûte le plus – ce qui est un comble étant donné que je suis guérisseuse – le sang.