Me rattraper. A tout prix. C’est la seule chose à laquelle je peux penser depuis ma rencontre avec Nathanaël, il y a dix jours de cela. Il faut que je trouve quelque chose. J’ai tourné en rond dans ma chambre, ne sortant que de temps en temps afin d’arroser ma Blue Daisy, craignant chaque fois de tomber sur lui et de ne pas savoir quoi dire. Pourtant, j’ai réussi à l’éviter. Ou bien c’est lui qui a réussi…

UNE IDEE. VITE.

Lui faire un truc à manger ? Non, cela serait déplacé. Surtout après l’avoir accusé d’harcèlement sexuel…

Arg pourquoi je me prends toujours autant la tête ? Ça craint.

Je me laisse tomber sur mon lit, avant de rouler sur le côté, atterrissant littéralement par terre sans me faire mal. Le sol froid me calme. Les yeux fermés, je continue de réfléchir.
BON. Ce n’est pas ainsi que ça viendra. Je sors, décide d’aller faire un tour en ville, après tout, cela sera le meilleur endroit pour trouver quelque chose je pense.

J’y passe un moment, allant de boutiques en boutiques, traînassant sans vraiment trouver quelque chose. Et finalement… Finalement je repère un truc qui me plaît. Une peluche. Trop mignonne. Bulbizarre. IL EST TROP BEAU. Je m’en approche, le prix est correct. C’est un pokemon plante, peut-on faire un rapprochement avec le Terre ? Je l’espère. Je me dirige vers la caisse du magasin et le paye avant de sortir.

En rentrant dans l’institut, je passe par la cour pour voir si le garçon ne s’y trouve pas. Puisque ce n’est pas le cas, je décide d’aller vers sa chambre. Après tout, de base, il me l’avait proposé… Néanmoins, une fois devant la porte, la peluche serrée dans ma main valide, – je n’ai plus que le bras en écharpe et mon œil au beurre noir est presque parti - mon sac sur l’épaule, je n’ose pas. Je choisis donc de laisser un mot avec le cadeau.


Je pose le tout devant sa porte, me redresse et sursaute en me retrouvant face à face avec Nathanaël voulant rentrer dans sa chambre. Mon souffle se coupe deux secondes puis revient, en même temps que le rouge sur mes joues.

« C’est… C’est… C’est un ca… Un cadeau d’excuse ! »

Mes yeux inquiets croisent les siens. Décidément, il me surprend chaque fois qu’il arrive, le jardinier.

« Tu vois… Un bulbizarre… Parce que tu es Terre… Enfin tu dois le comprendre je pense tu n’es pas stupide… »

Je me penche et ramasse la peluche que je lui tends. Je me racle légèrement la gorge, gênée, avant de ma lancer, un peu trop haut, un peu trop fort, un peu trop mécaniquement à cause de ma timidité.

« Désolée pour la dernière fois. J’ai été stupide. Je m’emporte souvent trop vite, je n’aurais pas dû. Tu as raison, j’ai été frappée. Mais ça ne doit pas me servir d’excuse, je suis parfaitement consciente de cela. Accepte ce cadeau s’il te plaît. »

Je suis toute crispée, inquiète d’énerver plus qu’autre chose Nathanaël. J’appréhende grandement sa réaction, vraiment.

Ces derniers temps, Nathanaël avait fait plein de nouvelles rencontres, bien plus qu'à l'accoutumé. Est-ce que cela voulait dire quelque chose ? Une sorte de signe ? Il n'en savait rien et n'y pensait même pas en fait. C'était ainsi. Ce jour-là avait été normal, sans bizarrerie, sans imprévu. L'après-midi touchait à sa fin et il avait décidé, après avoir suffisamment étudié, de retourner à sa chambre pour se changer dans le but d'aller travailler au parc. Il repensa à Oksa, la jeune femme qu'il avait rencontré dans la cour et avec qui il avait eu un grave malentendu. Il ne pouvait s'empêcher d'être un peu triste en y pensant, mais il ne pouvait pas revenir en arrière, le mal était fait, alors c'était tant pis. À chaque fois qu'il devait retourner arroser les fleurs là-bas, il voyait celle qu'il avait faite pousser pour l'Air, mais il prenait soin de vérifier qu'elle n'était pas présente à ce moment-là. Il ne souhaitait pas la troubler à nouveau, il ne voulait pas qu'elle croie qu'il la suivait. Cela faisait dix jours à présent et ils ne s'étaient pas revus. Il pensait que c'était pour le mieux. Le Terre repensait souvent à cette rencontre, cherchant à savoir ce qu'il avait fait faux. Était-ce quelque chose dans ses yeux ou sa position corporelle qui avait effrayé la jeune femme ? Ou un sourire trop marqué ? Il ne parvenait pas à trouver la faille, cela n'était encore jamais arrivé auparavant. Peut-être... que son attitude était trompeuse sans qu'il ne s'en rende compte et que c'était pour cela que les jeunes femmes lui courraient après. Il avait toujours cru qu'elles craquaient pour lui à cause de son physique avantageux, son beau visage et son corps musclé, mais peut-être qu'il était en réalité fautif, qu'elles croyaient sincèrement avoir une chance avec lui. Il ne savait pas, il ne savait plus.

Perdu dans ses pensées, il ne remarqua pas l'individue qui se trouvait au troisième étage, dans la partie des Terres. Il continua à marcher jusqu'à se trouver machinalement près de sa chambre... et d'Oksa. Par automatisme, le Titan avait déjà sorti ses clefs qu'il laissa tomber par surprise. Que faisait-elle là ? Elle rougit et il se demanda soudain si elle n'avait pas changé d'avis sur le sujet, mais se ravisa. Il lui avait expliqué la situation, alors elle ne se faisait certainement pas des idées. Il aperçut alors un objet vert posé sur le sol et l'Air lui annonça, en bégayant, qu'il s'agissait d'un cadeau d'excuse. Leur regard se croisèrent, elle semblait inquiète. Sans doute ne souhaitait-elle pas le voir. Peut-être était-elle simplement gênée ? Elle lui parla d'un « bulle bizarre » ou peut-être d'un « bulbe izar » et l'associa au fait qu'il était Terre. Il ne comprit pas. Il n'avait jamais entendu parler de ce type de plante... mais était-ce bien d'une plante qu'elle parlait ? La blessée, qui, juste dit en passant, à l'air d'aller mieux, se pencha alors pour ramasser ce qui s'avéra être une peluche verte, un animal étrange, un quadrupède avec un bulbe sur le dos. Ah, elle avait certainement dû lui dire le nom de la bête tout à l'heure. Il ne savait pas s'il devait lui avouer sa méconnaissance du sujet ou faire semblant de connaître. Généralement, il était plutôt curieux et posait des questions lorsque des informations lui manquaient, mais au vu de la situation, il hésitait. Il n'eut pas le temps de parler, car la jeune femme lui présenta des excuses pour son comportement de l'autre jour. Elle semblait si gênée, si crispée. Il fallait qu'il la calme le plus rapidement possible. Il n'aimait pas la voir dans cet état.

Oksa, tout va bien, d'accord ?

Nathanaël lui sourit avec douceur, sa voix était calme, et il tendit les mains pour prendre la peluche. Elle était toute douce. C'était agréable.

Je te remercie pour ce cadeau. C'est vraiment gentil de ta part. Et puis, même si je l'ai déjà fait, je tiens à te présenter à nouveau mes excuses. Je suppose qu'on est les deux un peu responsable de ce qui s'est passé la dernière fois. Je te promets de faire plus attention dorénavant, que tu ne te sentes plus gênée en ma présence.

Le Terre aurait pu refuser, lui dire qu'elle n'avait rien besoin de lui offrir, mais il sentait qu'elle en avait besoin, qu'elle culpabilisait, alors il accepta. Jusqu'alors, il n'avait accepté que les cadeaux d'Ipiu, mais aujourd'hui serait l'exception qui confirmerait la règle. Il ne pouvait pas, n'avait pas le droit de refuser. Sa conscience le lui interdisait, même s'il pensait à présent devoir quelque chose à la jeune femme. Il ne savait pas où placer les limites de sa gentillesse. Avant Oksa, il ne s'était même jamais posé la question, mais depuis l'incident, il se remettait en question.

La peluche, ce « bulbe izar », ça vient d'un manga ou d'une bande dessinée, c'est ça ?

Il se gratta la tête, un peu gêné d'être inculte dans ce domaine. Ce qui n'était pas réel, le fantastique ne l'avait jamais attiré. Il n'aimait pas vraiment voir des films ou lire des livres de ce genre. Il n'y connaissait donc rien. De quel univers venait ce petit animal ? Il n'en avait aucune idée. Il avait finalement préféré poser la question, après tout, il allait s'endormir moins bête ce soir-là.

Il est vraiment adorable.

Le Titan pensait vraiment ce qu'il disait. Le design était sympa, même s'il ne comprenait pas sa fonction. Il se renseignerait. La bête avait sans doute une raison d'avoir un bulbe sur le dos. Peut-être était-ce un bébé et qu'à l'âge adulte une fleur si développait. Si Oksa ne lui avait pas offert ce cadeau, il ne se serait sans doute jamais intéressé à la chose.

Le doux sourire de Nathanaël me calme un peu, un tout petit peu. Déjà, il ne semble pas s’énerver de me voir devant ma chambre, m’affirme que tout va bien. Je hoche la tête comme un enfant venant de réaliser qu’il a fait une bêtise et promettant de ne plus la refaire pour consentir à l’idée que je ne dois pas m’inquiéter. Mes grands yeux suivent les mains du Terre lorsqu’il prend mon cadeau, qu’il l’accepte. Je suis heureuse, je n’aurais pas aimé qu’il le refuse, je me serais sentie blessée, triste, je n’aurais pu me pardonner. S’il accepte la peluche, c’est qu’il ne doit pas trop m’en vouloir.

Il s’excuse à nouveau. J’agrandis un peu plus mes yeux et m’apprête à le contredire mais me retiens au dernier moment.  Cela serait inutile, nous ne ferions que nous lancer dans un dialogue absurde et sans fin sur « A qui la faute ». Je me contente alors d’une réponse plus intelligente je trouve.

« Je ne me sens pas gênée en ta présence. Enfin, si, mais ce n’est pas toi particulièrement. Va pas croire que tu es un monstre, je suis simplement froussarde et trop timide. Un jour ça me passera. »

Un mince sourire se dessine sur mon visage. J’espère sincèrement qu’un jour ça me passera. Mais déjà, le fait que j’en parle est un des signes qui me font me dire que j’avance, que je change, que je m’ouvre un peu aux autres. L’avouer me force à passer au-dessus.
Le Terre me pose alors une question surprenante, me demandant d’où vient la peluche, semblant avoir du mal à prononcer son nom. Sur mon visage s’affiche une surprise amusée, pas moqueuse, voire même un peu attendrie par le fait qu’il ne connaisse pas ce jeu mondialement connue. Tout en me penchant pour ramasser les clés qu’il avait fait tomber un peu plus tôt et les lui donnant je lui explique.

« La peluche s’appelle Bulbizarre, en un seul mot. B – U – L – B – I – Z – A – R – R – E. Tu vois ? Et c’est une invention de la firme Pokemon. Ils ont essentiellement fait des jeux vidéo il me semble, je ne m’y connais pas non plus trop, mais ils en ont aussi fait des mangas, animes et des jeux de cartes à collectionner. Il y a plein d’autres Pokemons, qui sont des petites bêtes que tu dois attraper. Parce que tu es un dresseur de pokemons dans le jeu, du coup tu les chasses dans les hautes herbes. Pikachu par exemple est le plus connu, tu as déjà dû le voir. Une bestiole chou avec une queue en forme d’éclair. Il est jaune avec des éclairs noirs sur le corps et deux ronds rouges sur les joues. Enfin voilà… Désolée je t’explique tout en bazar un peu. Ils ont tous un élément, un peu comme nous tiens, tels que Feu, Air ou Plante et celui-ci, Bulbizarre, est un pokemon Plante, d’où le fait que je fasse le lien avec toi étant Terre… C’est un peu nul je sais désolée. Et les pokemons évoluent. Le tien se transforme en Herbizarre il me semble. Son bulbe devient un bourgeon et des feuilles apparaissent. Ah, le corps grossit aussi. Au final dans la dernière évolution sa fleur s’ouvre mais je ne me rappelle plus ce que son nom devient. Désolée. »

Je m’arrête d’un coup de parler, étonnée de ne pas m’être stoppée avant. WOUAH J’AI PARLE AU MOINS UNE MINUTE LA. Ma bouche est toute sèche et pâteuse, cela fait toujours ça quand on parle super longtemps comme ça ? Je passe ma main sur ma nuque, gênée d’avoir monopolisé la conversation de cette manière.

« Enfin voilà quoi… Contente qu’il te plaise… ! »

Malgré mon embarras, mon sourire est toujours présent. J’aime voir les gens heureux, c’est comme ça. Je regarde l’heure et réalise soudain que le garçon voulait rentrer dans sa chambre de base. Il doit être occupé.

« Euh tu as quelque chose à faire ? Je ne voudrais pas te déranger tu sais ! »

Nathanaël sourit doucement lorsqu'Oksa lui avoua qu'elle n'était pas plus gênée en sa présence qu'avec n'importe qui d'autres et qu'il n'était pas un monstre. Certes, il n'avait jamais imaginé la situation aussi exagérément, mais l'entendre le dire était tout de même rassurant. Il avait bien  évidemment remarqué qu'elle était timide. Cela devait être pénible et particulièrement embêtant. Il ne l'avait jamais été, en tout cas pas dans son souvenir. Il avait parfois ressenti de la gêne ou de l'appréhension, mais il n'associait pas ces moments à de la timidité. Elle lui sourit légèrement, puis il lui parla de la peluche. Il se sentait un peu bête, tout de même. Ce genre d'univers ne l'intéressait pas, le fantastique, tout ça, il n'avait jamais accroché. Il aimait le réel, mais, pour l'occasion, il allait faire un effort. Enfin, il était tellement curieux que ce ne serait pas un problème. L'Air parut surprise et amusé de sa méconnaissance. Elle répondit à ses questions après avoir ramassé ses clefs. Ah oui, il les avait oubliées, pas elle, manifestement. Il lui sourit en remerciement, puis l'écouta attentivement.

Il comprit, soudain, d'où venait ce fameux Bulbizarre. Il connaissait effectivement Pikachu. En fait, son petit-frère s'était mis aux Pokémons à l'âge de six ans, lui-même en avait alors huit, avec la version diamant. Il avait essayé d'expliquer à son grand-frère comment cela fonctionnait, mais le Terre n'appréciait pas trop ce qui n'était pas réel. Il considérait cela comme une perte de temps. Alors, il avait écouté d'une oreille, l'avait regardé choisir un singe avec une flamme au derrière pour commencer le jeu, animal dont il était bien incapable de se rappeler du nom. Comme d'ailleurs celui sur le devant de la boîte du jeu... un quadrupède bleu foncé et blanc si ses souvenirs étaient exactes. Matt avait essayé de l'initier pendant des jours, avant de déposer les armes. Pourtant, ce qu'Oksa lui avait raconté avait éveillé quelque peu sa mémoire. Son frère avait vraiment commencé à jouer sérieusement à partir de la version suivante, la platine. Il y avait une sorte de scolopendre sur le devant de la boîte. Son Pokémon préféré était de type roche, c'était une évolution, ou un truc du genre. Une sorte de gros lézard avec une tête de tricératops... enfin... c'était long pour l'avoir d'après ce dont il se souvenait des explications de son petit-frère qui était un vrai fan... mais il n'avait pas tout compris, ou plutôt, il n'avait pas cherché à comprendre. Il y avait aussi une série à la télévision, mais le Titan préférait aller jouer dehors et il avait déjà plein d'activités, ses entraînements,... alors il n'avait pas de temps à perdre avec ça. Surtout que c'était aussi pendant la période où il avait sauté deux classes à l'école.

Ainsi, il ne connaissait pas Bulbizarre, Pokémon plante pouvant évoluer deux fois. Il observa la peluche d'un nouvel œil. L'Air afficha un air un peu étonné. Est-ce qu'elle n'avait pas l'habitude de parler autant ? Sans doute, vu sa timidité. Nathanaël lui sourit lorsqu'elle conclue, gênée, mais toujours souriante.

Merci pour ces explications. Je comprends enfin un peu à quoi mon petit-frère jouait lorsqu'on était plus jeune.

Il garda le sourire, malgré le pincement au cœur qu'il ressentit. Il allait mieux, il avait réussi à faire son deuil, finalement. Le Terre avait retrouvé une nouvelle motivation. Cela faisait presque un an qu'il avait retrouvé Ipiu, qu'il lui avait confié son vide, qu'il était sorti des ténèbres. Pourtant, il ressentait encore cette tristesse, toujours... elle ne s'estomperait sans doute jamais. Le but n'était pas d'oublier, mais d'apprendre à vivre avec.

Oh, non. Tu ne me déranges pas, Oksa.

Bon, il était vrai qu'il avait des choses de prévus, mais aucun rendez-vous, rien de précis et chronométré.

Je rentrais juste pour me changer. Je pensais aller travailler au parc... mais je peux y aller plus tard, je ne suis pas pressé.

Le Titan marqua une courte pause. Il ne savait pas si la jeune femme souhaitait rester pour discuter encore un moment avec lui ou si elle préférerait partir. Même si elle lui avait dit qu'elle avait surréagit, il avait peur de commettre un nouvel impaire. Il réfléchit quelques secondes de plus avant de se lancer.

Je ne sais pas ce que tu comptais faire, mais si tu as du temps et que tu aimerais continuer à discuter, peut-être que tu peux juste m'attendre deux-trois minutes que j'aille me changer et on va ensemble au parc ?

Nathanaël appréhendait un peu la réaction de la jeune femme, mais tâchait de le cacher derrière un sourire doux.

J’apprends ainsi que Nathanaël a un petit frère. Je pense à mon aîné, que je n’ai pas revu depuis mon départ, avec qui je n’ai plus aucun contact. Je me souviens de cette famille que j’ai délaissée, mais décide de me concentrer sur autre chose. Ce n’est pas le moment.

« Tant mieux si j’ai pu t’aider à comprendre quelque chose ! »

Le Terre m’affirme ensuite que je ne le dérange pas. C’est déjà ça. Parce que je vous assure, accuser quelqu’un de harcèlement sexuel pour ensuite le saouler, c’est pas super je pense. Il n’empêche que de base, il comptait aller travailler, et ça m’embête de le gêner…

« Si tu préfères je peux… »

Je m’apprêtais à terminer par « repasser », mais le garçon me propose de l’attendre pour que nous allions ensemble discuter. Je l’observe quelques secondes, hésitante. Je n’ai pas peur de lui, j’ai retenu la leçon. C’est plutôt le terme « discuter » qui m’inquiète. Devoir tenir une conversation est quelque chose qui me donne la chair de poule. Mais il faut que j’apprenne, et ce n’est pas en fuyant à chaque fois que cela se fera. C’est donc avec un mince sourire que je lui réponds.

« Oui on peut faire ça. Il fait doux dehors, ce sera agréable. Je t’attends devant l’entrée du bâtiment d’accord ? »

Je le laisse entrer dans sa chambre pour se changer et marche un peu dans le couloir le temps d’en sortir. L’air frais me fait du bien, m’apaise. Je regarde autour de moi, observe les élèves qui discutent entre eux, qui rient. Cela me fait bizarre de me dire que je vais me mêler à eux, non pas en solo, mais en duo. Ce doit bien être une première. Mais est-ce que je suis capable d’être comme eux ? D’agir naturellement ? De communiquer sans paniquer ?

Le retour de Nathanaël me tire de mes pensées. Nous nous mettons en marche, nous éloignons des groupes d’adolescents et donc du bruit. Seul celui de la nature, doux et agréable, persiste. Nous avançons en silence durant quelques minutes. Je ne peux pas m’empêcher de me demander si cela ne le gêne pas. Peut-être que je devrais dire quelque chose ? Mais quoi ? Finalement, une question me vient. Un peu facile, pas assez recherchée. Néanmoins c’est mieux que rien, et surtout, ça m'intéresse sincèrement. Ma voix s’élève doucement.

« Ça fait longtemps que tu es ici ? A Terrae ? »

Je me tourne vers lui, intriguée. Je me pose toujours cette question lorsque je rencontre quelqu’un. Combien de temps cela fait qu’il ou elle a démarré une nouvelle vie, a fui son passé, s’est vu offrir un nouvel avenir, probablement plus beau que l’ancien.

Nathanaël remarqua qu'Oksa sembla hésiter lorsqu'il lui fit sa proposition. Doutait-elle encore de ses intentions ou était-ce autre chose ? Elle finit par afficher un mince sourire et accepta. Il hocha la tête en déverrouillant la porte de sa chambre avant d'entrer. Une fois seul, il prit le temps de se poser, choisissant de s'asseoir au pied de son lit. Au final, cette nouvelle rencontre s'était plutôt bien passée. Et dire qu'il avait cherché à l'éviter pour ne pas la troubler à nouveau. Pourtant, ce fut elle qui revint vers lui. Le Terre sourit en repensant à sa réaction en le voyant. À quoi s'attendait-elle ? Pensait-elle qu'il allait s'énerver, lui faire de reproches ? À bien y réfléchir, il aurait pu, après tout, elle l'avait pris pour un harceleur, un pervers, sans même le connaître. Il y aurait eu de quoi être furieux, mais non. Il était resté calme. Sans doute que la douleur et l'état de l'Air avait eu un impact sur sa réaction, sa douceur, sa compréhension... ou peut-être qu'il s’attendrissait depuis quelques temps. Il ne savait pas trop. Probablement qu'avant, il aurait été un peu vexé et qu'il aurait cherché à éviter la jeune femme, non pas pour ne pas la troubler, mais parce qu'il n'en aurait eu absolument aucune envie. Il l'aurait sans doute jugée, pensant qu'une personne comme cela ne valait pas la peine d'être connue...

Le Titan se releva et posa la peluche sur l'étagère. Son regard croisa l'attrape-rêve qu'il avait fixé au-dessus de son lit, à un endroit où il ne le gênerait pas. Il cauchemardait moins depuis qu'il l'avait, aussi étrange que cela puisse paraître. Certains trouvaient que c'était un cadeau minable, pas lui. Même si cela n'était probablement qu'un effet placebo, comme on disait, il s'en fichait. Seul le résultat comptait. C'était assez étonnant pour un esprit cartésien comme le sien, mais Terrae l'avait un peu changé, la magie existait, aussi déroutant que cela ait pu paraître à la base.

En ouvrant son armoire pour prendre ses vêtements, il vit le costume d'R2D2 qu'il avait gagné à la tombola et qui traînait au fond du meuble. Il l'avait gardé, parce que c'était un cadeau, mais ne savait franchement pas quoi en faire. Nathanaël n'avait jamais été un fan de Star Wars... c'était de la science-fiction, il était vrai, un genre qu'il pouvait apprécier normalement, mais les scénaristes, producteurs & co avaient commis tellement d'erreurs qu'il ne pouvait aimer cette série de longs métrages : le bruit dans l'espace, ainsi que les explosions surréalistes, les voyages plus rapides que la lumière elle-même, la coïncidence qui fait que toutes les planètes ont la même gravité que celle de la Terre, etc. Non, décidément, cela faisait un peu trop d'erreurs...

Il referma l'armoire et eu une pensée pour les autres cadeaux qu'il avait gagnés lors de cette tombola. Le pass pour la fête foraine et le bon pour un tour en bateau étaient soigneusement rangés dans le tiroir de son bureau, à côté du jeu de carte incomplet, oui, incomplet... C'était un prix pour le moins inutile, mais passons le Titan avait d'autres problèmes en tête. Honnêtement, il ne voyait actuellement qu'Ipiu comme étant suffisamment proche de lui pour pouvoir faire les activités qu'il avait reçues avec lui. Peut-être qu'avec le temps, il parviendrait à tisser des liens avec d'autres personnes, Charlie-Ange, peut-être... ou même Oksa ? Leurs débuts avaient, certes, été difficiles, mais comme la situation semblait être clarifiée à présent, pourquoi pas. Il ne savait pas s'ils se connaissaient... enfin, il préférait attendre, ne pas se précipiter, pour être certain de pouvoir profiter du voyage en bateau et de la fête foraine comme il le fallait. Il n'y avait pas de date limite pour utiliser les bons, alors rien ne pressait.

Une fois changé, Nathanaël sortit en refermant la porte derrière lui et rejoint Oksa. Il se manifesta silencieusement, car elle semblait perdue dans ses pensées, puis ils se mirent en route sans rien dire. Cela ne le gênait pas, il aimait le calme, et il se doutait que c'était pareil pour la jeune femme. Cette dernière finit cependant par briser le silence. Il n'avait pas besoin de réfléchir pour répondre à la question. Il espérait juste qu'elle n'en poserait pas trop d'autres sur son passé. Il n'avait pas envie de lui en parler.

Cela fait deux ans.

Deux ans et presque deux mois, même, mais il ne précisa pas, ce n'était pas nécessaire. Deux ans déjà, le temps passait décidément trop vite... et trop lentement à la fois. Il lui semblait que cela faisait une éternité qu'il s'était retrouvé orphelin, sans famille, seulement deux ans. Il sentit une vague de nostalgie le reprendre à nouveau, mais la chassa.

Et toi ?

Lors de leur première rencontre, il avait espéré qu'elle était nouvelle, pour ne pas avoir à comprendre qu'une personne de Terrae l'avait blessée, mais elle était déjà au moins initiée, alors son espoir s'était envolé. Elle avait d'ailleurs toujours le bras en écharpe et le bleu à son œil était toujours visible, même s'il s'était déjà bien estompé. La violence, toujours la violence... Pourquoi ne pouvait-elle disparaître ? Le Titan se demanda soudain pourquoi il se souciait autant de l'Air. Au fond, ils ne se connaissaient presque pas. Il n'était, bien évidemment, pas insensible aux autres, mais il se trouvait bien trop concerné par ce qui arrivait à cette jeune femme. Non, il comprit. En fait, il avait surtout peur que la personne qui l'avait agressée ne s'en prenne à d'autres personnes... ne s'en prenne à Ipiu... Oui, voilà le problème. Alors oui, il s'était inquiété pour Oksa et ressentait de l’empathie pour elle, mais ce qu'il le troublait le plus, c'était qu'un individu potentiellement dangereux erre en toute impunité et puisse, un jour, croiser le chemin de la Tonnerre. Il frissonna.

Je suppose que, même si je te le demande, tu ne me diras pas qui t'a frappée, je me trompe ?

Sa voix était, sans doute, un peu trop dure et trop froide. Ce n'était évidemment pas envers l'Air, mais le comprendrait-elle ? Et surtout, comment allait-elle réagir à cette remarque ? Il était assez inhabituel de la part du Titan d'être aussi direct, de se mêler de ce qui ne le regardait pas. Normalement il respectait la sphère privée des gens, il les laissait dire ce qu'il souhaitait communiquer sans les forcer, mais là, il n'avait pas pu s'en empêcher, parce que, même s'il savait qu'Elle n'avait pas besoin de son aide, il ne pouvait s'empêcher d'être inquiet.

Le Terre m’apprends que cela faisait deux ans qu’il est ici. Je suis toujours marquée par le fait que beaucoup de Terraens sont ici depuis moins longtemps que moi mais semblent bien plus apaisés, comme s’ils parvenaient à se contrôler. Je réponds cependant sans animosité dans la voix, très calmement.

« Quatre ans. Pile. Je suis arrivée en septembre. »

Et les questions sur le passé s’arrêteront là. Ici, il ne faut jamais rien demander, toujours laisser les gens dirent les choses d’eux-mêmes. On a tous conscience qu’il serait maladroit de questionner l’autre sur la manière dont il est arrivé à Terrae et pourquoi.

Je surprends Nathanaël à frissonner et le regarde, intriguée. Avant que je ne puisse poser une question, il me fait comprendre qu’il aimerait savoir qui m’a frappée. Son ton est dur, glacial par rapport à ce que j’ai pu entendre jusque-là. D’accord, finalement lui ose ce genre de questions. Je me tends immédiatement, et repose mes yeux droit devant moi, loin du Terre. Mes poings se sont serrés et je ne dis rien pendant un moment.

Au bout de quelques minutes, je fais « non » de la tête et réponds, sans quitter le chemin de mon regard violet, refusant le contact visuel avec le jeune homme. Pourtant, ma voix est douce et calme.

« Non, je ne peux pas… La personne qui m’a fait ça était nouvelle, je l’ai accompagnée jusqu’aux dortoirs car elle ne savait pas où ils étaient. Si elle avait été là depuis plus longtemps, peut-être que j’aurais accepté de dire son nom mais là… Je trouverais ça injuste. »

Je soupire doucement et replace une mèche de cheveux en place. Mes bras viennent se croiser sous ma poitrine alors que je continue.

« Tu sais, quand on arrive ici, on est tous plus ou moins détruits, on a tous plus ou moins des pulsions. Certes, cette personne m’a fait mal, très mal, mais elle a le droit de faire des erreurs, de se planter. Je m’en voudrais de la faire démarrer cette nouvelle vie avec déjà une sale réputation. Après, bien sûr, si je la croise en train de faire du mal à quelqu’un, je ne me gênerai pas pour lui faire comprendre qu’il faut qu’il s’arrête à un moment. »

Mon regard se fait étrangement dur, froid, mature.

« Et si cette personne souhaite me refaire du mal, je ne me laisserai pas surprendre cette fois-ci. Je me défendrai et ne finirai pas dans cet état. »

Un silence plane quelques instants. Je suis tendue comme un arc, incapable de calmer mes muscles contractés. Heureusement, l’air frais parvient au bout d’un moment à me calmer. Un peu. Juste un peu.

Nathanaël sentit tout de suite la tension s'installer entre lui et Oksa. Cette dernière s'était d'ailleurs tendue comme un arc après se remarque, poings serrés, évitant son regard, ses yeux perdus vers l'avant. Il se pinça les lèvres, mais ne regretta pas sa question. Il s'était senti obligé d'au moins essayer.  Alors quoi, retour à la case départ ? Le Terre n'aimait pas cette situation. Lui qui était d'habitude d'un contact facile et agréable, il lui semblait que le courant ne pourrait pas passer avec l'Air, qu'il y aurait toujours un problème entre eux. Elle finit par bouger latéralement la tête, indiquant son refus. Il se détourna alors à son tour pour regarder devant lui, ailleurs. Il était frustré. Pourquoi ne voulait-elle rien lui dire ? Avait-elle peur ? Ou était-est-ce un de ses proches, une personne qu'elle appréciait ? Il était, évidemment, bien plus difficile de dénoncer un membre de sa famille ou un ami, par exemple. Ce n'était pas facile, mais cela avait des conséquences. Était-elle en train de fuir ses responsabilités ? En avait-elle conscience ? Ou la situation était-elle bien plus complexe qu'elle n'y paraissait ? Le Titan ne parvenait pas à se décider, à démêler ce tas de nœud. La seule certitude qu'il avait, c'était que si un être dangereux se promenait en toute impunité à Terrae, il ne pouvait pas rester indifférent.

Nathanaël ouvrit la bouche pour parler suite à la remarque de la jeune femme, mais se retint. Ne pas réagir de manière impulsive, il fallait qu'il réfléchisse avant de s'exprimer, ne pas céder à sa colère. Il la laissa donc continuer sans rien dire. Il savait tout cela, ce qu'elle lui racontait, mais fallait-il attendre une récidive avant d'agir ? Le Terre ne voulait bien entendu pas mettre cette personne au pilori, car il s'agissait peut-être d'une réaction de peur ou de détresse, un appel au secours, mais il restait persuadé que ne rien faire n'était pas la bonne solution. Il ne vit pas le regard dur et froid d'Oksa et n'eut aucune réaction face à sa dernière réflexion. Elle avait sans doute raison, elle ne se laisserait pas surprendre à nouveau... mais il n'y avait pas qu'elle. Comment pouvait-elle être si égoïste ? Ne penser qu'à elle, comme ça... Nathanaël passa machinalement la main dans ses cheveux. N'était-ce pas lui qui, actuellement, était égoïste ? Après tout, le Titan se fichait pas mal de ce que pouvait ressentir son interlocutrice au souvenir de son agression. Il avait pensé à lui et à Ipiu. D'une manière plus globale, on pouvait considérer qu'il avait eu une pensée pour toutes les victimes potentielles de l'individu, avec une préférence pour son amie, bien entendu. Il lâcha un long soupir. Il s'était, en partie, calmé.

Je comprends ton point de vue et c'est tout à fait honorable de ta part de vouloir préserver la réputation d'un nouveau qui a, peut-être, simplement dérapé.

« Avoir dérapé »... Nathanaël aimait bien cette expression, même s'il ne l'utilisait que peu. Il trouvait l'image adéquat à ce qu'elle souhaitait exprimer : une perte de contrôle temporaire.

Cependant, je ne peux m'empêcher de penser qu'il pourrait y avoir d'autres victimes et que tu ne seras pas nécessairement là pour le voir agir. De plus, ces personnes n'auront pas ton expérience et ne se méfieront pas le cas échéant.

Il s'arrêta un court instant, le temps de soupirer à nouveau.

J'espère, qu'au moins, tu en auras parlé à un Master pour que la personne qui t'a agressée puisse être aidée. En souhaitant que tout cela n'ait été qu'un appel au secours et pas un réel problème pour l'institut.

Le Terre se tut. Avec sa dernière remarque, il allait peut-être faire culpabiliser l'Air, mais il s'en fichait. Il ne la forcerait pas à parler, il avait abandonné cette idée, mais il souhaitait qu'elle comprenne bien la situation comme il la voyait. Il avait sans doute plus de recules qu'elle, mais certainement pas assez pour être objectif. Il prit la décision de contacter Ipiu un peu plus souvent, pour se rassurer et être certain que tout allait bien. Oh, il n'allait pas se mettre à la harceler et il ne souhaitait pas qu'elle sache pourquoi il agissait ainsi. Le changement serait suffisamment léger pour qu'elle ne se rende compte de rien, du moins il l'espérait.

Un moment passe avant que Nathanaël ne me réponde, après un long soupir. Je me serais attendue à ce qu’il n’apprécie pas ma réponse, et pourtant il m’affirme que mon point de vue est « honorable ». Néanmoins, la suite me confirme ma première pensée. Tente-t-il de me faire culpabiliser ? Je ne sais pas vraiment, mais mon ton m’étonne dans sa neutralité étrange lorsque je lui réponds. La sécheresse ne me va pas. Apparemment, chez moi, il ne reste pas longtemps, préférant l’enthousiasme ou l’indifférence lorsque cette dernière est inappropriée.

« Non je n’en n’ai pas parlé aux masters. Je leur fais suffisamment confiance pour me douter qu’ils l’auront repéré et qu’ils suivent leurs nouveaux élèves sans avoir besoin de les harceler dès qu’il y a un souci. »

Je tourne mon regard vers lui, croise ses yeux et y plonge les miens.

« Tu sais, la plupart d’entre nous est potentiellement dangereuse. Nous arrivons tous fragiles, violents, blessés, déprimés. Mais tout n’est pas pour nous perdus. C’est pour ça qu’on accepte tous de tenter de donner un minimum de confiance aux autres, sans forcément les connaître. Je sais, je suis la première à m’emporter trop facilement, à trop vite paniquer. La preuve avec l’autre jour, où je t’ai accusé d’être un harceleur sexuel. Et pourtant, je suis revenue, j’ai décidé de m’excuser. Et là, c’est la preuve qu’on peut évoluer. »

Je soupire, mais souris. Juste un peu. Je marche plus lentement, et mon regard vient se perdre dans le chemin devant nous, dans le paysage. Un peu trop loin probablement. Je réfléchis et continue au bout de quelques instants.

« Nous ne sommes tous qu’un gigantesque appel au secours, C’est la raison même pour laquelle on vient nous chercher à un moment non ? Mais est-ce vraiment une raison pour nous abandonner ? nous accuser d’être un problème ? Parce que oui, c’est ce que nous sommes, un problème pour la société. Mais pas pour l’institut. Et lui non plus. Il a le temps d’évoluer, de se rendre compte de ses erreurs. Oui, j’ai conscience que c’est un pari dangereux que je fais sur lui mais… »

Mais j’ai l’habitude de parier sur les chevaux blessés. Ma main vient rejoindre le précieux cristal rouge qui pend à mon cou, le cadeau de cet homme d’un mystérieux inquiétant qu’est Akira.

« Mais si j’étais celle sur qui personne n’oserait parier, j’aimerais qu’au moins une personne le fasse. »

Nathanaël grimaça lorsqu'Oksa lui apprit qu'elle n'avait averti personne. Alors quoi ? Personne dans cet institut n'était au courant ? Il serra les poings. Oui, lui aussi avait confiance en eux, mais ils étaient des êtres humains, faillibles. Leurs regards se croisèrent. Celui du jeune homme s'adoucit au fur et à mesure du discours de son interlocutrice. Il hocha simplement la tête. Tout ce qu'elle disait lui paraissait évident et il ne remettait rien en doute. Elle soupira, mais sourit, puis laissa un temps en observant le chemin devant elle. Tout deux réfléchissait. Comment lui faire comprendre ce qu'il ressentait ? Qu'il ne condamnait personne, mais qu'il espérait tout de même maintenir le semblant de sécurité qui existait à Terrae ? L'Air reprit la parole et le Terre ne se sentit que plus frustré encore. Elle n'avait rien compris à ses préoccupations. S'exprimait-il aussi mal que cela ? Oui... il avait fait une erreur, s'était laissé emporté par ses émotions, sa peur. Il n'aurait jamais dû lui demander qui était la personne qui l'avait agressée. Car, au fond, il n'avait pas à le savoir. Sans doute le problème résidait-il là. Elle pensait qu'il souhaitait que le nom de cette personne soit révélé à tous les étudiants. Peut-être avait-ce été son idée première, mais le Titan la regrettait à présent, car la jeune femme avait raison : tout le monde avait droit à une chance. Cependant, il restait convaincu que les Masters devaient être mis au courant.

Je ne cherche à condamner personne. Pardonne-moi de t'avoir demandé de qui il s'agissait. Je n'en avais pas le droit. J'ai fait une erreur. Pourtant, je ne peux m'empêcher d'être inquiet si aucun Master n'a été mis au courant. Tu sais, ce sont des gens comme toi et moi, des humains et ils ne sont pas infaillibles. Il y a tellement de personnes vivant à Terrae. Ils ne peuvent pas être au courant de tout, sinon il n'y aurait jamais d'accident. La preuve, il y a eu un incendie causé par un étudiant ce printemps. Je suppose que les Masters suivent les cas vraiment particuliers, mais ils ne peuvent pas surveiller chaque nouveau venu...

Nathanaël lâcha un dernier soupir.

Je ne pense cependant pas pouvoir te convaincre sur ce point, alors n'en parlons plus. Il est inutile de continuer sur ce sujet, je pense que tout a été dit.

Il était toujours frustré, mais décida de prendre sur lui. Il avait remarqué le geste d'Oksa vers son pendentif, mais préféra ne pas lui poser de questions. Il ne savait, au final, rien de son interlocutrice. Elle avait ralenti le pas. Il s'était donc adapté et, presque machinalement, s'était mis à agiter sa main, laissant son bras pendre le long de son corps. Une boule de terre se détacha du sol et vint se placer au centre de sa main. La matière se déforma, puis prit peu à peu forme. Une fois la petite sculpture terminée, de la taille de la paume environ, un dragon avec une flamme au bout de la queue, il la tendit à l'Air. Le Titan se souvenait avoir vu ce pokémon dans le jeu de son frère, un pokémon volant.

Est-ce que tu penses qu'on pourra s'entendre un jour ?

Hrp:

Je ne dis rien, me contentant d’écouter le Terre. Je comprends ce qu’il me dit. Il a raison, on ne peut pas toujours se dire « les masters le sauront » et laisser couler. Je me promets d’y songer une fois seule. Là, notre conversation influe trop sur mon jugement. J’ai besoin d’y penser à tête reposée.

Nathanaël lâche ensuite un soupir. Je me tourne enfin vers lui. Il souhaite clore le sujet. Je le comprends et approuve d’un simple hochement de tête.

Finalement, le Terre tend vers moi un objet. Je m’arrête et regarde, pour découvrir une mini sculpture qu’il vient probablement de faire tout en marchant. Je l’attrape doucement du bout des doigts et observe le Dracaufeu, un sourire d’enfant aux lèvres, le regard illuminé. C’est le second cadeau de ce garçon à moi. D’abord la fleur, puis ce petit Pokémon. Mes yeux brillants de joie viennent se poser sur lui.

« Merci beaucoup… »

Je me souviens ensuite de sa question. Un léger silence plane avant que je ne réponde.

« Pourquoi ne pourrions-nous pas nous entendre un jour ? J’avoue, notre relation démarre assez mal… mais ce n’est pas obligatoirement significatif de la suite, tu sais ? Tout dépend de si tu as envie que l’on s’entende, et de si j’en ai envie. Mais je reconnais que j’apprécie bien de ne pas avoir d’ennemis, donc c’est chouette si on s’entend. »

Je lui souris une nouvelle fois, un peu gênée. Je ne sais pas d’où me vient cette étrange assurance dans mes propos. Ma timidité semble s’apaiser avec le temps, ne devenir plus que de la réserve. Cela ne m’empêche néanmoins pas de rougir légèrement lorsque je tente de faire de « l’humour » ou lorsque j’ose dire ce que je pense. Mais en un sens, c’est vrai. J’apprécierais fortement que le Terre et moi nous entendions bien. Même si nous ne sommes pas d’accord sur tout, il semble être quelqu’un d’intéressant. J’ajoute finalement.

« Et je réfléchirai à ce que tu m’as dit. Quand je serai seule. Ce sera plus simple pour moi. »

Mon regard se reporte une nouvelle fois sur le Dracaufau, que je lève à hauteur de mes yeux pour mieux le regarder. Il est… TROP MIGNON C’EST PAS POSSIBLE.

« Il est super bien fait Nathanaël ! Pour quelqu’un qui ne s’y connait pas en Pokémon… tu as vraiment géré les détails et tout ça ! »

Je rie doucement, pleine d’une bonne humeur nouvelle. Ce cadeau m’a touchée, et notre discutions, bien que houleuse, m’a parue fort intéressante et m’a permis de me remettre en question. Il va falloir que je songe à la suite, à ce que je compte faire après par rapport à Fury. Mais de suite, mon attention se reporte sur le Terre.

« Désolée je me suis arrêtée de marcher sans vraiment m’en rendre compte. Tu veux reprendre la promenade ? »

Nathanaël ne put que sourire en voyant le visage de son interlocutrice et son regard s'illuminer. Il avait vu juste en pensant que la figurine lui plairait. Elle finit par lever les yeux vers lui et le remercia. Il hocha simplement la tête. Il ne considérait pas vraiment cela comme un cadeau... enfin, ce n'était pas grand-chose. Un nouveau silence s'installa entre eux. Le Titan restait perplexe, ne comprenant pas ce qui n'avait pas fonctionné, pourquoi ils ne pouvaient pas s'entendre. Il n'était évidemment pas étranger à la situation. Il avait, en effet, grandement contribué à rendre les choses compliquées. Ce n'était pas la première fois qu'il rencontrait quelqu'un qui n'échangeait pas le même avis que lui et avec lequel il ne parvenait pas à se mettre d'accord. Ce n'était pas nouveau, pas grave, d'ailleurs, au contraire. La vie serait trop ennuyeuse si tout le monde était d'accord avec tout le monde. Non, ce qui le dérangeait, c'était cette tension palpable qui se maintenait entre lui et l'Air. Sa petite sculpture avait contribué à dissiper le malaise, mais il ne pouvait s'empêcher de craindre que ce ne soit que temporaire, qu'un autre élément perturbateur viendrait les ramener à la case départ.

Oksa finit par répondre à sa question, qui en soit, n'en était pas vraiment une pour lui... Il s'agissait plus d'une question rhétorique, d'une remarque de dépit, mais il ne dit rien et l'écouta attentivement. Il trouva sa remarque pertinente et, en un sens, attendrissante. Le Terre lui offrit un sourire qui s'élargit davantage en entendant la suite de ses propos. Ainsi, elle allait y réfléchir ? C'était une sacrée victoire. Peut-être ne changerait-elle pas d'avis, mais au moins considérerait-elle son avis à tête reposée. C'était le principal. Il observa la jeune femme poser à nouveau son regard sur la sculpture qu'elle amena à hauteur de ses yeux. Il fut amusé par son air ravi, presque en extase devant ce bout de terre modelé. Il lâcha même un petit rire suite à la remarque de l'Air, en écho au sien. Elle semblait touchée de cette petite attention, ce petit « rien » qu'il avait créé.

Merci pour le compliment. Je suis heureux que cela te plaise.

Nathanaël sourit encore, touché par la remarque de son interlocutrice. Il y avait de nombreux avantages à avoir une très bonne mémoire visuelle, notamment celui de pouvoir reproduire avec beaucoup de précision une créature qu'il n'avait vue que quelques fois et ce, il y a plusieurs années de cela. Quoi que, ce pokémon était un peu particulier. Son frère l'aimait particulièrement, bien que ce ne soit pas son préféré, et lui-même trouvait le design de l'animal assez intéressant. Il semblait, pour le peu qu'il en savait, assez puissant. Si Matt le voyait aujourd'hui, en train de s'amuser à sculpter des pokémons avec de la terre, il n'en reviendrait sans doute pas. Il en profiterait sans doute pour taquiner son grand-frère, lui ce grand sérieux incapable de s'intéresser au monde merveilleux de... comment était-ce déjà ? Sinnoh, oui, c'était bien cela. Le jeune homme retint un soupir, trop de souvenirs...

Ne t'excuse pas, il n'y a pas de mal.

Il réfléchit un bref instant avant de reprendre.

Avec plaisir, oui. De toute manière, il y a encore un bout de chemin jusqu'au parc.

Le Titan lui sourit et ils se remirent lentement en route. Le silence s'installa à nouveau. Nathanaël réfléchissait à un sujet de discussion, une question à poser à Oksa, mais rien ne venait... ou plutôt, les idées qui traversaient son esprit n'étaient pas satisfaisantes à son goût. Il souhaitait éviter tout sujet de controverses, sentant toujours planer sur eux cette épée de Damoclès. Il ne souhait pas sentir cette tension revenir. Ils avaient eu leur lot de désaccords pour cette fois. Il aurait aimé trouver un thème léger, anodin, sans risquer de froisser sa camarade. Une idée lui vint. Ce n'était pas la meilleure qu'il n'ait jamais eue, mais il pensait avoir trouvé un sujet suffisamment simple et neutre pour convenir à la situation.

Est-ce que tu es encore aux études ? Je me demande souvent combien de personnes vivant à Terrae ont quitté les bancs d'école.

Cela pouvait sembler étrange comme réflexion, mais à bien y réfléchir, voir des personnes comme lui, des gens qui ne contrôlaient pas complètement leurs pouvoirs, quitter l'enceinte de l'institut pouvait constituer un risque non négligeable pour la population de Tokyo. Mais ce qui l'intéressait le plus, c'était d'avoir des idées sur ce que les Terraeens pouvaient envisager comme carrière. Lui-même ne parvenant pas à se décider, il trouvait intéressant de connaître le parcours de ses congénères.

Un moment d’apaisement nous enveloppe enfin par nos rires et nos sourires partagés. C’est reposant. Néanmoins, alors que nous nous remettons en marche, je sens que rien n’est stable. Nous sommes dangereusement proche du bord et aucun de nous deux n’ose parler – un peu comme si nous craignions de déclencher un nouveau débat.

Enfin, et heureusement, Nathanaël me pose une question à laquelle je réponds avec un petit sourire.

« Je travaille à la librairie depuis quelques mois, trois je pense. Et toi ? Tu es le jardinier de l’institut, c’est ça ? »

Cependant, une vibration dans la poche de ma veste m’indique un appel. J’attrape mon portable et vois le nom d’Angie apparaître.

« Désolée… Ça t’embête si je réponds ? »

Je suis un peu embarrassée mais en même temps le Terre et moi devions nous donner rendez-vous pour se voir dans les jours à venir et cela fait un moment que je n’ai pas eu de nouvelles. Je m’éloigne donc un peu le temps de l’appel et reviens rapidement vers le Titan.

« Je vais devoir te laisser. Un ami a besoin de moi il m’a demandée de le rejoindre. »

Ce n’est tellement pas mon genre de m’échapper de cette manière, mais en même temps, c’est la réalité. Angie m’a demandée de me dépêcher en plus, je m’interroge pas mal sur le pourquoi du comment. J’adresse un dernier sourire au garçon et reprends en désignant la petite figurine.

« Merci encore… Et peut-être à une prochaine fois ? »

Sur un petit signe de main, je m’éloigne et me dirige vers la chambre d’Angie. Je ne sais pas si je reverrai un jour Nathanaël, ni si j’en ai envie d’ailleurs. Ce garçon me laisse perplexe, je dois le reconnaitre. J’ai du mal à saisir pourquoi nous avons tant de mal à nous entendre, ça me titille… Enfin, pour le moment, direction l’étage des Terres – encore une fois !

Nathanaël écouta attentivement la réponse de son interlocutrice. Ainsi, elle travaillait dans une librairie. Il sourit. Il ne connaissait pas très bien Oksa, mais trouvait que cette occupation lui convenait bien. Et puis, son métier était lié aux livres, comme celui d'Ipiu. Il y avait quelque chose d'apaisant à cette idée, sans qu'il ne comprenne pourquoi, mais ne se focalisa pas là-dessus.

Oui, effectivement, mais je ne considère pas cela comme mon métier. Il s'agit plutôt d'un job d'étudiant. Je poursuis mes études à l'université de Tokyo, en sciences.

Le Terre n'eut pas le loisir de développer davantage, mais cela ne le dérangea pas. En effet, il ne souhaitait pas trop entrer dans les détails, ne souhaitant pas expliquer tout ce qu'il faisait et pourquoi il le faisait, sauf peut-être si l'Air le lui demandait évidemment, mais il en doutait.

Non, fais seulement.

Il la laissa s'éloigner et l'entendit parler indistinctement au téléphone. Comme cela ne le concernait pas, il se détourna pour laisser son regard errer aux alentours. Il aperçut un écureuil se promener sur un arbre proche et s'amusa à le regarder. Il s'arrêtait de temps en temps pour observer son environnement proche. Parfois, il se lavait le visage avec sa patte. C'était assez attendrissant à regarder. Le Titan perdit cependant rapidement la trace de l'animal, lorsque ce dernier partit se cacher sous le couvert des feuilles. Il lâcha un soupir et reporta son attention sur la Guérisseuse qui venait manifestement de terminer son appel. Lorsqu'elle revint vers lui, il comprit, avant qu'elle ne parle, qu'elle ne l'accompagnerait pas jusqu'au parc, finalement.

Très bien, pas de problème.

Nathanaël lui offrit un sourire en miroir au sien. Il ne se sentait nullement vexé qu'elle l'abandonne subitement. Elle était libre de faire ce qu'elle voulait, après tout.

Avec plaisir.

Il accompagna ces deux mots d'un léger signe de la tête, puis la regarda s'éloigner, avant de reprendre son chemin. Les derniers mots d'Oksa le laissèrent un peu perplexe, ce « peut-être » semblait être lourd de sens, mais il décida de ne pas y penser pour le moment. Le Titan se dépêcha de parcourir le reste du chemin qui lui restait jusqu'au parc. Il avait besoin de s'occuper l'esprit avec une activité simple, une activité manuelle, ne plus penser à rien d'autre qu'au travail de la terre. Il se força à afficher un doux sourire sur son visage, alors qu'il commençait à travailler. Il avait lu plusieurs études étant arrivées à la conclusion, bien que très controversée, que sourire, même de manière forcée, rendait les gens plus heureux. Cela ne coûtait rien d'essayer...