J'suis décalqué. Quasi nuit blanche. Enfin. Techniquement j'étais à Boston, alors j'ai légèrement rallongé le jour d'une demi journée. J'ai un peu dormi en début d'aprem là-bas, mais juste une micro sieste. J'dors mal la journée, de toute manière.

Quand j'arrive à la maison, la matinée est presque finie. On s'est quittés y a pas longtemps avec Mitsu, et j'ai l'impression de rentrer d'une longue beuverie alors que j'ai seulement bu une ou deux bières. J'me sens pas spécifiquement mieux, sachant que revenir à Terrae me ramène dans quasiment le même état d'esprit que celui dans lequel j'étais avant de partir. J'soupire et accroche mes clés dans le petit boîtier dans l'entrée, puis enlève mes chaussures et ma veste. J'suis tout ankylosé.

Dans l'salon, j'entends la télé allumée. J'me demande s'il est resté debout toute la nuit. J'espère pas, quand même. J'm'en veux un peu.

Lentement, j'avance en chaussettes jusqu'au canapé, tire la couverture qu'il a ramenée sur lui et vais me blottir en dessous, tout contre Gae. J'ose pas vraiment le regarder. J'sais pas ce qu'il pense. Il est en colère ? Inquiet ? Blessé ?

—T'as pas répondu à mon message, je lance simplement à voix basse.

Ma tête s'appuie contre son épaule. Je ferme les yeux.

—Tu as dormi un peu ?

J'étais pas bien en sortant de la réunion. Vraiment pas bien. Pour tout dire, l'idée de laisser rentrer des psychologues dans l'enceinte de Terrae me rend malade. Parce que je suis clairement parano et aussi parce que j'ai peur de comment Aaron va gérer ça. Il est dix fois plus parano que moi.

Je regrette d'avoir voté pour. J'aurais dû m'abstenir comme Ryu. Et pourtant j'ai levé la main. Parce que je savais que c'était la bonne chose à faire, quand bien même je savais comment Aaron allait réagir. Je suis con parfois... Et je déteste me brouiller avec Aaron. Surtout sur des sujets comme ça.

J'aurais voulu le suivre après la réunion mais je l'ai pas fait parce que je savais qu'il avait besoin de temps. Alors je suis rentré à la maison, je me suis installé sur le canapé et j'ai geeké toute la nuit en regardant l'heure toutes les cinq minutes, me demandant quand est-ce qu'il allait revenir.

Quand la porte d'entrée claque je ne bouge pas et le laisse venir. En sentant sa chaleur contre la mienne je me décrispe un peu, soulagé de le voir rentré.

Je secoue légèrement la tête face à sa question. Non. J'aurais jamais pu fermer l'oeil.

Ma tête s'appuie contre la sienne.

- Je suis désolé. J'aurais dû m'abstenir.

Il répond pas, mais il a l'air beaucoup plus serein maintenant que je suis rentré. Les yeux fermés, je profite de sa chaleur et de son réconfort silencieux. Sa tête s'appuie sur la mienne et je pose ma main sur la sienne après l'avoir cherchée à tâtons, emmêlant distraitement nos doigts.

—Parce que tu crois que ça aurait changé quelque chose ? Sois pas ridicule, je soupire.

Ce n'est pas pour autant que je vais lui dire que ce n'est pas grave. Ca l'est, un peu. Mais c'est la décision qui me choque, ce sont les regards, les jugements, le fait que tout le monde nous regarde uniquement comme si on était des gosses capricieux. À cette pensée, je me crispe un peu.

—Tu crois que c'était capricieux de notre part de ne pas voter pour ?

Je revoie Tomoe lever la main derrière mes paupières closes et mes yeux me piquent à nouveau.

—Nan, réponds pas. Je. Ca sert à rien d'en discuter encore.

Je m'humecte les lèvres et rouvre les yeux pour les poser sur la télé. Un long soupir m'échappe.

—J'ai emmené Mitsuki à Boston. On avait besoin de décompresser un peu…

C'était une bonne journée, au final. Comme si on était revenu en arrière. Comme si rien ne s'était passé.

Nos doigts s'entrelacent et mon regard dérive vers le visage d'Aaron. Je hausse les épaules. Ça n'aurait rien changé non. En revanche, ça m'aurait évité de le contrarier encore plus mais comme d'habitude je n'ai pas pu m'empêcher de faire "ce qui est juste".

Je ne veux pas commenter sa réaction, ça ne sert à rien, nous le savons tous les deux. Et je ne peux pas prétendre comprendre ce que ça fait d'être un cobaye des scientifiques car je ne l'ai pas vécu. En revanche j'ai vu ce qu'ils avaient fait et c'est amplement suffisant. Et c'est sans doute pour ça que je ne comprend pas vraiment les jugements des autres Masters...

Je m'apprête à répondre à sa question lorsqu'il me coupe la parole. Alors je me garde de dire que ça n'a rien de capricieux. Mais bon.

Mon regard se reporte sur l'écran et je hausse un sourcil, remarquant que ce qui passe à la télé est vraiment une série B bien pourrie. Vous savez, dans le genre Pretty little liars. Ce truc est vraiment trop stupide. Mais je crois que je m'égare là.

J'ai un sourire amusé lorsqu'il mentionne Boston, repensant à la soirée que nous avions passés là-bas. Ce qui me donne une idée.
J'attrape la télécommande et éteint la télé puis je me lève et souris à Aaron.

- Bon, ça va pas du tout cette ambiance morose. Donc je te propose qu'on aille se boire un verre.

J'attrape sa main et le tire à moi un sourire aux lèvres.

- Et en plus je te dois toujours une danse depuis Boston !

Donc allons danser et nous bourrer la gueule, pour prétendre qu'il ne s'est rien passé aujourd'hui.

Comme d'habitude, il reste silencieux. Ne répond pas. J'ai presque envie de le secouer pour l'obliger à dire un truc, parce que j'ai besoin qu'il parle, qu'il remplisse le vide que les sons de la télé ne remplissent pas. Je me mordille la lèvre et ferme à demi les yeux. J'ai tellement pas d'énergie pour l'obliger à quoi que ce soit, là…

Puis, sans que je m'y attende, la télé se coupe, Gaetano se lève et je m'appuie sur mon bras pour ne pas m'étaler sur le canapé. Hein ? Quoi ? Quoi ? Mais. Mais putain, pourquoi tu me proposes jamais ça quand j'suis en forme ?! Je me laisse tirer en chouinant un peu.

—Rohh, mais je suis fatiguéé, je fais en m'appuyant contre lui pour un câlin, gonflant la joue. Tu sais que j'ai passé une nuit blanche ? Enfin, techniquement, il faisait jour, là bas. J'suis sûr que t'as dormi sur le canap. Et il est un peu tôt pour boire, nan ?

C'est moi qui dit ça ? Omg j'ai vraiment dit ça, Tomoe déteint sur moi, c'est une catastrooophe. Ahahah… Je lève les yeux vers Gae et lui offre un demi-sourire.

—Bon, allez, un verre et une danse. Et après tu me laisses larver, sinon je m'écroule sur toi, tu devras me porter à travers tout Terrae, justifier pourquoi je ressemble à un zombie, et tout le monde sait que tu n'en as aucune envie, je souris sur un ton lent.

Sans rien ajouter de plus, je l'embrasse et le laisse me traîner dehors après avoir changé de fringues et pris une douche rapide. Je reste accroché à sa main, le regard vague et un sourire automatique sur les lèvres. Honnêtement, est-ce qu'on va toujours faire comme si rien n'était grave ? La question se pose, tout de même…

Arrivé devant le bar, je me bloque un peu avant d'entrer. J'ai vraiment envie de voir personne. Et tous ces visages que je connais, toutes ces auras familières, ça me donne la gerbe.

—Tu as quoi sans alcool ? je demande au serveur lorsqu'on s'est installé.

Si je bois de l'alcool je tombe raide.