Elle approuvait mon ressenti, et je l'en remerciai par un sourire bienveillant. Ses paroles me donnaient à réfléchir, et la brise qui soufflait sur mon visage paraissait clarifier mon esprit, électriser mon corps de milliers d'aiguilles électriques pour me stimuler. J'aimais voler, vraiment. Je n'en avais plus peur dorénavant, je retrouvais ce goût si intense, d'autantplus fort lorsque l'on ne voit puisque l'on est aspiré par le vide, on ressent tout de façon plus forte. L'expérience est plus prégnante.

Au bout de quelques minutes, je finis par rebondir sur sa dernière remarque.

- C'est vrai que Terrae change beaucoup de choses... Je n'ai jamais été éloigné de ma famille si longtemps et pourtant, c'est très curieux, mais je ne ressens pas le besoin de les voir. Je suis proche d'eux pourtant, je les aime, mais je n'ai pas l'impression d'être seul. J'ai constamment l'impression d'être en famille ici, étrange non ?

Cela devait sembler inhumain qu'un fils ne ressente pas le manque de ses parents. Mais ce n'est pas temps qu'ils ne me manquent pas, c'est juste que... une nouvelle famille m'a été donnée. J'ai des frères, des amis, des personnes que je veux protéger, une personen que j'ai aimé... Je secoue la tête avant de formuler entièrement ma pensée. Ce n'est pas le moment. Je ne peux pas penser à lui. Plus maintenant.

-Ca doit être cela grandir, dis-je avec une pointe de tristesse.

Je l'écoute me parler de sa rencontre avec Mitsuki et Allen. Je découvrais en même temps qu'ils se connaissaient avant en quelque sorte, par intermédiaire. Ils étaient arrivés ensemble à Terrae. Ils avaient même vécu ensemble. Un doux sourire étira mes lèvres. Je les enviais de pouvoir se sentir aussi proches les uns des autres. J'avais fini par développer ce lien avec quelques rares personnes, des personnes sans lesquelles je ne me vois plus vivre.
Puis, tout naturellement, elle me parle de Huo, et mon sourire se fait plus franc, plus amusé également. Je me tourne légèrement dans sa direction, volant dos au vent pour lui offrir une mine rieuse.

-Ah oui Huo... Il faut croire que l'maour fait des miracles non ? Vous vous êtes influencés l'un l'autre à mon sens, dis-je avec un grand sourire.

Ses mots tournaient dans ma tête : "c'est biens grâce à eux que l'on a changé..." Oui, je suis d'accord. Sans Ryu, sans Huo, sans Ys, sans Misao, sans Mademoiselle Honda, sans Aoi non plus... Jamais je n'aurai pu devenir ce que je suis aujourd'hui. J'ai tellement changé depuis mon arrivée. J'étais tellement peureux à l'époque, avec un manque total de confiance en moi. Quand j'y repense, j'ai bien évolué. Parvenu à cette conclusion, je me mis à faire des petits tours sur moi-même en volant, comme si mon corps avait besoin d 'exprimer ma joie.

-Ca pour un endroit étrange! Qui aurait cru que l'on pourrait voler un jour ? Ou envoyer voler une personne à l'autre bout d'une pièce ? C'est quand même fabuleux ce qui nous arrive! J'aimerai que tout le monde le vive de la même manière...

Pourquoi nous sentons-nous tellement libres, une fois que nous n'avons plus les pieds sur terre ? Nous le savons, pourtant, que ce n'est pas parce que le corps est libre que notre esprit l'est aussi. L'impression de grandeur, sans doute ; cette immensité sombre sur laquelle brillent des miliers de soleils… Nous avons réellement la tête dans les nuages ; une chose que les humains ont toujours recherchée. Nous pouvons voir loin, de cette manière. Contrôler l'air est un pouvoir merveilleux, mais aussi puissant et multiface, à tel point que je me demande encore parfois où se situent nos limites. Les guérisseurs, surtout, ont un pouvoir d'importance, je le crois réellement. Pourquoi l'aurions-nous autrement ? On ne peut pas se permettre d'être égoïste. On ne peut pas non plus se permettre de faire n'importe quoi. Si nous pouvons soigner, nous pouvons blesser ; et c'est ça qui devrait nous rendre responsables. Mais soigner, c'est ce que je souhaite. Faire en sorte que tout cela ne soit pas vain. Mais une fois dans les airs, tout cela n'a plus vraiment d'importance.

Peut-être que c'est pour ça que nous nous sentons si libres. Être ce que nous sommes. Ne nous imposer que les limites que l'on ne peut nous-mêmes franchir, débarrassés de celles du monde d'en-bas. Voler, c'est aussi vivre ; mais vivre pour soi.

—Pas si étrange que ça… je réponds avec un demi sourire. On est soudés. On a tous vécu des choses difficiles. Je pense que c'est pour ça qu'on est capables de se comprendre aussi bien ? Et puis, on est jeunes, j'imagine que ça aide…

C'est vrai, c'est ça, grandir. S'éloigner de ses parents et vouloir fonder sa propre famille. Mon visage brûle à cette pensée, et je ne veux pas penser à la bague que je porte. J'imagine qu'un jour, ce ne sera plus simplement une demande lancée en l'air, hein...

Nous parlons un instant de Mitsuki et Allen, et je vois Matheo se retourner vers moi pour me lancer son grand sourire. Quoi ? Mais. Je fais la moue et lui envoie une légère bourrasque qui le fait se dévier de sa trajectoire de quelques degrés.

—Moque-toi donc, c'est ça~ Tu verras bien, toi aussi. Je me moquerai de toi dans quelques années.

De là à dire que j'ai fait changer Huo, je ne sais pas trop. Déjà, notre Masterisation nous a pas mal changés… mais je crois que ça a seulement acceléré le processus, quelque part ? Je ne saurais pas vraiment dire à ce niveau-là.

Mon sourire se fait plus large, mais aussi plus doux.

—Tu es tellement violent, Matty~, le taquiné-je. Mais c'est vrai. J'aimerais aussi...

Un silence s'étire pendant un moment, alors que nous continuons à voler. Au bout d'un moment, alors que je sais que si je ne parle pas maintenant, je ne vais finalement jamais oser le faire, je finis par l'interpeller doucement par son prénom. Pas de sourire, pas de mine sérieuse. Simplement de la détermination, mais aussi de l'angoisse. Peut-être qu'il ne voudra pas.

—Je vais te parler de mon idée. Je ne sais pas encore si ça va marcher, mais j'ai besoin de ton soutien. Laisse-moi juste tout t'expliquer, jusqu'à la fin. Si tu ne veux pas, je le comprendrai. Mais il faut au moins que j'essaie.

Parce que c'est important.
Parce qu'il n'y a rien de plus important.

Pendant un instant, seul le bruit du vent siffle à mes oreilles alors que je prends le temps de méditer sur ce qu'elle vient de me dire. Soudés par la difficulté ? C'est sûrement vrai... On se sent naturellement plus proche des personnes qui partagent nos craintes, de ceux qui ont un jour connu cette sensation de vide si inexplicable et qui nous a conduit ici. Chacun d'entre nous rêve à sa manière de se reconstruire, de retrouver la famille qu'il a laissé auprès d'autres qui peuvent le comprendre. N'est-ce pas ce qui m'est arrivé ? Ce qui nous est arrivé ? C'est si étrange quand on y pense, que tout ce décor fantastique finisse par devenir si banal à la longue. J'étouffe un petit rire. J'ai vraiment vieilli décidément ! Heureusement que personne ne m'entend.

-Je suis d'accord. C'est si simple de parler à cœur ouvert avec une personne qui peut comprendre ce que tu ressens... ou qui partage tes pouvoirs, ajoutais-je en lui adressant un grand sourire.

Je lâche un petit « Ah » lorsqu'elle me fait dévier, me reprenant aussitôt, sans me départir de mon sourire. C'était prévisible, et si mignon comme réaction. Je pouffe tout seul comme un idiot, continuant de la taquiner un peu, gentiment bien sûr. Puis elle prononce la phrase qui me replonge dans mes méditations : moi dans quelques années... Je laisse mon visage reprendre une apparence neutre, me laissant porté par le vent, l'esprit lointain. Dans quelques années...

-Je me demande ce qui ce sera passé dans quelques années... ou même si je serai encore là.

Un hoquet m'échappe au moment où je me rends compte de la portée de mes paroles, et que j'ai, involontairement, plomber l'atmosphère. Je tournoie sur moi-même aussitôt, tentant par tous les moyens de dissiper la morosité que j'ai contribué à installer. J'adresse un nouveau sourire à Aoi, la dépassant légèrement, cheveux au vent.

-Enfin qui sait ? Je suis encore là après tout ! Peut-être que je suis immortel moi aussi qui sait ! Les guérisseurs sont peut-être invincibles en fin de compte ! Dis-je avec humour.

Je prends une mine faussement outrée en l'entendant me reprocher ma violence, jusqu'à ce qu'elle me rejoigne sur ce point. On en discute un moment, puis le silence retombe. Nous nous concentrons chacun sur notre vol, quant à moi, je profite de l'air qui glisse sur ma peau et que j'inspire par saccade, prenant presque plaisir à la douleur qui perce ma poitrine lorsque je fais ça, comme lorsque l'on ne prend pas le temps de bien respirer vous voyez ? Une sorte de point de poitrine au lieu de côté.

Je sors finalement de ma rêverie en entendant mon nom. Elle n'ajoute rien, j'ouvre la bouche mais la referme aussitôt. C'est une de ces situations où j'aimerai pouvoir voir à nouveau, pour contempler le visage de quelqu'un, voir ses expressions... Tout plutôt que ces pâles copies que je perçois. Je descends à mon tour, la suivant de près. Je n'étais pas spécialement inquiet mais, je dois l'avouer, un peu préoccupé. Je la sentais sérieuse, un peu fébrile, comme si elle hésitait. Je penche la tête sur le côté, prêt cette fois à prendre la parole mais elle me devance. Ses paroles ne me rassurent pas du tout. Je hausse les sourcils, ne savant pas quoi dire ou même quoi penser. Je ne saurais dire ce qui la faisait tant hésiter : son projet ou ma réaction ? Que craignait-elle le plus ? Était-ce si grave pour qu'elle appréhende à ce point ma réaction ?

-Je t'écoute, soufflais-je finalement.

Et elle m'expliqua tout. A chaque étape de l'explication, je fronçais un peu plus les sourcils, ou je ponctuais par des grimaces, ravies ou non, tout ne me tortillant nerveusement les doigts. J'écoutais les détails, essayais d'envisager si c'était humainement possible ou non, lui posais des questions, auquel elle répondait gentiment. Elle ne me cacha rien, me détailla tout, pour me laisser pleine conscience de ce qui pouvait se passer, et dans quelle aventure j'étais sur le point d'embarquer... si jamais j'acceptais. Car tout commençait par là : mon consentement. Sauf que je ne savais pas trop où j'en étais. Toute ma vie j'avais eu l'impression de suivre une ligne prédéfinie et là... Tout se bouleverse. Cela n'a rien à voir avec la confiance, bien au contraire, c'est parce que j'ai confiance en elle que j'ai peur : peur de ce qui pourrait arriver, ne pas arriver, de ce à quoi ma vie ressemblerait si …
Je reste silencieux un moment, un long moment, pesant tous les arguments qu'elle avait donné, envisageant toutes les possibilités. Mais au final, c'est un simple et lumineux sourire qui fait place à toutes les réponses du monde.

-Je crois en toi. Faisons-le ! Et Aoi...

Je me tortille à nouveau les doigts, me dandinant limite sur place, un peu gêné par le tournant qu'a pris cette soirée. Un tournant inespéré il faut bien l'avouer. Maintenant je me retrouve aussi démuni qu'Huo lorsqu'il doit parler de ses sentiments.

-Je... Tu... Tu sais ce que tu fais pour moi... c'est vrai génial, c'est... Jamais je n'aurai pensé que quelqu'un irait aussi loin pour moi et je... Rah bon sang, je suis nul ! M'exclamais-je soudain, riant à moitié.

Je l'entends rire elle aussi, puis je sens son bras passer sous le mien, et nous reprenons tranquillement notre marche vers l'institut, sans plus nous soucier de rien. La nuit était décidément très belle ce soir.

Hrp: Amour sur toi et sur ce rp <3