La salle d’entrainement est vide. Normal, il y a peu de monde qui y vient pendant les vacances scolaires. Les gens préfèrent voyager, peut-être visiter leur famille. Ou sinon juste rester dehors et profiter du beau temps. Moi, par contre, je préfère passer mon temps à faire des choses dont je n’aurais plus autant de temps de faire une fois que les cours recommencent. Par exemple m’exercer au contrôle de mes pouvoirs.

Bon, d’accord, ce n’est pas la seule raison pour laquelle je suis ici. En fait, je suis venu surtout parce que je vais bientôt avoir le cours de Kyudo avec Ochikawa. Depuis qu’il avait explosé le mur dans le gymnase avec une flèche imbu de tonnerre, je me suis dit que ça serait mieux de lui apprendre comment tirer dans une salle qui peut supporter des flèches magiques si jamais il pète un câble à force de ne pas arriver à atteindre la cible. Je suis un génie, n’est-ce pas ? Et tiens, en parlant des élèves, il faudrait que je trouve un horaire qui convient à Ochikawa et à mademoiselle Draconis. Elle avait dit qu’elle pouvait s’entrainer en groupe, donc il faudrait que j’en parle à Ochikawa pour changer nos horaires d’entrainement un peu, peut-être. Surtout que ça me ferait gagner du temps, quand même, de pouvoir enseigner deux personnes à la fois au lieu d’une seule à chaque coup.

Quand tout est préparé, je me change et tends mon arc. Normalement, quand je donne un cours, je ne tire pas beaucoup moi-même, mais dès fois c’est bien quand même d’avoir mon arc prêt. Surtout au début, avant le cours, parce qu’Ochikawa a tendance à arriver en retard.

Je regarde vite-fait ma montre. Bon, il n’est pas en retard encore, c’est moi qui suis en avance. Mais c’était partiellement prévu. Comme je n’ai pas des cours en ce moment, j’ai plus du temps libre, alors j’en profite pour tirer quelques flèches aussi. Et tenter de les accélérer avec mes pouvoirs. Mais bon, il faut encore que je m’exerce sur ce deuxième point.

L’arc dans une main et deux flèches dans l’autre, je me mets en position. C’est parti. Jusqu’à ce qu’Ochikawa arrive, je peux m’entrainer un peu.

Le problème avec les vacances c’est que mes petits reporters n’écrivent plus. Ce qui rendez-vous compte est complètement débile : pendant l’année lorsqu’ils sont débordés de cours il m’envoient des mails avec des articles toutes les semaines… Et pendant l’été ils ne foutent plus rien… Alors que voyez-vous, pendant l’été les gens aiment encore plus s’asseoir au soleil avec le journal, ne serait-ce que pour s’en servir de pare soleil pour leur visage le temps d’une sieste. Du coup faut continuer à faire des articles, faut continuer à trouver des sujets d’articles, et si Huo m’aide il a un peu la tête prise par l’affaire Nicolas pour le moment. A peine.

Du coup j’utilise mon temps libre comme je peux, mais j’en ai pas beaucoup plus que d’habitude. Cette année on a décidé de garder la bibliothèque ouverte une grande partie de l’été, déjà parce que c’est cool pour les gens de Terrae de pouvoir continuer à bouquiner, ensuite parce qu’on trouvait ça cool de laisser la littérature accessible pendant les vacances. Du coup on est passés en horaires vacances on n’ouvre que de 10 à 13h. Et on tourne donc en effectif réduit pour permettre à ceux qui le veulent de partir en vacances.
Moi j’ai nulle part où aller et personne avec qui y aller. C’est grave la looze, mais j’m’en tape j’ai un super boulot et un journal à faire tourner. J’suis en vacances toute l’année tant que je trouve une heure dans la journée pour m’évader dans un livre.

N’empêche que le journal ne va pas s’écrire tout seul, et faut que je trouve des idées. J’me ballade devant le panneau des annonces, c’est souvent une bonne source d’inspiration, les gens y mettent des petits messages pour dire qu’ils organisent des teufs ou ce genre de choses. Ça permet aussi de voir si certains créaient des commerces, et en soi en parler dans le journal ça fait toujours un article de plus. Rien de tellement neuf, l’annonce de transports en taxi de Charlie-Ange a disparu mi-décembre, la place qu’elle occupait est déjà recouverte. Ça fait toujours un truc quand j’passe devant, je ne le connaissais que comme chauffeur de taxi, mais c’était un chouette type. J’aurais jamais pensé qu’il finisse comme ça.

Tiens, une annonce a été modifiée ? Celle du maitre de Kyudo ? Il indique les entrainements se feront désormais en salle d’entrainement et non plus au gymnase. Drôle de choix ? ça mérite d’être investigué, au moins un peu. Quand se passent-ils ? Y a-t-il une heure pour rencontrer le prof ? Bon, vu la discipline qu’il enseigne il doit préférer qu’on l’appelle sensei, mais telle n’est pas la question.

Le jour de l’entrainement j’me prépare rapidement, habillée d’une jupe longue bordeaux et d’un débardeur blanc cassé. J’ose pas repasser aux mini-jupes bien qu’elles soient plus faciles à enfiler car je n’aime pas qu’on voit les cicatrices de mes jambes. J’essaie de natter mes cheveux pour me préserver du chaud, mais mes boucles font de la résistance et j’finis par les laisser faire ce qu’ils désirent. J’attrape mon carnet, mon stylo et un dictaphone, la base du journalisme alliée avec un téléphone portable qui fait des photos pas si dégueux que ça, quoi qu’en pense Huo, et zou.

J’y vais en avance, j’imagine que le prof doit être en train de préparer le terrain. Dans ma tête c’est logique mais s’il faut j’vais attendre trente minutes comme une conne jusqu’à ce que les lèves arrivent avec le matériel nécessaire… Mais au pire j’m’amuserais à balancer des éclairs ça m’occupera.

Quand j’arrive il y a un type en tenue traditionnelle avec un arc… J’mettrais bien mon pied à couper que j’avais raison, pas ma main, elle peut encore servir elle. Je m’approche en tirant sur mes roues, je garde le fauteuil électrique de Mitsu pour mes sorties en extérieur. Je reste à bonne distance, histoire de ne pas me prendre une flèche… J’élève la voix.

« KUREI YATARO ? » je l’appelle.

Ça commence à venir, peu à peu. Ce n’est pas encore le contrôle parfait, l’accélération ne fonctionne pas à chaque tentative et l’air qui entoure ma flèche fuis mon contrôle une fois le projectile décoché. Mais c’est déjà mieux qu’avant et je remarque que mes flèches sont quand même un peu plus puissantes. Les vraies maitres diront peut-être que c’est plus parce que ma technique évolue, mais je pense aussi que mon contrôle de l’air s’améliore.

Une flèche décoché qui atteint le bord de la cible. La deuxième et troisième rate de peu, mais la quatrième rentre en plein dans le mille pour une fois. Je suis sur le point de tirer la cinquième quand je vois du coin de l’œil quelqu’un entrer dans la salle, mais je l’ignore, mon focus prit entièrement par mon tire et ma tentative de faire l’air aider ma flèche pour la rendre plus puissante. Je lève l’arc, puis le redescends tout en tirant sur la corde. Une fois l’arc bandé à fond, il n’y a plus que moi, la flèche, la cible, et l’air au tour. Elle se déforme, entoure la flèche, puis avance brutalement quand je décoche… et ensuite se disperse à un, peut-être deux mètres de moi alors que la flèche, elle, continue jusqu’à la cible et s’y plante. Je respire profondément et me relaxe. Mieux qu’avant, mais j’ai encore un long chemin avant moi avant que ça n’aide vraiment.

Avant que je ne puisse recommencer le tout avec la flèche suivante, une voix appelle mon nom, mais ce n’est pas celle d’Ochikawa, mais une voix plus féminine. Pas une que je reconnais, ceci dit. Baissant mon arc, je me retourne dans la direction dont la voix m’est venue et je vois une jeune demoiselle dans un fauteuil roulant aux cheveux blonds bouclés. J’incline la tête poliment.

« Oui ? Que puis-je faire pour vous mademoiselle ? »

Il est assez certain qu’elle n’est pas venue pour me demander des informations par rapport au cours. En tout cas, pas pour apprendre elle-même. Je vais rapidement vers le stand pour les arcs pour y reposer le mien en sécurité, puis reviens vers elle, mes yeux restant au niveau de son visage. Ce n’est pas que je tente d’ignorer le fauteuil. C’est de la simple politesse, vu que quand on s’adresse à quelqu’un, on lui regarde dans les yeux et non pas ailleurs. Et puis de toute manière, je ne pense vraiment pas qu’elle aime que les gens qu’elle vient de rencontrer fixent le fauteuil plus que la personne y assise, donc elle. Pour moi, ce n’est peut-être pas quelque chose que je vois souvent, mais pour elle, c’est le quotidien, alors autant le traiter ainsi.

Il incline la tête avec politesse. J’aime pas les gens trop polis, ils ont souvent trop de choses à cacher. « Bonjour » veut parfois dire « je suis d’un psychopathe » et un « je vous en prie » peut signifier « je rêve de t’égorger et d’utiliser ton sang pour repeindre ma chambre salope. » Vous ne voyez pas vraiment ? Mais putain vous avez jamais essayé de parler à je sais pas quelqu’un a travaillé toute la journée, qui est au bout de sa vie pour le demander un renseignement de merde ? Je vous fais le dialogue :

Client : Euh, bonjour, excusez-moi vous sauriez où je peux trouver l’appareil à courber les bananes ?
Vendeur exténué : Bonjour, je pense qu’on doit le trouver entre les coussins péteurs et les tailles orteils.
Client : Merci.
Vendeur : je vous en prie.

Maintenant vous pouvez vous amuser à loisir à utiliser les traductions pour comprendre ce que veut réellement dire le vendeur. Bon sinon, revenons au jeune homme, je pense que je pourrais lui dire gentiment que je viens pour prendre un cours mais à son aura je sens que ce n’est pas un rigolo. J’vais peut-être éviter…

« Je m’appelle Ipiu Raspberry. Je suis l’une des reporters du journal de Terrae, je voulais savoir si je pouvais vous interviewer pour faire un article. Vous proposez une offre culturelle assez intéressante pour qu’on s’y intéresse. »

Je pourrais dire que je suis l’une des fondatrices du journal et maintenant l’une de ses directrices… Donc en temps normaux je donne des sujets aux reporteurs et je me contente juste de les récupérer, de proposer des corrections et de les mettre en page. Ce qui déjà me bouffe pas mal de temps… Mais là comme on est en effectifs réduits, j’reprends la casquette de journaliste. Ce qui est cool en vrai, j’aime bien aller sur le terrain… Mais… OMG. Je crois que la métaphore du vendeur c’était juste trop bien trouvée. VOUS VERRIEZ COMMENT IL ME DEVISAGE. Je suis certaine qu’il est en train de se demander très sérieusement comment planquer mon corps. Bon il a posé son arc c’est déjà un point positif. Je souris de manière engageante plutôt que de laisser paraitre mes pensées. JE SAIS QU’ELLES SONT DEBILES. J’le vis bien j’vous assure, enfin la plupart du temps, quand on ne me juge pas trop fort… mais heureusement personne n’entend ce que je pense et je sais qu’on ne le lit pas sur mon visage… Et c’est pas un sensitif, j’l’ai vu jouer avec l’air. On ne me la fait pas moi j’vous l’dis.

Ipiu Raspberry. Le nom me dit quelque chose. Non pas parce que je l’ai rencontré, elle, ni parce que j’ai entendu son nom quelque part. Enfin, il ne me semble pas. Mais le nom me semble familier tout de même. Je trouve vite pourquoi quand elle continue de parler, me disant qu’elle travaille pour e journal. Ah, maintenant ça me revient. J’ai vu son nom dans ce même journal à la fin d’un article ou deux, je crois. Ou quelque parts ailleurs, mais j’ai dû le voir écrit là-dedans. Aucune autre explication vu que je suis certain de ne jamais l’avoir rencontré avant.

Alors elle veut une interview pour faire un article sur le kyudo ? Je n’ai jamais pensée que quelqu’un s’y intéresserait à tel point. En même temps, difficile de croire quoi que ce soit quand on a juste un ou deux élèves, pas vrai ? Tiens, en parlant de ça, peut-être qu’un article dans le journal intéressera plus du monde ? En tout cas, je n’ai rien à perdre en acquiesçant et de toute manière, j’ai du temps à bruler avant qu’Ochikawa n’arrive. Je regarde brièvement ma montre.

« Normalement, mon cours est censé commencer dans environ un quart d’heure. Ceci dit, connaissant l’élève en question, il sera sans doute en retard d’au moins dix minutes. Vous pensez que vingt-cinq minutes suffisent pour votre interview, mademoiselle Raspberry ? »

Personnellement, je ne peux pas m’imaginer que cela pourrait durer autant, mais en même temps, ce n’est pas comme si je savais comment dure une interview basique. J’imagine que cela dépend fortement du nombre des questions du journaliste et de la volonté de parler du interviewé. Et de combien ce dernier décide de dévoiler, parce que ça dépend aussi du sujet de discussion. Mais bon, dans mon cas présent, il ne devrait pas y avoir des problèmes. Kyudo est quelque chose dont je sais pas mal des choses. (Logiquement. Merci sensei.) Il n’y a aucune raison pour moi de ne pas dire ce que je sais non plus. A moins que les questions deviennent personnelles, mais je ne vois pas pourquoi cela devrait être le cas. Elle veut un article sur le Kyudo et pas moi, après tout. Heureusement. Je pense qu’il y aurait certains autres journalistes qui aurait eues des priorités inverses grâce aux journaux japonais d’il y a quelques ans. Le nom ‘Yataro’ et la dernière fois quand il couvrait la première page des journaux ne fut pas encore oublié, je l’ai remarqué même à la fac. Mais heureusement, même si Terrae se trouve en plein milieu de Tokyo, ce n’est pas Tokyo. Ici, on ne creuse pas dans le passé des autres à moins qu’ils veuillent partager. Et c’est tant mieux pour moi.

« A vrai dire je n’en sais rien, tout dépendra des réponses que vous me donnez je pense ? Si j’ai matière à en poser d’autres ou pas, je n’aime pas rester à la surface des choses et pondre des articles creux alors je ne peux pas promettre que je vais réussir à plier ça en vingt-cinq minutes. »

J’aurais pu lui dire que oui on avait le temps, mais ça aurait été mentir… Et mentir avec ce genre de personne n’est pas pertinent. J’aurais plus de chances de le braquer et de perdre u sujet d’article. Ce qui ne me semble pas super intelligent. Outre le fait que je me suis promise de ne plus jamais mentir sauf si on me le demande. J’ai passé une trop grande partie de ma vie à mentir aux autres et une part encore plus grande à me mentir à moi-même. Trop de mensonges, trop souvent.

« Si ça vous dérange, je peux repasser plus tard ou quand vous aurez un peu de temps à m’accorder. Je ne veux pas bâcler mon travail et écrire un article creux. »

Je sais je suis exigeante envers lui autant que je le suis envers moi-même. J’ai déjà fait quelques recherches sur le Kyudo, genre les origines, l’histoire, tout ça. J’voulais savoir si le sport était mondialement pratiqué, et oui… Mais il est peu développé en dehors du Japon et les plus prestigieuses compétitions y ont lieu. Comprenez bien que je ne peux pas me contenter de faire un historique ou une description de ce sport, ça n’aurait que peu d’intérêt et je pourrais le faire après des recherches sur internet. Sinon quel intérêt de venir ici ?
Je veux savoir pourquoi il a décidé de donner des cours de kyudo, ce que ça lui apporte, etc. Je veux comprendre la personne autant que l’attrait qu’il a pour le sport. J’suis pas une super écrivaine mais ça va de mieux en mieux, mes articles ne ressemblent plus à des modes d’emploi et Huo n’a plus à m’engueuler… Maintenant j’arrive à donner autre-chose que du fond dans mes récits. Je pense que c’est plus agréable à lire.

« Je dois vous préciser je pense que je ne veux pas un article qui parlerait simplement du sport, je veux comprendre ce qui vous y plait et pourquoi vous souhaitez le faire partager. C’est pour cela que je ne peux me contenter de quelques minutes, à moins bien entendu que vous n’aimiez pas ce sport et que vous ne l’enseigniez que dans un intérêt financier… Dans ce cas là je ne trouverais rien d’intéressant à écrire. »

J’oublie un truc.

« D’ailleurs avant de publier cet article je vous demanderais de le relire au cas où j’aurais mal interprété vos propos. »

Hum. Vingt-cinq minutes ne serait donc peut-être pas suffisant. D’accord. Mademoiselle Raspberry propose ensuite de revenir plus tard, mais soyons honnête : pourquoi devrait-elle passer son temps à faire des allez retours comme ça alors que la personne qui est censé être là se fait attendre ? Et puis elle a raison aussi de vouloir faire son travail comme il faut au lieu de ne pas aller jusqu’au bout juste parce qu’on manque de temps. Eh bien, si Ochikawa arrive avant qu’on ne termine, on dirait qu’il va devoir attendre pour une fois.

« Je vous comprends. Mais je ne vais pas vous demander de faire des allez retours plus ou moins inutiles à cause de quelqu’un qui ne peut pas arriver à temps. Disons qu’au pire, il attendra. Ça l’apprendrait peut-être à arriver à temps la prochaine fois. »

M’ai-je habitué au fait qu’Ochikawa ne viens jamais à temps ? Oui. Est-ce que cela a arrêté de m’irriter ? Non, pas vraiment, même si sa tardivité me donne du temps à tirer quelques flèches moi-même.

La reporteuse qui est venu me voir enchaine, m’expliquant quel genre d’information elle va surtout demander. Ses propos me surprennent uniquement à moitié. Certes, l’idée que son interview va porter plus sur moi et ce que je pense du Kyudo que sur le sport en lui-même est un peu surprenante, mais en même temps, tout ce que je puisse lui dire par rapport à l’histoire de cet art est exactement la même chose qu’elle pourrait trouver sur internet en recherchant un peu. Donc ce n’est pas si surprenant que ça. Ça me fait bizarre, mais c’est pas trop surprenant.

En même temps, d’après ce qu’elle dit, elle ne devrait pas tenter de creuser trop dans mon passé. Et elle a l’air de quelqu’un qui comprendra la réponse ‘aucun commentaire’ que les journalistes détestent autant. Si elle pose une question sur un thème que je trouve trop personnel et que je le lui fais comprendre, mademoiselle Raspberry semble le genre de personne à comprendre et non pas creuser plus. Ou en tout cas, c’est l’impression qu’elle me donne. Certes, elle peut être erroné (grave) puisque je ne connais pas la demoiselle et ce n’est qu’une impression après lui avoir parlé quelques secondes, mais bon.

De toute manière, même si je suis quelqu’un qui ne parle pas facilement de soi-même, et encore moins de son passé, cela ne me semble pas être une raison acceptable pour refuser cet interview. Je dirais quoi, sinon ? ‘Excusez-moi, mais si vous voulez me poser des questions personnelles de n’importe quel genre, alors je ne peux pas vous accorder cet interview’ ? Ouais, superbe idée. Et puis, encore une fois, ce n’est pas comme si elle va creuser dans toutes les parts de mon passé. Ce qui l’intéresse, c’est le Kyudo et mon histoire avec ce sport d’après ce que j’ai compris. Ça ne devrait pas poser de problèmes. Je crois.

Enfin, on verra. Au pire, il y a ce superbe ‘no comment’.

« Je comprends. Dans ce cas, je vais essayer de répondre à vos questions d’une manière acceptable. »

Je réponds avec un hochement de la tête avant d’indiquer le banc sur le côté de la salle pour qu’on ne reste pas planté en plein milieu. Une fois déplacés, je m’assois sur le banc en question, mon regard maintenant au même niveau que celui de mademoiselle Raspberry.

« Que voudrez-vous savoir ? »

C’est marrant. On n’a même pas réellement commencés et je me sens déjà plus comme lors d’un interrogatoire qu’une interview…

La ponctualité, chose étrange dont le commun des mortels semble dépourvu. Je n’aime pas être ponctuelle, donc je fais en sorte de ne pas avoir beaucoup de rendez-vous à honorer. Bien entendu les exigences salariales demandent une certaine rigueur, mais même là je n’en fais qu’à ma guise arrivant tantôt un quart d’heure en avance tantôt en retard et finissant rarement à l’heure escomptée j’imagine qu’on ne me fait nulle réflexion car je ne compte pas mes heures sup. J’aime les livres, que voulez-vous ? Et puis on ne me laisse plus faire les ouvertures ou les fermetures seule depuis que le digicode de l’alarme est devenu trop haut pour que je puisse l’enclencher… Je ne fais plus autant d’heures que dans le passé… Mais je continue à travailler chez moi, sur les commandes, les financements… Tout ça.

Je souris de la vengeance proposée, j’admets que c’est un tour bien mérité… Une leçon d’un autre type pour un élève indiscipliné.

« Si vous le permettez je resterais sur le côté pendant votre cours pour prendre des photos, je ne ferais ainsi pas d’aller-retours et je ne vous mettrais pas trop en retard. »

Ouai, en vrai j’me sentirais mal si je devais passer tris heures à parler avec cet homme en laissant son disciple sur la touche. J’aimerais grave pas qu’on me fasse ça, après si c’est un feu… J’dis pas. J’vous ai déjà dit que j’aimais pas les feux ? Sauf Huo. Huo il est beau, bien élevé et propre. Ce qui fait trois critères que ne partagent pas la majorité des feux.

On se dirige un peu plus loin vers un banc où il peut s’asseoir. Nous voilà au même niveau. Presque. J’reste une crevette.

« Je peux utiliser la fonction dictaphone de mon téléphone ? » je demande.

En vrai je n’en ai pas besoin, je sais que je me rappellerais du moindre mot… Mais ça fait plus professionnel et ça met les gens en confiance. Ils n’apprécient pas que je ne prenne pas de notes. J’me suis prise quelques réflexion sur le sujet dans mes premières interviews… Ils croyaient que je me foutais d’eux et que je faisais ma bêcheuse quand je leur prouvais que j’avais tout enregistré de notre conversation sans en noter un seul mot.

« J’aimerais d’abord savoir depuis quand pratiquez-vous ce sport et comment l’avez-vous découvert ? » je le laisse répondre.

« Ensuite j’aimerais savoir ce que vous aimez dans cet art et pourquoi avez-vous décidé de le transmettre ? »

C’est une base. A partir de sa réponse je pourrais orienter mon interview.

Je m’attendais à ce que mademoiselle Raspberry veuille faire des photos. C’était prévisible et peu surprenant. Une interview sans au moins une photo ou deux n’arrive jamais, après tout, même si les photos en question ne finissent pas dans l’article fini. Pas comme si j’étais le sujet des interviews avant, mais mon père oui, donc j’en ai vu pas mal. De loin. Et je viens de me rappeler que déjà à l’époque je ne voulais jamais faire l’expérience personnellement. Tant pis, trop tard maintenant.

« Bien sûr, il n’y a aucun problème. »

Tant qu’elle reste hors trajectoire possible des flèches, mais vu qu’elle y a bien fait attention en arrivant, je n’ai pas besoin de remarquer ça. Après, cela semble évident, c’est sûr, mais après que deux personnes ont marché sous mes flèches déjà, je préfère le dire dans la plupart des cas. Mais bon, passons.

La question suivante concerne le dictaphone. Ce coup-ci, j’acquiesce juste de la tête me préparant mentalement. La prochaine question sera le début. Probablement le début de l’enfer. Dont j’ai ouvert la porte moi-même. J’me félicite, vraiment…

Mademoiselle Raspberry ne déçois pas, bien que la question semble assez innocente pour le moment. J’espère que cela restera ainsi. En même temps, aucune raison pour que cela ne soit pas le cas. C’est le Kyudo qui l’intéresse, pas ma personne. Heureusement d’ailleurs.

« J’ai découvert le Kyudo à travers des livres d’histoire du Japon. Notamment ceux qui parlaient de la période où il y avait les plus de combats – l’époque Sengoku. Puis en suivant l’histoire, j’ai découvert que cet art était utilisé pas uniquement dans des combats, mais lors des cérémonies. Cela m’a intrigué et j’ai fait des recherches sur internet pour savoir si cet art est encore pratiqué aujourd’hui. J’ai trouvé que oui. Quand j’en ai parlé à mon père, il m’a trouvé un enseignant. J’avais sept ans à l’époque. »

Ce qui rend le fait que j’ai pu débuter un peu bizarre. Vu la taille des arc, normalement, il est rare qu’on puisse débuter avant quatorze ans pour la simple et bonne raison que le yumi est bien trop grand pour qu’un gamin de sept ans puisse le gérer. Mais comme on dit : l’argent gère tout, n’est-ce pas ? Heh. Et puis, je n’avais pas un vrai yumi à l’époque non plus. Mon père m’avait commandé un ‘yumi version gosse’ pour que je puisse m’entrainer une fois que j’étais sûr que je voulais continuer à apprendre cet art.

La question qui suit est un peu plus personnelle, mais cela ne me gêne pas trop. Probablement à cause du fait que bien qu’elle soit personnelle, elle se focalise sur un de mes hobbies plus que sur mon passé.

« Je pense que ce qui m’a attiré le plus dans le Kyudo est le fait que ce n’est pas qu’un sport. Certes, à une époque, c’était un art de combat et de survie et il peut encore et toujours se monter mortel » Ochikawa l’a bien prouvé quand il a fait exploser le mur du gymnase. « Mais plus que juste un art martial, c’est une philosophie. Un certain art de vivre qu’on apprend sans forcément s’en rendre compte. »

Et maintenant, pour la partie la plus compliqué, en quelque sorte : la raison pour laquelle je me suis décidé à renseigner le Kyudo.

« Pour ce qui en est de ma raison pour vouloir le transmettre, si je vous dirais qu’il n’y a aucune raison financière, ce serait un mensonge. Effectivement, c’était ma raison principale au début, tout comme ma raison principale d’essayer de l’apprendre était de la simple curiosité. Ceci dit, ce n’est pas ma seule raison. »

Plus maintenant. Bien que cela m’a pris un certain temps pour le réaliser. Un certain temps et un élève qui malgré le fait qu’il soit loin d’être patient continue de venir.

« Comme vous le savez, Terrae est en plein milieu de Tokyo. Donc, en quelque sorte, en plein milieu du Japon aussi. Cependant, les habitants de Terrae ne sortent pas souvent de l’enceinte de l’établissement, puisqu’on ne peut pas partir sans l’accord de la directrice. Terrae est donc en plein milieu du Japon, mais juste sur la carte. Outre que ça, c’est un lieu à part et les habitants n’ont pas forcément beaucoup du contact avec le monde extérieur. Si j’ai décidé de proposer d’enseigner le Kyudo, c’est entre autre pour donner la possibilité pour ceux qui s’intéressent de découvrir au moins une partie de la culture du pays dans lequel se trouve Terrae – ne sois-ce que sur la carte. »

J’enclanche le mode dictaphone du téléphone et je le laisse posé sur mes genoux avant de m’en désintéresser totalement. Une fois l’interview finie je l’enregistrerais dans un dossier sur mon disque-dur au cas où il y ait litige sur ce qui a été dit. J’ai l’habitude de demander l’accord aux personnes interviewées avant de publier un article par politesse, on a le temps on n’est pas un journal professionnel. Par contre j’apprécie moyen quand les gens me disent de but en blanc « je n’ai jamais dit ça tu mens. » Là j’ai envie de coller des baffes devant une telle mauvaise foi, mais comme j’ai des preuves… Je reste polie et hypocrite, je leur fais réécouter leurs paroles en disant que je comprends tout à fait que j’ai pu mal les interpréter ou qu’ils ont pu mal formuler leur pensée…

Donc il a découvert cet art dans un livre… ça ne m’étonne qu’à moitié, j’avais envisagé cette possibilité tout comme celle de la télévision ou bien celle du sport à transmission familiale. Bien entendu il aurait pu le découvrir comme moi dans des mangas, mais j’ai repoussé cette idée quand je l’ai rencontré ça semblait moins probable… C’était peut-être hâtif ?
Enfin je trouve le raisonnement remarquable pour un enfant de sept ans, déjà être intrigué qu’un art martial soit aussi un art cérémonial c’est pas tout le monde qui aurait tiqué. Ensuite prendre l’initiative d’aller chercher sur le net… Par contre les parents qui laissent l’accès au net à leur gamin de sept ans… J’espère qu’ils étaient derrière tout du long. Je vais surveiller Aaron… Quoi que j’aurais qu’à faire un marché avec son ordi du moment pour qu’il surveille Lottie.
Son père avait des moyens élevés, car à ce que j’ai lu les arcs ne sont pas adaptés à la taille des enfants. J’aurais peut-être dû faire des recherches sur son passé à lui… Ah, non. En fait j’m’en fout. Ce qui m’intéresse c’est son rapport au sport, pas lui.

« Si ce n’est pas indiscret quel âge avez-vous ? »

Il faut que je sache depuis combien d’année il pratique, même si je ne connais pas son niveau au national car il n’a pas fait de tournois… Ou du moins pas de tournois assez importants pour qu’on en trouve trace sur le net, j’lui poserais la question plus tard.

« Une philosophie ? Qu’entendez-vous par là ? » bien sûr je sais que le rapport aux arts martiaux et à la religion dans les pays asiatiques sont particuliers. La rigueur demandée est élevée au rang de valeur fondamentale en générale, mais quelles sont les valeurs de ce sport ?

Je comprends son point de vue sur Terrae, je n’ai pas grand-chose à redire. Malgré sa situation géographique et son fond foncièrement japonais, Terrae est une ville cosmopolite. C’est un tel melting-pot qu’on a besoin des puces traductrices… Et même en parlant beaucoup de langues j’ai réussi à rencontrer des personnes que je ne comprenais pas… C’est pas évident de se rendre compte de la culture japonaise tant il y a de cultures qui se côtoient ici.