C'est comme si elle avait trouvé sa place. Elle le sent près de lui, son odeur, ses lèvres ; il ne la repousse pas, et elle, elle est heureuse, au moins un peu. Momentanément, peut-être. Elle repenserait à ce moment le lendemain, et quoi, qu'est-ce qu'elle en penserait ? Elle sourirait sûrement, joyeuse ; elle serait probablement gênée, le visage écarlate et les yeux détournés. Peut-être qu'elle regretterait, parce que quoi, l'alcool, ça fait faire des conneries parfois, non ? Alors pourquoi elle a autant l'impression que, contrairement à toutes ces fois avec Théo, contrairement à ces dernières semaines passées, pourquoi elle a l'impression que tout va bien ?

Allen ne la lâche pas, mais la distance entre leurs corps grandit à nouveau. C'est discret, ils sont encore proches et elle peut sentir sa main pour une fois assurée dans le creux de son dos. Pourtant, c'est un autre type de regard qu'il lui renvoie ; un autre type de paroles. Elle ne sait pas bien comment l'interpréter, elle a même envie de lui dire d'arrêter de dire des bêtises et de gâcher le moment. Mais elle se radoucit. Ariana garde sa main sur sa joue, l'autre sur sa nuque ; elle est presque étonnée d'être encore si proche, presque étonnée de pouvoir glisser ses doigts jusque sur son épaule sans en être dérangée, sans avoir de remarque, de moquerie. C'est doux. C'est agréable.

Elle met quelques secondes à reprendre son souffle, mais ne peut s'empêcher de répondre à mi-voix :

—C'est pas vraiment le plus important.

Sa main va glisser le long de son bras pour attraper timidement ses doigts alors qu'elle dépose un nouveau baiser au coin de ses lèvres. Ses yeux se détournent, se posent sur un point à côté d'eux, par dessus l'épaule d'Allen, pour ne plus avoir à croiser les siens. Elle sent que certaines personnes les observent ; elle ne veut pas apercevoir leur visage, mais elle les imagine parfaitement. Elle a encore le coeur qui bat trop fort et le sang qui bat à ses tempes.

Elle tente de ne pas paraître trop gênée. Elle ne sait pas trop ce qu'elle veut ou ce qu'elle veut dire. Elle ne sait même plus bien ce qu'elle lui reproche. Elle a juste envie d'être seule avec lui, loin de tous ces regards.

—Est-ce qu'on peut partir ? lui demande-t-elle finalement à mi-voix.

Ne pas avoir à réfléchir. Ne pas avoir à regretter.

Ouais, nan, c'est pas le plus important Allen, tu le sais pourtant. Mais faut dire aussi que si jamais elle boit pas son verre, ça te dérangerait pas de le boire à sa place, parce que bon, c'est de l'alcool ; l'alcool ça ne se gaspille pas vous comprenez ? Et puis pire encore dans un bar, vu le prix des verres, faudrait pas non plus-...

-Ok.

Ouais, bon, c'est pas très dur de te convaincre.

Je la serrai un peu plus contre moi, l'embrassai dans le cou avant de m'écarter d'elle et de l'entraîner avec moi par la main.

Le soleil qui filtrait à travers la fenêtre me réveilla brutalement. Je ronchonnai et me tournai, enterrant ma tête sous un oreiller pour essayer de me protéger de cette agression de la nature. C'est quoi ce mal de tête ? C'est pas permis d'avoir mal à la tête comme ça. Je tournai et retournai dans le lit sans réussir à trouver de position confortable. C'est quoi ce lit qui me rejette ?

... Ouais, c'est quoi ce lit, haha ? Nan mais entre l'odeur et... Et... C'est... Heu... Des licornes ? Sans déconner ? QUI A CHANGE MES DRAPS SANS M'EN PARLER AVANT ?! GENRE LE GARS A CRU QUE C'ETAIT L'AUBERGE ICI ?!

Respire Allen, tout va bien, c'est p't'être juste une erreur, t'as dû te tromper de chambre en rentrant hier. Mais oui, ça t'arrive super régulièrement, tu es tellement tête en l'air tu sais ! Entre Allen et Allan y'a qu'une lettre, hein, puis tu l'as toujours soupçonné d'être gay alors-

Pas de panique. Paaaas de panique. PAS DE PANIQUE ALLEN. RESPIRE. ENFIN NAN RESPIRE PAS. ELLE VA T'ENTENDRE. ELLE VA LE SENTIR. OMG. OMG. OMGGG.

Allen. Juste. Dis-moi. Comment t'as fait. Pour te retrouver. DANS LA PUTAIN DE CHAMBRE D'ARIA ?!

Tout va bien. Touuut va bien. TOUT VA TRES BIEN.

TU N'AS JUSTE PLUS DE CALECON MAIS TOUT VA BIEN.

Je vais crever. J'vais crever. Oh mon dieu j'vais mourir. POURQUOI ?! POURQUOI ?!

Que Dieu m'achève au lieu de me foutre dans des putains de plans à la con COMME CA OMG J'EN PEUX PLUS OK ?!

Respire.

Elle a bougé. Alerte rouge. Je répète : alerte rouge. Rouge. ROUGE BORDEL TU COMPRENDS PAS ALLEN ?!

On va faire semblant de dormir encore, hein. MAIS OUI.

Bouge plus et ferme les yeux, voilà. Essaye de calmer ta respiration aussi lol ça pourrait être bien pour la crédibilité.

Il fait jour. En fait, il fait un peu trop jour. Y a pas idée d'être aussi lumineux, là, l'soleil, tu fais chier putain. Pourquoi elle a pas fermé les volets hier soir ? Urrg, mal à la tête... Elle a plus autant l'habitude de boire la p'tite Aria, puis c'est un poids plume, si elle boit pas l'équivalent de ce qu'elle a picolé la veille, elle est pas très fraîche le lendemain.

Comme le truc à côté d'elle bouge, elle se retourne à demi à son tour pour appuyer son nez contre le bras de Théo en fronçant les sourcils. ... Attendez. ... Ca peut pas être Théo, hein ?

Elle ouvre un oeil. Puis le referme aussitôt en sentant son visage prendre littéralement dix teintes de rouge. AH. EUH. AH. MAIS. AH. AHH.

ELLE VA FAIRE SEMBLANT DE PAS BOUGER, OK. Juste... J'sais pas, juste le temps de vérifier qu'Allen est encore endormietohmondieuc'estvraimentAllenmaisPUTAINQD BHQWDJsùbdfh FAUT VRAIMENT QU'ELLE SE SORTE LES IMAGES D'HIER SOIR DE LA TÊTE LÀ. C'EST SALE. C'EST TRES SALE. C'était très cool MAIS C'EST TRES SALE PTN.

Très bien, Ariana va faire comme si de rien n'était. Allez. Fais semblant de te retourner dans ton sommeil, de l'autre côté. Comme çaa. Mais oui, voilà, c'est très bien. Cette situation n'est pas du tout gênante, c'est faux. Aria le vit suuuper bien. Aussi bien que la fois où elle s'est tapé un de ses potes après une soirée arrosée, tiens ! Quelle coïncidence ! Enfin, cette fois-là, elle n'avait pas un crush sur la personne concernée, donc c'était juste awkward, c'était pas comme maintenant un gloubi-boulga de questions genre "HAN MAIS J'LUI PLAIS DU COUP" (non bah oui il t'a emballée et vous avez baisé, mais il te trouve cheum tu sais, c'est logique qu'est-ce que tu veux) ou "wait ça va être bizarre quand on va se parler nan" ou "est-ce que j'ai l'droit d'être mignonne et d'lui faire des câlins là maintenant tout de suite ahaha lololol non calme-toi."

Il respire un peu chelou à côté, par contre ; il est peut-être en train de se réveiller ? Aria se redresse à moitié en tenant les draps contre sa poitrine nue. Leeentement - trèèès lentement - la rouquine sort une jambe. Un coup d'oeil vers Allen. Mais nooon, il dort, cey bon. Aha. Allez, on va essayer de se lev-

Elle se prend les pieds dans ses draps et, dans un cri strident, s'étale tête la première contre le sol en entrainant le tissu dans sa chute.

Toujours à poils, forcément.

—Ahhh, hijo de puta, grommelle-t-elle en essayant de se désemmêler.

Bravo. GG. J'applaudis.

Elle ne va se rendre compte de rien. De rieeeen, c'est sûr. Je sais super bien jouer le mec qui dort, c'est genre un de mes talents les plus uniques. Personne ne m'égale sur ce point, impossible. J'suis né pour faire ça. Nan mais si, j'vous jure.

Pourquoi y a du mouvement ? Pourquoi ?! Omg mais JUSTE JE VEUX OUVRIR LES YEUX OK ?!

IL S'EST PASSE QUOI HIER ?! JE PANIQUE, CA Y EST. JE PANIQUE, JE PANIQUE. CA VA PAS DU TOUT. POURQUOI JE SUIS TOUT NU ?! NAN MAIS C'EST PAS VRAIMENT ARRIVE, HEIN ?! ET SI J'AVAIS DIT DES CONNERIES ?! NAN MAIS NAAAN ALLEN POURQUOI POURQUOIIII ?! PUTAIN MES SOUVENIRS ILS SONT OU ?! ILS SONT OU BORDEL ?! C'EST QUOI CE FUCKING DELIRE ?! JE CRIE AU VIOL.

Nan c'est pas un viol, j'suis sûr que j'ai kiffé POURQUOI JE M'EN SOUVIENS PAS OMG. MAIS SERIEUX C'EST ABUSEEEEE MAIS NAN QUOI JE VEUX ME RAPPELER. REMEDE MAGIQUE, REMEDE MAGIQUE, JE VEUX ME SOUVENIR DE MA SOIREE AAAAAAH.

Respire. Respire. Tout va bien se passer. T'es pas du tout à deux doigts de la crise d'angoisse, pas du tout. Et si je buvais un coup ? J'ai vachement envie de boire là, tout d'un coup, vous pensez qu'Aria planque du vin dans sa salle de bain ? Histoire que j'aille me péter la gueule vite fait et si jamais elle se réveille quand je me casse et ben tout ira bien, je serais bourré, je suis invincible quand je suis bourrééé.

Le cri me fit me redresser d'un coup dans le lit. Juste assez rapidement pour voir le drap s'échapper et disparaître par terre avec... Probablement ce qu'il reste d'Aria. ELLE A ESSAYE DE S'ENFUIR. PUTAIN MAIS C'ETAIT SI NUL QUE CA ?!

Sinon. Bah. J'ai froid.

Je me reculai à l'opposée la plus extrême d'Aria, histoire de cacher mes problèmes d'homme viril du matin PARCE QUE SERIEUX C'EST ABUSE OK et je cherchai partout dans la pièce où pouvait bien se trouver mon caleçon. Sur le haut de l'étagère. Bah oui, bien sûr. Bien sûr. C'est sûr que cette figurine de panda ETAIT LA EXPRES POUR RECUPERER MON CALECON HEIN.

Respire Allen.

Je le fis voler discrètement jusqu'à moi avant de me rhabiller. Nan mais c'est pas vrai, j'm'en fous pas d'Aria, après tout elle a voulu faire comme si j'étais pas là, elle assume hein, j'vais pas m'inquiéter pour elle, elle se débrouille très bien toute seule.

-T'es pas morte ?

Non. Non, c'est faux. Je n'ai ABSOLUMENT PAS changé ma voix avec mon pouvoir pour faire genre que c'est pas moi. Faux. Faux. Archi-faux.

Emmêlée dans les draps, Ariana tente de retrouver un semblant ses esprits et sa dignité. Malheureusement, il semblerait que sa dignité soit perdue à tout jamais ; outre le fait qu'elle ait manqué d'arracher le fil de sa pompe, elle s'était fait plutôt mal en tombant. Elle grommelle et se redresse, s'enroule à moitié dans la couverture - oui parce que tu crois que c'est le moment d'être pudique, après tout ce que vous avez fait ? J'crois pas que ça change un truc, hein, non, j'crois pas. Elle se passe une main dans les cheveux, après s'être assurée que la pompe était bien accrochée à sa ceinture élastique, puis relève les yeux en voyant l'ombre d'Allen se découper à travers le peu de lumière qui passe au travers des volets fermés. Et hausser les sourcils en entendant sa voix. Attendez. C'est pas Allen ???

Plissage d'yeux, le temps de faire le focus. Non parce qu'avoir cru que c'était Théo c'est très embarrassant, mais si elle a cru que c'était Allen mais qu'en fait c'était pas lui, ça voulait dire qu'elle avait fait des rêves érotiques TRES réalistes et surtout qu'elle avait merdé avec un autre mec. Ce qui serait encore plus embarrassant.

Mais nan. C'est lui. Aria fixe Allen. Longtemps. Elle ne sait pas trop quoi lui dire. Elle aurait dû se transformer en mec pour qu'il flippe de se retrouver endormi à poils à côté d'un homme.

—… Allen. Pourquoi t'as changé ta voix, t'as mué pendant la nuit ? demande-t-elle d'un ton blasé de l'extrême.

... Nan mais cette situation est juste wtf, PLEASE SORTEZ-LA D'ICI ?? Toujours assise par terre, elle ne sait pas trop si elle doit, euh, bouger, se relever, s'enfuir, FAIRE UN TRUC ??? À la place, elle dit simplement :

—.... T'as envie que je fasse du thé ?

De tout ce qu'elle aurait pu imaginer lâcher, elle ne sait pas pourquoi une banalité pareille lui est venue en premier. Et pourquoi pas les petits gâteaux aussi tant qu'à faire ?

—Et j'ai des gâteaux dans une boîte sur le bureau.

... Ok.

—… Sinon, ça va ?

C'est bon, laisse tomber, tais-toi juste.

Mué pendant la nuit ? MUE PENDANT LA NUIT ?!

Zen, zen, reste zen Allen. Nan mais c'est pas grave, c'est pas parce qu'elle te regarde avec un air super blasé ET QU'ELLE TE PROPOSE DU THE AVEC DES GATEAUX QU'IL FAUT PANIQUER. MAIS SI JE PANIQUE, C'EST SERIEUX CETTE SITUATION ?! A QUEL MOMENT C'EST NATUREL COMME CA, C'EST QUOI CE LENDEMAIN DE SOIREE SERIEUX ?! POURQUOI, JUSTE POURQUOI ?! ET POURQUOI ELLE EST PAS GENEE ?! POURQUOI TOUT A L'AIR D'ETRE PARFAITEMENT NORMAL POUR ELLE ?!

Oh putain, mais je déteste TELLEMENT les trous de mémoire. Mais vraiment. Genre, dîtes-moi, on a parlé de quoi hier au juste ?! PUTAIN MAIS SI CA SE TROUVE JE SUIS MARIE ET JE LE SAIS MEME PAS.

Bon, non, ça m'étonnerait, on est pas dans une comédie américaine. Allez, respire Allen, ça va aller. Nan mais si, y'a rien de si bizarre dans cette situation. Vous avez juste été deux adultes responsables qui ont passé du bon temps et qui vont prendre leur petit déjeuner normalement sans trop se poser de questions.

Normal.

Juste. Normal.

Tout va se passer normalement.

-J'vais rentrer plutôt, désolé, j'ai plein de choses à faire aujourd'hui. Vraiment, vraiment plein de choses, il faut pas que je perde une seule minute d'ailleurs, du coup j'te laisse là, hein, à, heu, la prochaine ?

A la prochaine ? Vraiment ? VRAIMENT ?!

J'enfilai maladroitement mon pantalon avant de me tourner vers Aria qui était encore sur le sol avec la couette autour d'elle. Ok. Alors j'dois faire quoi là ? Un bisou sur la joue ? L'embrasser ? J'lui serre la main sinon ?

On va se contenter d'un signe de la main, hein.

-Bon bah à bientôt hein !

AH MAIS C'EST MINABLE. ET J'AI OUBLIE MON T-SHIRT DANS SA CHAMBRE EN PLUS. Et mes chaussettes.

Ariana tente d'étouffer sa panique et de ne pas avoir l'air de totalement perdre le contrôle de la situation. Quoi ? Mais noooon, n'importe quoi, elle maîtrise, regardez, elle a une parfaite maîtrise de ses paroles et de son timbre de voix et- NON MAIS QUI DIT DES CHOSES PAREILLES ? En même temps, elle ne voyait pas quoi dire d'autre, à part peut-être "hm sinon, on fait comme s'il ne s'était rien passé hier ou on en discute ? non parce que si tu veux on en discute pas, hein, oh, euh, bye en fait".

Elle garde bien fermement ses draps contre elle et réussit enfin à regrimper sur le lit. Elle veut rouvrir la bouche pour parler mais Allen ne lui en laisse pas le temps. Attendez, il se casse comme ça ?! Comme un voleur ?! Elle le regarde s'habiller, à mi chemin entre la lassitude et la déception. De toute manière, c'est beaucoup trop bizarre comme situation, alors il vaut mieux y couper court directement, hein.

Elle le laisse faire en regardant ailleurs, gênée, et lui rend son signe de la main en retenant un sourire nerveux.

—Bon courage pour aujourd'hui. À bientôt...?

Par contre, euh, il va partir sans son haut ...? Ah bah oui... Elle se relève vite et cherche le t-shirt d'Allen rapidement, avant de passer la tête par la porte. Elle veut l'appeler, mais il est déjà au bout du couloir - et elle aimerait mieux ne pas alerter la moitié du dortoir, hein. Cramoisie, la petite eau referme lentement sa porte et appuie son front contre le bois. Un coup, deux coups.

—Aaaaargggg, gémit-t-elle en s'accroupissant. Pourquoi pourquoi pourquoiii... Mais j'suis vraiment conne en fait ?!

Trop nulle la meuf. Trop nulle. Est-ce qu'il va la rappeler ?! Est-ce qu'elle devra le faire ?! Non, ça ferait trop désespérée. Mais elle a pas envie qu'il la fuie ?! Et en même temps ça va être trop awkward... OUAIS MAIS NON.

On va faire comme si rien ne s'était passé. Ils vont oublier. Ca va être facile.

...
Bon, elle est censée appeler qui pour se plaindre de sa vie merdique, là, au juste ?