Alice est allongée sur son lit. Vide. C'est vide. Alice sent le cumul de toutes les petites choses fatigantes, dérangeantes, qui l'assaillent. Non, elle voudrait vivre tranquillement, dormir. Mais la Terre ne dort pas. La Terre n'a plus toute une partie d'elle même. Certes, elle avait mis du temps à accepter sa Télépathie, mais ne plus l'avoir alors qu'elle commençait à vraiment bien savoir la gérer, à son petit niveau d'Initiée, ce n'était pas évident du tout.

Alice repensait sans arrêt à la sensation si violente qui l'avait mise au sol. Elle repensait à la panique. A tous ses amis. Juste après l'annonce. C'était dur. C'était violent. Ca sentait le danger, tout le monde était tendu, en permanence. Alice était fatiguée. Elle n'avait pas besoin de ça. Elle n'allait pas bien. Elle ne le disait pas. Elle pensait elle-même aller bien, se soigner comme il faut. Comme elle l'a toujours fait. Et puis, en ce moment, passer du temps avec Adélaïde, la rendait parfois triste. Parce qu'elle se rappelait son départ, sa disparition, et puis, toute l'histoire. Ce n'était pas évident pour elle, bien qu'elle ne voulait pas inquiéter la Feu, et n'en parlait pas.

Mais ce soir, Alice est allongée sur le dos. Les yeux fixés au plafond. La fatigue engourdissant son corps. Mais son cerveau beaucoup trop en activité. Trop de pensées, ça va trop vite, comme si son esprit pour parer le vide et le manque de pensées autour d'elle, le comblait en se forçant à aller à toute allure, penser à tout et à rien en même temps. L'empêchant tout bonnement de dormir. Elle était fatiguée. Elle voulait dormir. Elle avait envie de pleurer, de crier. D'effacer toute cette négativité. Elle voulait rentrer en France, se blottir dans son petit lit en haut de la maison, écouter le vent dehors.

Elle ne pouvait pas. Mais elle avait tout de même un endroit où elle savait se sentir bien. Malgré tout. Malgré son état. Elle se redresse, assise. Est-ce qu'Adélaïde dort ? Elle ne sait pas. Il n'est pas très tard. La petite Terre se lève, enfile ses grosses chaussettes/chaussons, une veste par dessus sa chemise de nuit à manche longue, comme une enfant. Elle sort de sa chambre, et se dirige vers l'étage des Feux. Elle croise le regard inquisiteur de Keitaro, vers qui elle va. Elle lui parle tout calmement, lui explique qu'elle n'arrive pas à dormir, et qu'elle va retrouver sa copine. Le Master lui sourit doucement, mais lui somme bien de ne pas trainer plus dans les couloirs. Encore quelque chose de pénible. Elle accepte cependant avec un sourire, Keitaro suit les règles.

Elle arrive devant la porte de la Feu, frappe doucement. Attends que la porte s'ouvre. Elle pose ses yeux dans les émeraudes de sa Lune.

« Bonsoir Hamilton. Je... J'arrive pas à dormir... Est-ce que je peux rester avec toi cette nuit ? »

Elle parle comme une enfant timide. Mais son sourire est là, tout doux. Elle est contente de voir la Feu, de sentir son odeur, à défaut de pouvoir sentir sa présence par pensée.

Appuyée contre le rebord de ma fenêtre, j’observe Terrae, une cigarette à la main. Je laisse l’air froid entrer dans ma chambre, combler le vide de la pièce en quelque sorte. Personne n’est dehors, pratiquement, mis à part un ou deux Masters faisant leur ronde. Je ferme les yeux un instant et tire une taffe. Sous mon pull, j’ai la chair de poule. L’air de la nuit se glisse sous le tissu sans que je ne fasse rien pour mieux m’en protéger. Ça me maintient réveillée, car ne je veux pas dormir. Pas tout de suite. Je suis inquiète. Inquiète pour mes amis, pour ma sœur, pour celle que j’aime. Et s’ils avaient besoin de moi au milieu de la nuit ? Et si je ne répondais pas parce qu’endormie ? Et si-

On toque à ma porte. Je sursaute et recouvre le vue en ouvrant mes paupières. J’écrase ma cigarette, laissant la fenêtre entrouverte au moins le temps de chasser l’odeur de fumée, puis me retourne. Je sens mon estomac se contracter alors que j’abaisse la poignée. Cela pourrait être n’importe qui. Un Master venant me voir pour me dire qu’il faut partir, que ça y est, l’état d’alerte est devenu insuffisant face à la quelconque menace qui plane au-dessus de nous. Cela pourrait être quelqu’un que je connais, aussi. Cela pourrait être tant de choses.

- Alice…?

Ses océans attrapent mes émeraudes surpris. Puis elle parle. Un mince sourire à la fois peiné et attendri se dessine sur mon visage. Je m’efface un peu pour la laisser passer et referme derrière elle :

- Bien sûr que tu peux rester.

En passant à côté d’elle, je glisse ma paume dans la sienne avec douceur et l’entraine vers le lit où je m’assois, l’intimant à faire la même chose. Je me penche un peu vers elle et dépose un baiser discret, furtif sur sa joue :

- Comment as-tu réussi à venir ? Le couvre-feu est passé depuis un moment, non ? Oh. J’ai laissé la fenêtre ouverte mais je peux la fermer, si tu as froid. Tu me dis, d’accord ?

Pendant que je parle, ma main caresse la sienne, l’effleure en dessinant du bout des doigts des arabesques variées sur la fine peau. Ça va aller, Alice. Ça va aller, je suis là. Regarde, à nous deux, nous sommes si fortes.

Hamilton a l'air réellement surprise de la voir. C'est compréhensible, il est tard. Elle n'avait pas l'air de dormir pourtant, elle a ouvert vite. Elle lui sourit, Alice sent un peu de chaleur dans son ventre. Hm. Sa Lune est là, alors ça va nécessairement mieux. Elle n'a pas le choix, et elle aime les conséquences. Elle entre à sa suite, et s'assoit avec elle. Le contact de ses lèvres la fait sourire plus franchement.

Elle semble aller un peu mieux depuis qu'Hamilton lui a parlé. Mais elle, elle n'a pas parlé. Elle n'a rien dit. Elle ne veut rien dire. Elle n'a pas envie d'en parler avec elle-même. Elle n'a pas envie d'en parler.

« C'est Keitaro qui était de garde. Il m'a laissée passer gentiment, je lui ai expliqué que je n'arrivais pas à dormir. Il est gentil tu sais, je pense que la majorité des Masters ont confiance en nous. Je crois, et puis après être partie en mission avec lui, on se fait plus confiance. »

Elle lui sourit, serre un peu sa main. Elle tourne la tête vers elle pour se perdre dans ses yeux un instant. Elle respire calmement, elle semble de plus en plus apaisée. Ses jambes nues commencent à se balancer légèrement, ses grosses chaussettes empêchant tout grand mouvement.

« Ca va pour l'instant. Ne t'inquiète pas. Ca va. »

Elle sourit à Hamilton. Ca va mieux. Elle est là, il fait nuit, et sa Lune brille, elles sont ensembles, et tout va bien. Il y a peut être du danger à Terrae, elles risquent peut être leur vie en étant là, mais le monde peut bien s'arrêter de tourner, Alice est avec Adélaïde, et le reste ne compte plus vraiment, de toute façon. Le Vide de sa télépathie et de sa Terre s'ne va un peu. Elle l'oublie un peu. Parce qu'Adélaïde illumine son monde bien plus qu'elle ne l'imagine, c'est dire.


« Tu ne dormais pas ? »

Alice m’explique que Keitaro l’a laissée passer. Il est gentil, ce Master, car il aurait aussi bien pu la renvoyer dans sa chambre sans même écouter ses explications. Je retiens par contre une légère grimace lorsqu’elle me dit qu’elle pense que les Masters ont confiance en nous… En attendant, nous n’avons toujours pas d’explications sur ce qu’il se passe. S’ils avaient réellement confiance, ne serions-nous pas mieux informés ?

Enfin, je ne dis rien. L’important, pour le moment, ce n’est pas ça. Pour le moment, je dois m’occuper d’Alice, je dois aider mes amis qui en ont besoin. Je me concentre sur la petite main qui se resserre un peu plus sur la mienne, sur ces jambes nues qu’elle balance doucement, sur sa voix qui me dit que ça va. Mais même lorsque la Terre me sourit, mon inquiétude ne disparait pas. Pas complètement. Elle est différente depuis que je suis rentrée d’Ecosse, ma douce. Encore plus depuis le jour où l’état d’alerte a été déclenché. Avec toute ma volonté, je n’ai aucune idée de comment lui parler. Je ne veux pas qu’elle croit que je ne le pense pas sincère. Alors j’attends de voir comment les choses vont se passer, et je réponds à son sourire par un léger de mon côté, par un regard tendre dans lequel je l’enveloppe.

- Non, je ne dormais pas. Je.

Je m’arrête et détourne mes yeux. Je sais que j’ai promis de faire des efforts, de plus m’ouvrir, de plus parler de ce que je ressens et vis… Mais ce n’est pas facile. Pourtant, je me mordille la lèvre inférieure, joue machinalement avec les doigts d’Alice avant d’enfin reprendre la parole, le regard posé sur le sol :

- Je ne veux pas dormir… commencé-je dans un murmure. …au cas où Nicolas, ou Ariana, ou Elwynn… ou toi, ayez besoin d’aide.

Je n’ai pas toujours été là, mais aujourd’hui, je veux être un de vos piliers.

Hamilton n'a pas l'air de croire que les Master ont confiance en nous. Alice pense que oui, même si elle comprend la position de la Feu. Alice se sent assez compréhensive envers Keitaro, et surtout Aoi, qui l'a aidé lors de l'annonce, et puis qui l'aide à devenir plus forte aussi tout simplement. Elle est bien consciente que ni l'un ni l'autre n'est d'accord avec les procédés actuels. La difficulté pour eux est de devoir se placer. Il faut qu'ils tombent d'accord. En fait plus que cela, il faut qu'ils soient au courant... Ce qui n'avait pas l'air d'être le cas.

Le regard de la Feu sur Alice lui réchauffe le coeur, elle aime bien qu'elle la regarde comme ça. Elle le faisait très peu avant... Avant son Etoilisation. Avant...
Son regard la quitte alors qu'elle parle de sa veille. Alice attend, patiente. Elle sait qu'elle a promit de faire des efforts, même si la Terre ne le lui a pas demandé. Elle ne se formalisera pas de sa décision de ne pas parler si elle la choisit comme telle. Elle la laisse jouer avec ses doigts. C'est fou comme elle accepte plus le contact qu'avant. Elle vient plus le chercher. Alice est heureuse de cela. Réellement. Elle attend, l'écoute. Alice sourit dans un soupir doux.

Sa voix grave n'est qu'un murmure.

« Merci d'être là Hamilton. »

Hamilton. Adélaïde ? Non pas Adélaïde. Adé. Hamilton. La Terre avait encore du mal à se faire au changement. Elle l'appelait un peu par les deux. Ce n'était pas évident. Hmpf. Ca non plus... Déjà que se sentir coupée du monde la faisait se sentir mal, se rappeler qu'elle-même ne savait plus trop comment la nommer, c'était déstabilisant. Mais elle n'en laisse rien voir, elle se contente de lui sourire. Parce qu'au final, elle va... Pour le mieux, non ? Le mieux actuellement n'est pas forcément fou, mais, c'est le mieux.

Sa Lune. C'était sa Lune, c'était ça, l'important. Doucement, la Terre se laisse aller en arrière, sans lui lâcher la main. Elle se retrouve sur le lit allongée, les jambes pendantes. Elle regarde le plafond sans le voir. Elle ferme les yeux. Elle laisse échapper, pour une fois, depuis longtemps, un tout petit, tout petit murmure.

« Je n'aime pas cette ambiance à Terrae. Mais je suis contente que tu sois avec moi, maintenant. C'est... »

Encore plus bas, mais avec un sourire.

« Ce n'est jamais entièrement noir quand tu es là. »

Alice me remercie. Je déglutis mais me retiens de la contredire. Pourtant, elle n’a pas à m’exprimer de gratitude. Elle a été là pour moi. Dès le début. Elle m’a tendue la main avant même de savoir qui j’étais, avant que tout n’évolue. Elle ne devrait jamais avoir à me remercier. C’est une évidence que je sois là pour elle. Vraiment.

Sa main toujours logée dans le creux de la mienne, la Terre se laisse aller en arrière. Un silence s’installe entre nous, elle clôt ses paupières. Je laisse faire, me contentant d’effleurer la peau douce de sa paume du bout de mon pouce. Et puis elle s’ouvre un peu, me dit qu’elle n’aime pas l’ambiance qu’il y a à Terrae, ces derniers temps. Elle ajoute qu’elle est contente que je sois là avec elle. Et…

Mes doigts manquent de lâcher sa main, mais au dernier moment je resserre finalement l’étreinte. Je ne veux plus fuir. J’ai décidé de ne plus fuir. D’accepter ce que les gens me disent. Les yeux rivés sur le sol, je tente de chasser le rouge qui est montée à mes joues, cherchant désespérément une réponse appropriée.

- Tant… Tant mieux… ?

Non. Ok. Ce n’était pas tout à fait approprié. Mais. Mais c’est elle qui éclaire, pas moi. Moi je suis la nuit, pas le jour. C’est toi, Alice, qui avec tes sourires, ton rire, ta joie naturelle, brille. Je ne suis pas prête à ce que les rôles soient échangés… Si ?

J’ai l’air un peu perdu quand je repose mes yeux verts sur le visage enfantin d’Alice...qui ce soir n’a plus grand-chose d’enfantin, malgré son sourire toujours présent. Une inspiration un peu plus forte que les précédentes gonfle mon torse avant que je ne relâche la pression. Ses doigts serrés dans les miens, je m’allonge sur le côté, tout près d’elle. Mon front vient se poser contre le sien et je lui réponds enfin, mieux, dans un murmure :

- Tu as le droit…toi aussi…d’avoir besoin de quelqu’un pour briller… D’accord ?

J’ai eu du mal à parler, à exprimer ma pensée. J’espère qu’elle comprendra. Je n’ai pas l’habitude de pouvoir l’aider, je n’ai pas l’habitude d’essayer d’en être capable. C’est comme si j’avais toujours cru qu’elle saurait s’en sortir d’elle-même, peu importe les situations. C’était égoïste de croire qu’elle n’allait jamais moins bien, qu’elle n’avait besoin de personne. Nous avons tous besoin de quelqu’un, peu à peu, je le saisis.

Alice a entendu le silence qui s'installe entre elle lorsqu'elle commence à parler, Alice ne tient pas fort la main d'Hamilton dans la sienne, elle ne veut pas l'emprisonner, lui faire du mal, l'empêcher de faire ce qu'elle veut. Elle avait le droit de ne pas accepter ce que disait Alice. Pourtant, la Feu reste auprès d'elle, elle lui répond même. Les paupières toujours closes, la Terre sourit un peu plus. Elle a envie de poser des questions, elle a envie d'avoir les réponses, elle voudrait faire aller tout le monde mieux, elle voudrait pouvoir tout régler, mais elle ne veut plus savoir, elle ne veut pas qu'on lui parle, elle n'a pas envie de porter cette lourdeur sur elle plus longtemps.

Hamilton bouge, Alice rouvre à peine les yeux pour la regarder s'allonger près d'elle, et elle tourne la tête vers elle, accueillant sa présence, son front contre le sien. Elle aimait vraiment se sentir proche d'elle, sa main glissée dans la sienne comme cela. Elle l'écoute, et baisse les yeux. Elle avait raison. Alice n'avait besoin de personne pour aller mieux, puisque personne ne pouvait décider à sa place d'aller mieux. Mais elle avait besoin d'aide une fois cette décision prise. Et doucement, Adélaïde l'acceptait. Comme elle accepte beaucoup de choses depuis son retour...

« D'accord. Je... C'est juste que, avec tout ce qui se passe... Ce n'est pas très facile. »

Les yeux émeraudes d'Hamilton sont tout proches des siens, elle sent sa respiration sur ses lèvres. Elle l'entend respirer, elle la sent toute entière. Alice n'avait pas besoin de ses pouvoirs pour percevoir les gens, elle l'avait toujours fait. Mais s'habituer à une autre partie d'elle, et se la faire arracher sans prévenir, ce n'était pas agréable. Elle savait qu'elle finirait par les retrouver, mais tout de même... Et puis elle réfléchit à elles. Le voyage d'Hamilton, dont elle savait si peu de choses. Seulement que sa famille de sang lui avait rendu la vie si dure qu'elle avait étoilisé. Alice avait envie de poser mille questions là aussi, mais aucune n'en sort.

« Je voudrais juste que tout le monde aille mieux, pour de vrai. Je voudrais recommencer à rire pour de vrai, ne pas me rappeler que l'on vit dans la peur ou dans le manque dès que je ressens une once joie. »

C'était plus simple. Et puis, est-ce qu'elle avait vraiment envie de ramener ce moment pas drôle dans la discussion, alors qu'elle était venue pour aller mieux ? Non. Alors elle disait ce qu'elle pensait vraiment. Elle n'attendait pas forcément de réponse formulée de la part d'Hamilton en parlant, c'était un réflexe presque acquis. Mais Alice ne pouvait plus entendre ses pensées, alors Hamilton devait faire à chaque fois le choix de parler ou de se taire. Et Alice n'aimait pas du tout lui imposer cela, alors qu'elle avait enfin accepté ce côté de ses pouvoirs.

Alice s'ouvre un peu plus. Elle avoue. Elle accepte. Elle me dit que ce n'est pas facile. Ses yeux ne sont plus ancrés dans les miens, mais si elle a besoin de regarder ailleurs pour être sincère, qu'elle le fasse. Tant qu'elle ne ment pas. A moi. A elle-même. Puis elle me dit qu'elle voudrait que tout le monde aille mieux. Qu'elle voudrait rire pour de vrai. Ne plus avoir peur. Être heureuse, en fait.

Ma gorge se noue. Petite Alice… Tu es si authentique. Pourquoi ne me suis-je pas rendue compte que petit à petit, tu glissais ? Que petit à petit, tu dérapais, perdais ton chemin ou du moins, t'en éloignais ? J'aurais dû le remarquer. Sortir de mon monde pour être attentive au tien. Pardon.

Sauf que ce soir, je ne peux pas me contenter de le penser. Quand je suis revenue d’Écosse, la Terre et moi avons commencé à plus communiquer grâce à sa télépathie. Cela me facilitait les choses et lui permettait de mieux me comprendre, je crois. Mais nos pouvoirs nous ont été retiré. Comment faire, déjà, pour parler ?

- Alice, commencé-je en me raclant la gorge. Tu…

J'inspire profondément. Ce n'est pas facile. Ma voix est rauque, un murmure car je n'ose trop l'élever. J'ai perdu l'habitude.

- Je ne suis certainement pas la mieux placée pour parler de sincérité, de franchise dans les sentiments, les émotions. Mais. Mais ce que je sais, c'est que chaque sourire que j'ai avec toi, chaque rire, ou même chaque larme, est sincère.

J'essaie d'ignorer la chaleur qui envahit mon cou et remonte dangereusement jusqu'à mes joues. Mais j'ai la sensation que ma température augmente à vitesse grand V.

- J'aimerais te dire que tout va aller mieux. Que tu pourras rire pour de vrai très vite, que nous n'aurons plus jamais peur. Mais je mentirais, et tu le sais parfaitement. Ce que je peux te dire, par contre, c'est qu'il ne faut pas que tu te forces. Ce n'est pas pour toi, de faire semblant.

Ma Alice, s'il-te-plait, tu as le droit de légèrement dévier, bien évidemment, mais ne bascule pas complètement, par pitié.

- Tu veux sourire, tu veux rire, tu veux être heureuse, c'est une évidence. Mais dans les moments où c'est plus compliqué, ne fais pas semblant pour autant. Cela n'aidera pas, cela ne t'aidera pas. Nous ne pouvons pas arranger les choses par magie, même si ce serait bien pratique. J'aimerais tout arranger si cela pouvait te soulager. Mais comme je ne peux pas, je vais juste te promettre une chose.

Mes doigts viennent effleurer la douce joue de la Terre. Un sourire maigre, peiné, étire mes lèvres alors que j'achève ma phrase :

- Je ferai tout ce que je pourrai pour que chacun de tes rires, chacun de tes sourires, soit sincère. Tant que je serai à tes côtés, Alice, je t'aiderai à entretenir l'authenticité de ton bonheur.

Parce que c'est de lui dont je suis tombée amoureuse, Alice, et que sans lui, nous sommes deux à ne plus avoir de repère.

La Feu a du mal à parler. Alice ne veut pas qu'elle se force, mais elle pense l'avoir suffisamment répété pour ne pas le refaire ce soir. Elle l'écoute donc, patiente, douce. Elle est heureuse qu'elle essaie de lui parler malgré tout, malgré la perte de leur pouvoir. Cela lui fait du bien. Elle relève doucement les yeux vers elle, navigue de l'un à l'autre.

Hamilton lui dit être sincère pour chaque sourire qu'elle a avec elle, chaque rire. Elle s'empêche de poser une question, parce qu'elle connait déjà la réponse. Non, ça n'a pas toujours été le cas, cela a pris du temps pour la Feu accepte de ne plus se cacher, de ne plus mentir elle non plus. Alice se doute qu'elle le fera de nouveau, parce que c'était dans sa nature. Elle ne lui en voulait pas le moins du monde. Mais elle lui était reconnaissante de lui dire qu'au moins, là, maintenant, c'était réel. La chaleur du corps d'Hamilton augmente, la petite Terre la sent envahir sa peau. Elle resserre un peu sa main dans celle d'Adélaïde.

Elle lui dit qu'elle ne peut pas lui mentir même si elle aimerait la rendre heureuse. Alice sourit un peu. Et puis elle lui dit que ce n'est pas pour elle de se forcer... Elle sourit de nouveau, et la laisse continuer.
Ses doigts viennent caresser sa joue, et Alice sourit un peu plus. La Feu lui arrache un rire bref, mais heureux, et la Terre lui sourit un peu plus joyeusement. Elle avait réellement besoin de soutien. Ce n'était pas compliqué d'aider Alice lorsqu'elle le demandait, mais Hamilton n'avait pas à le faire si elle ne voulait pas, la Terre était heureuse qu'elle l'ait fait.

« Se forcer, ce n'est pour personne... Tu as raison... »

Et puis Alice enfonce son regard dans celui de la Feu. Devait-elle lui dire merci ? La Feu l'accepterai-t-elle ? Elle ne savait pas, elle n'avait pas envie de se heurter à un refus maintenant, elle était en trop bon chemin pour glisser de nouveau. Alors elle murmure.

« Je suis contente, ça me fait du bien. Avec toi, ce sera plus simple. »

C'était souvent bien plus simple pour Alice lorsque sa Lune était là. Pour elles, ce n'était pas toujours facile, mais pour Alice et ce qui la concerne, c'était le cas. Elle referme les yeux, et se concentre sur la chaleur que dégage le front d'Hamilton.