J'étais armée de mon cahier. Mais n'importe quel cahier ! C'était celui des grandes occasions, des sujets genre vachement importants, comme la sortie d'un nouvel appareil de haute technologie. Et, d'ailleurs, ça se voyait : il était rouge. Et il était décoré (c'était le seul cahier qui avait assez d'importance pour que je m'occupe de son apparence extérieure !). Avec la tête de ce très célèbre scientifique. Si : il avait découvert un truc marrant quand une pomme lui avait percuté le crâne. Steve Jobs, je crois. Ouais, un truc du genre.
J'avais ce carnet, donc, ouvert devant moi. Ça me faisait presque mal de lui écrire dessus. Mais c'était pour la bonne cause : j'avais décidé de réaliser une carte de Terrae. C'était certain, les gens de l'administration et tous ces trucs-là nous cachaient des choses. Mais je n'étais pas naïve comme les autres, moi ! Il y avait forcément des endroits qu'ils voulaient surtour pas qu'on connaisse ! Peut-être bien qu'ils y cachaient des choses pas très honnêtes… De la drogue ? Non. Des enfants exploités et mal nourris ? Bof… Je ne trouvais pas ces idées très excitantes. Peut-être bien qu'ils cachaient des animaux mutants, sur lesquels ils faisaient de drôles d'expériences. Ma tête s'est remplie d'images de canards à deux têtes, de singes violets et de chats dotés de pouces. Wah, ça avait l'air vachement chouette ! Je voulais vite trouver cet endroit !
Ma recherche commençait derrière le bâtiment. De toute faon, il y avait trop de monde pour se concentrer, de l'autre côté. Et je m'éloignais petit à petit, prenant des mesures et les reportant sur le papier, dessinant ce que je pouvais (c'était pas spécialement mon fort, le dessin, en fait). En fait, il n'y avait pas beaucoup de choses à mettre sur la carte à part… De l'herbe et des arbres. Je commençais à être démotivée quand j'ai aperçu au loin un toit qui dépassait derrière quelques arbres. Ou plutôt ce que je supposais être un toit : ça n'avait ni exactement la forme, ni exactement la couleur, ni exactement la texture. En fait, ça n'avait de cohérent que la hauteur. Mais je me disais que c'était peut-être l'endroit rempli de bizarreries que je m'était imaginé, et ça, c'était quand même motivant. J'ai donc un peu pressé le pas, mes dessins d'arbres ressemblait de plus en plus à rien en particulier. Et puis je suis arrivée devant.
Ça ressemblait en effet à une maison. Mais elle n'avait pas très fière allure : la peinture était en partie craquelée ou recouverte de plantes, les volets tentaient apparemment de s'échapper de leurs liens depuis plusieurs années et les vitres, elles, s'étaient fait la malle depuis un bon bout de temps.
C'est la cachette rêvée pour les expériences cruelles menées par la directrice, ai-je pensé.
Je suis entrée, toute excitée, à l'affut. C'était vachement sombre, à l'intérieur. Il y avait quelques meubles à des endroits stratégiques de la pièce. Sur le sol, quelques objets étaient éparpillés. C'est un piège, ai-je pensé. Mais je n'étais pas dupe. Je voyais bien que la disposition de la pièce invitait les visiteurs importuns à faire demi-tour, courir à en perdre haleine et se jeter dans le canal, les chaussures lestées de plomb.

"Challenge accepted" ai-je annoncé au bâtiment, pour lui retourner sa tentative de m'impressionner.

C'est à ce moment-là qu'un drôle de bruit est sorti du placard qui se trouvait en face. J'étais allée trop loin ? La maison allait me punir ? Ou peut-être allait-elle me récompenser de mon courage ?
Puis, la porte s'est métamorphosée en pied. Qui s'est allongé en jambe, puis en personne toute entière. C'était assez bizarre de voir ça. Puis la lumière s'est faite dans mon esprit : c'était pourtant logique !
Mais elle a commencé à s'énerver contre moi. Sauf que j'en avais pas exactement quelque chose à faire, sur le moment. Une seule question m'est venue à l'esprit :

"T'es une expérience de la folle ?" lui ai-je demandé. Mais je connaissais déjà la réponse. Seule un être né d'une expérience de cet esprit dérangé pouvait avoir la capacité de se métamorphoser en porte de placard.

Elle avait ramassé une bouteille qui se trouvait sur le sol. Un de ces pièges destinés à ralentir notre progression dans la maison. Je le savais : j'avais lu Alice au Pays des Merveilles un bon paquet de fois.

"Non, bois pas ça, c'est un piège !" l'ai-je avertie.

Je me suis approché de la fille en lui tendant la petite bouteille de jus de pomme que je gardais précieusement dans mon sac pour le 4h. C'était un sacrifice, certes, mais ça en vallait la peine.

Je regardais douloureusement la fille-porte-de-placard se déshaltérer de quelques gorgées de jus de pomme… Mon jus de pomme ! C'était sacré ! Heureusement, elle m'a tendu la bouteille avant d'avoir englouti la première moitié du savoureux fluide. Je ne me suis pas faite prier pour la reprendre et la ranger soigneusement dans mon sac, ça non !
Quelque peu soulagée, j'ai reporté mon attention sur la fille. Elle semblait m'observer, elle aussi. Ça me mettait un peu mal à l'aise. Il fallait que j'occupe mes mains avant que la gêne ne devienne trop intense. J'ai saisi mon cahier, et ai dessiné un parallélogramme rectangle aux côtés de même longueur (oui : un carré). Enfin, approximativement. C'était la maison. Et là, j'ai placé la fille.

"Hééé ! Tu voulais dire quoi quand tu parlais d'expérience ?! Je suis pas une expérience ! Et qui c'est, cette soi-disante "folle" ?? Je comprends pas grand chose..." a dit la fille.

Je ne pouvais pas lui répondre tout de suite : j'étais dans un état de concentration genre intense.

"Comment tu t'appelles ?" lui ai-je demandé. "C'est pour la légende".

Et là, ses paroles, qui étaient jusqu'alors en file d'attente dans mes pensées, ont atteint mon cerveau. Apparemment, elle n'était pas une expérience. Impossible : je l'avais décidé. Elle devait avoir subi un terrible lavage de cerveau. Avec de l'électricité, et tout ! Ça avait l'air drôle (enfin, pas quand ça nous arrive, quoi). Et elle ne connaissait apparemment pas non plus sa créatrice.
Je me suis demandé par quel genre de souvenirs avaient été remplacé son passé.

"La folle, c'est celle qui habite ici. J'en suis à peu près certaine, je veux dire." lui ai-je déclaré. "Comment tu es arrivée là ?"

Elle était donc arrivée là par téléportation ? Ouais, jusque-là, ça tenait la route. Sauf qu'elle était au sous-sol, quand c'est arrivé. Je veux dire, en général, quand on demande à quelqu'un comment il est arrivé dans un endroit, on lui demande comment il a fini à l'intérieur. Pas comment il est passé d'une pièce à une autre. Enfin, on se doute qu'il est passé par la porte, ou le trou dans le mur, ou en se téléportant, ou un truc du genre. C'était tout à fait normal, non ? Alors que la maison, elle, était isolée et cachée derrière des tas d'arbres comme on cacherait son pot de Nutella dans un internat (le mien était en lieu sûr). On n'y arrivait pas par hasard. Ou alors avec beaucoup de chance… Ou de malchance, ça dépend.
Dans ce cas, avait-elle réellement compris ma question ? Parce que bon, après tout, si elle était vraiment le produit d'une expérience, elle connaissais peut-être pas le monde extérieur. Peut-être qu'en fait c'était elle qui habitait ici, avec sa "mère", bien sûr. Et elle ne savait pas qu'il y avait un monde extérieur. C'était triste.
Et puis, elle s'est présentée. Mitsuki. J'ai noté son prénom soigneusement sur ma carte.
J'avais dû la vexer, me suis-je dit, Après tout, j'avais que la personne qui habitait ici était folle. Mais je ne voulais pas parler d'elle, quand même ! J'étais quelqu'un de respectueux.

"Enfin, je sais pas, les gens qui habitent ici sont sûrement… Euh… Très aimables !" ai-je balancé, pas très assurée. "Sinon, je fais une carte des environs".

Je lui ai tendu mon dessin de la pièce, avec elle dessinée au milieu, une flèche partant du placard duquel elle était sprtie. Comme je l'ai déjà dit, je n'étais pas genre… Douée, en dessin. Donc je savais pas vraiment si elle allait comprende. Je me demandais si elle savait seulement ce qu'était une carte.