Depuis que je suis sortie de chez Aaron, je cours un peu partout pour m'assurer que tout va bien. C'est un peu le branle-bas de combat à l'hôpital ; beaucoup de gens viennent nous demander des renseignements, se plaignent de maux de ventre et de tête, se sentent mal, angoissent... Il a fallu les calmer, les soigner comme nous le pouvions ; mais avec nos pouvoirs bridés, nous ne sommes que des médecins ordinaires dans un hôpital ordinaire.

La question des psychologues à Terrae s'est aussi posée. Naturellement, ils étaient revenus se terrer à l'hôpital en attendant que des Masters prennent les décisions... Heureusement, le personnel de l'hôpital est solidaire, et nous pouvons compter sur eux pour les seconder ou les protéger en cas de problème. Pas que je me méfie spécifiquement, mais j'ai peur des débordements ; il suffit de voir comment certaines personnes considèrent leur psychologue ici, à Terrae, pour comprendre que ne plus avoir de pouvoirs en jeu est en fin de compte une bénédiction plus qu'une malédiction.

Oh, je ne dis pas que j'accepte ce que Ryu a fait. Il a sa logique propre, et il n'aurait pas dû nous l'imposer ; mais je peux comprendre sa décision, surtout si elle a été prise dans un moment de panique… Comment est-ce que j'aurais réagi, moi, si Huo avait disparu de cette manière ?…

C'est bientôt l'heure de la réunion qu'a lancé Piu. Je sais bien qu'elle veut bien faire, mais pour nous, ce n'est pas de la tarte ; on ne va sûrement pas s'attaquer aux élèves, et en même temps, il faudra être sur tous les fronts pour les raccompagner dans les dortoirs et s'assurer que personne n'a quitté l'institut. J'imagine qu'un Master sera de garde, j'admets n'avoir pas tout suivi de ce côté-là. J'arrive aux abords du bâtiment et grimpe les escaliers ; il y a déjà un Master qui monte la garde. Je le salue d'un signe de tête crispé, entre dans le hall… Je m'arrête une seconde devant le panneau d'affichage, où un mot a été griffonné, et esquisse une moue. Bientôt, je vois apparaître une chevelure d'argent dans le coin de mon champ de vision et me tourne brusquement. J'ai un moment d'arrêt en me rendant compte qu'il s'agit bien de Mitsuki, et en quelques secondes je suis sur elle, mes bras autour de son cou.

—Mitsu ! Est-ce que ça va ? Oh, pardon, je- J'voulais-, je m'empresse d'ajouter en esquissant un geste pour me reculer quand je me rends compte de ce que je viens de faire, un peu paniquée.

Oui ben oui, vous vous pétez la gueule et après vous vous faites des câlins. Normal, après tout. Est-ce que c'est obligé d'être encore le malaise, en fait ?...

Après avoir raccompagné Akito dans sa chambre en compagnie de la petite brune, je suis immédiatement rentrée chez moi. Un texto d'Ys m'a fait comprendre que ça ne s'était pas très bien passé dans le bureau d'Hideko, et qu'il allait rentrer un peu plus tard que prévu. Je lui ai à peine répondu avant de me mettre au travail. Il fallait que je scanne en détail le système de sécurité de Terrae. Même si tout affichait "ok", ce n'était pas normal. Ou alors Ryu avait simplement pété un câble... Vous croyez que c'est possible, ça ? Que quelqu'un pète les plombs comme ça, du coup au lendemain, sans raison apparente ?

Après avoir lancé le programme, j'ai continué à bidouiller les logiciels et ai commencé à visionner les vidéos qui avaient été enregistrées par les caméras de surveillance. Modoki et Mokona ont sonné à plusieurs reprises avant de se mettre en veille. Désolée les chéris. J'ai pas encore récupéré assez d'énergie pour vous recharger... Et vous brancher me ferait perdre trop de temps.

Lorsque l'analyse du système de sécurité s'est terminée, j'ai froncé les sourcils. Je ne comprends pas. Je ne comprends pas bordel ! Pourquoi Ryu a pété les plombs ?!

Par réflexe, j'ai voulu téléporter ma clé USB dans ma main, mais un grésillement pitoyable s'est échappé de ma main et j'ai soupiré. J'en peux plus. Je suis à bout de nerf.

Il faut que je vois Aaron.

J'ai voulu l'appeler, et je me suis rappelé que j'avais cassé mon téléphone dans le bureau d'Hideko. Bien sûr.

Espérant qu'il soit encore à l'Institut, je me suis rendue sur place en courant - histoire de me défouler un peu au passage.

Et puis, quand je suis arrivée, je l'ai vu. Mon coeur s'est stoppé un instant alors que je la sentais contre moi. Elle s'est reculée et a bredouillé quelques excuses. Je l'ai fixé quelques secondes à peine dans les yeux avant de l'attirer à nouveau contre moi pour la serrer encore plus fort.

Aoi, j'aurais tellement aimé te dire que je suis désolée...

-Tu vas bien ? soufflai-je en sentant mon estomac se nouer et les larmes me monter aux yeux.

Je me suis reculée et je l'ai regardé. Elle avait l'air d'aller bien. Elle avait l'air...

Bon sang. Ca fait tellement du bien. Je sais pas pourquoi on a réagi comme ça, Mitsu. Je sais pas du tout quelle merde on a fait, quelle merde j'ai fait ; j'suis désolée. Je suis contente que tu ailles bien. À peu près. Enfin. Je sais pas. Je-

Il faut que je respire. Les bras de Mitsuki viennent m'entourer une nouvelle fois, et je ferme les yeux avec force. Je repense à tout ce qu'on a pu vivre ici, je repense à cette fois-là où elle s'est fait exploser pour nous sauver d'un missile. Je sais même plus pourquoi je lui en ai voulu ; c'est à cause de cette histoire avec Allen, mais est-ce que ça valait qu'on se fasse du mal ? Qu'on essaie de se détruire ? Qu'on se haïsse ?

J'essaie de ne pas renifler, de ne pas fondre simplement en larmes. Ca fait tellement du bien de la voir, ça fait tellement du bien de la sentir. Elle se recule à nouveau. Nous yeux remplis de larmes se rencontrent, et un rire nerveux m'échappe quand je renifle et m'essuie les yeux du bout des doigts.

—Difficilement, j'articule. C'est une catastrophe, tout le monde est en train de péter les plombs.

J'ai envie de dire qu'il n'y a qu'Allen qui a l'air d'aller vraiment bien. Même les novices sont plus inquiets que lui ; et quelque part, ça ne me dise rien qui vaille. Je sais que je n'ai pas eu le temps de trop m'en faire à son sujet, puisqu'il m'a fallu aller m'occuper d'Alice et Nicolas, mais je ne sais pas si sa réaction est réellement saine.

J'essaie de respirer. Esquisse un demi sourire. Doucement, j'attrape sa main et serre ses doigts entre les miens. Trop de question, trop de pensées se bousculent. Je suis tellement heureuse qu'elle ne m'ait pas repoussée, et... Peut-être qu'on peut vraiment passer au-dessus de ce qu'il s'est passé ? Pas forcément en discuter maintenant, mais on y arrivera ?

—Ca ira pour toi ? C'est... Je comprends pas ce qu'il se passe, je lâche en retenant un nouveau rire nerveux, la bouche tordue dans une grimace. Tu sais s'il y a déjà eu une réunion des Masters ? Tu en sais plus ?

Je n'ai pas non plus revu Huo depuis le début de la crise. J'espère qu'il va bien. J'espère qu'il n'y aura pas de débordements. J'espère-... Bon sang. Qu'est-ce qu'on peut faire ?

Je sentis ma respiration s'accélérer et ma gorge se serrer. Il ne fallait pas que je pleure. Je ne devais pas flancher. Pas maintenant. Terrae a besoin de nous. Maintenant plus que jamais.

Mais c'est dur. Très dur. Je sens son corps contre le mien et j'ai envie de rester là. Que le temps s'arrête et qu'on ne soit plus que toutes les deux. Loin de tout ce chaos.

La réalité rattrapa pourtant rapidement le rêve et Aoi s'éloigna de moi pour répondre à ma question. Non ça va pas. Pourquoi t'as cru que ça allait Mitsu, hein ? Pourquoi ? Rien ne va. C'est la panique générale. Tu devrais le savoir, vu l'état dans lequel tu es. Y'a pas besoin d'être sensitif pour sentir toute cette tension...

Elle me demanda si ça allait aller pour moi. Non. Non, bien sûr que ça ne va pas aller. Je n'ai plus Allen. Ys est occupé ailleurs. Et toi, toi... Tu as tellement de responsabilités. Tu portes Terrae sur tes épaules. Comment pourrais-je être égoïste au point de priver les autres de ton si précieux sourire ?

Je hochai la tête.

-Ca va aller.

Ai-je le choix, après tout ?

Un soupir m'échappa, et je fuis un peu le regard d'Aoi, n'arrivant pas à masquer si bien que ça les sentiments qui m'habitent. C'est pas si facile que ça de porter un masque... Je ne sais pas comment les autres font.

-Ryu est à l'hôpital.

Pourquoi j'étais venue ici ? Je n'en ai pas la moindre idée. Mais maintenant je veux rester avec Aoi. Parce qu'avec elle, je me sens bien. Je me sens mieux...

-Il y a une réunion à la cafétéria. Ca a commencé il y a un moment maintenant je crois, mais... On y va ?

Et on s'y rendit. Parce qu'on ne doit rien lâcher. On doit continuer à assurer. On doit continuer à montrer l'exemple. A se montrer forte. Parce que c'est ça aussi, d'être Master.