Elle essaie rien du tout là, elle se dandine et gigote et bouge dans tous les sens, mais elle stoppe pas du tout la cocotte minute ! Je jetai vers elle un regard entre la panique et le sadisme quand elle me fixa avec son air sérieux. Enfin, "sérieux", dans la limite du ridicule avec ses cheveux qui changent de couleur à peu près toutes les minutes j'ai l'impression, et son doigt levé comme une menace grossière.

Bon par contre elle se lève là et ça sent le roussi (le jeu de mot bien placé ouhlouhlouh).

-Nan ! Ah, stop, arrête ! m'exclamai-je en essayant de me dépatouiller comme je pouvais pour garder mon téléphone dans mes mains. AH mais tu brûles ! Me touche pas, tu vas m'ébouillanter !!!

Je reculai de quelques pas, manquai de me prendre les pieds dans ma chaise et de me casser la figure - à la place de ça, évidemment, je me suis quand même bien tordu la cheville et j'ai évité la chute comme je le pouvais, ce qui m'a fait perdre mon téléphone qui s'est écrasé sur le sol pendant que je me rattrapais à mon bureau.

-NAN ! m'exclamai-je en jetant une main désespérée vers l'objet si précieux qu'elle n'allait pas tarder à récupérer.

Le portable vola à plusieurs mètres, atterrissant sous le lit, évitant la main dangereuse d'Aria, et j'affichai un regard à la fois surpris et ravi. Et bah voilà. Finalement ils se pointent quand il faut ceux-là, POUR UNE FOIS. Retenez bien ça les gars, je ne le répéterais jamais : MERCI MES POUVOIRS.

Je me redressai maladroitement et fis voler la couette de mon lit pour la faire tomber sur Aria (de toute façon, mes draps sont déjà trempés donc un peu plus ou un peu moins on n'est pas à ça près) avant de me jeter sur le sol pour ramper sous mon lit (super élégant franchement) à la quête de mon téléphone. Sauf qu'il fait noir et que l'écran n'est visiblement pas allumé, donc pour le retrouver ça risque d'être compliqué.

-Dis voir, à tout hasard, ça te gênerait d'aller ouvrir les volets ? Comme ça tu pourras prendre un peu l'air, toussa toussa, ça te ferait du bien j'pense, t'es vraiment toute rouge on dirait que ta tête va exploser.

Sérieux, pourquoi ils arrivent pas à être sérieux plus de cinq minutes ?! C'est une malédiction ?! C'est bien fait pour lui, qui se moque ! Genre ça le brûle ! Bah elle aussi ça la brûle, elle va perdre ses oreilles et elle sera moche omg. Et pire : elle ne pourra plus jamais remettre ses lunettes en forme de coeur ! ET LUI TROUVE CA DRÔLE ?! En plus elle doit ressembler à rien et omg hors de question qu'il l'affiche ! Sinon, elle n'aura plus qu'à aller prendre des photos de lui sous la douche et- OMG MAIS POURQUOI SES OREILLES SIFFLENT ENCORE PLUS ?!

—Si tu me le donnais directement y aurait pas de problè-aah !!

Allen chute à demi en arrière et Ariana le suit dans sa course, s'écrasant lamentablement contre lui — dans d'autres circonstances, elle lui aurait demandé comment il va, mais il y a plus important. LE PORTABLE. Ariana se jette à moitié dessus mais le portable vole sous le lit.

Contrariée, la rouquine lève les yeux vers Allen pour le fusiller du regard (c'est évidemment très effrayant) puis couine en s'emmêlant dans la couette quand elle lui tombe dessus. Elle roule au sol, chute encore en marchant dessus, et finalement, elle sent la vapeur perdre en intensité — heureusement, parce qu'elle commençait à étouffer là-dedans ! Lorsqu'elle réussit enfin à sortir la tête de la couette pour reprendre un peu d'air, elle voit Allen ramper à deux pas d'elle pour récupérer le téléphone sous le lit. Et c'est qu'il se fout de sa gueule en plus ?!

—Quoi, t'as cru ?! lance-t-elle en se jetant maladroitement sur lui, essayant de l'enrouler dans la couette lui aussi en s'accrochant comme un koala. Je te signale que c'est de ta faute, tu m'aides pas du tout là !!

Et en plus il l'agresse avec UNE COUETTE non mais DANS QUEL MONDE VIT-ON ?!

—Allez, sois pas chiant, efface la photoooo ! couine-t-elle en essayant de le maintenir, avec beaucoup de difficulté au vu de leur différence de taille.

-AH ! m'exclamai-je alors que je me cognai la tête contre les lattes de mon lit, Aria débarquant à côté de moi pour reprendre le combat.

Nan mais elle fait quoi avec la couette là ?! Mais c'est qu'elle essaie de se battre ou je rêve ?!

-Mais t'es violente ! criai-je presque en essayant de parer ses coups avec mon bras devant moi, me dépatouillant comme je le pouvais avec ma couette qu'elle essayait de me mettre sur le dos.

Je me massai l'arrière du crâne, sentant la bosse arriver. Mais il est où ce putain de téléphone ?! J'vais mourir ici vous croyez ? Elle commence à me faire vraiment peur en vrai, même si bon, ça va, ses oreilles ont arrêté de rejeter tout le liquide qui stagnait dans son corps. Vous croyez qu'elle va sécher maintenant que de la vapeur d'eau s'est échappé de ses oreilles pendant au moins cinq minutes entières avec une intensité assez particulière ?

-Mais c'est absolument pas ma faute ! Tu sais même pas ce que je vais faire avec cette photo, si ça se trouve j'suis un pro du montage et j'vais te transformer en canon, tu sais pas hein !!!

Ce qui sous-entend qu'elle n'est pas un canon ; Allen, tu sais vraiment parler aux filles.

-Et arrête de me grimper dessus comme ça, t'es super gênante, j'arrive plus à respirer, si tu veux qu'on fasse l'amour fais-le moi savoir autrement !

AH. HEU. OK. C'EST SORTI TOUT SEUL OK. DIVERSION. DIVERSION. DIVERS- JE L'AI !!!

Dans la panique, j'appuyai sur le bouton central et l'écran s'alluma. Merde, bah maintenant elle sait que je l'ai, hein.

-Nan mais c'est pas mon téléphone, c'est le tien, tu l'avais fait tomber, tu te souviens pas ?! tentai-je alors que j'essayai de me débarrasser d'elle pour sortir de sous le lit comme je le pouvais.

—C'est toi qui es violent, c'est toi qui m'a lancé la couette sur la tête en premier !! renchérit-elle en s'accrochant plus fort, comme une enfant que l'on confronte à ses bêtises.

Bon, elle ne voulait pas qu'il se cogne la tête comme ça, mais c'est de sa faute s'il n'arrête pas de gesticuler comme ça ! Pourquoi il se laisse pas faire ?! C'est pas comme si elle le violait non plus, elle n'est même pas en train de le chattouiller, elle essaie juste de le ralentir ! Raaah, elle se sent toute poisseuse en plus, c'est abusé, pourquoi elle est trempée, c'est pas confortable et- heureusement qu'elle a un pull au-dessus de son t-shirt omg il est blanc ça aurait été gênant, aha. Ahaha.

—En CANON ? couine-t-elle, d'une voix beaucoup trop aigue, outrée comme jamais. J'ai pas besoin d'être photoshopée pour être canon MOI MONSIEUR, et- ATTENDS, T'ES SERIEUX ?! MAIS BON SANG J'ESSAIE TOUT LE TEMPS C'EST TOI QUI COMPRENDS RIEN JE TE SIGNALE.

AHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHH. AHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHH. AHHHHHHHHHHHHH- ok non elle n'a pas dit ça CALME TOI CALME TOI CALME TOI ARIA STOP STOP- LE TELEPHONE !! CONCENTRE TOI SUR LE TELEPHONE !! Elle se jette en avant, mais tombe sur le côté quand Allen s'ébroue pour la faire descendre. Elle essaie de repousser ses cheveux écarlates pour voir devant elle en secouant la tête, un bras toujours tendu en avant pour attraper l'appareil.

—Euh, je, tu--- Arrête de raconter des conneries, donne-moi ça ! grommelle-t-elle tout en essayant (encore) de repousser Allen, l'autre main contre son visage.

C'est beaucoup plus simple de faire comme si elle n'avait rien dit, hein, genre, elle essaie juste de récupérer le téléphone et ooops elle a glissé c'est ballot et puis la voisine elle gueule beaucoup, hein, elle dit même des trucs bizarres et embarrassants, et-

Nan mais c'est bon laissez-la crever, ça la dérange pas. Elle se re-jette sur lui et se transforme en phoque pour le plaquer contre le sol. Euhhh elle voulait se transformer en chien, pourquoi ça a pas marché, là ?!!

J'ai entendu ? Ou j'ai mal entendu ? Nan mais parce que sérieux quand est-ce qu'elle a essayé ? NAN MAIS PARCE QUE LES SIGNES SONT PAS HYPER EVIDENTS HEIN J'VOUDRAIS PAS DIRE MAIS LA ELLE DIT N'IMPORTE QUOI ET OMFG MAIS ELLE VA ARRETER DE ME FOUTRE SA MAIN SUR LA GUEULE COMME CA ?! ON PEUT PAS LACHER CE TELEPHONE ET DISCUTER, CE SERAIT BIEN NAN, DE DISCUTER, ON EN A PEUT ETRE UN PEU BESOIN, HISTOIRE DE CREVER L'ABCES-

Mon dernier souffle m'échappa alors qu'elle se transformait... en phoque. En phoque. Les gars, j'suis Air et j'vais crever étouffé par un phoque. Genre je vais manquer d'Air. SI C'EST PAS LE COMBLE LA.

Mon corps agissant sans doute par instinct de survie, je la poussai de toutes mes forces et comme je le pouvais pour me sortir de là, abandonnant mon téléphone pour rester en vie. Malheureusement il faut faire des sacrifices parfois, et j'ai pas trop envie de crever DONC.

Une fois sorti de sous le lit, je pris une énorme bouffée d'air et m'étalai sur le dos sur le sol froid, repoussant la couette qui traînait encore un peu sur moi. J'ai chaud. J'vais mourir. J'suffoque encore. Vous croyez qu'elle m'a cassé un truc là ? Nan mais ce serait pas impossible j'pense, si ? Ca pèse combien un phoque ? SERIEUX C'EST QUOI CE POUVOIR TROP CHEATE ?!

-Tu crois qu'on peut recoucher ensemble une fois avant que je meurs stp ? Parce que là c'est bientôt la fin j'le sens.

Nan mais quitte à mourir autant mourir heureux quoi.

-Je déclare forfait.

Comment elle doit faire pour se retransformer en humaine, là ?! Merde, elle y arrive plus, elle panique à mort. Pourquoi elle fait toujours de la panique-impro ?! Pourquoi elle a dit ça ?! Pourquoi elle a pas fermé sa gueule ?! Nan mais parce qu'habituellement elle roule un patin aux mecs, c'est plus simple, mais avec Allen c'est jamais simple, on dirait toujours qu'il va s'évanouir ou qu'il va se mettre à paniquer et dire des conneries, et- behfbdhj

Elle se fait pousser sur le côté et roule, agite ses nageoire puis honk-honk un peu, agacée. Bon, allez, retransformation. Chien !! Ok, non, ça c'est un chat. CHAT !!! Ahhh, c'est un.…poisson rouge.…elle a plus d'air, ahhh, aiiiieee, iiihhh, vite changer !! AH- c'est. un paresseux, ok. Non. Toujours pas ça. Allez. Un Humain. Un. HU. MAIN. (pas une main, pas une main, pas une main...)

Ariana se retransforme et souffle lourdement, pose sa tête sur le sol une seconde, le temps de retrouver sa respiration. Elle se redresse et redevient écarlate. L'avantage, c'est qu'elle n'a plus de vapeur qui lui échappe par aucun trou (AUCUN.) et n'a plus la chevelure arc-en-ciel. C'est un bon début, suppose-t-elle. Par contre. Juste. Pourquoi. Il. Insiste.

Bougonne, elle finit par se mettre en tailleur, oubliant totalement le téléphone sous le lit. Elle roule des yeux, retient un rire devant sa reddition, et lui met un petit coup de pied. Puis elle se penche et dépose ses lèvres sur les siennes, juste une fois. Elle sent encore son visage chauffer. Pitié, ne te remets pas à faire des trucs bizarres, pitié pitié.

—Dis, tu peux pas faire les choses un peu dans l'ordre, pour une fois ?

Ou alors c'est trop compliqué, genre, juste, s'il te plaît ?

Le spectacle me laissa sans voix. Nan mais entre le manque d'air dans mes poumons et les transformations aléatoires d'Aria... Sans dec. J'vous jure, j'ai vraiment flippé, j'me suis dit qu'avec un peu de chance elle allait se transformer en baleine et défoncer ma chambre. Mais nan, tout va bien, elle a fini par reprendre forme humaine, et après elle m'a mis un coup de pied parce que visiblement elle a pas compris que j'étais en train d'agoniser et que je rendais l'âme. Je trépasse et elle me frappe : vous trouvez ça juste vous ? Nan mais parce que moi pas du tout mais après tout c'est peut-être moi qui me trompe, visiblement j'suis un boulet alors bon.

QUOI PARDON QUOI MAIS IL SE PASSE QUOI LA OMG

Ok je succombe. J'ai eu une vie heureuse, je peux mourir en paix.

-Quoi ?! m'exclamai-je alors que je me redressai instantanément après ses mots. Faire les choses dans l'ordre ?! Moi ?! Genre j'l'ai pas fait ?! Excuse-moi de ne rien oser faire après que je me sois pris un certain nombre de gifles pour t'avoir embrassé !

Ouais, retourne la situation Allen, t'as raison. Ca t'évite d'être gêné. Est-ce que je pose la question du "On est ensemble ou pas Aria ?" ? C'est p't'être plus cool que sortir le "Moi j'me suis pas tapé tout Terrae". HAHA la jalousie et Allen, c'est la seule chose qui fusionne parfaitement j'crois.

-Tu-...

Je soupirai.

-Et pis merde.

Je m'avançai vers elle et passai une main derrière sa nuque pour l'attirer vers moi et déposer mes lèvres sur les siennes. Au pire on repartira pour quelques mois de malaise et puis voilà, hein, personne ne viendra rien nous dire puisque personne n'est jamais au courant de rien.

Enfin j'espère.

Omg, elle a dit à quelqu'un qu'on avait couché ensemble ?!

Avec les mecs normaux, qui habituellement lui tendent des perches à tout va en la draguant, elle n'a pas trop de problème pour les saisir. Elle se lance, et puis, ça passe ou ça casse — si ça passe tant mieux, si ça casse, tant pis, elle ne tient pas suffisamment à eux pour ça. Avec Allen, c'est plus délicat. Il a déjà été odieux avec elle, plus qu'elle ne pouvait le supporter — et elle est amoureuse, réellement, passionnément, douloureusement. À chaque fois qu'elle essaie de faire deux pas en avant, il en fait un en arrière. La distance entre eux s'est réduite, depuis le temps qu'ils se courent après ; mais une fois de plus, Allen fait son Allen.

Elle aurait voulu qu'il ait plus que ce sourire satisfait qui a duré une seconde et demi, et surtout elle aurait bien aimé qu'il ne se redresse pas en manquant à moitié de l'assommer. Surtout pour dire ça. Ses joues chauffent encore, elle fronce les sourcils. Oui ben elle comprend pourquoi elles étaient méritées, ces gifles, hein ?! Il ne peut pas être normal et avoir une réaction normale ?! Si c'est sa manière à lui de lui dire qu'il veut pas d'elle, qu'il le fasse directement, parce que-

Elle voulait parler, lui répondre qu'il est vraiment con et qu'elle comprend pas pourquoi elle insiste avec lui, mais il pose sa main sur sa nuque et l'embrasse. Elle se fige un instant, juste le temps qu'il lui faut pour reprendre ses esprits et poser ses mains sur sa nuque pour lui rendre son baiser, le corps incliné vers lui. Ses doigts rencontrent ses cheveux, elle sépare leurs lèvres pour reprendre son souffle — ils sont près, mais elle ne s'éloigne pas. Cette fois, elle n'a pas envie de le laisser partir.

—Tu les méritais un peu, quand même, se sentit-elle obligée de rajouter, à demi sérieuse mais aussi un brin taquine.

Ses yeux se baissent, elle rougit. Hésite. Tente. Les papillons n'arrêtent pas de s'agiter dans son ventre.

—Est-ce qu'on peut arrêter de faire comme s'il ne s'était rien passé ?

Je fermai les yeux, savourant cet instant. Quelques souvenirs de notre dernière soirée au bar me revinrent en tête et je resserrai mon emprise sur elle, glissant ma main dans ses cheveux et passant une main sur sa taille. Je sentais la chaleur monter dangereusement en moi et je dus me faire violence pour me séparer d'elle quand elle mit fin au baiser, gardant mon front appuyé contre le sien, les yeux toujours clos, la tête inclinée vers le bas. Mes mains descendirent le long de ses bras pour venir serrer ses petits doigts fins.

Je les méritais, p't'être. Est-ce que je suis le seul responsable ? Franchement, j'en sais rien. J'en sais foutrement rien, et j'ai juste plus envie d'y penser. Parce que j'ai pas envie de m'énerver là, et je sais que si j'y pense, si je laisse ces sentiments mauvais s'emparer de moi encore une fois, j'vais encore merder, et là j'ai juste pas envie.

Je rouvris les yeux alors qu'elle reprenait la parole. Je m'éloignai d'elle et la fixai un instant sans rien dire, traçant du regard chaque trait de son visage.

-J'veux être avec toi. J'veux plus qu'il y ait de Théo ou je ne sais qui d'autre qui soit avec toi. Qui dorme avec toi.

J'avalai assez difficilement ma salive, ne sachant pas tellement d'où me venait ce courage soudain.

-Je regrette pas ce qu'il s'est passé. Même si je regrette quand même de ne pas réussir à me souvenir vraiment de tout ce qu'il s'est passé...

Je soupirai, sentis que mes doigts serraient les siens un peu plus fort. J'entrepris un long processus de détente.

-J'veux que tu continues à venir me réveiller le matin quand tu n'arrives pas à dormir.

Je veux te dire que je t'aime, mais je sais que ça je n'y arriverais pas, alors je vais me contenter de te le faire comprendre, hein. C'est déjà mieux que rien, nan ?

-Et j'veux t'embrasser, aussi. Mais ça j'en ai tout le temps envie. C'est un problème auquel il va falloir que je trouve une solution...

Front contre le sien, Ariana attend. Elle sent son souffle contre ses lèvres et sa peau, son odeur qui l'embaume. Elle n'ose plus le regarder, ferme les yeux aussi. C'est plus simple que d'attendre de voir la moindre expression sur son visage, moins difficile que de repérer le plus petit signe de rejet. Elle veut lui donner son coeur tout entier, l'embrasser, le serrer contre elle et ne plus le lâcher. Elle a envie d'être près de lui, toujours, et elle aimerait tellement qu'il ressente la même chose.

Les doigts d'Allen passent sur ses bras, par-dessus son pull ; elle en sent la chaleur, frémit au contact du tissu qui la frôle, jusqu'à ce qu'il prenne ses petites mains dans les siennes. Il s'éloigne et elle relève les yeux vers lui, timidement, la gorge serrée par l'appréhension. Ses mots la font tomber des nues. Les premiers, puis les suivants. Parce que "je veux être avec toi", elle n'en attendait déjà pas autant, au final. Elle l'aurait plutôt imaginé répondre quelque chose de plus vague, détourner la conversation. Mais il parle, et il exprime ; ses émotions, ce qu'il veut, ce qu'il ne veut plus. Elle se sent presque trembler, elle sent aussi ses yeux la piquer, son coeur se gonfler davantage ; la chaleur l'envahit et c'est doux, mais aussi terriblement fort.

Lentement, elle serre ses doigts en retour. Elle ne l'interrompt pas, se perd dans ses yeux dont elle perçoit mal la couleur. Elle regrette qu'il ne fasse pas plus clair, dans la chambre. Elle aurait voulu voir son expression plus en détail, se gorger de cette vision comme elle s'enveloppe dans ses mots. Un sourire lui échappe, ainsi qu'un demi rire ému et nerveux, un reniflement qu'elle tente de réfréner.

Les doigts de la petite rousse se glissent entre les siens, tout doucement. Elle s'approche encore, chasse une larme qui essaie de s'échapper de ses yeux d'un battement de cils, et effleure son nez du sien, tout parsemé de tâches de rousseur qui ressortent sur sa peau rougie par la gêne. Les picotements remontent de sa nuque à ses joues, jusqu'à ses oreilles.

—C'est pas un problème pour moi.

Elle sourit, encore timide, mais elle est heureuse. Elle veut le lui faire comprendre, mais elle ne trouve pas les mots, comme toujours lorsque c'est Allen qui parle. Elle aimerait pouvoir se fondre dans ses bras, goûter encore à ses lèvres. Elle se contient. Parler ; parler un peu, pour dire beaucoup. Exprimer. Avouer. Au final, elle n'est pas très douée pour les grands discours.

—Je veux aussi être avec toi ? reprend-elle en chassant la boule de nervosité de son ventre qui se bagarrait avec les petits papillons. Venir te voir à l'improviste-

Et t'aimer, tout entier, sans avoir peur de faire un pas de travers, sans avoir peur de ne pas être assez bien pour toi, sans avoir peur de t'ennuyer.

—Me réveiller à côté de toi le matin... T'avoir juste pour moi ?

Un rire lui échappe, léger, chantant. Elle s'ouvre comme une fleur aux premières lueurs du matin, et elle ne sait même plus vraiment ce qu'elle dit.

—T'es bête parfois, mais j'aime bien quand t'es embêtant, quand on se chamaille et qu'on rit après. Je veux être avec toi, répète-t-elle.

Ses yeux brillent un peu trop, mais elle s'en fiche. Elle sourit comme elle a l'impression n'avoir jamais souri.
Si tu savais depuis combien de temps j'attendais que tu me dises ça.

—Je- j'suis amoureuse de toi. Y a vraiment qu'avec toi que je me sens comme ça... ?

Elle ne veut pas parler de Théo, mais elle voudrait s'en excuser. Parce que c'est toi. Ça a toujours été toi.

—Et puis, tu sais... Les souvenirs, on peut s'en faire plein, ajoute-t-elle en effleurant sa joue.

Revivre un peu en ce matin d'automne.

Elle se rapprocha. Colla son nez contre le mien, entremêla ses doigts aux miens, ancra son regard dans le mien. Un merveilleux sourire s'étira sur ses lèvres, ses yeux se mirent à briller. C'était comme si son visage tout entier rayonnait dans l'obscurité. Un rire cristallin lui échappa. J'avais l'impression d'être face à une personne complètement différente. Je ne l'avais jamais vu comme ça, et pourtant, quand je voyais cet éclat dans ses prunelles, j'avais l'impression de l'avoir toujours connue. C'était un peu étrange, un peu cliché aussi, je peux bien l'avouer.

Je l'aimais, je l'aimais tellement que c'en était indécent. J'avais l'impression de n'avoir jamais ressenti une chose pareille, peut-être parce que pour la première fois de ma vie je vivais une situation où les sentiments que j'éprouvais étaient réciproques. Pour la première fois de ma vie, ce n'était pas douloureux d'être amoureux, c'était juste... bien. Apaisant. Réconfortant.

Le temps s'arrêta quand elle me dit qu'elle était amoureuse de moi. Un étrange bourdonnement s'invita dans mes oreilles, je sentis mon coeur tambouriner contre ma poitrine. Est-ce que tout ça était, juste, vraiment en train de se passer ? Ou est-ce que c'était pas encore un rêve ? Parce que ça ne serait pas si étonnant...

Ses doigts effleurèrent ma joue et je frissonnai. Nan. Aussi fou que cela puisse paraître, c'était bien vrai.

-Je t'aime.

C'était sorti comme ça, abruptement, maladroitement, rapidement.

Ma main se glissa de nouveau derrière sa taille tandis que l'autre attrapait sa nuque pour l'attirer vers moi. Je déposai mes lèvres contre les siennes, la gardant serrée contre moi, apeuré à l'idée de la voir quitter ma chambre dans quelques instants. Je voulais rester avec elle ici toute la journée, la garder blottie contre moi, parler de tout et de rien, surtout de rien. Et l'aimer, l'aimer comme je n'avais jamais aimé, parce que, putain, qu'est-ce que c'était bien d'aimer et de l'être en retour !

Mes doigts glissèrent dans ses cheveux et je continuai de resserrer mon emprise sur elle ; être la pour elle, la protéger, coûte que coûte, ne plus jamais la laisser tomber.

Je t'aime, Aria.

Le temps suspend sa course un instant ; ils prennent chacun le temps de décrypter les expressions de l'autre, de découvrir des parties d'eux qu'ils ne pensaient pas pouvoir découvrir autrement. Les sourires les plus doux, les regards les plus parlants. Elle sourit davantage ; arque même ses sourcils lorsqu'il lui dit qu'il l'aime. Comme ça, tellement naturellement, et beaucoup moins laborieusement que ce qu'elle avait pu faire un instant plus tôt. Parce qu'Ariana est forte en blablatage, mais elle ne sait pas bien parler des choses importantes. Elle aime remplir les silences de sourires et de baisers plutôt que de paroles profondes qui s'envolent aussi vite qu'elles sont prononcées.

Alors elle sourit. Parce que c'est maladroit, mais c'est comme Allen ; et c'est aussi pour ça, quelque part, qu'elle est tombée amoureuse de lui. Pas parce qu'il est un charmeur né, encore moins parce qu'il la draguait ; mais justement parce qu'il ne le faisait pas, parce qu'ils profitaient ensemble, parce qu'ils se chamaillaient. Et le temps passé à attendre, le temps passé à désespérer, le temps passé à ne plus croire ; au final, tout n'était pas vain.

Elle se blottit contre lui en réitérant ses paroles, cherche le contact et ne quitte pas ses lèvres ; elle ne le lâche pas non plus, rit entre deux baisers, lui sourit comme jamais, le visage illuminé, le coeur au bord de l'explosion. Tout est comme nouveau, comme différent.

Ariana non plus ne veut plus le lâcher — légère et rayonnante comme le soleil qui se lève sur l'institut.

Maintenant, elle espère quand même qu'il arrivera à la supporter.