Le pion rigole. Eh. EH. Oui bon c'est vrai il insiste, mais il y a plusieurs raisons ! :

-Et vous, vous donnez l'impression d'inclure même le pire à Terrae alors que je subis certaines restrictions que d'autres, comme le Loup, n'ont pas.

Il fait un geste de la main, comme s'il voulait effacer ce qu'il venait de dire. Ca y est, c'est comme s'il venait d'avouer qu'il trouvait ça injuste, lui, de pas avoir d'amis ou de croire aux papillons du bonheur... et non c'était pas ce qu'il voulait dire ! C'était une semi réflexion de gamin, il en avait bien conscience. D'où le rejet soudain qu'il a eu à ses propres mots. Quand c'est comme ça il faut enchaîner. Il inspire. :

-Les recherches, je dis pas, j'ai aucune idée de la qualité de vos informateurs. Et les examens psychologiques... eh... sur le long terme peut-être mais une séance et un manipulateur peut s'en sortir.

Après un court instant de réflexion, il ajoute. :

-J'insiste. Son regard se perd vers la droite. C'est vrai. Donc j'expose que je m'en fous pas, que ça m'atteint et que ça me fait du mal... La belle affaire.

Et quand il veut le corriger sur Nicolas, les yeux d'or plongent dans ceux de son interlocuteur. Si. Il se prend pour un héros. C'est ce qu'il veut montrer. Regardez, j'ai souffert mais je vais mieux ! Regardez, maintenant je me bats que pour défendre mes amis ! Regardez, je me mets en danger comme un pantin pour prendre des coups à la place des autres !... C'est juste un autre masque, un autre Loup qu'il ne connaît pas bien et la faille est devant lui... Jérémy inspire. Longtemps. Sans quitter des yeux son pion avant de lâcher presque dans un murmure. :

-Ça dépend de quel Nicolas on parle.

Il attrape sa feuille, puisque apparemment il ne compte pas l'aider pour ses exercices, se redresse et seulement, quitte le Master des yeux pour aller se rasseoir. Il a une douleur qui lui saisi tout le torse mais il n'y prête pas plus d'attention... Il veut passer aux exercices suivants pour que cette mascarade puisse être terminée rapidement. Qu'il ait raison ou tort n'avait aucun poids dans la conversation, il s'en était rendu compte... Le pion voulait qu'il parle. Jérémy voulait retrouver sa stabilité. Rien dans ce monde pouvait lui offrir ça. A ses yeux, la conversation était finie...

Je hausse un sourcil, attend de lui qu'il développe mais il ne le fait pas. Est-ce que j'ai envie de repartir là dessus ? Pas vraiment. Il n'a pas envie de m'écouter j'ai l'impression. Il est enfoncé dans sa vision des choses et certainement pas près à entendre ce que je pourrais lui dire là dessus. C'est un peu triste mais j'ai pas envie de le faire non plus. Quand bien même son Vide me hurle aux oreilles je fais abstraction comme toujours. Pas mon rôle, pas ma place, pas envie. Mais quand même...

— Peut-être que tu le réalises pas mais ce que tu vois comme des contraintes, y en a beaucoup qui donneraient n'importe quoi pour l'avoir, je souffle doucement, tout bas.

La maison d'un master, la famille, le confort même. Et des gens qui sont proches en cas de problème. Je le connais pas lui mais je connais Nico, je connais Aaron, je sais qui sont les membres de la Cool Patrol. Alors, oui. Peut-être que ça lui semble un boulet mais ces gens là seront là pour lui quand il voudra s'ouvrir, quand il aura besoin de soutien, d'explications.

Je frissonne quand il me reprend sur Nico et détourne les yeux, mal à l'aise. Il a un mouvement raide en retournant ses yeux à sa feuille. J'hésite à dire un truc. Mais il ne veut pas parler. Merde. J'ai envie de continuer cette conversation, d'en savoir plus sur lui, ses objectifs, ses… Merde.

— Jérémy, j'appelle doucement.

Je grimace. Réflexe. J'ai utilisé ma voix de Master. Saloperie. Tant pis, je m'excuse pas.

— L'heure est terminée.

Je lui indique la porte de la tête. C'est faux, il lui reste dix minutes. Je veux pas qu'il parte, je veux encore discuter mais c'est sorti tout seul. J'ai envie de- Merde.

— Je doute que t'ai envie de poursuivre un jour cette conversation. Mais si jamais, je suis toujours en salle d'entrainement le matin tôt.

Je me lève une main dans la poche, je ramasse mon journal de l'autre avant de sortir de la salle de classe.

J'ai fuit.

Ce que les gens rêvent d'avoir, c'est une vie facile. Une vie loin de toi ce qui pourrait les heurter. Mais comment on se forge sans épreuve, sans souffrance, sans un jour à s'inquiéter de ne pas avoir de lendemain. Jérémy n'en avait aucune idée. Se sortir du mensonge de l'enfance ne lui avait pas fait que du bien mais ça lui avait permis d'accomplir quelque chose de grandiose et d’insignifiant à la fois. Il s’assoit, reprend son crayon et... le Master l'appelle. Un frisson longe sa colonne et il lève les yeux. Je n'ai pas voulu lever les yeux. Sa mâchoire se contracte... Le pion le libère.

Sa main droite sert son stylo si fort qu'on entend le plastique craquer, mais il ne dit rien, il range précipitamment ses affaires pour sortir. Vite.

Le Master s'est levé, tranquillement. Il lui parle alors Jérémy ralentit doucement l'allure... Il parle de poursuivre la conversation. D'un jour, le rejoindre dans la salle d'entraînement. Le Chasseur ne bouge plus. Statufié, regard planté dans celui qui lui fait face jusqu'à ce qu'il quitte la pièce au final... Il tend l'oreille, attend d'être sûr qu'il soit au bout du couloir... Et lâche la respiration qu'il retenait d'un coup, s'accrochant à la table. Sa main gauche affaiblie tremble, trop tendue. Il n'a pas eu peur pourtant, il n'est pas vraiment en colère...

Une vie facile, sans rien pour te heurter. Même un Master, la puissance incarnée ici. C'était peut-être ça, l'épreuve du Chasseur.