Je fis tomber une gouttelette du liquide fluorescent sur ma langue et trépignai. Je refermai le flacon et le glissai dans mon sac en bandoulière. Mes membres se dégourdirent et j'effectuai quelques bonds sur place avant de me placer devant le grand miroir de ma chambre pour observer quelques instants mon reflet. Le retour du soleil me faisait un bien fou ! Je relevai mes cheveux qui avaient déjà bien repoussé et les attachai en queue haute avant de passer une main sur ma combi-short kaki pour retirer un fil qui s'y était logé. J'enfilai des nus-pieds noirs et sortis de chez moi après avoir laissé la porte du jardin entrouverte pour Balto. J'aurais aimé l'emmener avec moi, mais je n'avais malheureusement pas prévu une activité qui me permette de l'emmener avec moi.

J'arrivai assez rapidement à l'Institut, marchant avec énergie. Je montai les marches pour rejoindre le couloir des Terres. Ca faisait super longtemps que je n'avais pas vu Charlie-Ange. La dernière fois, ça ne s'était pas franchement bien passé, mais j'avais appris depuis quelques temps qu'il était sorti de l'hôpital et qu'il avait d'ailleurs bien participé au capharnaüm qu'il y avait eu à Terrae. Dommage que je ne l'ai pas croisé, j'aurais bien aimé prendre des nouvelles. Bon, après, c'était pas si grave puisque j'avais finalement décidé d'aller en prendre aujourd'hui, des nouvelles. Donc quelques mois plus tôt ou maintenant, ça ne faisait pas grande différence, hein !

J'arrivai finalement devant sa porte et toquai quelques coups assez francs, attendant qu'il me réponde. J'espérais qu'il était là... Mais en même temps, je n'aurais pas pu vérifier son emploi du temps étant donné que je n'avais pas son numéro de téléphone.

-Charlie-Aaaaannnnge !!! C'est moiiii Mitsu !!! Ca fait super longtemps qu'on s'est pas vu du coup j'me disais qu'on pouvait traîner ensemble aujourd'hui t'en dis quoi ?! J'ai ramené des bonbons, des schtroumfs, c'est mes bonbons préférés, t'aime bien ?!

Un peu de sucre. J'me suis rendue compte que j'étais devenue accro au sucre depuis que j'avais commencé mon traitement anti-déprime. Bon, en soi, c'était pas très grave, vu que je continuais à m'entretenir et à courir, j'pouvais bien grignoter un peu plus qu'à l'accoutumée, c'était pas ça qui allait me faire prendre 10 kilos !

-Ouvre-moiiiiiii~ lançai-je en recommençant à tambouriner sur la porte.

Bon, ok, j'avoue, s'il est pas là j'me tape juste l'air con.

Ca manque pas un peu de clarté là ? Tu regardes la peinture que tu es en train de faire, c’est pas de clarté qu’elle manque c’est de relief. T’as utilisé qu’une seule gamme de tons, les oranges. Normal que ça ressorte mal, un peu de blanc peut-être pour subjuguer le tout ? Tu tentes, après tout qui ne tente rien n’a rien… Et qui tente n’a rien de concluant en fait. Tant pis tu prends la peinture à pleines mains et tu dis fuck à la toile, tu l’attaques dans sa matière, tu lisses les formes, tu angules et mélange. Elle devient vivante, sensuelle, elle vibre, elle te plait de plus en plus. Quelqu’un toque, tu l’entends à moitié pris que tu es dans ton œuvre.

Mitsu ? Mitsu qui ? AH Mitsu ! Tes trois neurones se connectent et c’est l’étincelle.

« Ah bien sûr ENTRE ! »

Surtout si elle a des schtroumpfs. Les schtroumpfs c’est toujours une bonne idée. Le genre d’idée qui vous fait entrer partout, surtout dans la piaule d’Angie. Des pots de peinture trainent partout, des œuvres plus ou moins finies trainent en vrac, on se croirait revenu dans son ancien atelier… Pardon appartement. Tu te tournes et tu lui offres un joli sourire. Tu sais à nouveau sourire ? Putain j’ai loupé un épisode moi.

« Je finis juste un petit truc ! »

Genre une courbe par-ci, une courbe par là… C’est parfait. Tu te diriges vers l’évier pour débarrasser tes avants bras de leur peinture. C’est toujours plus sympa pour partager une poignée de main, un paquet de schtroumpf et beaucoup d’autres choses en fait. On te l’a dit assez souvent : laves-toi les mains d’abord. Ton évier c’est un gouffre à couleurs, heureusement que t’es pas prêt de quitter cette chambre, le prochain occupant risque de t’en vouloir gros.

Ca fait un bail que tu n’as pas vu la belle master, et la dernière fois t’as été plutôt exécrable. Tu ne lui en veux même pas de ne plus avoir pris de tes nouvelles par la suite. Tu l’avais repoussée, genre magistralement. C’était étonnant qu’elle revienne vers toi. Alors fallait que tu sois mature :

« Mitsu… Je… Pardon pour la dernière fois, j’ai été un gros con. »

C’est bien tu t’en rends compte. C’est le premier pas vers… Vers quoi d’abord, j’sais pas… Mais Angie, mon grand tu oublierais pas quelque-chose ? Genre quelque-chose d’important ? Angie… T’es un peu nu comme un vers… A trop trainer avec des naturistes aussi, fallait bien que ça arrive un jour.

Je me dandinai sur place, attendant que Charlie-Ange me réponde. Je commençais vraiment à croire qu'il n'était pas là et que je me tapais juste l'affiche dans le couloir, mais bientôt, sa voix se fit entendre et, toute souriante, je répondis à son accueil et ouvris la porte à la volée. Je la refermai derrière moi, posai mon sac par terre et sortis le paquet de schtroumfs pour faire face aux fesses de Charlie-Ange qui plaquait ses mains pleines de peintures à plat sur sa toile pour tartiner toutes les couleurs dans une certaine harmonie qui me laissait sans voix. C'te talent sérieux ! C'est impressionnant de le voir bouger comme ça dans tous les sens, franchement, ça m'impressionne de ouf ! Il est là, il gigote, son popotin musclé suit les courbes de son corps et la toile s'illumine, c'est assez beau.

Il se dirigea finalement vers l'évier pour se laver les mains et se tourna enfin vers moi pour me faire face. Je lui adressai un sourire, essayant de garder les yeux rivés sur son visage quand même - bon j'avoue j'm'attendais pas trop à le trouver nu comme ça, et surtout qu'on dirait qu'il s'en rend pas compte en fait, pas que j'ai un problème avec la nudité mais on m'a toujours dit qu'il y avait des limites à avoir, alors bon, ça me gêne un peu parce que j'sais plus où sont les limites maintenant.

Ses mots arrivèrent un peu difficilement à mes oreilles, étant donné toute la concentration dont je faisais preuve pour rester fixé sur son regard.

- AH ! Ah, oui oui, t'inquiète pas, c'est pas grave, ça arrive.

Disons que j'ai sans doute pas été cool non plus ces derniers temps, avant que je débute ma thérapie 100% bonheur.

- Par contre tu crois que tu pourrais enfiler au moins un jeans ? Parce que ça devient vraiment épuisant de devoir regarder juste ton visage.

Disons que la tentation est grande. Nan mais c'est vrai, pas que je sois perverse, mais vous mentez pas à vous-même, même si vous êtes pas attirés par ça, tout le monde a envie de baisser les yeux pour regarder, ça sert à rien de faire semblant. La curiosité l'emporte toujours.

- Sinon ta toile est trop beeeelle c'est trop beau, j'avais oublié que tu peignais, c'est trop trop trop trop cool diiiiiis tu voudrais pas faire mon portrait s'il te plaîîîîît j'aimerais trop voiiiir t'es trop un artiste !!!

« Han, déso, j’enfile quelque-chose. »

Tu pourrais rougir, mais non tu cherches juste du regard un peu partout dans la pièce un slip. Hors de question de mettre un jean direct en contact avec tes valseuses. Ça irriterait trop. Tu finis par trouver dans le désordre ambiant il était sagement posé sur ton lit.

« Après tu peux r’garder ailleurs, c’pas ça qui me gêne. »

En d’autres temps tu te serais senti nu devant elle, vraiment nu. Pourtant maintenant ça te passe au dessus, le naturisme t’as fait un bien de fou. Tu acceptes vachement mieux ton grand corps fin, ces muscles qui ont bien fondu à cause l’immobilité, ce ventre un peu flasque, ces poils que tu rasais jadis car ton copain trouvait ça disgracieux. Tout ça t’as compris qu’on s’en foutait, et t’as appris à l’assumer. A te dire que t’étais bâti comme ça et que c’était pas bien grave et surtout que les gens pouvaient ne pas s’arrêter à ça. T’enfile ton slip. T’as même retrouvé un pantalon. Tu t’en es servi pour éponger de la peinture sur le sol… Tu le récupères et le déplisse, la peinture a séché tu entends un craquement quand elle se décolle avant que tu ne puisses enfiler finalement ce jean. Tu dois en avoir d’autres quelque-part. Faut vraiment que tu penses à faire une lessive et que tu ranges, mais en ce moment il n’y a que peindre qui t’intéresse.

« Euh… Ah… Merci… Euh. Juste j’suis dans une période nu, j’suis pas certain que t’ais réellement très envie de ça. ‘fin si t’as envie je peux te faire un portrait. »

Tu oublies un truc de ouf important mec. C'est vrai que tu lui avais proposé la première fois que vous vous êtes rencontrés. Ce jour-là tu l'avais trouvé lumineuse et attirante. Ce jour là t’avais cru que t’étais capable de capter cette lumière… Mais aujourd’hui c’était pas vraiment pareil. Aujourd’hui bien que tu la trouves toujours belle tu ne te sentais plus attiré par elle. Les choses semblent enfin recommencer à changer pour toi.

« Par contre j’suis pas très doué avec le corps des femmes, j’suis plus habitué à dessiner celui des hommes. »

Les modèles féminins ne manquaient pourtant pas à la fac, mais t’avais toujours été plus attiré par les corps masculins, puis t’avais pas mal dessiné ton ex en son temps. Les femmes étaient fichues bizarrement.
Tu pioches un schtroumpfs dans le paquet de Mitsuki en attendant sa réponse.

Ouais. Bah t'inquiète, malgré mes efforts j'ai regardé autre chose que ton visage, hein, c'est la nature humaine, on est tous un peu voyeur dans le fond.

Je le fixai alors qu'il déambulait dans sa chambre pour chercher des vêtements, m'attardant sur les courbes de son corps à chaque fois qu'il se penchait pour fouiller à droite ou à gauche. Finalement, mes yeux furent attirés par la peinture qu'il venait visiblement de réaliser et je m'extasiai devant. Je me retournai vers Charlie-Ange qui s'était enfin rhabillé, et je lui demandai vivement s'il ne pouvait pas faire mon portrait, parce que hé, j'me souviens qu'il m'avait proposé ça quand on avait commencé à lier une amitié. Nan mais parce qu'il a des putains de talents quand même, et pas que j'veuille me la jouer "super modèle", mais j'aimerais trop voir à quoi je ressemble en peinture. Nan mais c'est vrai, ça doit être ouf !

Je fus un peu ramenée à la réalité quand il me dit qu'il dessinait surtout des nus en ce moment. Une pensée pour Ys vint obstruer mon jugement avant que je ne secoue la tête pour revenir sur le moment présent. Après tout, hé, y'a rien qui m'empêche de faire ce que je veux maintenant, hein. Nan mais parce que la nudité n'a jamais été un problème pour moi, Allen passait son temps à m'engueuler quand je me changeais dans la même pièce que lui sans même prendre la peine de me retourner, alors en soi, j'm'en fous. Juste qu'on m'a tellement bassiné avec les normes sociales, les gênes que pouvaient ressentir les autres et tout le tralala alors j'ai fini par faire plus attention + bah comme j'étais en couple avec Ys, faut reconnaître que même moi je me sentais plus forcément de ne me déshabiller devant n'importe qui, mais bon, comme il m'a littéralement laissée tomber comme une vieille chaussette, who cares ? Le cristal logé dans mon soutien-gorge dégagea une légère chaleur, à peine perceptible, et je relevai un visage souriant vers Charlie-Ange.

J'agitai une main devant moi.

-Nan mais t'inquiète, ça me dérange pas tant que ça ! J'ai rien à cacher de toute façon.

Je haussai les épaules.

-Bah ! Ca te fera de l'entraînement comme ça, nan ? Tu continues à suivre des cours de peinture d'ailleurs ? Ou tu en donnes ? T'étais bien prof d'arts avant de venir ici, pas vrai ? Tu veux que j'me place où ?

Je m'approchai de lui pour prendre à mon tour un bonbon dans le sachet de schtroumpfs.

-Oooh on pourrait trop la jouer à la Rose avec Jack dans Titanic ! T'as déjà vu ce film ?!

Elle est pas censé être en couple ? C’est pas vraiment le genre de choses qui te dérange toi, mais elle est certaine que… Non ? Bon, bah. Depuis quelques temps, tu réfléchis plus vraiment comme ça, tu ne t’arrêtes plus aux vêtements que portent les gens… Vu qu’ils n’en portent plus quand tu les fréquentes. C’est pas pour autant que tu les peints hein ? Juste ça t’a redonné envie de dessiner des corps nus, tant de diversité ça t’a fait plaisir à voir. Bah, si elle est d’accord, tu es d’accord.

« C’est vrai que j’ai quasiment plus eu de modèle depuis la fac. »

Sauf lui. Lui tu ne vas pas en parler. Lui tu préfères oublier jusqu’à son visage. Les années passent, la honte et la rancune restent. Après lui tu as commencé à te vider de toi, comme s’il avait percé un petit trou dans ton âme par lequel tu avais commencé à couler. Elle t’a posé des questions et y répondre t’empêche de sombrer dans tes pensées.

« Ah, non j’donne plus de cours, j’en prends plus non plus. J’m’amuse seul. »

Tu as peur au fond de ressentir de nouveau l’indifférence de tes élèves. C’est blessant. Tu ne te sens plus capable non plus d’offrir des ailes à autrui. Ce Charlie-Ange est mort quand tu as quitté la France, laissant tes rêves et un avenir auquel tu ne croyais plus sur ta terre natale.

Elle t’a demandé où elle devait se mettre, et à vrai dire t’es pas certain qu’elle ait réellement un endroit où se poser sereinement dans ton atelier. Tout est encombré partout, t’avais pas vraiment prévu de recevoir quelqu’un. Tu passes à nouveau ta chambre au crible fin, hum. En bougeant ce tas par là, tu peux avancer ton lit par là, et il y aura une jolie lumière. Tu dégages tout ce qui est posé sur ton lit sur le tas précédent et tu posses le tout vers la fenêtre.

« Là ça devrait être bon. »

Tu reprends le paquet de bonbons avant d’penser à bouger ton chevalet. Cependant ses paroles te figent et te font rougir jusqu’aux oreilles. Ouai t’as vu le film, et ouai t’as un taxi. Elle doit se moquer de toi, elle a un fiancé tu te souviens. Tu prends le temps de dissiper ton trouble en lutant pour ne faire tomber ni le chevalet ni le tableau.

« C’est pas très sympa de te moquer de moi comme ça, à un moment tu me plaisais vraiment tu sais ? »

Maintenant c’est passé, mais quand même, tu la trouves toujours super jolie quoi. C’est pas fairplay de te faire des coups comme ça.

Ah, donc il peignait juste pour son plaisir maintenant. C'est cool en vrai, de continuer sa passion comme ça. Surtout qu'il est super doué, ce serait trop dommage qu'il arrête ! Mais c'est triste, aussi, de ne pas vivre de sa passion. Si je n'avais pas pu devenir ingénieur pour Terrae, j'sais pas ce que j'aurais fait, franchement. Je vis que pour ça, alors si j'avais pas pu faire de ça ma vie, ça aurait été compliqué.

-Tu voudrais pas redevenir prof d'arts ? J'suis sûre qu'il y aurait plein de personnes intéressées ! Bon, y'a déjà une prof d'art, mais p't'être que vous pourriez vous répartir le planning ? Ou alors tu pourrais aider Tomoe avec les petits en arts plastiques ? Ca pourrait être cool aussi ! Enfin, après, tu as aussi ton taxi, c'est top aussi.

Même si j'pense que c'est moins sa passion quand même, de conduire. Est-ce qu'il conduit tout nu maintenant, vu que ça a l'air d'être son nouveau style de vie ? J'me demande si c'est autorisé...

J'attendis ensuite que Charlie-Ange me trouve une place pour je pourrais m'installer, jusqu'à ce qu'une idée juste incroyable me traverse l'esprit. Nan, mais, si, c'est l'idée du siècle, franchement, FRANCHEMENT, c'est trop mon nouveau rêve !!! Bon, ok, j'change vite de rêve, on s'en fout.

Je fus malheureusement prise de court par les paroles d'Angie. J'écarquillai les yeux, un peu mal à l'aise.

-Ah. Heu. Nan, mais j'me moquais pas de toi, désolée. C'était pas mon intention...

Comment j'ai pu lui plaire ? Nan mais, enfin, j'veux dire, vraiment, c'est très bizarre là non ? Enfin, j'en sais rien après, hein. Bon, au pire, on laisse ça de côté, hein ? Parce que j'veux pas qu'il refuse et OHLALA MAIS MON IDEE ELLE ENVOIE TROP DU LOURD ALORS JE VEUX QU'IL ACCEPTE.

-Sinon, j'viens d'avoir une idée, tu réfléchis bien avant de me répondre, et tu réponds pas trop vite, et tu me brises pas le coeur non plus, hein, maiiiis. T'as déjà fait du body painting ? Parce que l'autre jour j'ai vu des trucs sur internet, c'était troooop stylé et sérieuuuux je suis sûre que tu es au moins aussi doué que tous ces artistes et ça pourrait être trop coooool allez s'il te plaît s'il te plaît dis-moi que t'es partaaaant ça pourrait être trop drôle en plus et trop cool et j'serais trop fan de mon corps après !!!!

Non, non, c'est faux, je teste pas le regard du chat potté pour qu'il accepte. De toute façon, j'sais pas le faire, ce regard.

Tu secoues négativement la tête. Tu n’as plus cette flamme en toi, inutile de chercher à raviver le brasier qui s’est éteint. C’est une chaleur que tu ne propageras plus, pour l’instant c’est vrai que tu ne fais plus grand-chose de productif pour la société, mais tu te reconstruis toi… Et ça, c’est important. T’as mis tellement de temps à accepter de t’arrêter de courir pour trouver ta place, tellement de temps à accepter que tu pouvais aussi prendre soin de toi… Que maintenant tu ne veux pas te presser, tu te dis que tu reprendras sans doute ton taxi quand le besoin financier se fera sentir…
En attendant tu peins, tu passes tout ton temps à peindre. La couleur est revenue dans ta vie en sépia. C’est agréable. Et c’est beau. C’est réellement utile puisque c’est beau.

Elle s’excuse et change de suite de sujet, tu peux bien le comprendre et toi non plus tu n’as pas envie de l’approfondir. Il faut laisser au passé, ce qui appartient au passé. Une autre braise que tu as su éteindre avant qu’elle ne te brûle. Ça c’était plutôt bien fini au final, et si à l’époque tu n’avais pas voulu l’importuner de tes sentiments, tu pouvais maintenant en parler sans que cela soit douloureux. L’incident semble clos.

Tu l’écoutes avec attention ce qu’elle te propose, et tu réfléchiras après s’il y en a besoin. Il est interloqué, comment pourrait-il lui briser le cœur ? C’est vraiment un changement de sujet plutôt inattendu, cela voudrait-il dire qu’elle a un cœur des sentiments pour lui ? De plus en plus étrange sa façon de parler… Tu inclines ta tête pour confirmer que tu as déjà fait du boypainting. Parfois en temps qu’artiste, souvent en temps que modèle. T’étais pas du genre à refuser quand on te demandait gentiment de participer. Tu pèses le pour et le contre, autant le nu tu le fais sans trop te poser de questions, autant là tu prends le temps de réfléchir.

« Mitsu, tu es en couple, autant un nu garde une distance entre toi et l’artiste, autant le bodypainting la supprime. Tu es vraiment certaine que ça ne te créera pas de problèmes ? Ce n’est pas que l’idée me déplaise, mais les conséquences pourraient être difficiles à gérer pour toi. »

Tu as toujours aimé le body painting, la sensation de la peinture sur ton corps. Tu avais toujours trouvé ça très fun. Pourtant t’avais conscience que cela pouvait créer des quiproquos, on t’avait déjà reproché d’avoir servi de modèle.

Charlie-Ange ne dit pas non, mais Charlie-Ange ne dit pas oui non plus.

Je me retins de gonfler mes joues et décidai plutôt de secouer nonchalamment ma main devant moi.

-Nan mais j'suis plus en couple, il m'a larguée, alors t'inquiète, zéro risque.

Après tout, j'ai plus à faire attention à tout ce genre de choses maintenant. Et puis avec Charlie-Ange, y'a aucun risque, même lui m'a dit que pendant un temps je lui plaisais. Pendant un temps. Donc c'est plus d'actualité. Donc c'est bon. Tout est au clair, y'a pas d'ambiguïté.

Et puis, hé, quand même, faut le dire, ça doit être trop ouf ! Les sensations que tu dois ressentir quand le pinceau passe sur ta peau, l'émerveillement dans le regard quand tu vas voir dans le miroir à quoi ressemble ton corps une fois recouvert de peinture. Nan, vraiment, c'est trop le feu, j'ai beaucoup trop envie d'essayer.

Après, bon, même moi j'ai des limites hein, j'vais pas me mettre forcément toute nue, j'appréhende légèrement le coup de pinceau sur les fesses.

-Et puis on peut commencer soft ? Genre on fait le dos, c'est déjà une grande partie à recouvrir de peinture, faut prendre du temps et s'appliquer ! D'autant que t'avais peut-être des choses de prévues cette aprem alors j'vais pas te bouffer toute ta journée pour ça !

Et puis, ni une ni deux, je m'installai à l'endroit que m'avait indiqué Charlie-Ange quelques instants plus tôt, je me plaçai dos à lui et retirai ma combi-short que je laissai tomber sur le sol. Je dégrafai mon soutien-gorge et glissai mes cheveux relevés en queue haute sur le côté de mon épaule, ne gardant que ma culotte et mes nus-pieds.

-Allez, j'suis prête !

Ah. Pour toi Mitsu n’était pas une fille à se faire plaquer. C’était tout juste croyable, quand on touchait le gros lot c’était vraiment débile de tout jeter. Tu la regardes et tu sais pas quoi dire, parce que tu te sens pas en droit de lui demander si ça va. C’est pas comme si elle pouvait te répondre « non, j’suis au bord du gouffre là, ça se voit pas ? » elle se forcera sans doute à te dire que tout va bien. C’est nul de pas savoir quoi faire dans ce genre de situations, en plus tu lui as dit tout penaud juste avant que tu avais eu des sentiments pour elle. Après ça elle risque pas d’interpréter de travers, de dire que tu profites de l’occasion ? C’est pas vraiment ton intention.

« Si t’as besoin d’en parler… » tu te contentes de dire, ne fermant pas totalement la porte.

T’es peut-être un brin trop gentil, t’es sûr que l’entendre parler de son ex ne te fera pas du mal ? Comment ça Boarf ? C’est pas vraiment la réponse à laquelle je m’attendais. M’enfin, si cela ne lui pose pas plus de problèmes, tu ne vois pas d’inconvénient à changer de toile, c’est le genre d’art que tu apprécies en plus. Dans ce cas, tu n’as pas vraiment de raison de lui refuser.

« Pas de soucis, j’avais rien de prévu. »

C’est une bonne idée de commencer par le dos, mais toi la sensation que tu préfères c’est celle du pinceau sur ton ventre, c’est super agréable. Puis c’est pas comme si elle t’avait laissé le temps de réfléchir non plus, elle s’était désapé à la vitesse éclair. C’est pas une meuf c’est un ninja. Tu l’observes alors un moment, essayant de trouver ce que tu as envie de faire sur cette toile loin d’être vierge, des grains de beauté la parsèment et tu divagues de l’un à l’autre.

« Tu me laisses le champ libre ? »

Il vaut mieux demander, tu n’as pas de peinture pour corps, mais l’expérience t’as appris que la gouache mélangée avec un peu de shampoing ça passait plutôt bien. T’as des idées plein la tête, t’attends juste le feu vert pour commencer à sortir ta peinture. Tu vois tout à fait ce que tu peux faires sur le dos de la jeune femme, les couleurs naissent de ton esprit et se positionnent sur son dos, tu regardes tes pinceaux et tu commences à trier les plus doux, ceux qui ne sont pas encore durcis par la peinture ou la colle. Ceux qui ne blesseront pas sa peau.

Besoin d'en parler ? Lol, non mdr, c'est bon, j'en ai assez parlé, ça me gonfle un peu maintenant loul. Il veut plus de moi, il veut plus de moi, c'est tout, c'est la vie, et on fait avec !

-T'inquiète !

Charlie-Ange m'informa qu'il n'avait rien de prévu, et un grand sourire illumina mon visage alors que je me déshabillai. Une fois dos à lui et en culotte, j'attendis qu'il me rejoigne pour commencer à peindre. Je me demandais s'il fallait de la peinture spéciale, ou s'il y avait des modèles prédéfinis pour réaliser ce genre d'art. Un style particulier à adopter ? Hm, je sais pas, le but des artistes, si j'dis pas de connerie, c'est aussi de se démarquer : chacun a son style et l'expérimente pour créer toujours des choses nouvelles, alors j'imagine qu'il doit exister plein de style pour le body-painting.

- Yes ! Tu fais ce que tu veux ! J'ai trop hâte de voir ce que ça va rendre !!

Je fermai les yeux, attendant qu'il passe à l'acte. L'atmosphère était bien silencieuse comparée à ce que j'avais l'habitude de vivre ces derniers jours, mais c'était pas plus mal, ça faisait du bien. Un peu de calme, on se pose, on prend le temps de faire les choses. On prend le temps d'apprécier chaque instant.

-Il faut une peinture particulière pour faire ça ?

J'inspirai doucement.

-Je suis contente que tu ne m'aies pas repoussé cette fois. J'étais triste la dernière fois. Ca me fait plaisir de voir que tu vas mieux, confessai-je.

C’est justement parce qu’elle te dit de ne pas t’inquiéter que tu le fais. T’sais combien c’est facile de dire aux autres de pas s’inquiéter, tellement plus que d’accepter leur aide. Que d’accepter qu’on n’y arrive plus seul. T’as connu ça trop souvent, tu la regardes… Mais tu n’es pas certain de la comprendre, alors tu lui souris et tu te contentes d’être son ami, si elle veut se changer les esprits, tu peux faire ça pour elle.
Tu trouves ton shampoing bien plus rapidement que tu n’as trouvé tes habits, tu ne l’as pas jeté n’importe où au fil de tes envies. La gouache t’en as une caisse plaine, des tubes plus ou moins vides, tu trouves une assiette en carton et te prépare à la transformer en palette. Elle te donne carte blanche, peut-être qu’avec quelqu’un d’autre cela eut été de l’inconscience. T’es pas du genre à profiter de la situation. C’est bien dommage par ailleurs.

« J’vais utiliser de la gouache diluée au shampoing, la gouache par facilement à l’eau et le shampoing lui donne une texture moins irritante quand elle sèche. C’est plus confortable pour le modèle. »

En vrai pour toi ça complique un peu les choses, mais tu penses bien plus aux autres qu’à toi. Tu commences à te retrouver Angie, et ça fait du bien. Ses paroles font naitre un sourire triste sur tes lèvres.

« Je m’excuserais jamais assez pour ça, j’ai vraiment été le pire des abrutis. C’est pas une excuse mais j’étais pas vraiment moi-même. J’suis désolé de t’avoir fait de la peine, ou plutôt merci de t’être inquiétée pour moi. »

Tu regrettais maintenant, tu t’en voulais pas mal… Non, pas de ta petitesse, mais de la peine que tu as fais aux gens que tu aimes. Tu as recommencé à parler avec ta famille, tu n’as pas pu tout leur expliquer, mais tu leur as dit que tu allais bien. Enfin avant que ta mère ne te voit te faire écraser sur les vidéos de l’assaut de Terrae ça s’était détendu. Maintenant elle faisait du forcing pour que tu rentres chez vous. Tu ne comptes pas le faire.

« Je commence. »

Tu trempes le pinceau dans la peinture et tu l’appliques doucement sur le dos de la jeune femme, tu regardes le rendu du bleu. Il ne convient pas, tu passes un coup de serviette dessus pour le faire disparaitre et rajoute des pigments. C’est mieux, tu commences à faire de tout petits points de couleurs sur la peau de la jeune femme, l’un après l’autre.

« Ca va ? C’est pas trop dur de rester immobile ? »

Je mis un certain temps à replacer la gouache. J'suis tellement douée en peinture que c'en est révoltant, je crois. Mais si mes connaissances ne me font pas défaut, il me semble que la gouache, c'est de la peinture à l'eau. Par contre, j'dois reconnaître que je n'aurais jamais pensé à mélanger de la peinture, quelle qu'elle soit, à du shampoing. Ca ne risque pas d'être trop liquide ? Ca va vraiment rester coller sur la peau ? Bon, après, j'dis ça, mais j'y connais toujours autant rien dooonc. J'peux bien lui faire confiance, c'est lui l'artiste.

Un petit sourire naît sur mes lèvres suite à ses excuses.

-C'est pas grave. Je ne t'en veux pas. Ca arrive, à tout le monde, même aux meilleurs !

Et puis je n'ai pas été un modèle non plus ces derniers jours. Finalement, quand on touche le fond, c'est bien plus compliqué qu'on ne le croit de rester bienveillant envers les personnes qui nous sont proches.

Quelques minutes plus tard, je sentis le pinceau froid glisser sur ma peau. Je retins un frisson alors que mes bras se couvraient de chair de poule. C'était très étrange comme sensation. D'un côté, la fraîcheur de la peinture me décontenançait. De l'autre, la douceur du pinceau m'attirait. J'appréhendais le contact autant que je le désirais.

Charlie-Ange passa un coup de serviette sur mon dos et effaça les premières traces qu'il avait déjà faites. Je m'étais embarquée là-dedans sans même savoir le temps approximatif que cela pouvait prendre. Mais d'un côté, ça ne me déplaisait pas. Ca allait m'apprendre à être patiente. A profiter de l'instant présent sans sautiller partout pour exprimer chacune de mes émotions.

-Ca va. C'est bizarre, les sensations que ça procure. Mais en même temps c'est très agréable. C'est relaxant. Tu en as déjà fait beaucoup du body-painting ?

Il est vrai, que la sensation du pinceau sur la peau nue est très particulière. Toi, c'est une sensation que tu apprécies fortement, tu as un rapport avec ton matériel plutôt particulier. Il faut aussi dire ces derniers temps tu te passes de pinceaux, tu préfères peindre à mains nues. Tu aimes la sensation de la peinture sur tes doigts, peut-être que tu devrais lui faire tester. Non pas la sensation de tes doigts sur sa peau, tu trouverais cela déplacé au vu de ce que tu lui as avoué précédemment, mais la sensation de la peinture sur les mains est vraiment relaxante.

" oui plutôt, à la fac j'aimais vraiment ce moyen d'expression. On avait une bonne bande et on a tenté pas mal de trucs. C'était plutôt chouette."

'fin c'était avant que les histoires de cul s'en mêlent. Tu ne te souviens plus comment tout a dérapé, à un moment vous n'étiez qu'une bonne bande de potes qui s'éclatait à se badigeonner de peinture et l'instant d'après il y avait plusieurs couples, des jalousies dès lors que l'un de vous touchait ce que d'autres considéraient alors comme sa propriété. Tu avais pas compris comment les choses avaient pu tourner si vite et si mal.
Pourtant toi tu avais continué, ton compagnon ne faisant pas partie de cette bande il avait continué d'apprécier cette activité. Qui avait, il est vrai, assez souvent dérapé... Tu le chasse de tes pensées.

" C'est une première pour toi ?" tu lui demandes.

Tu continues un moment à peindre sur son corps de petites taches de peinture. Se sont à peine des points de couleur, tu ne fais pas courir ton pinceau sur sa peau mais les tâches rapprochées la font progressivement disparaître. Tu descends un peu en direction de ses reins. La position devient de plus en plus inconfortable pour toi. Tu ne maîtrise pas assez tes tremblements dans certaines positions.

" Ça te dérange de te coucher sur le ventre ? J'ai du mal avec le creux de tes reins."

Charlie-Ange avait l'air de bien s'amuser à la fac. On sent qu'il était dans son élément. Ils expérimentaient toujours plein de nouvelles choses et essayaient toujours d'aller plus loin.

Quand j'y pense, j'aurais bien aimé aller à la fac. Lorsque je suis arrivée à Terrae, je me suis contentée de terminer ma scolarité obligatoire, et ensuite je me suis perfectionnée de moi-même dans le domaine de l’ingénierie robotique. Du coup, j'ai jamais vraiment connu le principe des cours à la fac, des options que tu choisis en fonction de ton projet de vie, des soirées d'école, des bizutages, enfin, tout ce genre de trucs. Et j'avoue que parfois, je me demande vraiment à quoi ça ressemble. C'est quelque chose que je n'envisage qu'à travers les séries et les films que je regarde, alors c'est pas vraiment bien abouti, comme idée. Vous croyez qu'un jour j'pourrais participer à une soirée étudiante en me faufilant en soum-soum ? Moi je dis : ça se tente.

La sensation du pinceau qui glissait sur ma peau était toujours aussi perturbante, mais petit à petit, je finissais par m'y faire. Au bout de quelques instants, Charlie-Ange reprit la parole et un léger sourire traversa mon visage avant que je ne retienne un nouveau frisson tandis qu'il descendait son pinceau dans le bas de mon dos.

- Oui. J'ai jamais expérimenté ce genre de chose. En fait, je crois que je n'ai même jamais utilisé de peinture, si ce n'est quelques rares fois lorsque j'étais encore scolarisée. Mais même en grandissant, on n'en fait plus alors... J'aimerais bien essayer de peindre sur une toile un jour !

J'essayais de me tenir droite pour qu'il puisse avoir une vraie vue d'ensemble, mais c'était un peu dur de rester aussi droite, malgré mon bon maintien du dos à l'origine. Charlie-Ange me demanda s'il était possible que je me mette sur le ventre et je hochai la tête.

-Oui, bien sûr, pas de souci. Par contre, heu... Tu n'as pas peur de tâcher les tissus qui seront autour de moi ?

Bon, c'est p't'être parce que je n'ai envisagé que le lit pour m'allonger.

-Tu voudrais que je m'installe où ? demandai-je en replaçant correctement mes cheveux sur mon épaules.