Parler de tout ça à une élève, qui plus est une élève qui n'était pas présente, n'est ni facile ni banal. C'est étrange. J'ai l'impression de la mêler à quelque chose que je ne devrais pas, mais en même temps il y a cette partie de moi qui en a besoin. Je ne savais sans doute pas encore à quel point jusqu'à maintenant ; le goût amer sur ma langue me le rappelle trop bien. Amertume, colère. Le désespoir, et cette sensation d'être démuni que je ne veux plus jamais ressentir. C'est comme voir son monde s'effondrer sans rien pouvoir y faire, et simplement fuir.

Au final, je ne sais même pas tellement ce que je souhaitais lui faire passer, comme message, en lui racontant tout ça. Ce n'est pas juste répondre à une question, sinon je serais pas autant rentré dans les détails. Je m'attends presque à ressentir de la colère, de l'exaspération, mais rien ; elle s'accroche à ce que je dis et ça m'encourage à continuer. Par contre, ça l'inquiète, c'est certain. Son visage est plus sérieux que d'ordinaire, et je ne peux la blâmer. C'était vraiment pas la joie.

Mais on a merdé.

Je reprends une lourde inspiration lorsque Lys me répond enfin. Me retiens de me pincer les lèvres. Pas de colère, pas d'agacement, ni de frustration, ni pour retenir quoi que ce soit — ou peut-être si, juste ce soupir de soulagement qui menace de passer mes lèvres.

Mon regard se fait plus piteux ; le nez vers la poussette, je ne la regarde plus, au moins le temps de remettre de l'ordre dans ma tête. Et de l'écouter, elle aussi. Je la laisse faire, même si j'ai envie de répondre parfois. Par réflexe. Alors j'acquiesce simplement — le chaos, oui, c'était ça. Se faire trahir par l'un des siens est l'une des pires choses qui puisse nous arriver. Pire encore que de manquer de se prendre un missile dans la gueule. Parce qu'un missile, c'est "eux", ce n'est pas "nous". Et on peut se reconstruire après s'être fait mettre en pièces, comme on l'a toujours fait, au final. Mais si même "nous" devient un ennemi, alors il ne nous reste rien d'autre que l'insécurité. Le manque de confiance les uns envers les autres. On peut rien faire de ça.

Au-dessus de nous, le soleil brille bien haut et nous réchauffe. Ca a le mérite de m'éclairer un peu l'esprit en même temps que les paroles de l'initiée, qui tournent en boucle dans ma tête. Mon coeur bat plus fort, et je me sens plus léger. Compris, en fait. Pas moins coupable, mais au moins compris.

—... Je savais pas trop pourquoi je te disais ça, mais maintenant je comprends mieux. Merci. De croire en nous, et tout ça, je souris doucement en la détaillant à nouveau, après un instant de silence. On fera de notre mieux.

Inspiration.

—C'est marrant comme t'as un point de vue éclairé aha. Même aujourd'hui, on est plein à pas savoir penser de cette manière. Mais je crois que tant qu'on reconnait ses torts et qu'on fait en sorte de ne plus les reproduire, ça ira. On a le temps de reconstruire cette confiance. Et... Si quelque chose doit arriver à nouveau... On sera sûrement prêts, cette fois. Tous, à notre manière. J'espère juste qu'ils sauront nous laisser prendre les rênes. On est trop nombreux pour agir de manière désorganisée, je soupire.

Et surtout, ce serait dangereux.

—Mais c'est notre maison à tous. Alors... Ca ira. Je crois ? je ris à demi, un peu triste malgré tout.

Je n'ai pas envie de lui dire que, au final, nos pouvoirs peuvent nous quitter à n'importe quel moment. Il suffirait d'une nouvelle éclipse... Et là, nous ne pourrions rien faire. Ryu ou non, Hideko ou non.
Ce serait vraiment la pire chose qui soit.

Une inspiration. C'est difficile de tout retenir sans cesse, comme ça ; mais là, ça devient nécessaire. Il faut que je me calme ; je ne sais même pas si j'aurais dû lui parler de tout ça. Et en même temps, ça me pèse énormément. Alors je la remercie simplement ; parce qu'elle a pris le temps de m'écouter, et... Donner son avis, je trouve ça important. Au final, ça m'apaise. Merci à la petite fleur.

Pourquoi il faut toujours que ce soit des personnes random qui me rassurent de cette manière ? J'ai vraiment l'impression d'être une espèce de gros gamin... Et pourtant, j'suis papa, maintenant, hein... Un sourire s'étire sur mes lèvres. J'acquiesce. Tous ensemble, on peut faire mieux. C'est ce que je crois aussi.

—Je suis bien d'accord. Je l'espère, en tout cas, je ris, avant que mon rire ne s'étrangle dans ma gorge lorsqu'elle s'approche pour me faire un semblant de câlin.

Surpris, je tapote son dos doucement, puis souris en coin, sincèrement touché par ses mots. Mes yeux brillent vaguement, c'est tout doux.

—PapAaron ? Mais sérieux, je me marre. Arrêtez avec les surnoms du type...[/color]

En réalité, ça ne me dérange pas vraiment. Mon ton redevient plus taquin :

—Merci. J'préfère le café, cela dit.

Petit clin d'oeil alors qu'elle s'éloigne, je m'étire et regarde vers le ciel lumineux en plissant les yeux. Encore un sourire ; nous nous remettons en route. Blobby exaucera certainement tous nos souhaits, c'est clair !! Meilleur poisson, p'tain.

On avance tranquillement, à notre rythme, en parlant de choses et d'autres : je lui demande comment elle s'en sort avec ses pouvoirs, au final, et comment se passent ses entraînements avec Ys ; je ris sincèrement, amusé par la bonne humeur et surtout par la galère que ça doit être pour elle. Un peu content, aussi, qu'Ys remplisse bien son rôle de Master. Bah ouais, on s'est combattus pour son passage, pour moi c'est important qu'il fasse pas n'imp ! (En vrai c'est parce que je l'aime bien mais j'lui dirai jamais aha.)

Bientôt, nous arrivons jusqu'à la maison ; je la laisse enlever ses chaussures dans l'entrée le temps de faire sortir Lottie de la poussette, dans laquelle elle s'est endormie. Un coup d'oeil vers l'heure m'apprend que je peux parfaitement la mettre au lit pour une sieste ; autant la laisser tranquille, maintenant qu'elle est calme. Elle se réveille momentanément, le temps que je lui fasse un câlin et un bisou ; puis direction le lit. Je ressors à pas feutrés dans le couloir pour retrouver Lys, que j'ai abandonnée quelques minutes.

—Thé ou café ? je lui demande avec un plaisir, avant de l'entraîner vers le salon. Tiens. Maître Blobby est ici~ T'as pas oublié, hein ? Bonjour, on s'incline, et on attend...

Putain, j'crois que j'vais rire.