Depuis l'attentat, Ariana vogue comme dans un cauchemar. La Terre l'aidait à la canaliser, la stabiliser, la calmer ; c'était doux, et parfois, elle se retrouvait même à visiter les rêves et cauchemars des autres, par inadvertance. Elle retrouvait parfois ceux d'Allen, quelques étages au dessus, grâce à l'énergie de son cristal qui la guidait jusqu'à lui. Et puis maintenant, elle est sensitive, et elle doit gérer le stress, la peur, l'anxiété, sa dépression, et surtout sa colère et celle de tout le monde. Comment est-ce qu'elle est censée faire, au juste ?

La discussion avec Adé lui a permis de s'exprimer un peu, mais c'est surtout la dépression qui la guette, là. Du coup, elle se retrouve à chanter à tue-tête des titres un peu encourageants pour se donner un peu de motivation. Cette fois, c'est atelier couture tout en chantant Carry On en boucle. Elles durent longtemps, ses boucles, jugez pas, ça la détend ; dans une heure elle mettra p'tetre du Shakira pour la déter !!

Quelqu'un toque à la porte et Aria repose son travail en cours, une peluche-Mara qu'elle compte offrir à Zola, pour ouvrir. Elle a un sourire en voyant Elfie, mais sa mine un peu inquiète (enfin, surtout l'inquiétude et la gêne qui émane d'elle) le lui fait perdre assez vite.

—Oh salut Elfie ! Non tu déranges pas du tout, t'inquiète. Il se passe un truc ??

Si Ariana était inquiète des déclarations d'Elfie, au final, son visage se fige quelque peu lorsqu'elle entend ses explications. Son sourire revient, un peu fixe et forcé. Woah. Ok. Euh. Alors. Comment lui expliquer gentiment qu'elle a pas troooop trop envie d'en parler ? Putain, c'est bien sa veine ! Sa télépathie aurait pas pu garder ça pour elle ?!! L'ancienne rouquine se passe une main sur la nuque, lâchant un rire nerveux.

—Ohhh… C'est gentil Elfie, tu sais ! Merci ! Mais, euh, j'avoue que… Enfin, ça va aller…

Ok, sa gorge serrée et sa p'tite voix qui a décroché au milieu de la phrase est pas hyper crédible mais c'est le destin de ceux qui mentent, hein-

—Tu veux entrer ? Je, euh, préférerais qu'on parle pas de ça dans le couloir ?

Les joues de la rouquine se colorent de rouge, elle est vraiment trop gênée de parler de ça dans le couloir… Et mal à l'aise, aussi. Le coeur battant à tout rompre, elle a l'impression de sentir le sang pulser dans ses oreilles. La moitié du monde s'efface… Elle trottine dans sa chambre et manque de trébucher sur le coin de son tapis, qu'elle remet en place en se raclant la gorge.

Ariana se mordille la lèvre et regarde son amie, ne sachant que répondre.

—Non, c'est… C'est gentil, sourit-elle faiblement. Merci, vraiment. C'est juste, hm… C'est pas facile pour moi d'en parler.

Sa voix chevrote un peu, mais heureusement, Elfie devient invisible. La surprise la coupe dans son élan et lui provoque un demi rire.

—T'excuses pas, sourit Aria. Est-ce que tu veux du thé ? Je… Si on discute, je veux bien pouvoir m'occuper les mains.

Et surtout, que dire… Son coeur se serre rien qu'à cette pensée. Qu'est-ce qu'elle peut bien en dire, hein…? D'un geste vague de la main, elle désigne son lit, sa chaise de bureau, le tapis moelleux, enfin voilà.

—Installe-toi où tu veux !

Aria lance un sourire à son amie et s'affaire alors à remplir la bouilloire, la mettre à chauffer, et préparer tranquillement la théière… Elle prend son temps, comme si ça pouvait lui éviter de parler d'Allen un peu plus tard dans la conversation, mais elle sait que non…

La rouquine aux cheveux bleus sort ses tasses… Et manque d'en faire tomber une aux paroles d'Elfie. Ariana se tourne vers elle, le coeur battant un peu fort ; elle a un mince sourire qui se dessine sur ses lèvres, tout doucement… C'est gentil de sa part. Mais pourtant, Elfie, elle, ne semble pas… Enfin… Quelque chose de doux-amer s'échappe d'elle, et ça la perturbe. Elle veut enchaîner, mais Elfie reprend la parole. Elle cligne des yeux, pose les tasses.

—Oh, c'est, euh… C'est gentil ? bredouille Aria, très confuse, à la fois gênée et contente de voir Elfie essayer de la rassurer de cette manière, même si le ton est un peu... étrange. Tu es une amie importante pour moi aussi, tu sais !

Et elle lui sourit. Il y a des petits moments qu'elles partagent toujours et qui lui rendent le sourire, peu importe comment. Mais quelque part, cette phrase a quelque chose de perturbant, comme si elle allait lui annoncer une mauvaise nouvelle. Est-ce qu'elle craint qu'Aria ne se vexe si elle lui dit quelque chose …? Lui faire un reproche …? Elle ne comprend pas trop, et le silence qui suit a quelque chose d'un peu bizarre. Comment reprendre la discussion …? Ahhh… Elle n'est pas douée pour ça.

—E-et c'est pour ça que ça me fait plaisir que tu me demandes comment je vais !…

Elfie est invisible encore quelques secondes le temps qu'Ariana pose les tasses sur le bureau. Elle jette un coup d'oeil stressé à la théière. Il y a vraiment une ambiance bizarre qu'elle ne comprend pas, ce stress soudain, toutes ces choses étranges qui entre en résonance bizarrement avec elle. Un peu de peur. De désespoir… D'autres choses qu'elle ne comprend pas, ou ne veut pas comprendre. Mais elle se sent un peu envahie par ces émotions-là, et elle ne sait pas si elles lui appartiennent ou pas — elles appartiennent pourtant bien à Elfie.

Soudain, la jolie elfe semble se réveiller et se rend visible à nouveau… Ariana en profite pour servir le thé et lui apporter sa tasse, s'installant à côté de son amie avec la sienne.

—Attention, c'est chaud, sourit-elle faiblement… avant d'être coupée par les premières paroles d'Elfie.

Ses yeux s'écarquillent.

—Hein ? Mais bien sûr que si, pourquoi tu d-

Sa voix se bloque dans sa gorge alors qu'Elfie explicite. Des. Sentiments ? Des sentiments pour elle ? Quel genre de-… Ohlala, ohnoooooooooonnnnnnn, OHLALA MAIS, QUOi, mais, ALED, mais, OHLALA MAIS NOn-

Ariana garde les yeux grands ouverts quelques secondes, la bouche ouverte, en se demandant si elle peut s'arrêter de respirer, là, et si ça pouvait paradoxalement lui sauver la vie. Mais du coup, on sait que non, hein.

L'ancienne morphe referme la bouche, et essaie de rassembler tout son courage, et surtout enfermer toute sa panique-impro dans un coffre fort scellé à triple tour, parce que si ce que lui dit Elfie est vrai (et elle est pas sûûûre de dénicher autre chose que de la panique et de la sincérité chez elle donc ça craint) elle préfèrerait éviter de la blesser. C'est toujours son amie ! Et- OHLALA MAIS L'ANGOISSE ! Evidemment que le timing est pas bon !!! Pourquoi elle lui parle de sa rupture puis lui dit ça et- ahhhhh mais comment elle est censée réagir ?!

La poitrine de l'actuelle sensitive se comprime, alors qu'elle fixe le vide quelques secondes le temps d'essayer de réfléchir. Mais honnêtement, y a pas grand-chose qui lui vient. À part cette espèce de peur de la blesser, liée à la peur qu'Elfie ressent, et cette tristesse enfouie en elle-même et qui remonte alors qu'elle repense à Allen…

Allen..

Ariana inspire, essaie de sourire à son amie. Son amie. Qu'est-ce qu'elle est censée faire ?

—Elfie, c'est, euh-… Je- Je tiens à toi, d'accord ? Mais-

C'est trop tôt. Je peux pas entendre ce genre de paroles actuellement. Pourquoi est-ce qu'elle me parle de ses sentiments maintenant, après m'avoir parlé de ma rupture …? Parce que… Je suis plus avec Allen ?…

Comment est-ce qu'elle est censée gérer ça ? Avec ses émotions ? Avec celles d'Elfie ? Avec cette tristesse ? Avec cette peur ? Avec tout ça qui gonfle ?

Qu'est-ce que tu attends de moi ? Comment je peux faire pour pas te blesser ?…
Est-ce que ça te fait plaisir... que je sois plus avec Allen ?

Elle inspire. Elle baisse les yeux vers la couette, serrant maladroitement sa tasse brûlante entre ses mains…

—Désolée, je savais pas du tout que tu- je veux dire… Je suis toujours amoureuse d'Allen, lâche-t-elle soudainement, les larmes aux yeux tandis qu'elle les remonte vers Elfie. C'est peut-être bête de m'accrocher, mais-… Tu es mon amie, insiste-t-elle, la voix un peu cassée. Et je- c'est trop tôt pour moi, je suis désolée…

Elle n'arrive même plus à réfléchir.

C'est la cage thoracique complètement comprimée qu'Ariana assiste (et participe) au désastre de cette conversation. Le regard rempli d'incompréhension se transforme en peine, en confusion, en embarras. Elle essaie vraiment d'être le plus juste possible avec son amie, déjà parce qu'elle ne veut pas lui mentir, mais aussi parce qu'elle tient malgré tout à elle et son bonheur. Sauf qu'elle ne pourra pas la contenter à ce sujet, même et surtout pas si elle se force ; elle le sait.

Pourtant… pourtant, rien que de penser à tout ça, aux relations amoureuses, ça lui fait du mal. Tout la ramène à Allen, mais elle fait des efforts pour ne pas y penser. Pour être forte malgré tout. Alors quand les pensées s'invitent à nouveau, elles font mal…

Et la peine d'Elfie, cette culpabilité aussi, tout ça la traverse comme une flèche en plein coeur. Le souffle coupé, Ariana essaie de tendre la main vers elle.

—Mais non, Elfie, att-

Mais elle était déjà invisible. D'un coup, la porte s'ouvre toute seule, et le bruit de ses pas s'estompe dans le couloir. Elle tremble. Sourit. L'ampoule explose au dessus de sa tête. Quelques larmes coulent aussi. Elle n'a pas fait preuve de délicatesse, pour ce coup-là… Mais peut-être… Peut-être que le timing n'était pas bien choisi, en effet…

Elle inspire. Parvient à se lever pour claquer la porte. Puis elle pose violemment la tasse d'Elfie dans l'évier, manquant de la casser, dégage son attirail de couture qui finit à terre, et allume son dessin animé préféré sur sa télé pour se calmer, enfouie sous sa couette.

Comme quoi, ça devient habituel, tout ça...