Ai-je déjà évoqué le fait que Jérémy est confortable ? Non mais j'veux dire, pratiquement, confortable ? Bah du coup faut innover : Jérémy est une personne extrêmement agréable à utiliser comme coussin. Pas que parce que c'est mon mec j'vous jure, mais parce qu'il fait toujours tout attention à si on est bien sur lui, il est chaud - moins que Nico ok, mais still - et il sent bon. C'est pourquoi depuis quelques temps, que la pluie revient régulièrement, j'aime bien quand il vient chez moi et qu'on se cale pour lire, discuter, trainer sur internet ou mater une série. J'ai l'impression que tout est normal, et c'est génial, parce que je me dis juste ça. Que c'est normal.

Calée sur lui, et sur mon lit, je lis un bouquin de Terry Pratchett. C'est mon premier, c'est une des premières fois que je sors des classiques, et j'avoue que ça m'fait bien kiffer. C'est super qualitatif, j'me marre toute seule devant le bouquin des fois, et ça m'fait vraiment du bien. Pour une fois, c'est moi-même qui ai choisi un livre un peu au pif, en lisant des critiques ou quoi. J'ai encore quelques livres qu'Ipiu et Adé m'ont recommandé, et Alice m'en glisse parfois dans les mains aussi. Y a juste une p'tite musique en fond, le son est carrément pas fort, j'crois que c'est une OST d'anime mais lequel, aucune idée, c'que je sais c'est que c'est doux.

J'finis par me perdre entre deux lignes, et mes yeux dérivent dans le vide au dessus des pages. Je rêve un peu. Qu'est-ce qui va leur arriver ? Est-ce que j'aimerai que ça m'arrive ? Comment j'réagirai maintenant ? Qui j'emmènerai avec moi dans cette aventure ? Mes yeux se posent sur mon katana. Et je souris. J'crois que petit à petit, je fais la paix avec moi-même. Bon y a encore des choses que je me dis que je devrais pas accepter mais, clairement, ça va mieux qu'à une certaine période. Jérémy bouge un peu, et sa main posée sur mon ventre remonte vers mon plexus, il se recale tout en entier.

Mes yeux se posent sur son bracelet éponge. Il en a plein, il les change tous les jours parce que c'est plus propre, et je ne l'ai strictement jamais vu sans. Et pourtant on a prit des douches ensemble. Enfin. Ouais. C'est marrant ça. Enfin, non, parce que autant que ce soit un objet toujours le même que t'enlève jamais, c'est une chose, mais les changer tous les jours... Jérémy cache ses poignets. Je le sais depuis notre première rencontre, depuis qu'on s'est vus à la cafétéria, et ça s'est confirmé quand j'lui ai pété la gueule.

Oh d'ailleurs, il avait bloqué sur les miens de poignets. Je lève les yeux vers eux pour voir. Ah ouais. Mes cicatrices tiens. Ahaha. Bon souvenir ça. Eh j'les avais bien niqué sur ce coup-là. Mais Jérémy a planté dessus, et qu'il planque les siens... Il aurait des cicatrices ? Ma première sensation c'est d'être ultra vénère. Genre j'ai clarement envie d'aller péter la gueule à celui qui aurait pu l'faire. Et puis je m'rappelle que Jérémy a pas toujours été aussi incroyable - pour ça qu'il l'est d'autant plus à mes yeux. Il a même été une belle merde, alors peut être que c'étiat souhaitable. Je viens doucement caresser son bras, avant de m'arrêter sur le haut de son poignet, côté extérieur.

Je joue un peu avec la matière, sans pour autant faire bouger le bracelet. Je ne fais clairement jamais ça. Je ne dis rien, pour l'instant, je signifie juste que mon attention est porté là-dessus.

Quand il était seul, il avait beaucoup de mal à croire qu'il sortait avec Elwynn. Et puis il la voyait, puis il ne doutait plus. Il ne voyait plus le temps passer avec elle, s'il pouvait y rester toute une journée, à la fin, lorsqu'il devait rentrer, il ne pouvait s'empêcher d'être un peu triste... Il pensait à Charlotte, donc le chemin du retour à la maison Williams le mettait moins en peine, mais Dieu sait qu'il aurait voulu rester un peu plus longtemps avec Elwynn. Ils s'entraînent toujours, font des soirées parfois, mais rien n'égalaient les après-midis comme celui-là. Le clapotis de la pluie automnale se fait entendre de la fenêtre de la chambre d'Elwynn... Il est assis sur le lit. Elle est assise sur lui. Confortablement installée, elle lit sagement un livre et laisse parfois échapper des souffles, des rires, des grognements quand elle est emportée dans l'histoire.

Jérémy adore ces moments-là ; il la sentait bouger de manière infime contre lui, en sécurité, il quittait parfois des yeux ses propres révisions de diététique pour observer brièvement les expressions de la tigresse avant de se replacer en ne retenant pas son sourire. Puis il bouge un peu, remet son épaule un peu plus droite pour reprendre la lecture de son carnet de notes... Sa main glisse sur le ventre d'Elwynn, peau contre peau, son pouce glisse lentement pour simple caresse.

Il ne pouvait pas vraiment décrire ce qu'il ressentait lorsqu'ils étaient comme ça. C'est pas quelque chose qu'il a connu avant, c'est pas quelque chose qu'il avait envisagé, qu'il se soit caché un tel désir ou non importait peu. Mais il était bienheureux quand elle était au creux de lui, et c'était tout ce qui comptait ; ce qui aurait pu, ce qui est et ce qui sera demain importaient peu. L'instant présent n'a jamais été aussi délicieux, paisible,... Et puis Elwynn touche mes poignets.

Je me tends, un frisson me parcourt mais je ne réagis pas violemment. Si l'idée qu'on me retire mes bracelets me plonge dans une angoisse terrible et me mets mal à l'aise, je ne bouge pas. On lui fait confiance. Parce qu'Elwynn n'est pas bête, elle m'a déjà vu entièrement nu à l'exception de ces maudits bracelets que je me traîne... Elle n'a jamais cherché à les retirer. Et je sais bien qu'elle ne cherchera jamais à le faire. C'est ancré en moi si fort que c'en est presque viscéral...

Mais au lieu de faire autre chose, elle y reste. Je sens ses doigts à travers la matière... Je sens mes cicatrices, comme des cratères en pleine éruption, qui me brûlent. Je déglutis légèrement et je pose mon regard dans le sien. Je réalise que mon regard doit être étrange, un moment ; je suis pas vraiment dans mon état normal, mais pas vraiment comme lorsque j'étais le Chasseur non plus, c'était différent, plus doux.

Jérémy ferme brièvement les yeux pour faire disparaître cette sensation avant de les rouvrir. Souvent, il ne comprenait pas du tout ce que voulait Elwynn... Parfois, il le comprenait trop bien. :

-Hm. lâche-t-il feignant avoir été distrait.

Il pose son carnet de notes pour pouvoir prendre la main caressant son poignet. Il l'amène doucement à ses lèvres, peut-être pour qu'elle n'y pense plus, peut-être pour qu'il n'y pense plus, et y dépose quelques baisers. Sa voix est presque un murmure. :

-Tu ne lis plus ?

Jérémy n'a pas vraiment l'espoir qu'elle passe à autre chose ; quand Elwynn veut savoir, elle saura. Elle respectera qu'il ne veuille pas en parler, mais elle ne restera jamais silencieuse face à un poids qu'une personne qu'elle aime de tout son cœur porte seul.

Jérémy se tend. Je connaissais cette réaction, mais je n'insiste jamais. Je sens que la tension ne s'en va pas, même s'il ne bouge. En fait, surtout parce qu'il ne bouge pas. J'sens que j'entre dans quelque chose de sérieux. Ca m'fait pas peur malgré tout, il peut toujours me dire qu'il a pas envie de me répondre, et je respecterai complètement ça. Des fois y a des choses qui prennent plus de choses que d'autres. J'attends, de la même façon que j'attendais quand il devait dire les bonnes choses quand il apprenait les autres.

Il gémit un peu, je tourne la tête vers lui. Il fait mine d'être un peu sorti de son monde. Ca fait un moment que j't'en ai sorti chaton hein. Il embrasser ma main, mes doigts, je caresse sa joue avec mon index, passe mon pouce sous ses lèvres. Je ne décroche pas mon regard de son visage, je ne souris pas, mais j'aime ce moment. C'est tout doux, de pouvoir toucher son visage et c'est tout. Il me demande le plus innocemment du monde si je ne lis plus.

J'ai un sourire naissant, et je ris un peu. Je fais non de la tête.

J'étais dans mes rêves.

Je baisse mes yeux de nouveau vers mon livre, et le ferme, glissant mon marque-page à l'intérieur. Je pose le livre à côté de nous, et tourne la tête vers lui, le regard dans le vide. C'est rare que je me permette d'être aussi tranquille. Jérémy devrait avoir l'habitude, parce que je le fais vraiment souvent avec lui. Je souffle.

T'es bête des fois. Mais j'suis pareille, des fois.

Je lève les yeux vers lui, je souris doucement.

Pourquoi tu caches tes poignets Chatteur ?

Pourquoi tu les caches toujours, tout le temps. Pourquoi je ne les ai jamais vu ? Qu'est-ce qui t'es arrivé de suffisamment grave pour que tu ne veuilles plus les montrer. C'est sûrement pas un truc drôle, c'est sûrement un truc horrible, un truc dont il a eu honte quand il était censé être fier de son image, un truc encore plus dur à accepter quand il essaie de reconquérir sa confiance en lui. Je suis pas là pour te juger mon chat. Jamais.

Elwynn caresse sa joue, son pouce sur ses lèvres fines ; c'est si tendre qu'il se détend un peu. Les yeux verts dans les siens, elle dit qu'elle était dans ses rêves... Jérémy sourit un peu avant de laisser un dernier baiser dans le creux de sa paume. De quoi rêvait-elle exactement ?... Il n'est pas sûr que ce soit une chose à savoir, pourtant sa curiosité le titillait. Mais comme toujours... Parce qu'il voulait tout prévoir, il voulait prendre soin d'elle. Il savait que ce n'était pas une bonne idée, mais il ne pouvait pas s'empêcher d'y penser parfois. Elle était dans ses rêves... Est-ce qu'il lui montrait ses poignets ? Est-ce qu'il s'enfuyait ?...

Elle lui dit qu'il est bête. Elle lui dit qu'elle est bête. :

-Oui.

Il le dit l'air sérieux, même s'il ne le pense pas un instant, c'est pour ça qu'il ne tient pas son expression hautaine une seconde. Il sourit, lâche même un rire très bref... Elwynn sourit aussi et finit par poser la question qu'il redoutait. Il ne perd pas son sourire toutefois. :

-Je n'aime pas ce qu'il y a dessus.

Silence. Silence qu'il brise rapidement d'un soupir. Tu sais PERTINEMMENT que ça ne va pas lui suffire. Je sais, je sais... Il ne pouvait pas en rester là. Non, correction, il ne voulait pas en rester là. C'était quelque chose qu'il haïssait, qui le brisait à chaque fois qu'il y pensait, chaque fois qu'il se regardait dans le miroir maintenant qu'il n'avait plus sa carapace d'orgueil pour le protéger de son propre dégoût... C'était quelque chose qui le terrifiait, de perdre ce qu'il avait appris, compris, l'amitié de la Cool Patrol, la fierté de Ronron, l'amour d'Elwynn... C'était pas faute d'avoir essayé de comprendre pourquoi. C'était pas faute d'avoir essayé de dompter cette peur, au moins observer cet animal sauvage qui est resté en soi... Mais le Seigneur a fait les hommes si impuissants face à eux-mêmes...

Délicatement, il serre Elwynn dans ses bras. Juste un peu. Plonger son nez cassé dans ses cheveux roux pour sentir son parfum. Sentir la chair musclée de ses épaules sous ses mains. Avoir son souffle contre son torse. Il la recule, commence à mordre un peu sa lèvre et s'empare des main d'Elwynn, une dans chacune des siennes. :

-Je suis droitier.

...C'est une information pertinente, laissez-le finir. Sa main droite serre de manière assez normale celle qu'il tient. Sa main gauche, elle, tente de faire la même chose, en même temps. Son pouce ne bouge qu'à peine et ses autres doigts tremblent dès qu'il tente de les garder fermer trop longtemps. Il sait bien qu'elle avait déjà remarqué ce point faible lorsqu'ils se battaient un peu plus sérieusement. Elle se plaçait de façon à ce qu'il soit obligé d'utiliser le côté gauche de son corps, ce qui était peu fructueux puisqu'il avait décidé de l'abandonner il y a des années à cause de ce défaut qu'il devait cacher.

Il lâche ses mains... Voit le livre qu'elle a posé sur le lit. :

-C'est aussi ça que-...

Faut pas laisser un bouquin comme ça, on va l'abîmer. Il se lève, le dépose avec son carnet de note sur la table de chevet. Il se redresse, constate que la couette a été défaite dans son mouvement. :

-...-je cache... et euh...

Faut que je range. La respiration de Jérémy accélère un peu... Il passe ses mains sur la couette pour l’aplanir. Quand c'est fait, il les regarde... Elles tremblent. Comme un camé aurait besoin d'une dose, comme un malade... D'un coup bien droit, il regarde autour de lui. :

-Je. Vais me laver les mains.

Il y va, mécaniquement, aussi tendu qu'une arbalète prête à tirer. Il y a un fond de vaisselle dans l'évier ; les tasses de thé qu'ils ont bu avant leur petite séance de lecture... Machinalement, sans y penser, il a pris l'éponge.

Il est bête ahaha il répond oui très sérieusement et on rigole un peu. Baka. J'aime quand il fait ça. Ca m'empêche pas de poser ma question, de vouloir savoir. Il me répond simplement qu'il y a des choses qu'il n'aime pas dessus. Fair enough, j'planque plus mes cicatrices mais j'ai quand même un tatouage entier pour en cacher certaines, comment je pourrai lui reprocher de vouloir planquer quelque chose sur son corps. Jamais.

Je me contente de cette réponse, mais apparemment, Jérémy veut en dire plus. Ok. C'est cool de sa part, pour moi, pour lui aussi probablement. Il me serre dans ses bras, je lui rend la pareil, presse doucement son bras contre moi, tourne la tête vers lui, et respire profondément. Puis il me relâche et s'écarte, me tourne un peu. Je me cale en tailleur à ses côtés. Il attrape mes mains et il me dit qu'il est droitier, en pressant mes mains. Je sais. Qu'il est droitier, qu'il a cette sorte de faiblesse au côté gauche, que la pression n'est pas la même, alors que la force de son bras est tout à fait normal, je sais que c'est lié au poignet parce que je force dessus quand j'veux le pousser dans ses retranchements, ou quand je dois absolument user de ses faiblesses alors qu'il apprend à me maitriser moi. La moindre de ses failles physiques est évidente pour moi maintenant. Ca doit être assez réciproque d'ailleurs. Parce que je lui ai dit les miennes. Pas d'où elles viennent par contre. Et puis j'imagine que cette faille à lui n'est pas que physique.

Son regard se pose autre part. Il fixe quelque chose ; c'est mon livre. Ah. Il est en train de fixer mon livre, finit par le prendre et le pose sur la table de chevet. Jérémy ? Je sais qu'il a du mal avec certains sujets, et qu'il a besoin de s'occuper. Toutes les fois où on a parlé de trucs comme ça il buvait ou faisait la cuisine. Ou alors on était nus en pleine nuit tout calés.

Il galère, à parler à focus. A savoir quoi faire. Il respire plus vite, ça déraille, il me lâche les mains et il s'en va pour se laver les mains. C'est comme s'il avait coupé un fil invisible. Le moment ensemble, le contact physique, le calme, la confiance. Le lien est coupé, oui. Et la musique a changé, elle est moins calme, plus mélancolique. Je le regarde aller vers l'évier et commencer à faire la vaisselle. Après l'effet de surprise, je me lève, éteint la musique. J'ai grandi, je n'aurai jamais réagit aussi calmement quelques mois auparavant. Merci Asb.

Je vais vers lui, pose ma main sur le creu de ses reins, mon front contre son dos. Mes yeux restent ouverts, à l'affut du moindre mouvement, la moindre tension.

Jérémy, si tu ne veux pas en parler, tu peux me le dire.

Ma main remonte dans son dos, douce.

Et si tu veux en parler, tu peux. Rappelle-toi que tout va bien ici. T'as beau avoir été et vécu beaucoup de choses avant, t'es là maintenant, et ça ne changera pas.

J'vais pas te virer de ma chambre, me moquer de toi, te déconsidérer, avoir de l'emprise sur toi, te rejeter, te hurler dessus, ou aller le dire à tout le monde. Jamais. Au pire, j'm'en battrai les couilles, et j'te ferai un thé.

C'est maladif. Dès qu'il perd le contrôle de lui-même, il faut qu'il contrôle le reste. Ce qu'il connaît. Quand son père fou de douleurs et complètement alcoolisé le battait, quand il rentrait à la maison après avoir échoué dans une mission, quand il savait que sa position était tellement en danger qu'il risquait de perdre ses privilèges, sa famille, ce qu'il lui restait... La maison dans un état de squat constant, la cuisine qu'il fallait préparer pour se nourrir et nourrir Laurent, la simplicité d'une tâche quotidienne. Et moi je le regardais. Je n'ai jamais eu aucun impact là-dessus ; agir ou rester immobile, aggraver les choses dans tous les cas. C'est comme si Jérémy avait cet instinct, bien au fond de lui, que la brutalité animale qu'il avait ne serait d'aucun secours dans cette situation. Il fallait réfléchir. Alors je le regardais. C'est tout. Ce n'était clairement pas à moi de faire quoi que ce soit, de toute façon je comprenais à peine ce qui le tracassait... J'étais trop lucide, j'avais trop de recul sur ça pour juger ce torrent qui l'embrasait.

Mais entre toute ces choses qui luttaient en lui, un regard extérieur bascule tout cet équilibre précaire... sans doute pour le mieux, pensais-je.

Quand il sentit la main d'Elwynn dans son dos, il tressaillit mais ne s'arrêta pas un seul instant de récurer cette tasse infernale... Elle glissait dans ses mains tremblantes. La Morphe parlait doucement, dans son ton comme dans ses mots. Elle ne le forçait pas à parler. Elle lui rappela qu'il était là et que ça ne changerait pas. Il ne la perdra pas. Sa mâchoire se serre... Ses mains lâche la tasse enfin propre... Il coupe l'eau. Il s'appuie au bord de l'évier, le corps un peu en avant... Je commence seulement à réaliser ce qu'il est en train de se passer. :

-Je veux en parler.

Parfois, il en a marre de trop penser. Il est fatigué de savoir qu'il est dans le faux. Mais l'instant d'après, il se corrige, pas pour paraître bien, pour manipuler le monde autour de lui. Il s'est vraiment attaché à ces gens et à leur sourire. Et son monde silencieux était soudain habité de rire qu'il arrivait à faire naître et qui le rendait heureux, lui qui détestait le bruit. Ça pourrait suffire s'il ne se détestait pas autant, s'il trouvait enfin la paix. ...Comment corriger des années de souffrances d'un coup ? En parler. Au moins. Essayer. Avancer, ne pas rester immobile. :

-J'étais un garçon obéissant, sage et calme. Très. Calme.

Ne pas rester immobile et pourtant... il n'a pas bougé d'un pouce. Statufié. :

-J'étais dans la voiture avec ma mère et mon père lors de l'accident. Elle a couvert mes yeux pour ne pas que je la vois écrasée par le tableau de bord... Ils m'ont demandé de fermer les yeux.  J'ai obéit. Je sais pas combien de temps on est resté dans la voiture, mais j'ai entendu la voix paniquée de ma mère, mon père en train de s'énerver et tenter de se sortir de là pour venir me déloger ensuite. Je suis resté sage et j'ai attendu les yeux fermés. Mon père m'a déposé un peu plus loin, au bord de la route... Il faisait si froid dehors mais quand la voiture a explosé, j'ai senti la chaleur des flammes qui me dévoraient le visage... et ma mère qui était encore à l'intérieur. Mais je n'ai pas crié, je n'ai pas bougé. Je suis resté... Très. Calme.

Long silence assourdissant. Jérémy avait chaud. :

-Personne ne me croirait je pense, mais avant, c'était moi le gamin bizarre. J'étais seul pendant les récréations parce que je détestais le bruit, les cris des gamins,... Je préférais lire ou écouter les adultes parler, même quand je ne comprenais rien. Et la seule personne qui me comprenait, c'était ma mère. Je n'avais aucun retard linguistique, je n'avais juste aucune envie de parler pour rien dire. Bien sûr que je jouais souvent, mais je m'amusais mieux tout seul. Bien sûr que non j'avais pas besoin de jouer au foot si j'en avais pas envie, ça faisait pas de moi un attardé. Dieu lui avait donné un petit garçon, c'était tout ce qui comptait... Elle était si belle si tu savais... si seulement j'avais hérité de ça, de sa mentalité si admirable.

Et puis d'un coup j'ai plus rien. On me retire ma mère mais en plus on l'enterre avec ce maquillage horrible et ces cheveux qui ne la ressemblent pas ! Ce n'était pas normal ! Elle était encore partout dans la maison, l'odeur de la lessive et des objets qu'on a fabriqué ensemble... J'avais cinq ans Elwynn... j'avais cinq ans... Je n'arrivais plus à être... calme.

Pourquoi c'est si dur d'avouer qu'on a été si faible alors que c'est si normal ? Jamais il ne demanderait à Charlotte de vivre ça... Mais il était Jérémy, il était un champion. Souffrir était pour les faibles. :

-Et le Seigneur est miséricordieux. Il pardonne. Est-ce qu'il me pardonnerait ? Je voulais juste la voir une dernière fois, la vraie elle... je voulais juste... qu'on arrête de me demander d'être obéissant et sage et CALME !... je voulais-

Je voulais mourir.

Soudain des spasmes secouent sa cage thoracique et sans prévenir, des larmes s'écrasent dans l'évier. Ça n'a rien à voir avec les larmes qui lui ont échappé lorsqu'il a failli s'en prendre à Nicolas, ce n'est pas ce genre de tristesse qui l'accable d'un coup. Ce sont des années à se retenir de pleurer dans le noir parce qu'il s'est séparé de son doudou pour être fort. Ce sont des années à se retenir de pleurer à chaque fois qu'il sentait l'amertume et la ceinture de son père s'abattre sur son torse. Ce sont des années à s'interdire la moindre PETITE faiblesse. Les jours où il s'est fait violé, les jours où il a violé, les jours où il a failli mourir, les jours où il a tué. Il sent son sang bouillir en lui, il s'entend gémir, il sait combien ses putains de mains tremblent de douleurs à tenter de s'accrocher à l'évier. :

-Vous aviez toujours raison. réussit-il à cracher entre deux hoquets de chagrin. J'ai jamais été fort, j'ai jamais été courageux... je voulais juste crever. J'me suis planté le couteau de cuisine dans les poignets, profondément, plusieurs fois, à m'en niquer les tendons et les nerfs histoire de pas me louper. Et mon père m'a sauvé. Il m'a dit de jamais le montrer, jamais laisser voir les autres qu'on est plus bas que terre... car on va tous y finir de toute façon. Mes premiers bracelets-éponges ont cicatrisé avec la chair et je suis resté des mois avec des plaies purulentes, sans soins. C'était ma punition.

Et dans cette marée de larmes, il contrôlait encore tout. De son flux de paroles aux mots qu'il utilisait. De cette vie où il n'a apprit que ça ; tout devait entrer dans la case dans laquelle il était, dans la place qu'il s'était choisi. Que ce soit Jérémy-du-con, Mymy, le Chasseur... ou quoi que ce soit d'autre.


HRP : OK maintenant que j'ai pleuré toutes les larmes de mon corps je peux aller dormir. Merci Jérémy pour cette insomnie.

J'ai versé une p'tite larme, la suite arrive allez hein.


J'ai même pas le temps de penser que j'aime pas quand il fait ça, que ça m'fait un peu flipper parce que les gens qui veulent tout contrôler ont détruit ma vie, que ça m'fait mal de le voir comme ça ou même que j'déteste quand les gens perdent le contrôle. Mais premièrement, j'suis qui pour le lui reprocher, t'sais j'suis pire. Et surtout, je m'occupe d'abord de vouloir l'aider à se calmer, ou à dire ce qu'il a dire, enfin être à et l'aider à pas rester coincer quoi. C'est ça le plus important là tout de suite.

Il tressaille quand je le touche mais jamais ne s'arrête. C'est comme si, même en étant bousculé par un taureau, il ne se permettrait pas d'arrêter de laver cette tasse probablement déjà très propre là tout de suite. Il se crispe tout entier quand je lui dis qu'il peut en parler. Pendant un instant j'ai peur d'avoir mal fait, j'me retrouve face à mes propres insécurités de merde qui consiste à pas savoir aider les gens quand ils veulent parler. Ah, recevoir des coups et gérer la colère violente ça j'sais faire mais dès qu'on est sur de la tristesse ptdr y a plus personne.

On s'en fout bordel c'est Jérém' qui compte là. Et il veut en parler. Alors j'attends, sans rien dire, toujours derrière lui. L'atmosphère s'alourdi comme jamais. Il commence. Il était un petit garçon, exemplaire, sage. Déjà, il a été un petit garçon. C'est cool. Mais apparemment. C'était pas la joie. Et il parle de sa mère. Je savais seulement qu'elle était morte dans un accident de voiture, et que Jérémy était par là, je savais pour la couleur rousse, mais je n'avais pas eu l'aperçu d'autant de douleur. Et quelle douleur. Elle me prend au ventre, et j'essaie de ne pas me sentir trop empathique.

Il était si sage. J'imagine un petit Jérémy, blond comme un ange, sa maman, une vraie maman, brûler dans une voiture, et petit Jérémy garder ses yeux fermés, rester calme, alors que même pour un enfant, la situation est compréhensible. Ca, ça brise. Jérémy respire pas normalement, il reste appuyé sur l'évier, et moi je ne dis rien, j'attends que tout se déverse. Tout le monde te croirait Jérémy, si tu nous disais que tu étais l'enfant bizarre, déjà trop sage et trop calme, trop prévoyant pour s'entendre avec les autres. Tout le monde. Et je suis désolée que seule ta mère soit partie alors qu'elle était aussi la seule à être là pour toi, réellement. Un léger rire nerveux, très bref, m'échappe quand il me dit être triste de ne pas avoir hérité de sa mentalité. Jérémy...

Ensuite c'est le Vide. On aurait dû venir le chercher à 5 ans, il aurait dû être amené ici et avoir une vie paisible, et ne pas traverser toutes ces choses horribles, ne pas devenir aussi horribles. Petit Jérémy dans une maison qui était celle de sa mère a perdu tous ses repères. Et il n'est plus calme, quoi de plus normal Jérémy.

Je voulais mourir.

Ouuuuh. Ce coup de poignard dans les entrailles, ça fait pas du bien Jérém'. Aouch. Quand je vous dis. Diamétralement opposés, et pourtant si proches. J'ai toujours voulu survivre. Ni lui ni moi ne vivions vraiment, mais chacun avait un but opposé. Et ça fait mal. Jérémy d'un coup se secoue. Je m'écarte un peu et met du temps à comprendre qu'il pleure. Je ne l'ai vu pleurer qu'une fois me semble-t-il. Et c'était... pas du tout comme ça. Je laisse ma main dans son dos mais je viens me placer à côté de lui, cherchant son regard. Je crois que j'ai l'air réellement inquiète, mais je veux qu'il termine avant toute chose. Il s'accroche à l'évier comme à une dernière chance, il pleure et son visage est tendu par toutes les émotions qui le traverse. Les fameux 20 ans de sentiments, on connait on connait. Putain pourquoi j'suis toujours obligée de dédramatiser par les vannes.

Jérémy a voulu mourir si fort qu'à 5 ans, il s'est planté un couteau de cuisine pour disparaitre. Et son père l'a sauvé. L'a probablement bien engueulé. Puisqu'il ne l'a pas soigné par la suite. On y reviendra plus tard, mais belle ordure aussi.

Je pose ma main sur l'avant bras de Jérémy, l'entoure avec douceur, et pourtant fermement le fait lâcher l'évier au moins avec cette main. C'est pas beau à voir, il pleure fort, ça fait mal, ça m'donne envie de pleurer aussi, mais je reprends mon calme, je vire mes émotions au creu de moi.

Ok, merci, de me dire tout ça.

Je garde ma main sur son bras, et je le regarde bien en face en parlant, mais je n'ai pas de sourire, je ne le touche pas plus. J'suis Elwynn qui sait pas parler mais qui essaie quoi.

Personne ne devrait t'en vouloir de ne plus avoir été calme après tout ça Jérémy. Même pas toi. Personne ne devrait en vouloir à un enfant de 5 ans de ne plus savoir quoi faire après avoir perdu le seul repère qu'il avait. Et personne ne devrait t'en vouloir d'avoir voulu mourir. Tu entends ça ? Personne.

Et j'pète la gueule au premier qui dira le contraire. Et croyez-moi j'ai pas peur d'aller trouver Dieu pour lui péter les genoux si c'est pour que Jérémy se sente mieux. J'crois que j'ai serré son bras un peu plus fort. Je desserre, et puis mon autre main passe sur sa joue trempée, mon pouce vient le caresser doucement. J'attire son visage vers moi. Il est immense, aussi proche, et pourtant si petit tant on l'a brisé. J'ai un très très léger sourire. C'est un vrai, c'est pas un pour rassurer, parce que j'm'en rends même pas compte.

J'suis nulle pour réconforter. Mais moi j'te crois quand tu m'dis que t'étais sage et calme. Parce que tu l'es toujours Jérémy. Et j'suis sûre que tu l'as toujours été, même si tu l'as toujours utilisé de façon louable. Et puis non, t'étais pas courageux, t'étais pas fort, t'étais peut être même une sale merde, tu l'as été à un moment ouais. Mais regarde-toi maintenant, juste 30 secondes Jérémy. Regarde. Où t'as commencé. Et ce à quoi t'as fait face pour arriver là. Majoritairement toi et tes conneries, et crois-moi, il en faut de la force et du courage pour en arriver là. Se faire face, surtout si tu te détestes autant, c'est du courage.

Et t'as pas faible parce que tu pleures, pas faible parce que t'as voulu mourir, pas faible parce que t'as plus été calme, pas faible non plus parce que tu galères à en parler, pas faible parce que tu cherches encore à tout contrôler, pas faible parce que tu cherches des repères.

J'comprends que tu veuilles pas voir ou montrer tes poignets. C'est complètement logique. Y a des choses avec lesquelles on aura jamais la paix. Mais te laisse pas bouffer par des personnes qui ont même pas essayé de te comprendre, même si c'est toi. Te laisse pas emporter par des gens qui en ont rien à foutre de toi et qui veulent t'imposer quelque chose que tu veux pas.

Est-ce que je suis en train de dire que son père aurait dû le laisser crever ? Totalement. Salut. Mais son père aurait aussi peut être dû le soutenir, ça aide un peu, en général, au pif. Connard de merde.

Si t'es plus bas que terre, j'en ai rien à foutre Jérémy. J'viendrai t'aider à sortir de là, j'serai pas la seule d'ailleurs. On s'en fiche que tu sois faible, en fait, c'est même rassurant un peu des fois, parce que t'imagine, si j'étais la seule de nous deux à pleurer et à m'poser des questions, à avoir peur ? C'est pas intéressant chaton. C'est rassurant que tu sois humain Jérémy. Et on t'aime même quand tu peux être un peu plus faible. Parfois c'est courageux d'être faible. De savoir l'être.

Te laisse pas avoir par des paroles à la con qu'on t'a répété toute ta vie, j'sais à quel point c'est de la merde. Tu l'sais aussi, au fond, non ?

Elle se serait arrêté à la première phrase que ça aurait été suffisant. A ce simple "ok" et "merci" et Jérémy se serait déjà senti soulagé... Parce qu'il ne les a jamais eu avant, parce qu'il n'y a pas de place à tout ce qu'il vient de dire dans son ancienne vie ; sa faiblesse, son chagrin, ses remords... Il ne devait rien avoir de tout ça et devait s’imprégner jusque dans ses actes, ses pensées qu'il était au-dessus, chez lui et chez les autres. Mais non. "Ok". "Merci". Ce doit être tellement rien pour d'autres mais à ses yeux c'était tellement tout. Une main sur son bras. Il la regarde, une main si abîmée, mais pourtant si douce. Caleuse et chaude, toute délicate et pourtant si meurtrière. Et il respire. C'est comme si le désespoir éclatait en pleins de petits morceaux en lui, des pâtes de fruit multicolores aux goûts différents. Elle le regarde droit dans les yeux avec cette sincérité qui le désarme, même si elle ne sait pas si elle dit bien, si elle fait bien, elle sait simplement que c'est pas normal et pas juste. Sinon elle ne dirait rien de tout ça. Et cet honneur, et cet amour qui le bouleverse et renverse la vapeur. Parce qu'il la croit de toute son âme...

Mais elle continue. Il la croit. Personne ne devrait remettre en doute la douleur d'un suicidaire... Parce que chacun sa souffrance, chacun ses peines gardées au fond de soi... Surtout si elle ne sont qu'au fond de soi. A crier dans le Vide, celui qui aime le silence. De son autre main, elle amène son visage près du sien. Il ferme les yeux et s'abaisse, rencontre son front et capte la sa fraîcheur par rapport à lui... Il a pas l'habitude d'être aussi bouillant... est-il fiévreux ? Et la question s'efface, s'en va, s'éloigne au loin comme une barque sur l'horizon de l'océan. Il respire profondément. Elle le rassure, lui rappelle à quel point il a grandi, à quel point il a changé... L'amertume lui serre la gorge... Mais jamais Elwynn ne s'arrête. Elle comprend qu'il ne veuille pas montrer ses poignets, elle comprend si fort... Et elle veut lui faire comprendre qu'il n'a pas à montrer ça aux autres pour leur faire réaliser à quel point il souffre. Imposer, comme il le faisait avant, ce n'était sain pour personne, ni pour eux, ni pour lui. Il hoche la tête tout doucement, son front toujours contre celui de la Morphe. Oui, il aurait dû mourir il y a des années de ça... Mais putain qu'il est heureux d'avoir survécu rien que pour elle...

Cependant, peu importe à quel point il creuse sa tombe, mentalement, physiquement, autrement. Elwynn allait le chercher par la peau du fion s'il le fallait. Et pas pour sauver les apparences, comme Laurent son père, mais juste parce qu'elle l'aime. Et il le ressent dans chacun de ses mots, dans chacun de ses gestes... A lui qui se mentait si souvent... Les mains de Jérémy vont chercher les joues d'Elwynn et il ouvre ses yeux d'or encore mouillés. Il glisse son pouce sur les tâches de rousseur qu'il haïssait il y a si longtemps avec toute la tendresse qu'il lui était possible de réunir. Que pouvait-il dire après tout ça ? Il n'y avait rien qui pouvait résumer ce qu'il ressentait maintenant... Sauvé, péché des tréfonds des abîmes océaniques... Ou bien l'inverse, elle l'emportait dans sa maison d'Eau chaude pour le protéger... Oui. Comme ça. :

-Je t'aime.

Ils ne le disent pas souvent mais putain que c'est important à chaque fois qu'ils le font.

Il la laisse essuyer ses larmes, il veut l'embrasser et parler tout à la fois... C'est là qu'être Télépathe ou Sensitif doit être utile en vrai... Alors à défaut de mots, il la rapproche au creux de lui, comme d'habitude, pour qu'elle s'accroche contre son cœur, pour la sentir vivre entres ses bras et de délecter de la moindre inspiration. Se rendre compte qu'il est vivant, égoïste. Mais il sourit. :

-Ma mère... Elle s'appelait Virginie... Tu crois qu'elle serait fière de moi ?

Dit-il comme un gamin qui a besoin d'être rassuré. :

-Tu es fière de moi ?

Dit-il comme un homme incapable d'être fier de lui.

Jérémy m'écoute. En vrai j'ai peur. J'ai peur qu'il pète encore plus un câble. J'ai pas peur qu'il se mette à devenir violent, déjà ça me traverse même pas l'esprit, mais j'aurai même pas peur, c'est la seule réaction que je sais gérer. Non j'ai peur qu'il pleure encore plus, pire qu'il arrête de me parler, qu'il se renferme, j'ai peur qu'il se fasse mal, à la tête, au coeur ou au corps. J'ai peur qu'il arrête de m'écouter alors que j'aimerai que mes mots le soigne. J'suis prétentieuse de le vouloir, mais j'vous jure j'en ai plus rien à foutre. Comme pour Asbjorn lorsqu'il a fondu en larme devant moi, s'ouvrant à moi, avec toutes ses faiblesses, sans son sourire pour masque, j'étais prête à tuer le monde entier pour lui, prête à devenir une sainte ou à remplacer Dieu, prête à n'importe quoi. Tout pareil pour Jérémy.

Il arrête de se complaindre. Il arrête aussi d'avoir ses traits tendus et souffrants. Il m'écoute si fort, et j'veux pas m'arrêter, j'te lâcherai pas Jérémy. Ni de mes mains, ni des yeux, ni de rien de tout. J'te soignerai avec mes mots, ou mes poings, ou avec du thé mais j'le ferai, j'y arriverai, un jour tu te sentiras bien, tu pleureras plus en pensant à qui t'étais, tu seras toi et tu seras heureux. Avec ou sans moi, j'm'en fous, mais j'ferai tout mon possible pour que ce soit le cas. Il ferme les yeux, ses larmes se sont arrêtées, il ne tremble presque plus. Son front se pose sur le mien, je continue de le fixer, je cherche le moindre signe de malaise. Je m'arrête. Il rouvre les yeux, j'essuie ses larmes, pas parce que je ne veux plus les voir, mais parce que le chagrin est fini, ça va mieux, c'est sorti, et c'est mieux dehors.

Il me dévore des yeux. J'peux pas m'empêcher de sentir mon ventre se nouer quand il est proche comme ça, que je peux le sentir. Il est entier, il ne cache rien, il est Jérémy. Et il m'aime. Ca remonte dans mon coeur, ça descends dans mon bas ventre. Ah bah ouais désolée mec t'as choisis une des rares meufs en chien de Terrae. T'es si beau mec c'est pas du juste. Il m'attire contre lui, je me fais pas prier, et viens poser ma tête tout contre lui, tout doucement. C'est chaud, il est mieux. Ca me fait du bien aussi. Mes mains passent dans son dos, aussi douce que je peux, j'essaie de pas être trop envahissante, pas trop reloue.

Sa question me tire un sourire. Virginie. Enchantée madame. Vous lui manquez beaucoup, mais si vous êtes comme il vous décrit, permettez-moi.

Ta maman serait fière de toi, Jérémy. J'en suis absolument persuadée. J'suis sûre qu'elle l'aurait toujours été en sens. Et probablement encore plus maintenant.

Parce que je suis sûre qu'elle t'aimait. C'est obligé. T'as eu la chance d'avoir une Maman, pour de vrai, et je suis certaine que si y a un truc après la vie et qu'elle peut te voir, elle l'est. J'suis pas certaine que ça existe mais on sait jamais. Et si jamais elle peut m'entendre, bah vous devriez être fier de votre fils. Mais j'crois qu'on est d'accord, toutes les deux.

Sa question fait fondre mes entrailles. Ok, c'est trop. Je pose mon front sur le centre de son torse, ramène mes mains sur son ventre, et le pousse, tout doucement, en arrière. Je redresse la tête tout en avançant, me mets sur la pointe des pieds et vient chercher ses lèvres. Je l'embrasse doucement, mais je respire un peu trop fort.

Je suis pas fière de toi Jérém'. Je suis comblée. Je te trouve extraordinaire. T'as tellement grandi, progressée. Je suis plus que fière de toi chaton.

Je l'embrasse encore, remonte mes mains sur son torse, décolle mes lèvres seulement pour souffler.

Je t'aime.

Je le pousse sur le lit, assis, et passe mes jambes autour de lui pour m'asseoir sur ses jambes. J'attrape son visage dans mes mains, l'embrasse sans plus du tout me retenir, je respire fort, goûte ses lèvres, je le veux tout entier à moi, je veux le voir sourire, je veux qu'il n'ait plus peur. Puis j'ouvre les yeux, juste un peu, pour le regarder, passe une main dans ses cheveux.

Puis tu vois, moi aussi, y a des trucs avec lesquels j'suis pas encore en paix. T'es pas seul, Jérém'.

Et je t'aime tellement. J'en ai rien à foutre, moi, de tes cicatrices. J't'aime en entier, avec toutes tes pensées de merde, tes progrès, ton passé qui pue, ta peau qui sent bon et ton sourire d'ange.

Parfois, il se demande ce que pense Virginie du Paradis. Souvent, en fait. Est-ce qu'elle pleure ? Est-ce qu'elle rit ? Est-ce qu'elle essaie de lui dire les mots qu'il a toujours entendu pour le guider ? Est-ce qu'elle hurle dans le Vide qu'il n'est pas perdu ?... Mais c'est Elwynn qui lui répond. C'est Elwynn qui lui affirme cette vérité. Virginie, cette petite femme qui avait elle-même souffert de l'image qu'elle renvoyait, était bien plus. Elle aimait, de toute son âme. Elle était, bien plus franche que ce qu'on pouvait dire d'elle. Et de ce qu'on pouvait dire, elle s'en foutait royalement. Entourée des gens qu'elle aimait, elle soulevait des montagnes, elle ignorait les jaloux,... Elle se sacrifiait pour l'enfant qu'elle voulait voir grandir. Une véritable mère.

Est-ce que c'est terrible de se dire que, pourtant, tout ça n'avait aucune importance ?

Elwynn le pousse, elle l'embrasse et le regarde droit dans les yeux. Sans haine, sans peur, sans rien d'autres que de l'amour et lui rappelle à quel point, non il n'a pas changé. Il a évolué. Il a gardé un peu de ce garçon obéissant, sage et calme, a traversé les épreuves de sa vie, et a décidé, après assez de douleurs et de remises en questions, d'en faire quelque chose de bien. Elle a retenu ce courage et cette envie de bien faire. Elle a retenu tout ce qu'il voulait devenir plutôt que ce qu'il avait été. Oui, elle était bien plus que fière... Elle l'aimait.

L'infini du vide sera autour de toi ; tous les morts de tous les temps ressuscités ne combleraient pas le mur auquel tu fais face. Tu y seras comme du gravier au milieu de la steppe.
[*]

Il se retrouve assis sur le lit sans vraiment comprendre comment. Elle l'a poussé sans doute, mais il ne sentait plus ses membres réagir à sa volonté. Il était comme subjugué. Pourtant, avant qu'elle ne le dévore avec ses mots, avec ses mains, avec ses lèvres, avec son corps tout entier, il s'y accroche, nez contre son cœur. Elle passe une main dans ses cheveux et il ferme les yeux. Cette douceur-là lui manquait tellement alors qu'il ne l’avait jamais connu avant Elwynn. Mais combien de ces vies aurait-il vécu pour se sentir méritant d'une simple caresse ?... :

-J'aime qui tu es... ce que tu fais... ...à quel point tu essaies. J'ai vu ta force et ta douceur, j'ai vu un peu du pire et beaucoup du meilleur, et j'ai déjà l'impression de voir à quel point tu es quelqu'un de bien...

Il lève ses yeux dorés vers elle. :

-Moi aussi, je suis plus que fier de toi Elwynn. Je veux rester près de toi, toujours.

Embrasse-moi, je t'embrasse. Prends-moi, je te prends. Si je pouvais n'être qu'un avec toi je me fondrais à en disparaître.


HRP :
[*]Fin de partie, de Samuel Beckett.

Je veux croire dur comme fer que Virginie si elle est quelque part, elle est fière de Jérémy. n fait, j'en suis persuadée. Que si par un phénomène aussi chelou soit-il elle a encore une part d'existence, elle est fière de son fils, malgré tout. Déjà parce qu'elle ressemble à une vraie maman qui l'aime de toute façon. Et il progresse tellement. Ca veut dire qu'on l'pardonne, ça veut pas dire que ce qu'il a fait n'est pas important, ça veut juste dire que ce qu'il fera après est plus important maintenant qu'il affronte que c'était mal. Il l'a toujours su. Que c'était de la merde. Rien que pour ça, moi j'trouve ça cool.

J'm'en fous de tes bracelets, si ça t'fait te sentir mieux alors garde-les, garde-les c'est ok. T'en fais pas, moi j't'aime de toute façon. Je veux qu'il le sente, alors je l'embrasse, je le garde contre moi. Quand je ralentis pour lui parler un peu, je le sens se détendre. Je caresse son crâne tout doucement à travers ses cheveux. Des fois j'oublie que Jérémy a tout de même deux ans de vie de moins que moi. C'est rien du tout, vraiment, mais quand t'as vécu l'horreur comme nous, comme beaucoup de Terraen, des fois 2 ans ça te permet juste d'être plus posé, d'y voir un peu mieux. Sur certains points. Parce que j'suis pas non plus incroyable hein.

Il se met à parler, je le regarde, de tout près, je l'écoute. Je souris petit à petit, de plus en plus grand. J'ai pas envie de remettre sa parole en doute pour une fois. Même si je ne me trouve pas douce, pas toujours forte, que je n'aime pas spécialement qui je suis, je suis si heureuse que ce ne soit pas son avis. Je ris doucement, et réponds dans un souffle.

J'ai pas du tout envie de te montrer le pire de moi, alors je suis contente que tu aimes ce que je suis ici, au quotidien.

Et puis il me glisse qu'il veut rester avec moi. Qu'il est fier de moi. J'ai envie de pleurer, parce que c'est pas souvent que ça arrive, ce genre de douceur. Et quand ça m'arrive je pleure en général, ouais j'fais pas dans la demi-mesure avec les pleurs non plus. Je ris, plus fort cette fois, les yeux fermés, le front contre lui. Je passe mes doigts sur sa bouche un peu fort, comme pour lui intimer de se taire, t'en dis assez des bêtises, j'crois que c'est encore pire pour mon coeur quand tu dis c'que tu ressens. J'veux pas que tu te taises vraiment, non j'veux que tu me le dises toujours, tout ça. Que jamais t'arrête d'me le dire. Mais je veux toi, là tout de suite.

Je pers la notion d'espace, rien de ce qui est autour ne compte, plus personne d'autres ne compte, ni ses cicatrices, ni son père, ni Virginie, ni la souffrance, ni les erreurs. Y a juste Jérémy, sa peau, ses bras autour de moi, ses lèvres et son sourire. Et au milieu de la tempête, je me raccroche seulement aux deux points dorés qui se posent sur moi quand je soupire.