Je  suis un jeune même si mon corps avec soixante et quelques années a tendance à l’oublier. Ma vie d’avant l’Esquisse n’est pas très intéressante, plutôt barbante. Dans ce nouveau lieu, j’ai pu me mettre à revivre. Ne jamais passer une journée à l’intérieur et vivre chaque jour comme une aventure. Sans contrainte. Un monde où il y a tout à redécouvrir, je ne pouvais rêver mieux !


Vous l’aurez compris, je ne suis pas un de ces jeunes amorphes et sans curiosité !


Je suis là. Un « là » bien flou. Ma vision me joue des tours. Mon regard ne semble pas vouloir se fixer bien longtemps sur ce que je souhaite. Ma perplexité face au ciel sombre étoilé est ainsi vite balayé par cette vague de choses mouvantes que je distingue au loin. Des Objets ? Des Épouvantails énervés ? C’est la première chose qui me vient à l’esprit lorsque je distingue les morceaux de vêtements flottants sur des Objets souvent unijambistes ou manchots. Pas de mots ou du moins je n’en perçois pas. Et je ne suis pas sourd !

Bref, je ne dis jamais non à une petit course ou à un jeu de cache cache ! Même dans une partie aussi déséquilibrée. Il me faudrait un partenaire au grand minimum. Pour le fun, vous comprenez ? Mes jambes se mettent en mouvement, je fais demi tour et j’aperçois une personne. À croire que mes pensées prennent formes.

« Tu joues aussi ? »

Ce n'est pas vraiment une question. Plutôt une invitation enthousiaste. Je me dirige vers elle au pas de course. Pas le temps de faire des présentations proprettes. La partie est déjà bien entamée de ce que je vois.

Ah, elle semble perdue... Pas très réactive contrairement à ce que suggère sa tenue, qui par ailleurs ressemble à la mienne en plus court et féminisé. L’apparition ne correspond pas tout à fait à ce que j’avais en tête.

Ou pas, elle se reprend, se réveille ! J’aime mieux ça. Un jeune amorphe, il n’y a rien de pire ! Il faut encourager toute forme d’initiative existante, je la suis donc. Ce n’est pas forcément le lieu que j’aurai choisi, mais c’est vrai que dans un centre commercial il y a de quoi se cacher. Et il n’y a visiblement pas de concurrence : l’intérieur est vide, silencieux.

Je me retourne une fois entré pour voir l’avancée de la cohorte tandis que mon acolyte disparaît je ne sais où. À mieux y regarder, les Objets n’en sont pas. Ce sont des humains zombifiés. Ça ne change pas l’enjeu. Ou la dangerosité, ni même ma connaissance. Croyez le ou non, j’ai vu quelques films et séries sur les zombies. Faut bien un moyen de tromper l’ennui.

Les portes vitrées ne feront pas long feu devant cette masse de gens morts. Heureusement que nous ne sommes pas dans une histoire où absolument toute la façade avant du bâtiment est vitrée ! Mais le loquet ne suffira pas pour autant. Il leur reste quoi ? Une cinquantaine de mètre à parcourir ? Largement assez pour que je tire ce stand bariolé de brioches et autres juste sous leur nez. Du moins, j’essaye. Le meuble reste immobile malgré mes efforts. Les roulettes ne semblent pas vouloir travailler. J’essaye de les encourager mais rien n’y fait. Comme l’autre est de retour, j’en profite et je l’apostrophe.

« Hey, miss brunette viens aider ! »

On n’a pas vraiment le temps de papillonner. Ou de papoter, mais quand même…

« Qu’est-ce que tu fais avec un piolet? »

Il a suffi que la brunette s’y mette pour que le chariot se décide à bouger, avec presque pas d’effort de ma part. Je ne suis plus… disons que mon corps a de petites tendances à oublier sa jeunesse. De toute façon, elle se débrouille très bien ! Elle a même pensé à encorder les poignées de la porte, même si le faire après que le stand soit en place n’est pas vraiment pratique. Rien à faire pour moi si ce n’est prendre un petit trot d’avance. C’est que les cadavres se rapprochent dangereusement de nous.

« Ah, je savais que tu étais joueuse ! Il n’y a rien de mieux qu’un petit pari dans ces circonstances. »

Petit triomphe personnel ! Bon, par contre, je ne veux pas la décourager dans son idée du piolet énoncée plus tôt. Une seule personne contre une meute de zombie… Oui, parce que moi, je ne me bats pas. Pour une raison évidente : ce n’est pas le but de cette aventure !

Pas de bruit de verre ou de stand renversé, pourtant un trio de zombie se tient dans le hall. Double malchance avec la porte qui ne s'ouvre pas. Ce n’est pas vraiment le moment de réfléchir du comment ou du pourquoi. Ni de voir s’ils vont préférer la compagnie des leurs, qui tapent toujours vigoureusement aux portes, à la notre.

« Suis moi aux toilettes. »

Je l’ai murmuré pour qu’eux ne l’entendent pas. Pour l’instant, ils ne nous foncent pas dessus autant en profiter. À moi de prendre l’initiative et nous sortir de là ! Je suis le panneau indicateur qui nous pousse à aller au fond du couloir. Alors que je cours, mon souffle commence à se faire légèrement bruyant, c’est qu’il est grand ce bâtiment ! Inutile de s’attarder sur les détails : j’ouvre la première porte qui s’offre à moi, un peu plus brutalement que prévu...

BAAANG

Saperlipopette ! La petite jeune a une bonne poigne. J’ai failli chuter à l’instar du poids mort s’affalant devant nous, presque sur moi en fait.

« Fais attention ! »

Exclamation qui vient avec un brin de retard après une autre moins agréable. La brunette s’engouffre déjà dans les toilettes tandis que le trio bien endommagé se dirige vers nous. Super ! J’ignore son « vite, vite ». Évidemment que je ne vais pas rester sur le palier à bayer aux corneilles ! Je ne vais pas abandonner maintenant, pas alors que la pression est à son comble et que la chance semble nous avoir totalement délaissée ! C’est un bon moment pour un revirement de situation, pour reprendre les choses en main ! Toute vraie aventure se doit d’avoir au moins retournement de ce genre !

J’occulte le bruit désagréable des doigts grattants la porte pour visiter les toilettes et pousser chaque battant histoire de vérifier que notre ami dehors était bien seul en ce lieu avant notre arrivée. Chacun cède facilement sous la poussée, sauf le dernier. Immédiatement, je toque trois coups sur la porte pour voir s’il y a un vivant, un mort-vivant, ou que sais-je encore, bloqué à l’intérieur !

Toc Toc Toc

Je fais signe à mon acolyte de ne pas bouger et d’être silencieuse pour pouvoir entendre la réponse. Avec un excellent timing, puisque la lumière s’éteint brusquement à ce moment-là.

Argh..tention

L’obscurité envahit encore un peu plus la scène. C’est seulement au prix de nombreux battement de paupières que je peux deviner ce qui se tient face à moi, écroulé à moins d’un pas de ma jambe. La porte en arrière plan est totalement dégondée et menace de venir ajouter du chaos à ce tumulte. Non pas que je m’en préoccupe ou y accorde plus qu’une demi-pensée. Là, l’urgent, c’est de reculer. Sur l’arrière train, pas le temps non plus de se relever entièrement.

Ils sont censés être plus lent ! Pourtant, avant que le piolet s’abatte à nouveau sur lui et avant que je sois entièrement hors de porté, le mort-vivant laisse une marque sanguinolente sur mon mollet dénudé. Je me dégage d’un mouvement brusque, plus dû à un réflexe qu’à la douleur. Je ne ressens rien, sûrement à cause de la chute ou de la porte qui a rencontré ma tête plus tôt. Ça doit être ça. L’aventure ne peut pas s’arrêter de façon aussi ridicule. Pas sans son personnage principal, moi !  

Je me tiens sur mes deux jambes. Un bon signe. Je peux partir de ce cul de sac malodorant. Pas par l’entrée, nos amis sont revenus y gratter, mais par la fenêtre. Je tends la main pour attraper le bras de la brunette pour qu’elle laisse le cadavre désormais bien mort. Des mots sont censés accompagner ce geste sauf qu’ils ne restent bloqués dans ma gorge de façon incompréhensible. Je fronce les sourcils, racle ma gorge et toujours rien.

Pour la première fois, j’ai peur.

HRP: