Sortie de la salle de bain entourée seulement de ma serviette blanche, mes fringues sales à bout de bras et la trousse de toilette en équilibre sous mon menton, j'avance à petits pas vers le coin qui m'est réservé dans le grand dortoir des filles. Ce n'est pas le grand luxe, mais j'ai réussi à plutôt bien l'aménager: l'armoire fait séparation, de telle sorte que quand je me couche, je ne vois que le lit en face de moi; mon lit est collé contre le mur; j'ai réussi à dénicher une petite guirlande lumineuse que j'ai accroché au dessus, et ma table de nuit incrustée dans l'armoire croule sous les livres que j'ai emprunté à la bibliothèque.

Sans regarder autour de moi, non par pudeur, mais simplement parce que j'ai la tête ailleurs, j'ouvre l'armoire pour y ranger mes babioles. D'un geste qu'une personne extérieure voudrait sensuel, je laisse glisser la serviette le long de mon corps pour qu'elle vienne s'étaler à mes pieds. Je ne mets que quelque secondes à m'habiller: panty noir et grand T-shirt gris trop large pour moi. Ce sont des affaires que l'académie m'a donné, pour mon plus grand soulagement, parce que je n'ai rien pu ramener de Dublin.
J'attrape une crème hydratante premier prix, remise par l'académie aussi, presse fort sur le tube pour avoir une grosse noisette au creux de la main, et me masse délicatement les jambes avec. Elle sent un peu bon, c'est déjà ça.

Un petit brouhaha anime le dortoir. Pour moi, il raisonne comme un bruit de fond, un bourdonnement. Tous les soirs, le même rituel, douche, lecture, dodo, et je ne prends pas le temps de papoter avec les autres Novices autour de moi. En fait, à part Ys et Elwynn, je n'ai parlé à pas grand monde. Pas que je n'aime pas ça. C'est juste que tout est  tout nouveau pour moi, cette académie, Tokyo, ma vie radicalement changée... ça fait beaucoup à digérer, et dans ces moments-là, j'ai besoin de ma petite bubulle de sécurité. Puis les groupes sont déjà formés, je n'ose pas y aller en mode forcing.

Je relève la tête et me frotte les mains pour dissiper le peu de crème qu'il y reste.
Les petits groupes de filles, éparpillés par-ci par-là, me donnent un petit pincement au coeur. Je me sens assez seule, finalement. J'aurai bien besoin de faire attention à quelqu'un, et que quelqu'un me prête son attention aussi. Mais pour éviter que tout ça ne me rende triste, j'inspire un grand coup par le nez et expire tout doucement par la bouche. Demain, on prend du temps pour discuter avec quelqu'un, je pense très fort en hochant la tête d'un air décidé.
En guise de réconfort, j'attrape un livre sur ma table de nuit et m'assoies en tailleur sur mon lit, dos contre le mur. J'ouvre "Le Japon médiéval", un livre paru en hors série pour le Time-Life magasine et écrit par Jonathan Northon Leonard. Mon arrivée au Japon a voulu que je m'intéresse à sa culture et son histoire, toutes deux pleines de richesses. Et tandis que j'essaie de comprendre qui est quoi dans le méga conflit Taïra-Minamoto qui fait rage pendant le XIIème siècle, j'entortille mes doigts dans mes cheveux, signe de ma concentration la plus extrême.

L'ambiance dortoir, c'est un truc un peu spécial quand on a jamais connu ça avant. Pas vraiment d'intimité. Sari a rien contre ça en particulier. Enfin… Les filles qui gloussent la saoule mais en général elles se contiennent dans le dortoir. Les douches, c'est un peu une autre histoire. C'est pour ça qu'elle y va toujours en décalé. Histoire d'être tranquille.

Pas qu'elle a quoi que ce soit contre les potins, mais c'est pas sa vie. Elle aime papoter, bien sûr. Rencontrer des gens, prendre des nouvelles, mais savoir qui couche avec qui… Fin si c'est pas quelqu'un qu'elle connait personnellement, où est l'intérêt ?

Puis bon… Elle a pas trop la tête aux histoires de cœur dernièrement. Même si elle dirait pas non à une nuit ou deux avec une fille peut-être. Pas une Novice. Les dortoirs c'est la mort pour le sexe. Vivement qu'elle ait une chambre perso.

Il y a plusieurs filles qui rentrent de la douche en parlant fort. Visiblement, l'une d'elle a un crush sur un mec de leur classe. Elles ont l'air d'être au lycée. Sari retient un soupire. Elle pensait être tranquille pour lire sur son lit. Elle aurait dû aller à la bibliothèque ou en salle commune. Elle relève les yeux de son livre. Une de ses voisines l'air plongé dans le sien, pas dérangée par le bruit ambiant des conversations du soir.

Elle roule des yeux et reporte son regard sur les pages de son roman. Le brouhaha des conversations s'estompe. Elle se replonge dans Dickens. Un petit plaisir perso. Elle aime bien relire des classiques anglais. Un cri, presque un hurlement, lui fait de nouveau lever la tête. Une Novice blonde débarque en ouvrant la porte à la volée. Elle a une tache humide sur l'épaule et les cheveux mouillés.

— C'est quoi cette académie de bouseux ?!! Qui a osé poser un piège sur ma porte de douche ?! Ca va pas se passer comme ç-
— OH !! Calme toi princesse. C'est que de l'eau, elle soupire. Si t'as envie de faire chier ton monde, va te plaindre aux responsables.

Elle se tourne vers Sari, la fusille du regard. Pas impressionnée, l'Indienne hausse un sourcil amusé et referme son livre qu'elle pose avant de se lever. La rousse à côté a levé les yeux du sien. Sérieusement, on peut jamais être en paix dans ce dortoir.

— C'est toi qui a fait ça, sale petite arabe ?

Sari éclate d'un rire moqueur et la toise en s'approchant.

— Non. Maintenant, tu sors te calmer sinon c'est moi qui te fera sortir.

[Hrp : Je suis vraiment vraiment désolée pour cet immense retard. J'espère que mon post te convient]