La tête enfouie sous les oreillers à me dire que je n'aurais jamais du envoyer cette fichue lettre à la directrice, je noie mon malheur dans les brioches sous le regard médusé de mon voisin. Mais pour le coup, je m'en fiche un peu. Je ne le regarde pas, il n'existe pas. Et dans le fond, je n'existe pas pour lui non plus, il doit juste être en train de regarder un homme étalé dans un lit, et pas moi en particulier. Assez paradoxal. Un peu à l'image du cinéma. On ne regarde pas l'acteur mais le personnage qu'il joue. Et dans le fond, on s'en fiche des sentiments de l'acteur sur le moment. Mais bref.

Toujours est-il que, dans mon désarroi, je n'entends pas le vibreur de mon téléphone me signifier de l'arrivée d'un message. Mais l'entends par contre tomber dix minutes plus tard lorsque mon étirement vient percuter ma table de chevet. Grommelant sous le maigre effort demandé pour le ramasser, je vérifie son état avec soulagement et repère enfin l'arrivé d'un message provenant d'un numéro inconnu. Intrigué, je l'ouvre donc et.. Et... ET... AH ! Rendez vous au bar.. Ah. Par réflexe, je réponds par l'affirmative avant de percuter sur le maigre timing restant.
Paniqué, je me relève d'un bond, n'attrape que quelques affaires et court vers les douches afin de me donner une légère fraîcheur. Plus rapide que jamais, brossant mes dents en même temps de faire mon shampoing, je fini ma toilette en un temps record et file m'habiller en abandonnant l'idée de faire distraire la trace de l'oreiller sur ma joue. Mes chaussures à peine lassées et une simple veste légère comme manteau, je me précipite dehors pour rejoindre le dit bar dont je ne connais que l'adresse approximative.

Les joues rouges, le souffle court et dix minutes en retard, j'arrive enfin en face du lieu de rendez-vous. J'essaie tout d'abord de retrouver des couleurs normales et une respiration à peu près correcte puis franchit la porte d'entrée. Mes yeux viennent alors chercher un visage familier que je viens rapidement repérer. Mon visage se met alors à rayonner tout seul, un sourire franc aux lèvres tandis que mes pas se dirigent vers lui. Le battement de mon cœur commence à s'accélérer alors que je me rends peu à peu compte du stress que commence à générer cette rencontre. Il n'est pas alcoolisé cette fois, il n'y a pas la pénombre pour me cacher non plus. Commençant à paniquer, je me plante devant lui, l'air un peu gauche. Debout à le regarder en me mordant la lèvre de gêne.

"Hey.. Tu.. Tu vas bien ?"

Voilà voilà.. Et maintenant, je fais quoi ?

Je le vois sourire et je me détends légèrement. Seulement légèrement, assez peu à l'aise dans un bar où je ne connais personne. Ou simplement le fait d'être dans un bar. Pensif, je me met à le détailler, la lumière est assez vive pour que je puisse le voir sous tout ses traits mais pas trop forte pour détruire les détails sous la blancheur. Non, il est juste parfait. Enfin ses détails.. Il n'est pas imparf-.. Non mais, je vais bégayer et m'emmêler dans mes propres pensées maintenant. Reprends toi Håkan.

Sa voix m'extirpe de l'espèce de contemplation dans laquelle je mettais perdu et vient me faire parcourir un long frémissement sur la colonne vertébrale. J'avais oublié le son de celle-ci, d'un grave mesuré. Agréable, je dois même dire. Je me surprends même à trop l'apprécier pour lui répondre, ne lui offrant ma voix que quelques secondes après, presque surpris.

"Bien ! Bien bien... Ahem.. Je commençais à croire que tu ne.. Enfin voilà quoi.. "

Frottant ma joue par réflexe en espérant que la trace de l'oreiller n'y siégeait plus, je brise l'écart se trouvant entre nos corps et m'approche de lui de façon à être plus intimes, tout en respectant un espace de pudeur tout de même. Après tout, nous avions envie de discuter, pas simplement se saluer, de loin à plusieurs mètres de différence. Cependant, je reste debout pour le moment, ne sachant pas s'il veut rester là, s'installer au bar ou alors se mettre à l'écart dans une des alcôves dans le fond du bar, où se trouvaient des banquettes à l'allure bien plus confortables que les tabourets. Mais s'il préférait être là, je resterai. Ce sens du sacrifice.. C'est beau.

"Ah et pour la commande.. Euh et bien.. Je dirais.. Je prends comme toi ?"

Souriant amicalement à Baxter, j'attends une invitation à m'asseoir, sûrement une coutume idiote vu que c'est lui qui m'a proposé de venir. Refuser ma présence maintenant serait un peu .. Sale de sa part. Mais après tout, il est celui qui joue en terrain inconnu et qui pourrait vouloir faire demi-tour. Alors je me contente d'être planté là. Entre un tabouret inconfortable et un homme l'étant plus, tel une potiche ne sachant pas où se mettre. Mais au moins, je suis une potiche qui sourit.. Oui, une potiche quoi.

Et merde.. Un whiskey. Il fallait qu'il commande l'une des rares boissons que je ne peux qu'à peine renifler sans être ivre. Et puis ce goût.. J'avoue qu'un homme viril buvant du whiskey, il y a un peu côté classe. Mais alors moi, avec un verre entre les mains.. J'ai déjà l'air d'un collégien ayant piqué la boisson de son pote majeur.. Mais avec du whiskey.. Levant ma main pour interpeller le serveur dénommé Erik, sûrement une connaissance à lui, j'échange mon verre contre un tequila sunrise. J'aurais bien commandé une margarita.. Mais je serai vraiment tombé dans le cliché. Souriant, j'écoute sa phrase et hoche la tête.

"Désolé, je bats en retraite sur le whiskey coca, je ne le tiens pas. Mais sinon, non non tu as raison les banquette sont .. plus.."

Mes yeux clignent lentement en regardant son visage qui me semble presque irréel sur le coup. Défiguré dans une moue a la limite d'être stupide et pourtant tellement agréable à regarder que je me met à oublier que je parlais. Réveillé par le bruit des verres sur le bar, je sursaute légèrement avant de secouer la tête afin de m'extirper de cette torpeur. L'enfoiré, il commence déjà les hostilités..

"Ça me va. Je te laisse prendre les verres, il les a bientôt fini, je vais m'asseoir, j'ai du courir pour te rejoindre je te rappelle. Je me suis pressé, moi."

Lui arrachant une petite moue satisfaite, je me détache de sa vision tout en passant ma main sur son épaule avec un léger tapotement, cherchant clairement à lui rappeler qu'il m'a fait attendre là où moi, me suis dépêcher pour ne pas lui faire subir cela. Il veut me faire craquer ? Je vais le faire culpabiliser.

Choisissant l'alcôve la plus éloignée et la plus intime possible, je viens me mettre au milieu de la banquette "sphérique" (Je ne trouvais pas comment décrire). Lui laissant le choix de sa place sans pour autant lui laisser le luxe de déterminer la mienne. S'il s'installe très proche, c'est qu'il m'aime bien.. S'il s'installe au bord de la banquette, c'est qu'il va me dire que c'est une erreur.. Ou alors, il est tordu. ... ..... Et maintenant que j'y pense, je suis dans un institut où les gens ont des pouvoirs. Alors ce serait bête de ma part de me la jouer psychanalyste de banquette. M'enfin.. Je verrais bien.

Le regardant se pavaner tel un paon, je ne peux m'empêcher de réprimer un sourire amusé. Il joue le jeu après tout mais il y avait quelque chose de drôle dans sa démarche un peu trop lente pour être naturelle. En profitant néanmoins pour retrouver une respiration plus posée et moins bruyante, je me satisfait de l'agréable banquette moelleuse accueillant mes petites fesses. Il faut dire que c'est parfois difficile et désagréable de s'asseoir sur une surface dure lorsque l'on a presque aucune once de gras permettant d'amortir un peu. M'enfin, je crois que je m'égare un peu et le poids de Baxter s'asseyant à côté de moi et manquant de me faire virer vers lui vient m'extirper de cet état de réflexion. Ses paroles surviennent alors que je m'apprête moi même à faire le premier pas, ne me laissant le choix que de refermer mes lèvres à peine entre-ouvertes. Lui souriant agréablement, je lui adresse un sourire amical avant de prendre une petite gorgée de mon breuvage afin de l'inviter à faire de même. Il est clairement dans une posture peu habituelle pour lui. Je me dois de l'aider un peu.
Tapotant sur son bras comme l'on tapoterait sur le dos de quelqu'un pour le rassurer, je tâche de lui répondre avec autant de tact que possible.

"T'en fais pas, je suis endurant."

Put-... C'était vraiment ça mon meilleur tact ?! Râlant intérieurement, je ne peux m'empêcher de me racler la gorge, mes mains venant nerveusement se mettre à se pincer la peau.

"Bref. T'en fais pas, je me suis un peu douté. Pour être totalement franc avec toi, même si j'espérais, je pensais que tu n'allais jamais me contacter."

Haussant les épaules, je me permet de reprendre une nouvelle gorgée, remerciant l'univers d'avoir inventé la tequila. Léchant légèrement mon index sans aucune arrière pensée si ce n'est d'enlever le collant du sucre dessus, je me tourne légèrement vers lui et lui sourit amicalement.

"Tu te posais quoi comme genre de questions ? Je peux peut-être t'aider."

Souriant, je me contente de l'observer, mes yeux divaguant sur différents détails tels que ses yeux ou ses lèvres. Je détaille son visage avec intérêt tandis qu'il semble pris dans ses pensées. Après tout, lors de notre première rencontre, il n'y avait eu ni lumière ni réelle séance de découverte corporelle.. Enfin si. Mais pas.. Enfin.. Reprends toi Håkan, va pas te mettre ces pensées la en tête ou tu vas vite te retrouver gêner. Bref. Je me surprends à faire glisser mes yeux le long de sa mâchoire puis sur sa pomme d’Adam, celle-ci venant légèrement remuer au passage de sa boisson.

Et puis, il reprend la parole, me tirant d'une énième contemplation pensive. A croire que j'y prends goût. Fronçant doucement les sourcils et penchant légèrement la tête sur le côté, je tâche de comprendre ce qu'il essaie de me dire avant de dévoiler un sourire amical au moment où sa voix se tait.

"Tu te prends beaucoup plus la tête que tu ne laisses imaginer.."

Affichant un petit sourire en coin, je me tourne vers lui, venant replier une jambe sur la banquette afin de ne plus être juste assis à côté mais lui faire à peu près face. Penchant légèrement mon buste sur le côté pour chercher son visage sans pour autant risquer de m'affaler sur la table, je reprends alors la parole.

"Tu sais, le côté relation c'est aussi quelque chose de nouveau pour moi. Donc, je ne peux pas vraiment t'aider là dessus pour ce qui est de se rassurer ou quoi ou qu'est-ce. A vrai dire, j'ai une autre politique."

Attrapant mon verre et venant en tirant une bonne gorgée me faisant légèrement grimacer, je lui adresse un sourire amusé et reprend.

""Laisse faire les choses." Ça paraît bête mais en soit, je trouve que se planter des idées c'est risquer de passer à côté d'autres. C'est peut-être pas la bonne stratégie vu que je n'ai jamais été en couple. Mais c'est la mienne. J'évite de me prendre la tête. Si le feeling nous dicte une amitié, ainsi soit-il. Si c'est plus... Tant mieux ?"

Ma main vient alors brièvement se lever, hésitante à venir caresser le bras de l'homme, ne serait-ce que quelques secondes, avant de finalement retomber mollement sur ma cuisse par couardise.

"M'enfin, si tu veux essayer de voir ce que ça donne. Je veux bien aussi.."