C’est plus compliqué j’crois de donner des ordres que d’amplifier des sons… Si ce n’était pas elle j’lui aurais demandé un cristal pour m’aider à faire fermer sa gueule à Erik quand il fait de la merde. Enfin plutôt quand il en dit, ça serait utile, vous l’avez déjà vu défoncé ? Bien sûr que vous l’avez déjà vu défoncé. Enfin, on ne va pas faire son procès parce qu’il est absent.

Elle rit encore quand je parle d’Ys, et j’en suis heureuse. Elle est un peu plus détendue que quand je suis arrivée, cela se voit tant sur son visage que dans ses sentiments. J’suis comme le master téléporteur qu’on en parlait, quand j’raconte des conneries j’le fais pas à moitié. Jamais… et ça marche un peu.

« Oh tu sais j’crois qu’il appelle ennemis ses amis… Enfin… »

Je suis p’t’être un cas particulier… Le ton redevient plus sérieux et je la regarde avec calme, oui c’est mal et non ça ne l’est pas.

« C’est mal car tu décides à la place des autres, et si Lys préférait ne pas sacrifier les souvenirs qu’elle se crée en cherchant ceux qu’elle ne retrouvera peut-être jamais ? En éloignant les autres de toi, ils peuvent comprendre que tu ne leur fais pas confiance, même si ce n’est pas le cas, c’est très dur de savoir que quelqu’un qu’on aime va mal sans pouvoir agir, laisse la chance à ceux qui t’aiment d’être là pour toi, si c’est trop lourd pour eux ils sauront te le dire. »

Peut-être qu’un jour je suivrais mes propres conseils… Mais pour se faire il faudrait que j’reconnaisse que j’ai un problème. Ce que je ne suis pas prête à faire… Pas encore.

« Tu veux que je te dise ce que tu ressens ? J’suis pas très chaude en fait, c’est pas agréable quand quelqu’un te décrypte et qu’t’avais pas réalisé certains trucs. J’préfère éviter. »

Je suis sincère, comme d’habitude. Mes pouvoirs sont intrusifs et j’en ai conscience, mais je les laisse agir quand même, ce sont des informations, des sensations dont j’ai conscience mais qui ne m’atteignent pas et que je ne partage pas. De toute manière, avant même d’être sensitive je savais décrypter les émotions des gens à leurs expressions, postures, regards. Rien n’a réellement changé depuis ce temps-là.

Amusé par les explications concernant Ys, je frotte mon menton d'un air très sérieux et pensif :

"Effectivement, ça expliquerait une partie des problèmes du Master. Ça rend aussi Mitsuki très effrayante de cette perspective."

C'est que je commence à en connaitre des Masters, on dirait un enfant à problème ! Ah merde.... C'est le cas?

La question de la mémoire de Lys est plus sensible pour moi que je ne l'aurai soupçonné. Le doute m'habite quand un souvenir de mon ivresse post rupture me revient.

"Tu sais, j'ai peur qu'elle retrouve la mémoire maintenant. Je le lui souhaite puisqu'elle se pose pas mal de question, et c'est tout à fait raisonnable, mais je me dis qu'elle risque de se rendre compte qu'elle a des gens qui l'attendent, qu'en fait j'étais de passage dans sa vie. "

Comme si je cherchais plus à me protéger d'elle que de la préserver de mon état. Un soupir m'échappe parce que je vois pas la fin de la logique. Ni le début d'ailleurs. Bizarrement, le refus de la Master me scie un peu le moral. J'avais caressé la douce  espérance d'une réponse facile. My bad

"J'avoues avoir eu cette idée oui. Mais je comprends  tout à fait, on se connait peu, c'est peut-être un peu tôt pour que tu deviennes si intime avec ma personne."

Un ravissant sourire ponctue ce faux flirt que je monte en rempart de ma crédibilité. L'humour est un bon mur sur lequel s'appuyer. Ça et atteler corps et âmes mon cerveau à d'autres projets. Me redressant de mon assise je lance à l'intéressée :

"Donc je transmets tout ça à Lys, on fait un tour des volontaires et des commerces, à partir de ça je te propose de voir ce qu'on pourra produire le plus efficacement. Faudra peut-être qu'on invite Amy à passer pour en parler plus longuement et plus en détail une fois qu'on aura un projet plus concret. J'oublie un truc?"

Je la regarde, je ne suis pas Lys, et je ne pense pas pouvoir dissiper ses peurs. Je ne me sens même pas le droit de le faire, je lui donne pourtant un conseil que j’aurais aimé qu’on me donne plus tôt.

« Laisse lui une chance de te prouver qu’elle tient à toi, sinon, tu douteras toujours. »

C’est con hein ? Mais repousser les gens en craignant qu’ils nous déçoivent, ça fait qu’ils nous ont déçu sans leur donner la chance de prouver qu’ils valent mieux que ce que l’on pense d’eux. On projette sur les autres notre vécu, nos craintes, et ils nous surprennent en nous prouvant qu’elles sont infondées.

Je sens qu’elle aurait aimé que j’analyse son humeur. Elle s’accroche à un humour qu’elle tend comme un bouclier, pour se préserver mais je sens sa déception.

« C’est pas ça ma belle, mais je ne suis pas dans tes prix… Je crois, enfin si tu as 150 000 yens dont tu veux te délester, j’pourrais pas te résister. »

C’est un humour tout aussi subtil que le flirt qu’elle a tenté, mais c’est mieux que rien. Puis vous savez bien Ipiu, Piu, PiuTe, c’est vite fait le tour. J’ai une réputation à tenir tout ça. Enfin, vient le moment de se quitter, et on le sait toutes les deux. Elle a besoin de se reposer de moi, et moi j’ai besoin, de rien mais on s’en tamponne le coquillard.

« Tu n’as rien oublié ! J’suis certaine que cette soirée va être géniale ! »

J’lui souris et je m’excuse du dérangement.

« Si t’as envie d’parler, hésite pas ma belle. J’imagine que t’as pas spécialement envie de passer à la maison, mais n’hésites pas à passer à la bibliothèque. »

Parce que bon, Erik est peut-être un sombre crétin, ça m’donne pas l’droit d’en être une.