La nuit était tombée depuis une heure déjà, et la plupart des étudiants de Terrae s’étaient réfugiés dans leurs chambres. Pour une soirée d’automne, le temps était plutôt clément, et le ciel dégagé offrait une vue magnifique sur les étoiles et la lune. Malgré cela, la température ne dépassait pas les 10°C, et un vent glacé soufflait entre les branches des arbres. Emmitouflée dans un épais sweat rembourré, Elisha marchait d’un pas hâtif vers les dortoirs, les poings serrés. Ce n’était pas le froid qui accélérait sa démarche, loin de là. Vu la quantité d’alcool qu’elle s’était déjà enfilé, elle avait de quoi tenir. En réalité, la brune était hors d’elle. Alors qu’elle s'apprêtait à fêter son arrivée à Terrae dignement (ou pas), voilà qu’elle se faisait recaler à l’entrée d’un bar. C’était la meilleure ! Comment était-elle censée savoir que la majorité au Japon était à 20 ans ? Elle qui espérait danser toute la nuit au milieu d’inconnus se retrouvait seule au milieu du parc. Heureusement qu’elle avait apporté dans sa valise de quoi étancher sa soif pour une soirée ou deux, sinon elle n’aurait pas fait long feu ici.

Frustrée et encore sur les nerfs, Elisha décida que le meilleur endroit pour finir sa bouteille restait le toit de l’école. Là-bas, elle serait tranquille, personne ne viendrait l’embêter, et la vue promettait d’être agréable. D’un pas décidé mais légèrement titubant, elle gravit les marches de l’escalier qui la séparaient de son objectif. Arrivée en haut, la jeune fille prit quelques instants pour reprendre son souffle et admirer le paysage. Elle avait toujours préféré voir le monde la nuit. La lumière de la lune donnait une atmosphère presque mystique à l’institut qui se dessinait sous ses yeux, et rendait la brune presque nostalgique. Depuis combien de temps n’avait-elle pas pris le temps de profiter de plaisirs simples comme celui là ? Ces derniers mois, ses expériences nocturnes se limitaient aux bars et boîtes de nuit. Ici … Et bien vu qu’elle ne pouvait pas avoir accès à ses lieux favoris, elle allait devoir trouver d’autres occupations. Pour le moment, elle avait de la vodka-pomme à finir, et elle n’allait pas se faire prier.

Elisha trouvait les effets de l’alcool fascinants, quelle que soit la personne qui les subissait. Il lui permettait de libérer ce qui sommeillait au plus profond d’elle même, de se libérer, se sentir légère. Lorsqu’elle était ivre, elle savait que rien ne pouvait l’arrêter. A part peut être la gueule de bois et les pauses toilettes. Pour elle, c’était tout ou rien. Soit elle partait dans une euphorie extrême, rigolait à la moindre blague et faisait des câlins à tous les inconnus, soit elle éclatait en sanglots et partait pleurer le reste de la soirée. Heureusement, ce soir, elle semblait d’humeur joyeuse. Accoudée sur le muret qui faisait le tour du toit, elle se repassait avec nostalgie les meilleurs souvenirs qu’elle avait gardé de ces dernières années. Oui, l’Irlande allait lui manquer. Mais ici elle était sûre de pouvoir trouver sa place, de reprendre sa vie en main. Et elle en avait tellement besoin …

Après une heure à siroter son mélange, Elisha n’arrivait plus vraiment à tenir debout toute seule. Constatant avec une pointe de tristesse que sa bouteille était vide, elle dû se résoudre à retourner dans le dortoir. Franchement, elle avait hâte d’avoir sa propre chambre, car la vie en communauté ne lui convenait vraiment pas. Enfin, pour le moment, elle n’avait besoin que d’un lit et d’une couverture pour dormir comme une marmotte. Oui mais voilà, avant de s’allonger pour faire un somme, il fallait qu’elle retrouve le chemin du dortoir. Et ce n’était pas chose aisée. Déjà qu’en pleine journée, elle avait du mal à se repérer, alors de nuit, avec plus de 2g dans le sang … Titubant, elle descendait les escaliers marche après marche, ayant peur de tomber. Combien d’étages devait-elle descendre déjà ? Et elle était à quel étage, là ? Bah, peu importe. Le couloir où elle se trouvait lui semblait familier, ce devait être le bon.

Elisha s’aventura dans le couloir sombre, tâtonnant le mur à sa droite, jusqu’à rencontrer une poignée. Bingo ! Mais elle eut beau la tourner dans tous les sens, pas moyen de l’ouvrir. Oh non, une des filles avait dû fermer la pièce à clé sans s’en rendre compte. Quelle poisse. Bah, pas grave, elle n’avait qu’à toquer. Tant pis pour celles qui dormaient, elles n’avaient qu’à pas la laisser à la porte. Tambourinant sur le panneau de bois, elle annonça d’une voix forte qui ne laissait aucun doute sur son état d’ébriété :



Durant toute sa tirade, elle n’avait cessé de frapper la porte avec son poing, n’ayant probablement pas conscience du bruit qu’elle provoquait. Tout ce qu’elle voulait, c’était s’allonger dans son lit.

A crier de la sorte, Elisha n'entendit pas la propriétaire des lieux s'approcher de la porte. Aussi, quand cette dernière s'ouvrit, la jeune fille faillit tomber à la renverse à l'intérieur de la pièce. L'alcool n'aidant pas, elle mit quelques secondes à retrouver son équilibre, avant de lever les yeux vers son interlocutrice, qui n'avait pas l'air ravie d'être dérangée à une heure aussi tardive. Mais au lieu de tomber nez à nez avec une petite japonaise en pyjama, la brune se retrouvait en face d'une ... elfe ? Ouvrant de grand yeux, Elisha fixa son regard sur les étranges dessins sur ses joues qui luisaient dans l'obscurité de la chambre. C'était de la magie ou quoi ? Avec ses longs cheveux blancs, ses oreilles pointues et sa peau mate, elle avait vraiment l’air d’être sortie d’un jeux vidéo, ou encore un film fantastique. La brune resta ainsi figée pendant quelques secondes, à la fois surprise et fascinée par ce qu’elle avait devant les yeux, avant d’articuler :



Sa voix était vacillante, et tirait vraiment sur les aigus, mais Elisha n’y prêtait pas attention. Ce n’était qu’un petit effet secondaire, rien de plus. Elle se rapprocha de la jeune fille, les yeux brillant, et repris :



La brune ponctua sa dernière phrase par un petit coup sur le nez afin d’appuyer ses propos. Bon, d’accord, avec l’alcool, elle avait l’air vraiment ridicule, mais elle n’en avait rien à faire. Tout ce qu’elle voulait, c’était apprendre à connaître cet être mystérieux. Aussi, ignorant totalement la mine renfrognée de la demoiselle aux cheveux blancs, ainsi que les mots qu’elle aurait pu dire, elle s’avança un peu plus pour tenter d’entrer dans la chambre.

L’elfe n’avait pas l’air commode, et repoussa Elisha avant qu’elle n’ai pu poser un pied dans la chambre. Dommage, car le lit qu’elle apercevait au loin avait l’air vraiment confortable. A bien y réfléchir, maintenant, la brune commençait à sentir une douce torpeur l’envahir petit à petit. Elle voulait juste s’allonger un peu … Quelques secondes … Mais l’antre de l’elfe était en accès interdit. Elisha était déçue, elle aurait bien aimé finir la soirée en sa compagnie. Mais elle n'était pas une forceuse. Elle hocha la tête et dit à la propriétaire des lieux :


Disant cela, elle désigna le couloir à sa droite. Elle adressa un signe de la main à l’elfe, et commença à s’avancer. Mais après quelques pas, sa tête commença à tourner. Visiblement, son fond de bouteille commençait à lui monter au cerveau. Titubante, Elisha s’appuya contre le mur du couloir, et se laissa lentement glisser au sol pour finir assise le dos contre le mur.


Elle ferma les yeux, tenant la position assise quelques secondes, mais finit par s’allonger et se roula en boule sur le sol. Elle voulait juste dormir immédiatement, peu lui importait d'être au milieu d'un couloir.

Allongée sur le sol, les yeux mi-clos, Elisha partait déjà dans ses rêves remplis d’elfes et de bouteilles de vodka. Pourquoi fallait-il que son cerveau s’emballe de la sorte chaque fois qu’elle buvait un peu … La dernière fois, elle s’était réveillée au milieu de la nuit en hurlant, car elle avait rêvé qu’un poulet géant essayait de la picorer. Les autres filles du dortoir n’avaient pas apprécié. Elle aurait peut être dû en parler à son psy … Pour être sûre que ce soit pas un de ces rêves tordus que Freud aurait expliqué par le viol de son père, quelque chose du genre.

Mais alors que le sommeil et la torpeur l’enveloppaient petit à petit, la brune sentit une main se poser sur son épaule, et une voix lointaine l'interpeller. Entrer ? Dans la grotte de l’elfe ? Cela méritait réflexion. Elle était si bien, ici. Comme un petit chaton qui se serait allongé au soleil. Et d’un autre côté, l’elfe l’intriguait vraiment. Et peut être qu’elle n’aurait plus jamais l’occasion de venir la voir. Peut être qu’elle était comme Cendrillon, et qu’à minuit, tout aurait disparu. La jeune fille ouvrit de grands yeux, ce qui lui donnait un air un peu fou sur le moment, et sourit.


Pas la peine de faire des manière pour exprimer ces simples mots. Elisha tenta de se relever en prenant appui sur le mur, mais cela s’avéra plus difficile qu’elle ne l’aurait cru. Alors qu’elle était encore accroupie, elle s’accrocha à l’épaule - ou était-ce le bras ? - de l’inconnue, sans vraiment demander son avis, et se hissa sur ses deux jambes. Elle prit ensuite une grande inspiration, comme pour se remettre de cet effort surhumain (en tout cas pour elle), et s’accrocha à l’elfe pour atteindre sa chambre.

Le premier réflexe qu’elle eut fut de s’asseoir au pied du lit, s’adossant sur le matelas, la tête penchée en arrière. Avec le petit gémissement qu’elle laissait échapper, on aurai pu croire qu’elle était à l’agonie. Mais non, elle était simplement beaucoup trop saoul … Un fois que le paysage autour d’elle se stabilisa, elle dit :


La suite de mot qu’elle prononçait était totalement logique dans l’esprit de la brune. Même si, vu de l’extérieur, on aurait dit une cinglée.

Elisha ouvrit de grands yeux émerveillée quand l’étrange elfe -Elfie donc- lui dit venir d’une planète dont elle avait déjà oublié le nom. Elle lui adressa un sourire compatissant quand elle avoua ne pas apprécier les bananes non plus.


Mais alors qu’elle souriait toujours béatement, Elfie lui demanda si elle devait prévenir quelqu’un de son état. Le visage de la brune s’assombrit.


Elle prit une mine boudeuse et croisa les bras, telle une enfant de 6 ans. Mais elle ne resta pas très longtemps fâchée. Son esprit, dans cet état, était incapable de se focaliser sur quoi que ce soit. Elle se releva et parcouru la chambre du regard.

Une chambre pour elle toute seule ? Elisha en rêvait depuis qu’elle était arrivée. Le manque d’intimité, plus le fait de se retrouver dans un endroit qu’elle ne connaissait pas entourée d’inconnus … C’était assez anxiogène pour elle. C’était d’ailleur pour cela qu’elle se retrouvait ce soir totalement saoul chez une fille qu’elle venait à peine de rencontrer. Enfin, chez un extra-terrestre.


Elle émit un rire assez grossier, mais normal vu son état d’alcoolémie. Puis ouvrit de grands yeux émerveillés quand Elfie lui tendit son verre d’eau “magique”, l’engloutissant d’un trait.


Elle reposa le verre sur le sol, et reprit :


L’alcool avait toujours eu pour effet de délier sa langue, mais là, c’était une vraie pipelette.

Elfie rit lorsqu’Elisha lui avoua avoir hâte d’avoir sa propre chambre afin de pouvoir se balader en petite tenue. Le rire était communicatif, et la brune ne tarda pas à la rejoindre avant de répondre :


En même temps, si son père ou sa mère étaient intervenus pour lui dire de se rhabiller, elle les aurait très probablement envoyés balader. Et elle savait parfaitement que jamais ils se ne seraient venus la voir. Ils lui adressaient déjà à peine la parole à table, quand elle daignait s’asseoir avec eux. Ils lui en voulaient, ils ne la comprenaient pas … Alors pourquoi se seraient-ils intéressés à elle ?

Après avoir bu le verre d’eau « magique » qu’Elfie lui tendait, Elisha commença à exprimer ses premières impressions de Terrae, et de la magie qui y régnait. L’elfe lui répondit que les pouvoirs dépendaient de la personnalité des gens, et qu’elle était elle-même Tonnerre Lunaire, ce qui signifiait l’électricité et la téléportation, même si la brune ne visualisait pas totalement à quoi cela correspondait. Elfie souhaitait en savoir plus à son sujet afin d’essayer de deviner quelle serait son affinité. Elisha haussa les épaules.


Elle resta quelques secondes, pensive, se demandant si son autoportrait était complet, avant de reprendre :

Elfie expliqua à Elisha ce qui faisait d’elle une Tonnerre d’après elle. Apparemment, elle avait plutôt un tempérament fougueux et imprévisible, spontané et sans filtre. Ce qui fit sourire la brune. Avec ce genre de personnes, difficile de s’ennuyer, et c’était d’autant plus vrai avec Elfie qui était loin d’être une personne banale et fade de premier abord. Parce que ce look un peu d’extra-terrestre la rendait vraiment atypique. Une chose était certaine, même avec tout l’alcool qu’elle avait ingurgité, Elisha se souviendrait d’elle à son réveil.


Elle lui adressa un sourire un peu vaporeux à cause de son état d’ébriété, et écouta ensuite patiemment son analyse sur son propre caractère. D’après l’elfe, la brune pouvait être une Air, même si le diagnostic pouvait être légèrement biaisé par l’alcool d’après elle. Elisha haussa les épaules, à la fois contente de le savoir et assez indifférente quant au résultat final. Parce qu’au fond, elle s’en fichait pas mal de l’affinité qu’elle allait avoir. Et en plus elle avait beaucoup bu, alors ça lui passait totalement au-dessus de la tête. Mais elle trouvait intéressant en revanche de comprendre pourquoi certains héritaient de leurs affinités. Et puis c’était un bon moyen d’en apprendre plus sur les personnes.


Elisha se releva subitement, motivée par sa nouvelle idée. Elle mit cependant quelques secondes à retrouver un équilibre à peu près stable, se tenant au dossier du canapé, avant de sortir son téléphone de sa poche et de demander d’une voix enthousiaste :