L'après-midi, c'était le pire moment pour travailler, surtout après avoir mangé, il n'y avait rien de plus fatiguant que la digestion. Faire un effort tout en subissant la contrainte du ventre en plein travail, voilà la définition même du dur labeur. Et moi, j'avais une comptabilité à remplir depuis ce matin, et je bloquais dessus à cause de ces putains de charge exceptionnelles qui ne voulait pas simplement avoir un montant fixe ! Tout ça parce que j'avais demandé à Hortensia de se débarrasser de William et Enzo, et heureusement pour eux, je n'avais ordonné qu'un licenciement !

Les inspections ne verraient pas d'un bon oeil que le domaine se débarrasse ainsi de leurs employés sans aucune compensation, alors je DEVAIS leur donner une indemnité. Mais ces imbéciles étaient des employés de longue date, des tirs-au-flanc que mon père appréciait et par conséquent, il regardait ailleurs dès qu'il les voyait se prélasser au soleil. Mais dernièrement, ces imbéciles ont pioché dans les réserves ! Et c'est moi qui devais payer ?! Je trouvais ça absolument répugnant, et c'était pour cette raison que j'avais décidé d'engager un avocat.

Mais depuis ce matin, j'étudiais les frais des différents cabinets, à les comparer entre eux, à vérifier leurs diplômes, leurs antécédents, leur qualité de parole, leur prestance, tout ça au travers de recherches internet et J'EN AVAIS MARRE. Il était hors de question de mettre Hortensia sur cette affaire, de toute manière elle avait assez d'affaires relationnelles à gérer avec de nouveaux clients, alors c'était à moi que revenait l'illustre tâche de faire virer ces imbéciles sans que l'on doive débourser quoi que ce soit en leur faveur !

Alors, je m'étais fichue dans cette satanée bibliothèque, le seul endroit assez silencieux pour pouvoir se concentrer. Même ma chambre, même. mes. propres. appartements n'étaient pas assez silencieux, parce que les feux sont des enfoirés bordéliques ! On penserait qu'après avoir manger, il n'y aurait pas de bruit, eh bien surprise ! Terrae, terre de miracles, abrite des étudiants qui étaient capables de rester activement chiants même pendant la digestion ! Mais quelle magie était-ce là ?! Je n'étais pas au courant qu'il y avait une affinité "casse-couilles" !

En résumé, j'étais donc assise devant mon ordinateur où était affichée ma comptabilité, avec cette même case vide qui me narguait : "Charge exceptionnelle". Elle me faisait tellement grincer des dents que j'en étais rendue à simplement l'observer, en espérant qu'elle se remplisse elle-même. Mon problème n'était pas d'avoir trouvé le meilleur avocat, mon problème était que la procédure juridique me reviendrait à la fin plus chère que l'indemnité que je devais donner aux deux imbéciles. J'étais si énervée que je balançais des regards meurtriers à n'importe quel pauvre idiot qui passait devant ma table.

J'avais ma tête entre mes mains, à force de réfléchir, je crois que s'il y avait un moment pour me faire chier, ce n'était vraiment pas celui-là. Et pourtant, alors même que je me disais que j'étais prête à renverser ma table, entra en scène le don qui finissait vraiment, mais vraiment à me faire serrer les poings. Il y avait quelqu'un dans la bibliothèque qui avait eu la bonne idée d'entrer sans être d'humeur acceptable et maintenant ça me retombait dessus. Ce pouvoir ... puait. Je tapai presque mon poing sur la table, avant que je ne le reporte à ma bouche pour juste me mordre le bord du doigt.

Il fallait que je trouve cette personne et que je lui dise de partir ... mais ça ne marcherait pas, ça allait être comme avec l'autre vendeuse de fringues. Le pauvret se braquerait et l'on me traiterait encore de connasse égoïste et insensible, eh bien devinez quoi, c'est exactement ce que je suis et j'en ai rien à foutre ! Mais la façade, il fallait la garder. Respirer un bon coup, faire redescendre les nerfs ... ça se passerait bien avec un peu de ... "tact". Mon ressenti me disait que l'afflux émotif venait d'une blonde que je n'avais pas remarqué avant.

Alors je me levai, prenant bien soin de ne pas renverser ma chaise. A pas plus ou moins agités, je m'avance vers elle, appuie mon épaule sur une étagère et commence de la plus subtile des manières.

- Hey. Je suis Tonnerre sensitive à cause de cette putain d'éclipse et je peux ressentir que quelque chose ne va pas, et c'est chiant. Même pour moi. J'imagine que te demander de foutre le camp serait pas correct, alors je préfère te le demander directement, qu'est-ce que tu as ?

Oh Seigneur, encore une qui allait s'offusquer sur mon ton ou je ne sais quoi. Et quoi si j'ai l'air hautaine ? Vous avez l'air pathétiques à mes yeux, avec vos problèmes enfantins et ahuris ! Après l'histoire avec l'autre vendeuse de fringues, je serais prête à parier ma production qu'il s'agissait encore d'amour ! Mais il t'aime pas ! Ou il veut pas de toi, j'en sais rien, mais arrête de déprimer là-dessus parce que t'es pas la seule que ça emmerde !! Je hais les gosses et leurs soucis à leur mesure, comme si le monde avait leur taille.

Et surtout, c'est une mioche, (et oui, parce qu'on ne me dira pas qu'avec des fringues pareils, ce que j'avais devant moi avait plus de seize ans), qui ose me dire ce que je dois faire ?! Non mais attends, il y a du respect qui se perd, ou alors le monde s'est retourné ? Le Nord est-il désormais au Sud pour qu'une gamine dicte les règles ? Je sais bien que c'étaient celles de l'établissement, mais que ça vienne d'elle ?! J'avais un ego dans ma poitrine qui ne pouvait pas accepter ça. Je reprends plus sèche, mais pas plus fort ... pas au début du moins.

- Oui eh bien tu sais quoi ? Je suis Terraenne, moi aussi, maintenant et je n'arrive pas à me concentrer parce que tes états-d'âmes me foutent le trouble dans la tête. Je me suis réveillée sous pression et en retard, ET J'AI UNE PUTAIN DE COMPTABILITE A REMPLIR !

Sur la fin, j'avais craqué, ça faisait plusieurs heures qu'il me courait dans la tête, ce bilan et j'aurais juste voulu qu'il s'envole loin, très loin. Accidentellement, je crois bien que plusieurs décharges sortirent du poing que je venais de cogner contre l'étagère de bouquins sur ma gauche. Je ressentis les éclairs sur ma propre peau, de mon poignet jusqu'à l'épaule, exactement sur la surface de mon tatouage, à quelques éraflures près. Avec une inspiration étouffée et un grognement extrêmement réprimé, j'essayais de cacher à quel point je venais de me blesser. Passant le doigt sur le dessous du bras, je le ramène pour constater que le bout était drapé de rouge. C'était la première fois que je perdais vraiment le contrôle.

Le truc, c'est qu'on me balança plusieurs regards mauvais et quelques grondements inaudibles ... j'avais dû trop hausser la voix. Mais merde, je gérais des millions d'euros est-ce que la moindre personne ici pouvait prétendre avoir les mêmes responsabilités sur le dos ?! Eh bien c'est lourd ! Très lourd ! Et ça pèse sur le crâne comme sur l'humeur ! Alors qu'une fille qui n'avait certainement aucune idée de ce qu'incombait pareil travail me dise qu'il fallait me calmer.

Tout ce que j'avais réussi à faire, c'était accentuer ma migraine. Passant une main sur mon front, je la laisse couler jusque sur ma bouche ... j'avais déconné, hein ? Et merde, oui, j'avais déconné. Il fallait vraiment que je me calme, ça ne me ressemblait pas que de perdre le contrôle comme ça. Normal, ce n'était pas moi, c'étaient leurs émotions à tous qui me troublaient. J'en ai marre de ce pouvoir, tellement marre, je veux juste qu'il s'en aille.

- Dis-moi combien de temps ça prendrait ...

Ce n'était pas une offre dénuée d'intérêt, après tout ... ça valait peut-être le coup d'essayer et une heure, ce serait certainement plus court qu'essayer de déterminer quel avocat j'allais engager. Aussi, s'il y avait la moindre chance que ça empêche les émotions des autres de m'atteindre, ça m'arrangerait énormément. J'aurais dû dire oui depuis le début ... et merde.

Oui, je saigne, c'est bon, c'est qu'une écorchure, c'est pas comme si j'avais une hémorragie, ou je ne sais quoi. Ce n'était même pas comme si je souffrais atrocement, le pire dans cette histoire c'était que ça salirait sans doute mes nouveaux vêtements. Gr ... ça brûlait quand même bien, cette saloperie. J'aimerais vraiment pouvoir apprendre à les maîtriser, je veux devenir toujours plus puissante, mais là, je n'ai pas le temps, mon domaine occupe une trop grande partie de mon agenda.

Et mon pouvoir est toujours la priorité ! ... enfin ... après le domaine. D'abord, la production, ensuite ma puissance et encore ensuite, ma santé physique. C'est certainement pour ça que j'étais fatiguée d'ailleurs. Il y a des choses que je déteste dans la vie, mais ce que je déteste encore plus c'est quand quelqu'un a raison, que je le sais et que je dois l'admettre devant eux. Ca faisait un sacré coup à ma fierté ... plutôt ne rien dire que l'avouer, alors quoi, oui, ça faisait mal et oui j'étais tendue ! J'avais tout mon droit d'être tendue ! Merde, mais qu'est-ce que j'avais à autant prendre les choses à coeur, ça ne me ressemblait pas.

C'était normal, je n'étais pas moi-même, ce n'était pas mon pouvoir et ça rendait les choses compliquées à aborder. J'étais embrouillé à cause d'émotions qui n'étaient pas les miennes et ça me rendait impulsive, voilà ! J'avais intérêt à me calmer et avec une mine aussi contrite que contrariée au visage, je m'asseyais à contre-coeur. Rien que ça, ça faisait mal à mon ego ! Et elle me fixait comme si elle était mon égale. Quel genre d'ingrate j'aurais été de lui faire un commentaire alors qu'elle allait me soigner cette blessure ? Je ne suis pas ingrate, je sais que la gratitude est un principe important. Mais dire merci, là ... l'idée seule me dégoûtait.

Et elle commença à parler d'entraide et d'à quel point tout le monde me haïrait si je restais comme je suis. Et quoi, j'étais censée devenir quelqu'un d'autre ? Eh bien ça attendrait que je n'ais plus autant de responsabilités, j'étais venue ici pour maîtriser mes pouvoirs et au lieu de cela, je me retrouvais à devoir gérer l'héritage de mes parents à distance ... c'était lourd. Alors lorsqu'elle me demanda ce que j'avais à perdre, autant dire que ma réponse était toute préparée.

- A part ma fierté ? Beaucoup de temps et d'énergie pour des choses qui ne m'intéressent pas. Vous avez tous ces problèmes de coeur, affectifs ou je ne sais quoi, mais moi, je m'en fous de ça ! Et là, quoi, ça me frappe alors que ce n'est même pas de moi dont il s'agit ?!

Rien que pour ça, je détestais tous ceux qui étaient ici, à m'imposer leurs émotions, alors que moi,je vais très bien ! La seule chose que je ressens est la frustration de devoir endurer la charge émotionnelle de tout le monde ici ! Tout serait si simple si j'étais la seule à être formée, ici ... eh merde, en plus je me confiais à elle sans m'en rendre compte.

- Regarde-moi, je n'ai pas besoin de compassion, mais de solutions. Tu m'as dit que tu pouvais m'aider à maîtriser ces pouvoirs, alors, si tu le peux, fais-le, si tu ne peux pas, laisse-moi tranquille.

J'en avais désespérément besoin, et même si j'avais pris un air extrêmement sec, comme si elle ne m'était pas indispensable, pour moi, il était vraiment nécessaire qu'elle m'aide. Oui, je l'ai admis ! Mais à moi-même seulement et ça faisait déjà assez mal comme ça ! Je ne suis peut-être pas quelqu'un d'émotif, mais mon ego, je le respecte. Pourvu qu'elle accepte ...

Parler avec elle était horrible. Pas parce qu'elle était gentille, ou impliquée ... "empathique" comme diraient ceux qui s'y connaissent, mais parce que je savais qu'elle avait raison. Je n'avais aucune envie que les autres partagent leurs problèmes avec moi, je m'en foutais complètement de leurs problèmes ! Tout ce que je voulais c'était réussir soit à les convaincre qu'il y avait pire dans la vie et que leur petite affaire émotionnelle n'était rien par rapport à ce qui les attendait plus tard. Soit les faire se sentir assez oppressés pour qu'ils veuillent s'en aller, histoire que je puisse avoir la paix.

Je savais bien qu'il fallait que je le maîtrise, mais c'était inutile. Si j'avais bien compris cette histoire d'éclipse je changerai encore de pouvoir avant la fin du mois, tant elle était instable. Ce don là, je ne voulais rien à voir à faire avec, mais le temps que ça dure, il allait vraiment falloir que je m'y habitue. Avoir la motivation d'apprendre, c'était facile, mais pouvoir supporter qu'une gamine me rabaisse à son niveau ... pft. Ca devait être un maigre prix à payer pour pouvoir aborder les rudiments. Lorsque j'aurai mon affiliation, ma vraie affiliation, celle que je n'ai jamais eue, je m'amuserai énormément à faire s'élever les flammes.

En attendant, je me retrouvais à me faire faire la morale par une blonde aux airs d'enfant innocente. Bon, elle était chou, ça je pouvais l'admettre facilement. J'avais l'impression de me retrouver face à mon complet opposé ... à quelques points près. Fronçant les sourcils et détournant le regard, je croisai les bras et répondis simplement à sa suggestion.

- Non, c'est bon. On reste ici.

Mon ton était plus calme, j'avais réussi à reprendre le contrôle de mes émotions. Il était temps, ça commençait à m'énerver cette histoire de sentimentalisme. Du coup, j'avais aussi retrouvé mon faciès posé, sans le sourire suffisant que j'y affichais d'ordinaire, toutefois. J'étais clairement dans une meilleure disposition pour apprendre. Après tout, elle n'était pas une menace, elle essayait de m'aider et j'en ai besoin. C'est tout, c'est normal, je suis nouvelle ici et les pouvoirs, personne ne m'y a jamais préparée.

- Le tatouage, mon père me l'a fait faire il y a quatre ans. Symbole de famille.

Je n'avais pas envie de retomber dans le détail, histoire de ne pas plomber l'ambiance. On était parties pour bosser sur mon pouvoir, là, non ? Une oreille attentive ne m'intéressait pas plus qu'une bonne conseillère pour pouvoir maîtriser mon pouvoir. Quant à l'autre question que j'étais loin d'avoir oubliée, je la pris très sérieusement, même si les termes employés auraient pu faire penser à une accusation. Bien sûr que je ressens des émotions positives, j'ai beau valoir plus que n'importe qui ici, je reste humaine.

- De la colère, de la lassitude et de la fatigue. J'en veux à tous ceux qui ont des problèmes de les partager avec moi, même s'ils n'en sont pas conscients, je les trouve ridicules.

Ils étaient tous chiants à se morfondre sans pouvoir passer à autre chose, moi aussi j'ai vécu des temps difficiles, mais il faut réussir à les laisser derrière. Sinon, on reste bloqué et on devient une loque pathétique qui laisse les traces de sa lourdeur partout où elle passe. Et pour répondre au reste de sa question ...

- Niveau émotion positive, je ressens de l'ambition, mais ne t'attends pas à ce que je ressente quoi que ce soit qui se rapproche de l'empathie. Tu l'as dit, on a tous morflés ici, et moi, tu crois que je l'ai vécu plus facilement ? Eh bien non, mais si tu regardais à l'intérieur de moi avec ce putain de don, tu verrais qu'il n'y a rien qui s'apparente à de la douleur.

Vous êtes juste trop sensibles, vous autres, à ne pas réussir à vous écarter du passé. Le regret est un péché, on doit toujours regarder en avant pour ne pas se soucier de ce qu'il y a eu derrière. Je me concentre donc sur l'état d'esprit de la blonde devant moi, fermant les yeux pour mieux palper ces émotions que je comprends à peine.

- En toi, je ressens ... un malaise, mais c'est vague, très vague.

Me focalisant toujours plus, j'accentue ma visualisation. Ce qu'elle me fait ressentir me fait tord, je déteste ça, mais s'il faut passer par là pour pouvoir au moins le contrôler, alors tant pis. J'appuie toujours plus, pressant l'effort jusqu'à ce qu'une sensation me fasse frémir, je ressens alors une crampe dans ma propre poitrine. Y apposant la main, je rouvre mon regard dans celui de mon interlocutrice avec un air égaré entre l'étonnement, la méfiance et la satisfaction.

- Il me fait mal, ici. Qu'est-ce que c'est ?

Je n'étais pas certaine d'avoir déjà ressenti ça, avant, mais ça ressemblait quelque part à la mort de mes parents. Sans pouvoir être claire, si j'avais pu poser un mot dessus, ç'aurait été "adieu".

Elle ne comprend rien. Ce n'est pas question d'être proche de ma famille, ma famille est morte, je ne peux pas être proche de quelqu'un qui n'existe plus, c'est ridicule. D'autant plus que je ne fais pas partie de ces âmes fragiles qui vont prier pour les âmes de ceux qu'ils ont connu auprès d'un Dieu qui n'a rien à voir avec le mien. Leur Dieu est miséricordieux, le mien valorise l'indépendance et la force, alors évidemment que mon caractère suit le rythme ! Je ne serais pas une Delacorte si je n'étais pas ce que je suis. Donc non, ce n'est pas une question d'affection, mais seulement d'allégeance.

Cette fille a l'air extrêmement sensible, le genre de poupée que l'on brise avec un seul mot mais qui sait bien parler. Enfin ... ça dépend de l'audience, parce que moi, elle m'énerve plus qu'autre chose, et au final, je suis tellement concentrée à ne pas péter les plombs sur son ton niais que je ne m'emporte même pas. Encore que ça pourrait être pire, finalement, elle ne tient pas un discours qui prête vraiment à l'énervement, à part son côté "miss je sais tout de la vie alors que je n'ai dû subir qu'une rupture dans toute mon existence". D'un côté elle me complimente, d'un autre, elle me fait des reproches, ça doit vouloir dire qu'elle essaye d'être honnête.

Et je prends vraiment sur moi pour ne pas lui foutre une claque à chaque fois qu'elle me dit que ma manière d'être n'est pas la bonne. J'ai l'impression qu'elle juge énormément pour une fille qui essaye de se modérer. Ma vision de la vie est bien loin de la sienne et je la trouve bien plus réaliste. Je préfère me dire que je risque de tout perdre à n'importe quel moment, plutôt que de penser que mon avenir me portera. Cette fille, quelle naïveté ... "elle n'aurait pas admis" qu'elle lui parle ainsi. Mais honnêtement, qu'est-ce qu'elle aurait bien pu me faire ? Je me fous bien de ce qu'elle pense, tout ce que je veux c'est qu'elle m'aide à maîtriser ce don de merde.

Une fois encore, elle me reprend en me disant que je suis prétentieuse. Ce malaise à l'intérieur, c'était des conneries. On peut tout contrôler, pourvu qu'on s'en donne les moyens et sur cette Terre tout est possible. C'était déjà le cas avant que j'apprenne l'existence de pouvoirs, maintenant, au lieu d'être "possible", tout est devenu accessible, à portée de main. J'en ai marre que l'on me prenne pour une enfant gâtée, je suis moins fragile que n'importe quel chiard dans cet établissement et bien plus indépendante. Lâchez en un dans les bleds de Tokyo, il servira de coursier pour les yakus. Lâchez-moi dans ces quartiers et je construirai un empire. Je vaux mieux que la morale d'une chieuse !

Mais tout ça n'était pas important, tout ça, pour l'instant, c'était superficiel. Tout ce qui comptait c'était de faire en sorte qu'elle m'aide à faire taire ce pouvoir. Plutôt rester banale que devoir supporter les caprices intérieurs des autres. Alors, je garde un visage calme et je laisse ma pokerface faire le reste. Je suis très bonne pour maîtriser mon corps, même si j'étais énervée, ça ne se serait pas vu. Frottant mon tatouage, je reprends sans la regarder.

- Bien sûr que je veux développer mon don. Je veux le développer à un point que personne n'a jamais atteint. Mais cette éclipse m'en empêche et ça me frustre au possible.

Quoi, je n'allais pas mentir quand la vérité m'arrangeait bien ! Evidemment que c'est chiant de ne pas pouvoir maîtriser le feu, ça me ralentit et tant pis si elle me prend pour une mégalo. Et si seulement c'était mon seul problème ...

- J'ai aussi toute une exploitation de vin à gérer, et je sais pas quoi en faire, ça me prend trop de temps.

Bien sûr que j'ignore tout ce qu'elle m'a dit, je ne veux pas aller sur ce terrain là avec elle. Elle veut du dialogue, je fais du dialogue, je ne partirai pas sur tous ces "je vaux mieux que ça" qui se déroulent dans ma tête. Mais je vaux quand même mieux que ça ! Est-ce qu'elle ne peut pas simplement aller droit au but ?

- Dis-moi simplement comment je dois faire pour l'arrêter, ce pouvoir.

Ouais ... c'était chiant cette éclipse, encore, là, c'était marrant parce que j'avais la foudre, mais le don secondaire était affreux. Ne rien lâcher, je veux bien, mais je m'en fous des possibilités de chaque don. Moi je veux me fixer sur mon don, mon vrai don, celui qui permet de contrôler les gens et de leur faire faire ce que moi je veux. Je me fiche de les comprendre, mais s'il faut que je travaille dessus pour l'ignorer ... alors, soit. Je ferai en sorte de le bâillonner pour toujours, histoire d'avoir la paix le temps que cette foutue éclipse s'achève.

... elle n'a pas tort, là-dessus, je pourrais éventuellement promouvoir Hortensia à un poste plus gradé, histoire qu'elle prenne les décisions à ma place et que moi je reste la propriétaire du domaine. Elle est loyale, elle ne trahirait jamais ma famille et en plus, elle a vu le corps électrocuté dans le bureau de mon père, le jour où j'ai trouvé le traître qui l'avait vendu. C'était la soirée la plus agréable que j'avais jamais passé ... ah le sentiment de justice rétablie ! Cette sensation là était délicieuse. Peut-être que c'est là-dessus que je devrais me concentrer ? J'ai été choisie pour une raison, la Providence m'a choisie pour une raison. Pourquoi ? Pour la justice ? Non, c'est ridicule. Pour MA justice seulement ? Plus risible encore ... je devrai méditer là-dessus.

- Surtout du rouge, mais j'envisage de varier. Et ... je pourrais mais j'ai p... les choses risquent d'être moins comme j'attends qu'elles soient.

Elle venait de soupirer ... qu'est-ce que ça voulait dire, ça ? Dis-le moi si je t'emmerde, blondine, j'irai simplement m'enfermer dans ma chambre, là où personne viendra m'emmerder. Ou alors ce n'était pas ça ... peut-être qu'elle faisait référence à mon manque d'émotion ? Oui, eh bien, on est ce qu'on est, moi j'ai le privilège d'avoir une âme assez forte pour ne pas avoir besoin d'en laisser transparaître les reflets.

Je la considère un temps, regard fixé dans le sien, tandis que je réfléchissais. Après plusieurs secondes, je baisse le visage et me redresse. Me craquant le cou, j'avance au côté de la blonde, inclinant le visage avec un sourire.

- Merci, blondine, ça me sera peut-être bien utile pour ignorer tout ça.

Je lui donne une petite tape redevable sur sa joue droite, que je répète en deux battements rapides. Reculant d'abord sans arrêter de la regarder, tête levée, j'accentue une dernière fois mon sourire, avant de préciser.

- J'ai encore du boulot à faire pour l'instant, peut-être qu'on se verra plus tard. Dis-moi si tes parents t'emmerdent, je connais bien ça, s'il le faut j'pourrai p't'être bien t'aider. Ah, et ne crois pas que tu me fais de la peine, c'est juste une dette et j'aime bien les régler au plus vite. Capiche ?

Le tout avec un clin d'oeil.