Le bruit de la fonte résonna dans la salle d'entraînement quand Senri laissa retomber les poids de la presse. Doucement, il s'extirpa de cette dernière et attrapa les quelques haltères qu'il avait utilisés plus tôt. Il jeta un regard à l'horloge trônant au sommet de la salle et ne put retenir un sourire. Il se dépêcha de ranger le matériel qu'il avait utilisé et d'attraper son sac de sport contenant ses affaires d'entraînement.

C'est avec entrain qu'il gambada jusqu'au escalier pour rejoindre l'étage du gymnase. S'il était aussi content de s'y rendre, c'était parce qu'aujourd'hui, il allait enfin reprendre le cours au club d'autodéfense ! Durant tout le mois dernier, soit les cours étaient annulées, soit il était dans un état trop lamentable pour s'y présenter.

S'il était encore sujet à des migraines, des pertes d'attentions et des insomnies fréquentes, le garçon avait retrouvé de sa verve ! Il s'entraînait dur pour maîtriser ses pouvoirs, mais ne négligeait pas pour autant son corps. Depuis son altercation, avec Nicolas, l'un de ses camarades, tonnerres, Senri avait pris conscience de pas mal de chose. Qui l'avaient rapidement mené à la conclusion qu'il devait devenir encore meilleur. Si d'ordinaire, une telle rencontre aurait dû miner son moral, ça l'avait plutôt remotivé à se donner à fond. Qui plus est, il était inscrit à une mission, il se devait donc d'être au top de sa forme.

Il avait donc optimisé son temps en se rendant à la salle d'entraînement pour échauffer ses muscles avec un peu de musculation. C'est donc en short et en débardeur qu'il entra dans le gymnase, gaiement et le corps brillant de sueur. Il avait passé, sur le chemin, ses bandes blanches où étaient brodés des tigres et les mots Warrior Téléporteur autour de ses poignets. Son immense tatouage dorsal, qui représentait les mêmes mots, dépassait légèrement de son débardeur faisant presque de l'ombre au "$W4G" et au cœur transpercé d'une flèche avec la lettre A, sur chacun de ses bras.

Il était arrivé quelques minutes en avance. Mais Elwynn devait déjà être là. Il pourrait convenir d'un nouveau créneau d'entraînement avec elle. C'est donc avec hâte et en sortant déjà les gants de son sac qu'il poussa la porte de son épaule.

J'suis en avance, comme d'hab. J'prépare tout, les tapis, les gants, les bandes, tout ça. J'me suis un peu entraîné seule avant. Tresses, bandes aux mains et poignets, veste de kimono ouverte sur ma brassière. Oklm. J'essae de me mettre bien. Faut dire que depuis quelques jours que Jérémy est dans le mal, on s'est pas beaucoup croisés. Pas croisés. Parce qu'il veut éviter. Et j'aime pas trop. Du coup j'suis pas de ouf d'humeur. Enfin, j'ai arrêté d'apparaitre et réapparaitre à n'importe quel endroit, maintenant quand j'parle des fois je hurle sur les gens mais bon tranquille.

Voir Misao m'a fait du bien. J'vais me focus un peu sur le fait d'avancer. Essayer d'aller voir Ariana plus. Et mieux. Asb. Adé. Et puis ça ira. On fera tourner le club et tout ira bien. J'ai eu vent du bilan des Masters suite à l'altercation des trois abrutis et de mes potes. Comment vous dire que ça aussi. Taper Houston, faut en arriver à un haut niveau de connerie, le mec tu vas le voir tu discutes 30 sec c'est bon t'as pigé comment il fonctionne et hop ça part en négociation ou en manipulation. Le taper c'est la pire idée. Surtout à Terrae. Si j'avais eu un p'tit aperçu du passé de l'organisateur, j'aurai vraiment été persuadée de sa connerie. Et puis taper Alice. Svp. "J'vais taper un agneau lol." Bon ok elle est carrément plus cheatée qu'un agneau mais quand même. Limite, raison de plus. Elle  nous a dit "Je ne suis pas en colère." MDR MAIS HEUREUSEMENT ils seraient tous morts. Et c'est une pro qui vous l'dit. J'ai demandé à pouvoir ajouter des sanctions personnelles. Les Masters ont acceptés.

Et le premier arrivé et changé aujourd'hui, c'est Senri. Les autres vont pas tarder à sortir des vestiaires, leurs voix s'approche. Sourire aux lèvres, les gants tout propres. La fleur au fusil le gamin. Il se dirige vers moi. J'envoie mes cheveux tressés derrière moi, pose les poings sur les hanches.

Senri.

Ma voix n'est pas aussi accueillante que d'habitude. De base elle l'est pas des masses, mais un peu. Là c'est juste froid. Je le jauge de haut en bas. Ma première phrase est sincère. Je ne souhaite pas de mal au Tonnerre.

Je suis contente de voir que tes blessures vont mieux. Par contre, je comprends pas comment tu peux revenir dans mon club en étant aussi joyeux.

J'lui veux pas de mal. Mais je sais ce qu'il a fait. Il s'est battu. En dehors du dojo. En étant payé. Pour frapper d'autres gens, qui n'avaient rien demandé.

Je sais que tu as fait la connaissance d'Alice et de Houston. Ca tombe bien, ceux sont deux amis à moi. Proches. Je connais aussi le reste de l'histoire.

Et je suis déçue. Sincèrement décue.

Si Senri avait un large sourire aux lèvres, il le perdit d'emblée quand Elwynn prononça son nom. Puis, il arqua un sourcil en entendant les paroles qui suivirent. Avant que son visage ne se décompose totalement en entendant la professeure parler d'Alice et Houston. Les voix qui s'élevèrent derrière eux ne firent rien pour arranger la boule qui grandissait dans son ventre.

Ses dents grincèrent et ses poings se serrèrent. Il n'était pas énervé contre Elwynn, pas à cause de la semaine qu'il avait passé priver de sa téléportation. Mais ce qui lui revenait en tête, c'étaient les larmes de Chrys. Senri était en colère contre lui-même. Il s'était laissé abuser par ses pouvoirs, l'excitation qu'ils avaient suscitée. Il avait oublié qu'il était venu ici à cause d'un événement absolument similaire.

— J'imagine que vous allez me faire la morale et me virer du club ? Pas besoin de gaspiller votre salive, j'connais.

Si, avoir conscience de la gravité de ses actes était une chose, les assumer en était une autre. Quand le regard de Senri avait entraperçu les cicatrices de la professeure d'arts martiaux, il avait ressentit la même chose que devant Nicolas. Chose qui était d'autant plus forte, car Nicolas ne lui avait donné qu'une petite correction.

Elwynn aurait pu le tuer une dizaine de fois — et c'était seulement le nombre d'occasions qu'il acceptait de reconnaître.

Malgré le ton résigné qu'il avait employé, il resta immobile, devant la professeure attendant qu'elle le renvoi effectivement. 

Faudrait être aveugle pour pas voir la rage de Senri. J'me demande d'abord s'il va exploser et ne serait-ce que tenter de me mettre une droite. Ce serait marrant. Mais y a autre chose, c'est trop facile d'exploser, il l'aurait déjà fait, en fait. Ou alors il a vraiment peur de moi ? Enfin j'veux dire, de ce que je peux faire, et à raison. J'en sais rien.

Sa remarque me fait un drôle d'effet. Y a de l'amertume, il ressemble à un gamin qui s'fait gronder pour la même chose encore une fois. Je garde mes poings sur les hanches, et j'ai un léger rire à sa remarque.

Visiblement. J'imagine que tu sais aussi que si tu recommences à te battre en dehors du dojo, j'te vire irrémédiablement, et je me débrouille pour que tu n'aies plus accès au gymnase et la salle d'entrainement sans surveillance.

Et si tu touches à mes potes encore une fois, je donne peu cher de tes entrailles. Mais bon, on se calme Elwynn.

Si tu es au courant de la chanson, j'vais pas la refaire alors. Tu m'as dit toi-même avoir déjà transgressé les règles d'un dojo. Je suis déçue que tu le refasse ici Senri. Tu le savais ça ?

Je croise les bras. Mon ton n'est pas agressif, il est simplement froid, dénué de sentiment.

D'habitude j'suis fière de te compter parmi mes élèves. J'aimerai l'être encore. J'ai aussi merdé pas mal. T'as beau avoir tapé sur des gens que j'aime, j'aimerai te voir revenir au club. Et j'aimerai pouvoir être vraiment fière de mon élève. J'ai pas le temps pour traiter avec des idiots finis qui pensent qu'à taper sur ceux qui ont rien demandé.

Je lui donne une tape sur l'épaule. Elle est sèche, loin d'être douce, peut être même douloureuse. Mais y a de l'amicalité dedans.

J'veux pas te voir à mon cours pendant 2semaines. Et tu seras en charg de nettoyer le gymnase. Sous-estime pas c'que le ménage peut t'apprendre, pigé ?

Je le regarde droit dans les yeux. Et ma voix est sérieuse tout à coup. Presque sensible.

Tous les gens que tu frapperas à nouveau Senri, c'est des gens aimés par d'autres gens. Potentiellement, d'autres gens que toi tu aimes. La prochaine fois que tu veux prouver ta force ou que sais-je, tu m'fais un plaisir de le faire en règle. Compris ?

Le visage de Senri resta un moment figé dans cette expression de colère mêlée à de la frustration. Il baissa les yeux quand elle mentionna être déçue de lui. Il serra les poings et mordit sa lèvre inférieure. Mais quand Elwynn s'approcha et tapa contre son épaule, il sursauta presque. Il écarquilla les yeux, et entrouvrit la bouche, surpris.

Néanmoins, son regard ne se détacha pas du sol.

— Je... Je suis désolé. Et... Merci pour... Me laisser revenir.

Dire que l'émotion était palpable dans la voix de Senri était un euphémisme. Il frotta ses yeux pour y chasser la poussière qui s'y était mise. Car il s'agissait bien de poussière. Il releva les yeux vers Elwynn.

— D'accord, madame. Je ferais le ménage. Le gymnase aura jamais été aussi propre.

Ce qu'elle ajouta cloua Senri sur place. Il acquiesça, le regard fuyant.

— Ouais. Je... Je comprends ce que vous dites. Un coup-de-poing ça peut avoir des conséquences plus importantes qu'un hématome.

Il marqua une petite pause, ne sachant toujours pas où poser son regard et grattant compulsivement l'arrière de son crâne.

— Euh... Est-ce que... Je peux juste rester pour regarder, aujourd'hui ?

Il avait finalement planté son regard dans celui d'Elwynn. 

Senri est très surpris que je le laisse revenir. Mais si j'veux qu'il progresse, si j'veux l'encourager dans la vie, faut bien ça. Essayer de faire comprendre les erreurs et proposer d'aller de l'avant quand même. Me demandez pas depuis quand j'suis pédagogue j'ai pas la réponse.

Il me certifie que le gymnase aura jamais été aussi propre. Sérieuse, je hoche la tête. J'en attends pas moins de toi. Il a son air toujours aussi déterminé, je sais qu'il fera tout pour me prouver qu'il a raison. Et j'espère qu'il sait qu'il en sera récompenser. Je hoche la tête à sa dernière phrase, l'air grave.

Exactement.

Y a des gens qui vont en souffrir autour, ça peut traumatiser, ça peut détruire. C'est ça, les vrais conséquences de frapper quelqu'un en dehors d'un combat en règle. C'est tout sauf anodin, et si tu frappes sans comprendre ça, t'es un idiot. Et moi j'ai confiance en toi Senri. Tu peux être naïf, inconscient, mais pas idiot. Si j'peux faire quoique ce soit pour t'en empêcher, je le ferai.

Il me demande s'il peut rester pour aujourd'hui, et je ne m'attendais pas du tout à cette question. Je n'en laisse rien paraître. Je laisse un petit silence avant de souffler, autoritaire.

Si tu l'ouvres j'te vires du gymnase, je veux rien entendre. Allez file sur le banc.

Je me tourne vers les autres qui pour certains jettent des regards curieux. Pas tous, parce qu'ils savent très bien ce qui les attend s'ils jouent les trop curieux. Je tape dans mes mains et lance d'une voix forte.

Y a mieux à faire, tout le monde à l'échauffement, faite-moi deux tours de tatami avec les répétitions habituelles ! Allez. Bonjour à vous aussi.

Senri releva discrètement la tête vers sa professeure pour observer sa réaction. Il ne put retenir une expression de joie incommensurable lorsqu'elle lui permit de rester. Il se courba respectueusement.

— Merci beaucoup !!! Je pourrais jamais assez vous remercier !!!

Senri fila sur le banc et passa toute l'heure à regarder attentivement l'entraînement. Inconsciemment, il bougeait ses lèvres quand Elwynn donnait des explications. Mais aussi, lorsqu'il voyait certains membres faire des erreurs, il se les murmurait, de manière presque imperceptible.

Tout en restant assis, il essayait parfois de mimer un geste, une technique. Déconstruisant chaque mouvement du regard. S'il avait eut son carnet, il l'aurait noirci de notes et de schémas, mais au lieu de ça il se murmurait des exercices à faire chez lui, des consignes.

Il regardait, il regardait. Sans voir le temps passer. Il aurait aimé être sur le tatami, mais, le rôle d'observateur le permettait d'observer une nouvelle approche du combat. D'y déceler un aspect artistique.