— Yamada, si tu ne suis pas le cours, je te propose de passer le reste de la journée en salle de retenue.

La phrase implacable du professeur fut suivie du claquement sourd du fascicule de celui-ci professeur le bois de la table de Senri. Ce dernier se redressa difficilement, en grognant, des valises sous les yeux.

Il regarda son professeur.

L'instant d'après, il le lançait au sol, attrapait sa chaise par les pieds et broyait le dossier sur son crâne avant de dégonder la porte et de la lancer sur le corps de cette saleté de monsieur je sais tout.

— Yamada. Sors.

Senri grogna, triste que sa vision ne soit qu'une vision d'un futur alternatif où il n'aurait pas eu autant de self-control. En soupirant, il se leva et attrapa son sac pour sortir, alors qu'il ouvrait la porte et que le professeur désignait quelqu'un pour l'emmener en salle de retenue, Senri s'y dirigeait déjà tout seul.

Il déambula dans le silence avec son camarade, comme déconnecté de la réalité. Mécaniquement, il entra dans la salle de retenue et s'assit à un bureau. Il ne prêta pas tellement attention aux consignes de son professeur transmise par son camarade. Toujours sans l'écouter, il sortit une bouteille d'eau de son sac et la posa sur la table.

— J'le f'rais pas son truc. Dégage d'là.

Il cracha cette phrase sans même regarder son camarade, ni même s'il écoutait ses consignes. Il avait bien mieux à faire ; il se pencha pour poser son front contre le plastique e ferma les yeux pour se concentrer sur son pouls, en capter la musique et cadence.

L'eau dans la bouteille eut un léger soubresaut. Senri sourit légèrement. Au terme de cette journée, il manipulerait l'eau de cette bouteille comme une majorette avec son bâton.

"... et merde..."

Est une réaction tout à fait sensé pour une personne de 22 ans qui se réveille en ayant mouillé son lit pour la troisième fois cette semaine. Bon c'est pas si grave, c'est de l'eau, mais tout en chacun devrait quand même être en droit de considérer qu'entre deux âges, à savoir l'état de nourrisson et celui de vieillard, on est supposément à l'abri de ce genre d'incident. Foutu éclipse, j'étais bien moi avec ma super capacité à mettre des soufflets et guérir les piqûres d'insectes. Me voilà donc à mettre le drap du lit à sécher alors que je devrai actuellement entrer en salle de cours.

"Mais merde !"

Ça c'est moi qui ne trouve plus la salle de cours où je me rend chaque semaine depuis... si longtemps me semble-t-il.

"Oh hé ! Merde hein !"

Et là, je découvre que j'avais un DM de mathématique à rendre, perso j'avais pris ça pour une disserte... trop de lettres vous comprenez. Du coup, enseignant pas jouasse de ma réaction comme de mon retard, moi qui proteste que c'est le bordel ces derniers temps et une réponse toute simple de sa part :

"Bienvenu à Terrae, et bonjour la salle de retenue jusqu'à ce que tu sois au clair sur tes travaux."

Le tout avec une escorte jusqu'à la salle qui portait bien gentiment le polycopié que le prof tenait absolument à me voir remplir. Du bonheur en barre j'vous dis ! Dans la dite salle de retenue, trois clampins, sans surprise des mecs qui ont pas l'air ultra en train de réfléchir à la raison de leur présence en ces lieux. En fait, le seul type qui a l'air concentré , le front fixé avec intensité sur... une bouteille d'eau. Fait au moins l'effort de mater un film de joie bordel, t'es un lycéen ou pas? Sans me soucier plus avant de mon guide que je déleste de son porte-monnaie (fallait pas te porter volontaire pour rater du cours) ainsi que de la série d'exercices pour m'installer non loin l’hydrophile. Après un instant, surtout pour faire genre de pas direct commencer à foutre le boxon alors que je viens d'arriver, je me retourne vers le type avachi sur son bureau avec un sourire stupide et un cliché un peu revisité aux lèvres :

"Alors? Elle est bonne?"

Ys serait sans doute fier de cette qualité de blague.

"Que ce soit l'eau ou l'hypothétique personne à laquelle tu semblais être en train de rêver... Rien de honteux à ça, parait même que c'est vital à la survie de l'espèce."

Mais quand on la désamorce tout seul, ça marche moins. Déterminé à sauver ma crédébilité, toujours l'air parfaitement affable , je lui tends la main.

"Abe, Enchanté cher codétenu"

Alors que Senri était pleinement concentré sur sa bouteille d'eau, un élément perturbateur pointa le bout de son nez. Quand la personne qui venait de s'asseoir à côté de le questionna, Senri feint de l'ignorer. Mais la deuxième intervention suffit à faire réagir Senri.

Il releva la tête, les sourcils froncés et les joues rouges. Évidemment, la phrase du garçon avait fait réapparaître une vision de la chambre de Las Vegas, avec Afya.

— Non mais tu vois pas que tu m'déranges ?!

Là, Senri arqua un sourcil. Au lieu d'avoir l'habituelle vision du réveil de son interlocuteur, Senri n'eut que la vision d'une petite fille , avec ce qui semblait être ses frères ? Il ne se formalisa pas immédiatement à propos de cette vision, mais plutôt de l'absence de l'autre. Ce qui signifiait qu'il avait déjà rencontré le garçon.

Il acquiesça — étrangement calme au vu de sa réaction une fraction de seconde plus tôt.

— Aaaah, c'est toi. On s'croise souvent ici, mais j'avais jamais entendu ton nom. Moi c'est Senri Yamada. T'as fais quoi pour te retrouver là ?

En effet, si Senri et Abe n'étaient pas ensemble dans tous les cours, ils partageaient quelques matières et étaient tous les deux abonnés aux heures de retenue et à l'école buissonnière.

— Et j'pensais à personne !! J'étais en train de m'entraîner à manier l'eau de ma bouteille ! Comme on change de pouvoir autant tous les maîtriser !!

Il avait parlé avec un certain aplomb et des flammes dans les yeux.

— T'es quoi, au fait, toi ?

S'il était titan, le garçon ne répondrait plus de rien. 

Quelques instants, c'est tout ce que sa patience aura soutenu. C'est à peine si il sort de sa "méditation" qu'il monte d'un ton, comme quelqu'un vaguement poussé sur la défensive. Quand à ses mots, ils étirent le sourire déjà présent sur mes lèvres car son teint en dit long. J'ai la même tare, je suis du genre lisible. Un instant passe et il réalise qu'il a déjà vu ma tête.

Je suis plutôt un dissident du matin.

"Boarf, rien. J'crois bien que c'est que Monseigneur des mathématiques me reproche en tout cas. Du coup, il me file des vacances dans cette salle. J'suis pas sûr qu'il ait bien saisi la notion de pédagogie. Et toi? Que t'a donc valu d'être là?"

Nan, vraiment sous peu on va parler d'évasion.

Quant à son explication? Disons que je ne suis que modérément convaincu, mais il avance un point juste. On a de nouveaux jouets, faut les user avant qu'on ne nous les "confisques".

"Eau. Option gravure sur bois."

Avec un rictus carnassier exagéré et beaucoup de concentration, un doigt levé au niveau de mon visage comme pour littéralement soutenir le suspens, un changement s'opère. D'abord discret et subtil, le profil des ongles de ma mains droites s'élime et s'allonge, blanchissant au passage. C'est bientôt un jeu de griffe donc je dispose avant d'entamer le bois de mon nouvel outillage.  De quelques coups d'ongles, j'esquisse un rosace difforme.

"D'ici la fin de ma sentence, j'aurai fait une fresque de cette table."

Puis je me rappelle que j'ai du butin. Relevant la tête comme sous l'effet d'un coup de génie, je m'empresse de sortir le porte-monnaie dérobé et d'en découvrir le contenu, en commençant, bien sûr, par en apprendre un peu plus sur son propriétaire, à commencer par son nom.

"Dwight Fairfield. Mouaip, t'as bien un nom à mourir dans un Slasher toi!"

Les présentations faites, j'en extirpe le contenu.  Quelques chose comme 2000 yens en petites coupures . Pas trop mal.

"Mais du coup, tu comptes vraiment t’entraîner avec cette bouteille? J'imaginais que ça serai plus facile avec, genre plus d'eau autour de toi. La piscine ou le lac par exemple. "

Quoi qu'à bien y penser, je raisonne comme ça parce que l'air est partout autour de moi. Si il venait à pas être là, moi non plus normalement. Une mauvaise habitude à tuer?

"Nan par contre, ton truc de bouger l'eau dans la bouteille me donne une idée folle. Tu vois les distributeurs de boissons? Ça ferait un bon entrainement d'essayer de boire à l'oeil non?"

Criminogène? Moi? JA-MAIS.

Les yeux de Senri s'illuminèrent en voyant le doigt d'Abe se transformer en une griffe effilée.

— WOAH, mais comment c'est trop classe !!

Il ne fut que plus impressionné en voyant ce dernier dessiner sur la table. Oui, le Nippon était assez facilement impressionnable face aux pouvoirs et à la délinquance. Avec tout ça, il n'avait pas tellement prit le temps de répondre à la question d'Abe.

— Sinon la classeqq, c'était chiant, alors j'dormais. Mais c'était une ruse pour pouvoir m'entraîner !!

Il bomba le torse pour donner plus de poids à ses mots. Mais les cernes sous ces yeux en disaient long sur son état de fatigue. Et en parlant de pouvoir, une nouvelle vision s'imposa à Senri, lui faisant manquer l'épisode du porte-feuille.

Il revoyait une petite fille avec ses frères. Dans différents moments de leur vie.

Il pesta et colla sa main contre son crâne. Ces visions lui collaient d'atroces migraines. Heureusement, Abe proposa une activité assez amusante pour lui faire oublier ça. Avec en prime quelques question.

— Oh, j'y avais pas pensé !! C'est une bonne idée ! En plus, j'ai du mal à dissocier mon énergie de mon corps, c'est pour ça que j'essaie avec des petites quantités d'eau. Par contre...

Il pointa du menton le pion qui pianotait sur son téléphone et qui était normalement en charge de la salle de retenue.

— J'pense qui faut qu'on se débarrasse de lui.