Après l'annonce d'Hideko, Ariana s'est enfermée dans sa chambre. Trop de personnes dehors. Trop de gens autour d'elle. Elle aurait certainement pu demander à se faire poser un sceau, mais elle espérait que les visions se calment d'elles-mêmes. Ou que ses pouvoirs reviennent. Elle ne savait pas trop ce qu'elle attendait, finalement, à part un miracle. Bien sûr, Allen voulait passer un peu de temps auprès d'elle ; mais elle lui a gentiment demandé s'ils pourraient se voir le lendemain plutôt, car elle avait besoin de temps pour essayer de contrôler ces visions. En fin d'après-midi, elle est toujours couchée sur son lit, roulée en boule, en espérant que la vie passe et ne penser à rien.

Parfois, la pensée la plus anodine lui envoie une vision. Parfois, une image sur son écran en enclenche une. Lorsqu'elle touche quelqu'un, c'est pire. Lorsqu'elle pense à quelqu'un, c'est pire. Migraine, et tête qui menace d'exploser. Afya lui avait bien sûr dit que ce n'était pas comme ça, habituellement ; qu'elle pouvait bloquer les visions les plus gênantes, maintenant, et qu'elles n'étaient pas aussi fréquentes. Mais impossible pour elle de les contrôler : elle se retrouve simplement happée dedans, et lorsqu'elle atterrit à nouveau dans le présent, elle est soit par terre, soit agrippée à un objet, soit contre un mur qu'elle n'a pas vu. Dans tous les cas, elle a toujours la tête vide.

Lorsqu'on toque à la porte, elle sait que c'est Elwynn. Vision, évidemment, lol. Elle aurait pu lui faire comprendre qu'elle n'est pas là, malheureusement la vision de son arrivée lui fait perdre l'équilibre alors qu'elle revient des toilettes, et elle trébuche à travers sa chaise de bureau dans un grand fracas.

—J'suis pas là ! grogne-t-elle en essayant de gérer les points noirs qui dansent devant ses yeux, alors qu'elle se relève.

OUAIS ON TE CROIT MDR.

J'ai passé la nuit chez les Williams, j'avais aucune envie de laisser Jérémy, même s'il gérait. J'avais pas non plus envie d'être seule, et puis j'me suis fais assaillir de visions quelques fois. C'est vraiment horrible cette merde quand tu contrôles rien et que ça te déglingue la gueule comme ça. J'suis restée, j'ai vu Nico, j'ai croisé Ronron qui a bien galéré. Etre Master et se retrouver avec un pouvoir qu'on maitrise : un autre délire. Malgré tout j'suis contente d'être là. C'est con mais à chaque fois que je reste dormir chez les Willimas, j'ai l'impression d'avoir une famille. Alors ouais j'essaie toujours de pas rester longtemps parce que j'ai trop peur de déranger malgré tout, mais ça fait du bien. Malgré ces visions de ses morts.

J'ai bougé ensuite, j'suis restée jusqu'en début d'aprem puis j'ai bougé. J'ai envoyé des messages à tout le monde, j'ai dis à Asb qu'on se verrait demain. Ok, tout ça, c'est réglé. Aria répond à peine, et j'ai eu beau lui envoyer des messages persos, elle a pas l'air bien. Et pour une fois, j'décide d'aller voir ce qu'il y a. C'est pire de faire ça après, mais va bien falloir que j'me bouge le cul un jour. Et puis en plus, elle aussi, doit avoir des visions, alors peut être qu'on peut s'aider.

Alors me voilà devant sa porte. Je toque. Ca fait un moment que j'ai pas eu de vision, du coup je flippe ma race que ça revienne à un moment random. T'sais c'est comme quand tu dois avoir tes règles mais tu sais pas quand exactement et du coup plus ça dure plus tu flippe. Je frappe à sa porte. Est-ce qu'elle vient de déboiter une chaise ? Très bien.

Elle grognasse en disant qu'elle est pas là. Comme l'impression que sa colère est bien dirigée vers moi. Enfin pas que mais en bonne partie. Et là faut répondre, faut dire un truc convaincant, et moi le seul truc qui me vient c'est :

Alors est-ce que j'peux rentrer et attendre que tu reviennes ?

Ca. N'a. Pas. De sens. Elwynn. C'est fou, mais j'ai paniqué mes morts, je vous le dis, vous le savez, tout le monde le sait d'accord je ne SAIS PAS parler avec les gens. Des fois ça se passe bien mais c'est parce que les gens ils sont gentils avec moi c'est tout, s'ils ont pas envie moi j'suis une sale merde à côté d'accord ? Surtout si j'aime ces gens. Pire réponse du monde en fait.

Inspiration, Ariana se remet sur ses jambes en se massant le genou ; elle s'est fait un peu mal en tombant. Elle est dans sa chambre. Bien. Ah, quelqu'un toque, oui. Elle l'a envoyé chier. C'est vrai que c'est Elwynn. C'était pas super sympa, mais en même temps, c'est pas vraiment le moment.

Elle va pour se balancer sur son lit, tête la première, mais la voix d'Elwynn la retient. Elle gémit, grimace, se dit qu'elle devrait juste lui mettre un vent. A la place, elle va déverrouiller la porte, l'ouvre et lui jette un regard souligné de cernes. Ses yeux sont plissés à cause de son mal de crâne.

—Ca va, entre...

Sans attendre de réponse, elle va jusqu'à son bureau pour récupérer un doliprane. Le précédent ne fait déjà plus effet ; les doses un peu plus rapprochées que ce qu'elle prend d'habitude, mais franchement, au point où elle en est, tant pis.

—Tu survis ?

Le ton n'est pas cynique, mais il aurait pu. Elle ne sait pas quoi dire à son amie, et ça se voit ; elle n'a juste pas envie de faire l'effort. Elle passe à côté de la peluche que Viviane a déchirée et essaie de l'ignorer. Faut se dire qu'Elwynn subit le même genre de vision qu'Aria ; ça doit pas être simple pour elle non plus. ... Ouais ok, elle s'en fiche un peu. Son rêve du matin et sa fatigue l'ont un peu tuée à l'intérieur. Elle n'a pas fermé l'oeil depuis qu'elle s'est fait réveiller par Afya et Viviane.

Ariana me laisse en plan quelques secondes avant de venir m'ouvrir. Si on avait dû se maquiller pareil on aurait pas fait mieux. Elle a l'air épuisée, le dessous de ses yeux est probablement aussi noir que les miens, le teint palôt, les cheveux dans tous les sens. Yes, belle ambiance.

Elle va directement chercher un truc sur son bureau. Alors que je ferme la porte derrière moi, je m'aperçois que c'est des anti-douleurs. J'ai même pas eu l'idée, et pourtant Jérémy a dû le mentionner... Mais j'ai tellement pas l'habitude. J'ai juste l'impression d'avoir une gueule de bois constante, donc je vois passe d'eau. Aussi parce que j'ai envie de gerber très régulièrement du coup.

Pas de ouf. Et toi, pas mieux j'imagine ?

Elle a l'air si en colère, c'est rare de la voir comme ça. J'aime pas trop. Mais mdr j'suis qui pour juger de ça. C'est vraiment horrible ces moments où j'me rends compte que je suis incapable d'aider qui que ce soit, et que même mes potes j'galère toujour autant. La première chose que j'ai envie de demander c'est ce qu'elle a vu, si elle veut qu'on en parle, mais je me ravise : elle en a très clairement pas envie, j'ai clairement pas du tout envie de parler de ce que j'ai vu non plus. Je plains tous les Voyants, tous les Télépathes et tous les Sensitifs encore plus qu'avant maintenant. Y a vraiment des trucs pas cools.

Eum. Si j'peux faire quoique ce soit pour t'aider... Pardon d'avoir insisté, mais vu l'état des nouveaux Voyants, j'voulais vraiment passer te voir, et euh. Bah t'aider si j'pouvais. Hm, Allen ça va ?

Elle sait pas quoi m'dire, et moi, j'suis pas la meuf avec le plus de conversation du monde non plus hein, mdr.

L'espagnole peine à soutenir le regard de son amie, qu'elle fuit presque immédiatement. Médicament ; c'est une bonne excuse, pas vrai ? La porte se ferme pendant qu'elle boit un peu d'eau pour avaler la pilule ; elle jette ensuite un regard vide à Elwynn, la dévisageant comme si elle venait de lâcher la plus belle des absurdités.

—Mais si, ça va super.

Elle balance la boîte sur le bureau, plus violemment que voulu. Quand elle est énervée et à cran comme ça, un rien peut la faire hurler en se prenant la tête entre les mains. Littéralement. Après, généralement, elle se roule en boule et pleure un coup. Là, ça va. Enfin, ça ira mieux quand ce foutu doliprane aura fait effet.

La petite rousse se laisse tomber sur son lit.

—T'en fais pas, c'est gentil d'être venue. Tu peux t'assoir si tu veux. Sinon j'ai des trucs à manger sur le bureau, enfin, fais comme chez toi.

Ariana gardera juste ses distances. Pour ne pas la toucher, tout ça, éviter de provoquer des visions. Elle lui laisse beaucoup de place sur le lit, concentrée comme elle le peut sur le moment présent, sans répondre à sa question concernant son besoin d'aide. Aria ne sait pas la demander, de toute manière.

—Allen ça va, reprend-elle, le regard fixé devant elle. Il est guérisseur, alors à part guérir tout seul, je vois pas ce que ça peut lui faire.

Elle se racle la gorge en constatant son ton peu avenant. Calme-toi. Ca va. Heureusement qu'Allen va bien. Heureusement. Elle serait restée près de lui, même si ça lui aurait fait du mal à elle. Pour le moment, elle a pris le temps de se mettre à l'écart pour éviter de devoir surveiller son ton et son langage, et surtout éviter de donner l'impression de vouloir égorger des chatons. Même si c'était à moitié le cas. (Pas les chatons, par contre, elle aime trop les chatons !!)
Faut dire qu'elle aurait préféré passer du temps avec son chéri.

Ariana ferme les yeux un instant. ... Elle voit Elwynn vomir. Wow, super vision, maintenant elle a la nausée aussi, gros lol. Passé ou futur ? Surprise surprise. Ca avait pas l'air de se passer ici en tout cas.

—Si t'as besoin d'un doliprane ou d'un anti-vomitif, sers-toi. J'ai ce qu'il faut... là-bas.

Elle fait un geste vague vers son étagère à médicaments, toujours assez remplie.
Ouais. La discussion, c'est compliqué, là.

En terme de me sentir jugée, j'suis nickel. On est sur une grosse discussion cool. Elle me balance qu'elle va très bien, ça me fait l'équivalent d'un coup dans le ventre par surprise. Je ne bronche pas, j'arrive à lâcher un mini sourire genre "Ahaha lol." mais il disparait bien vite. Elle me dit que c'est quand même sympa d'être passé. Ok, cool au moins c'est déjà ça.

J'accepte son invitation et vient m'asseoir sur le lit, un peu loin d'elle moi aussi. On est dans la même merde pour ce genre de trucs. J'vais éviter de manger quoique ce soit, j'arrive mieux à contrôler mes p'tits accidents depuis hier soir mais on sait jamais, et ça fait un moment que j'ai pas eu de puissante vision donc on va se méfier et être précautionneux.

Elle ne répond pas à ma proposition pour l'aider. Ariana. Faudra donc que j'essaie de truver un moyen efficace. Mais j'suis NULLE pour ça et tout le monde le sait. Enfin si j'peux lui proposer de me taper dessus, mais étonnemment j'suis pas hyper confiante quant à cette proposition pour elle. J'veux dire, elle est super dangereuse et beaucoup moins prévisible que les autres, elle est super puissante et efficace, donc pas ouf. J'aimerai bien vivre encore un peu. Elle parle d'Allen et je hoche la tête. C'est vrai qu'il est Air. J'oublie, j'le connais trop peu de toute façon. J'aimerai bien changer ça mais j'ai la vague impression qu'il n'a aucune envie de faire plus ample connaissance. Donc inchallah.

Je la remercie pour les médocs, pour l'instant ça va. Je bloque comme je peux, ça fait une drôle de sensation, comme si je contractais tous mes muscles. Je dis rien pendant un moment. J'ai envie de lui demander si elle aussi, elle a revu des moments qu'elle avait pas envie de voir. Mais au lieu de ça, j'fais une Elwynn.

Eh euh... Tu sais... Non tu sais pas, enfin si. J'suis nulle pour euh, savoir comment aider les autres et euh. J'sais jamais comment te dire que... J'suis là. Si t'as besoin. Mais genre. Enfin c'est nul de dire "Eh c'est toi qui doit venir chercher mon aide." Alors euh. Bah. J'aimerai bien t'aider. Si je peux.

Yes, vive l'éloquence. J'devrai m'en aller non ? Fuir comme Boubou me dit de faire des fois ? Non, quitte à être moi, autant l'être jusqu'au bout et faire face.

Wow, la conversation est pas ouf. En même temps, quand elle fait pas l'effort de la faire — et elle est actuellement arrivée à ses limites — c'est souvent compliqué pour la personne en face, encore plus avec Elwynn. Faut croire que c'est destabilisant de la voir faire la gueule, elle devrait essayer de le faire plus souvent pour que les autres s'y habituent, p'tetre ? Enfin bon. Elles communiquent pas de la même manière, toutes les deux, alors elle ne peut pas totalement lui jeter la pierre. Elles ont beau avoir la même affinité, elles sont très différentes l'une de l'autre. Ariana s'en rend compte, et elle l'accepte. Le problème réside ailleurs. Dans le passé, elle aurait eu besoin de ce type de discours. Avant, peut-être, quand elle ne savait plus quoi faire, mais qu'elle savait encore qui elle était.

Maintenant, Aria ne sait plus ni ce qu'elle fait, ni ce qu'elle veut faire. Elle sait juste que sa tête va exploser, et ses émotions sont si instables qu'elle ne sait pas comment elle est censée les gérer. Comment elle peut faire pour ne pas les leur imposer. C'est dur pour elle.

Sans doute pour Elwynn aussi, à la réflexion. Aria pourrait faire plus d'effort, elle aussi. Être plus aimable. Alors elle respire. Elle se rend bien compte que son état blesse son amie — mais qu'est-ce qu'elle peut faire, aussi ? Mentir ? Quelle idée… Elle fait la moue et acquiesce :

—Merci, c'est gentil.

Elle détourne les yeux. Elle a failli ajouter que si elle avait besoin d'aide, ce serait sûrement venant de personnes qui ont davantage été là pour elle lorsqu'elle allait mal. Comme Afya, comme Allen. Même Houston, à un certain degré, qui est étrangement doux depuis qu'elle va mal. Mais Elwynn… C'est compliqué. Elle lui dirait quoi ? "Je vais mal." "Ah, pas cool, tiens un cookie" ?… Quand ses yeux et son visage le criaient, elle avait juste l'impression de l'embêter. Alors elle insiste plus, maintenant, même si la proposition est touchante. Elle voit juste pas ce qu'elle peut faire, très objectivement.

—J'y penserai… Si j'en ai besoin.

Faudrait-il encore qu'Aria parvienne à le lui faire comprendre. Surtout qu'elle ne sait pas trop comment interpréter ce qu'Elwynn a dit…

—Il y a pas grand-chose à faire de toute façon… Enfin, sauf si tu as une idée qui tombe du ciel, je sais pas ?

Cette fois, c'est une voix plus dépitée qui lui échappe. Elle regarde le sol d'un air morose, ramène une jambe contre elle.

—Les autres se sont pris en charge, je suppose ?

Ariana me remercie juste. La conversation est nulle. Et puis c'était pas que ça que j'voulais dire. Je sais qu'elle va pas bien, c'est obvious, je sais juste pas quoi faire. J'ai pas su être présente quand ça a commencé, j'étais dans le mal aussi je savais pas comment gérer les choses mais plus ça dure plus c'est dififcile d'aider. J'suis nulle j'aurai dû venir avant, paie ta pote. Again.

Elle ajoute qu'elle y penserait si besoin. Est-ce que ça voulait dire qu'elle a pas besoin de moi ? J'me suis déjà suffisament dit qu'Ariana ne voulait pas de mon aide pour ça non ? Pour une fois que j'outrepasse ça, merde. Je l'ai fait avec Asbjorn, dès le début, de forcer mon aide, j'ai plus empiré la situation qu'autre chose. Mais aujourd'hui ça va mieux entre nous, beaucoup mieux. Alors pourquoi j'y arrive pas avec Ariana.

Elle a l'air si mal, et plus elle parle plus c'est pire. Je hoche la tête quand elle me demande si les autres sont pris en charge. Ma voix est toute faible.

Oui. Alice et Adé se soutiennent l'une l'autre, et Asb et Nico sont ensemble pour s'aider à gérer les pouvoirs de l'autre. Jérémy va bien.

Silence. Je serre mes poings. Souffle. 1. 2. 3.

Est-ce que. Est-ce que t'as eu besoin d'aide à un moment et tu me l'as pas dit ? Ok, non. Enfin si, je te demande, mais je te demande parce que je crois t'avais besoin d'aide et euh... Bah j'suis pas super douée donc euh j'étais pas... Sûre ? Je voudrais... Savoir.

Tmtc j'ai pas beaucoup peur dans ma vie mais quand ça touche aux gens que j'aime j'me chie dessus. Je suis donc très dans le mal.

La conversation pue, coucou. C’est pas agréable ; pour aucune d’entre elles, en fait. Ariana serre discrètement les dents, essayant de ne pas trop montrer son trouble à sa plus jeune amie. C’est difficile de croire qu’Ariana est la plus âgée du deux, parfois ; déjà en voyant sa chambre, décorée comme une piaule d’adolescente qui aime encore un peu trop le rose, les paillettes, les trucs mignons et les peluches, puis surtout en voyant son comportement. Elle fait quoi, là, Aria ? Elle se recroqueville sur elle, mais est-ce qu’elle a réellement raison de le faire ? Nan… Y a rien qui l’autorise à réagir comme ça. Elle abuse peut-être ? Qui sait ? Aha… Quelle bonne amie…

Alors elle essaie de sourire et elle acquiesce. Ils vont bien. Alors ça va. Il faudra qu’elle prenne de leurs nouvelles. … Mais est-ce qu’ils veulent vraiment avoir des siennes ? Peut-être que c’est mieux de pas leur imposer son mal-être, déjà qu’ils veulent pas trop le voir en temps normal…

Non, faut pas penser comme ça. C’est injuste et pas sympa pour eux. Reste objective Aria. Ils ont envoyé des messages. Elwynn est là. C’est qu’ils veulent savoir, nan ? nan… ?

—Oh, tant mieux…

Ca la rassure, quand même. Au moins un peu. Son sourire reste présent, un peu vague, pendant qu’elle se perd dans ses pensées. Elle en est sortie brutalement par Elwynn, qui reprend la parole en peinant à parler. Elwynn hésite. C’est rare de la voir si mal à l’aise, et même pour Aria, c’est considéré comme inquiétant. Elle arbore une mine plus soucieuse… jusqu’au moment où elle prononce sa deuxième phrase. À ce moment-là, l’espagnole se fige juste. Elle cligne des yeux. Elle sait pas trop ce qu’elle est censée lui dire. Mais ça lui semble tellement gros, comme question. Et tellement stupide, aussi.

Ariana ferme les yeux pour éviter de laisser les souvenirs affluer — les vrais souvenirs, pas des visions. Sa jambe tremblote un peu, mais elle se contient. Elle se contient, même si tout bouillonne à l’intérieur d’elle.

—Ouais. Mais vous étiez trop occupés. J’allais pas vous emmerder avec ça.

C’est sorti un peu tout seul. Plus brusquement qu’elle l’aurait voulu, mais elle n’y voit pas de méchanceté. Juste une amertume qui se lit dans sa voix. Les yeux rouverts, elle les pose sur Elwynn. Elle ne pleure pas. Elle se sent juste en colère. Et, tout à la fois, vidée de l’intérieur.

—Ca fait un moment que j’ai besoin d’aide, ouais. Pourquoi tu poses la question maintenant ?

Genre, ça fait pas un moment que c'est évident ? Que c'est marqué sur son visage ? Qu'elle ne leur parle plus vraiment ? Qu'elle s'est éloignée ? Ou tout ça c'est normal pour eux ? Est-ce qu'elle est si insignifiante ...?

Elle ne se rend pas compte que ses pensées tournent, encore, encore ; négatives, tristes, violentes. Pour elle-même, mais aussi pour les autres.

Ariana a pas l'air de bien prendre ma question. Nickel j'appréhendais pas du tout ahahaha. Et sa réponse est en accord avec ce que j'ai pu déceler de sa réaction. Elle voulait pas nous faire chier. Du Aria quoi. On a pas su aller la trouvr non plus. On est pas des bons. Elle est peut être pas la meilleure pour demander de l'aide mais on est clairement des merdes pour apporter la nôtre. Et j'vais arrêter de parler pour les autres : je suis clairement une merde pour apporter mon aide. Quand elle me regarde, j'crois qu'elle est en colère.

Ariana pleure seule dans sa chambre.
Ariana m'évite soigneusement dans la trajectoire du couloir. Je la vois quand même, lui fait un coucou, qu'elle me rend. Je ne fais rien de plus.
Ariana m'offre des gâteaux pour mon anniversaire.

Je secoue la tête pour chasser les nouvelles visions. Elle doit m'en vouloir. Si c'est le cas, j'la comprends. J'crois que c'est normal. Ca fait combien de temps maintenant qu'elle est pas super en état ? Un an ? Quelque chose comme ça ? Et j'ai rien fait du tout, super. Super ambiance. Si, elle allait mieux non ? A un moment ? Pff paie ta pote, aled. Je la regarde moi aussi dans les yeux. J'suis triste. D'être nulle. Mais on s'en fiche, c'est pas ma tristesse qui doit primer là de suite. C'est la sienne, potentielle. Alors j'essaie d'être sincère, au moins j'lui dois ça.

Ok. J'demande maintenant parce que j'ai jamais réussi avant.

Tu veux dire quoi de plus. Se justifier servirai à rien non ? Enfin, ça changera pas le fait que j'ai rien fait avant quoi.

Mais que j'aimerai pouvoir t'aider. Si tu veux bien. Maintenant.

Elwynn répond pas, elle secoue simplement la tête. Elle a l'air perdue, Ariana ne comprend pas qu'il ne s'agit que de visions.

Une moue se planque sur le visage de l'espagnole. Elle respire. Elle ferme les yeux. Elle tente de chasser cette colère qui gronde. C'est pas grave. C'est passé. Maintenant, Elwynn lui pose la question, elle veut savoir, elle veut pouvoir aider…

Une partie d'Ariana n'a pas envie de savoir. N'a pas envie de dire oui, n'a pas envie de son soutien. Elle a juste envie de lui dire "nan, retourne d'où tu viens et fiche-moi la paix". Mais ça, c'est l'égo qui parle. Les yeux soudain humides de larmes, elle baisse les yeux vers le sol, plisse les sourcils, plisse le nez, comme pour se retenir de pleurer.

—C'est gentil. Mais je sais pas ce que tu peux faire pour m'aider, aujourd'hui.

C'est pas pour la repousser qu'elle dit ça. Elle ne sait vraiment pas. Elle sait plus. Elle a envie de sauter par la fenêtre, les gars. Quand elle avait encore un cortex frontal qui réfléchissait, elle aurait pu vous répondre, vous dire : oui, j'ai juste besoin qu'on me demande comment ça va, et me dire que ça va aller. Mais personne lui demande, et tout le monde fait comme si ça va de toute manière.

Maintenant, elle sait que ça va pas aller. Maintenant, elle sait qu'elle dérange. Elle a de nouveaux flashs, une petite rousse qui joue avec des cubes, une petite rousse qui chante dans une chorale, une autre qui se bat pour survivre. Enjoy ta vie.
T'as pas le droit de te plaindre, Aria.
Son sourire revient sur ses lèvres, tremblant, hypocrite - pas envers Elwynn, mais envers elle-même. Elle veut dire "ça va aller, t'inquiète".
Sa bouche s'ouvre, mais le son ne sort pas.

—Pas sûr qu'y ait quelque chose à faire, vraiment.

Elle lève les yeux vers Elwynn. Sourit. Les larmes coulent un peu.

—Toi, ça va aller ?

De toute façon, tout le monde s'en fout, alors elle peut bien changer de sujet.

Ariana me dit que j'peux rien faire aujourd'hui, avec des larmes plein les yeux et un air en pls. J'veux bien que l'Eclipse chamboulle un peu tout mais là c'est clairement moi qui ait cassé son mood et j'avoue j'culpabilise un peu genre, grosse teuteu quoi. Environ. Putain, ça m'rappelle que j'm'aime pas ça.

En même temps quoi, si elle sait pas elle sait pas, ce serait peut être à moi de m'bouger le cul et de trouver quelque chose. Alors j'creuse ma tête vide, en essayant de trouver un truc qui pourrait lui faire plaisir, la réconforter. Et j'le fais sincèrement. On pourrait dessiner, elle pourrait s'amuser avec mes cheveux, ou moi avec les siens, on pourrait préparer un truc bon à manger, on pourrait juste discuter, ou alors aller marcher un peu dehors, jouer à créer des formes drôles avec l'eau...

Mais elle pense qu'il n'y a rien à faire. Je passe ma main dans mes cheveux.

On pourrait juste, j'sais pas. Essayer de passer un moment cool ensemble. Parce que bah j'crois que ça m'manque. Mais peut être toi pas, et j'comprendrai hein.

Elle a des larmes dans les yeux, et elle a l'air de vouloir mourir à l'intérieur, et puis elle me demande si moi, ça va aller. J'ai envie d'éclater de rire. C'est nerveux hein. Super nerveux. Genre j'rigole pas au final mais putain. J'suis ridicule. Mais c'est horrible. Elle me demande en pls si moi j'vais aller bien mais BIEN SUR putain. J'suis débile pourquoi j'l'encourage encore plus à être dans cet état.

Et toi, ça va aller ?

Et toi, ça va ? Tu te sens comment ? Qu'est-ce qu'il t'arrive dans la vie ? Est-ce que je peux revenir ? Est-ce que j'peux m'en prendre une histoire de me rappeler que j'ferai plus la même erreur ? Est-ce que j'peux me rattraper ?

J'veux dire. Ok. Ouf euh. Oui moi ça ira parce que ça va toujours tu vois, tu connais ce principe j'crois, de tout ça va aller. Mais là en vrai, ça va. Mais toi ça va ? J'ai l'impression que, ok j'peux peut être rien faire, j'ai raté des trucs, mais euh. J'veux être là pour de vrai. Ok j'sais pas parler j'suis très nulle à ça mais euh je sais pas. Peut être on peut en discuter ?

Un moment cool ensemble… Ce serait bien. C'est pas qu'elle ne veut pas, actuellement ; elle ne se sent simplement plus capable de faire cet effort. Elle ne veut pas, sans doute parce qu'elle a abandonné, qu'elle se complait un peu dedans. Comme si maintenant, c'est bon, la goutte d'eau avait fait déborder l'océan, et elle avait le droit de se rouler en boule jusqu'à la fin de l'éternité. Sauf que la vie marche pas comme ça, et la petite rousse sait aussi à quel point elle est précieuse. Pour le moment, elle ne voit juste pas ; ça va revenir.

Elle inspire. Acquiesce. Sourit faiblement.

—Ca me manque aussi, avoue Aria. J'aimerais bien. Mais là… là je peux pas. C'est juste que ça fait perpette que ça va pas, et là je suis épuisée, j'ai des flashs tout le temps qui me montrent des trucs que je voulais absolument pas revoir, alors…

Aria relève les yeux vers son amie. C'est encore son amie, et elle tient à elle très fort, même si elle lui en veut. Elle lui en veut pour des choses qui sont à peine de son ressort, et elle le sait ; mais elle ne peut pas s'en empêcher. La colère et la tristesse, au bout d'un moment, même si ça nous plombe, ça nous maintient aussi en vie, quelque part. Elle a besoin de ça, se rend-elle compte. Et pourtant, elle gâche tout, tout le temps, continuellement. Elle a envie de prendre les décisions à sa place et lui dire "non je veux plus te voir (parce que toi tu devrais pas avoir envie de me voir, c'est évident, non ?)". Mais c'est pas évident, et elle brasse un peu du vent dans sa tête. La fatigue est aussi physique que mentale, actuellement.

—Je veux dire… Oui, ça va aller. Pas aujourd'hui. Peut-être pas demain. Mais d'ici quelques jours, quand… Ca passera. Que je gèrerai mieux. Ca va aller. C'est gentil de vouloir être là pour moi et vraiment, ça me fait plaisir.

Elle est sincère. Passé le moment de choc, le moment d'amertume, le moment de tristesse, le moment de déni. Elle inspire.

Ses paumes se posent sur ses yeux.

—Quand tu dis "moi ça ira parce que ça va toujours", tu sais que j'y crois pas non plus ? Ca va pas toujours. Ca va peut-être finir par aller mieux, mais ça veut pas dire que ça va.

Elle sait, ok. Elle sait. C'est pour ça que tu peux pas lui mentir.
Elle essuie ses yeux.

—On pourra se faire quelques trucs la semaine prochaine, si tu veux. Tu aurais envie de faire quoi ? Qu'est-ce qui te ferait plaisir ?

Elle se force à être un peu plus fonctionnelle. A ne pas tourner en rond. A ne pas lui dire "mais de quoi tu veux qu'on discute, je veux pas parler de ça maintenant, je suis en pls, laisse-moi l'être pendant trois jours et reviens après putain", même si ce serait peut-être plus compréhensible pour elle. On a dit communiquer c'est bien…

Je l'écoute me dire que ça lui manque. J'ai un très léger sourire. C'est un peu rassurant, mais j'me doute que ça sera pas magique, tout sera pas totalement ok demain. J'acquiesce quand elle enchaîne. Bien sûr, c'est normal. Je n'ai pas l'air déçue, j'comprends vraiment, c'est normal en fait. Je la laisse terminer, l'écoutant gentiment. Je hoche la tête.

Ok, je comprends. C'est normal je pense. Merci de bien vouloir de moi. Ca me fait plaisir. Et prends ton temps, enfin, prends soin de toi si t'en as besoin.

Je lui souris. Prends une pause, fais ce qui te semble le mieux. Après tout c'est la mieux placée pour savoir ce dont elle a besoin. Mais au moins maintenant elle sait, que j'suis là si jamais elle a besoin. Et j'essaierai de prendre un peu plus l'initiative. Proposer des choses. Quitte à prendre un refus, c'est pas grave ça.

Je pousse un petit soupir, et frotte ma joue.

Hmmm... Je sais. Pardon. Disons que là, j'avais plus envie de savoir pour toi. Moi, pour de vrai, ça va. Enfin là c'est pas évident tu vois, mais je sens que j'vais m'habituer et que ça va l'faire. J'me pose des questions sur la suite mais j'me dis qu'en vrai j'vais m'en sortir. J'crois pour l'instant, j'ai plus peur pour les autres que pour moi. Mais en même temps genre. J'sais comment dire ? J'crois que j'ai confiance pour qu'on s'en sorte. Tous.

Je hausse les épaules, un peu chelou mais en vrai voilà.

Bah, on pourrait genre, j'sais pas, aller se balader, ou alors on pourrait cuisiner des trucs sympa qui font plaisir à manger. Ou se vernir les ongles, ou aller courir. Si ça t'fait envie.

Ariana acquiesce et sourit faiblement. Ca lui va comme ça. Prendre un peu le temps, et revenir quand ça ira pour elle à nouveau. Quand ça ira à peu près. Elle sait qu'il faut faire quelques pas, et que les premiers seront les plus difficiles jusqu'à revoir un peu la lumière.

Elle laisse Elwynn parler un peu d'elle, ramenant ses genoux contre elle, bras autour des jambes. Menton posé contre leur sommet, elle fixe Elwynn qui explicite un peu son humeur du moment. Les yeux de l'espagnole se baissent vers le sol, finalement… Confiance pour qu'on s'en sorte, hein ? C'est peut-être ce genre de pensées qu'elle a besoin de cultiver. Mais… et si tout restait comme ça, si elle restait voyante à vie ? Si elle ne pouvait plus jamais être elle-même ? Parce qu'au final, le problème vient bien de là… … Et aussi de ces choses qu'elle n'était pas préparées à voir, mais ça non plus, elle n'est pas préparée à en parler.

—Tant mieux si ça va. C'est sûr qu'on s'habituera… répond Aria d'un ton amer. Mais j'espère qu'on n'en aura pas le temps, et que tout reviendra à la normale.

Puis elle lui propose des sorties. Rien que d'y penser, ça l'épuise d'avance…

—Là je suis pas assez en forme pour te répondre, mais redis-moi ça la semaine prochaine et je te dirai qu'une partie manucure nous fera du bien !

Ca lui fait pas envie. Pas maintenant, ni demain, ni après-demain. Mais la semaine prochaine, peut-être… Peut-être que oui. Elle lâche un baillement. Sa colère s'est un peu envolée, mais elle reste épuisée. Elle arrivera sans doute à dormir.

—Dis, ça te dérange pas si on écourte un peu ? Je me sens vraiment crevée, j'ai quasiment pas dormi de la nuit… et j'ai super mal commencé la journée.

Elle a une grimace réellement attristée en repensant à Lola, puis inspire et essaie de chasser ce chagrin qui revient au galop.

—Je te fais pas de câlin, j'ai pas envie d'avoir des visions de toi en couche-culotte, désolée ! tente-t-elle de plaisanter.

Prends soin de toi, ok ? On parlera plus tard.