En refermant la porte du taxi qui l'avait conduite à Terrae, Erika remercia silencieusement le consul de son pays. Le royaume de Norvège prenait toujours grand soin de ses ressortissants et il n'avait pas laissé tomber mademoiselle Brann. Il n'avait suffi que de quelques coups de fils pour régler tous les détails administratifs – visa, passeport – et pour qu'on lui dégotte un moyen de transport de l'aéroport à l'école. Et quelle école...
Erika n'était pas fan de séries télévisées, mais l'eut-elle été qu'elle n'eut pas manqué de trouver une ressemblance entre Terrae et une prestigieuse académie américaine ou britannique. De hautes grilles derrière lesquelles poussaient de grands arbres... Il n'y avait pas assez de forêts de pins, de monts enneigés et de silence à son goût, mais ce constat n'avait pas changé depuis qu'elle avait mis les pieds sur le sol nippon. Cette nouvelle vie s'annonçait pleine de découvertes. Chaque détail intriguait la scandinave, la faisait s'arrêter, se retourner. Les gens, le language, les odeurs, les couleurs... tout lui paraissait différent. L'année allait être mouvementée, mais toute aussi solitaire que les précédentes ; les japonais n'ayant pas l'air d'apprécier ses habitudes vestimentaires ou la couleur de ses cheveux.

Elle était partie sur un coup de tête, comme d'habitude... Et elle se retrouvait maintenant devant la porte, baggy noir et t-shirt au logo d'un célèbre groupe de métal, son grand sac de sport en bandoulière et son sac à dos sur les épaules, casque sur les oreilles et lunettes sur les yeux. Bon, elle avait caché la plupart de sa chevelure sous une casquette pseudo-militaire et on ne voyait pas vraiment ses yeux derrière le verre teint, mais tout de même... Dans la montagne, elle n'avait jamais vraiment réalisé combien son physique était différend. Sans parler du fait que toutes les Japonaises semblaient faire une tête ou deux de moins qu'elle, ce qui était assez déprimant.
Ne s'attardant pas plus de quelques secondes, la jeune femme poussa les grilles qui s'écartèrent en grinçant. Elle aurait tout le temps d'observer le monde après, mais il serait bon de trouver sa chambre, poser son sac, et boire un café. Ou dormir. Ou manger un morceau. Ou les trois, dans n'importe quel ordre. Et faire un footing après.

Erika avança dans l'allée qui partait vers le plus gros bâtiment, scannant les lieux à la recherche d'un individu vers lequel dévier sa trajectoire et auquel demander quelques renseignements.

Sa cible repérée, Erika avança à grands pas. Il s'agissait d'un jeune homme, tant mieux – elle avait tendance à se sentir plus tranquille autour des garçons que des filles – et il n'avait pas l'air d'être prêt à lui sauter à la gorge. C'était déjà un bon début. Qu'est-ce qu'on lui avait dit, déjà ? « Donnez une bonne image de notre pays ! » ? Mais elle n'avait pas eu le temps d'imprimer les cartes... Ah, non, c'est vrai, « pense à sourire aux gens ! ». Erika sourit donc, une fois à la hauteur de son interlocuteur. Il avait l'air cool, peut-être un peu sûr de lui, mais cool, et elle pensa même à descendre son casque sur sa nuque. Bon, il avait l'air jeune, vraiment plus jeune qu'elle, mais il ne montrait aucun signe extérieur de « wesh zyva t'y'as les ch'veux trop zarbi mamzel », ce qui était un soulagement et qui le remontait tout de suite dans l'estime de la mamzel aux ch'veux verts. Le « hey » anglo-saxon ressemblant d'ailleurs fort au « hej » norvégien, un léger malentendu manqua de s'en suivre, mais la micro-puce qu'on lui avait remise à son atterrissage reprit le dessus, et Erika se retrouva à comprendre l'anglais mieux qu'elle ne l'avait jamais fait.
La norvégienne n'en croyait pas ses oreilles mais, après une seconde ou deux de regard vide et de bouche entr'ouverte, se remit assez vite de sa surprise.

« Hej ! Je débarque, en fait, j'aimerais juste savoir où je dois poser mes affaires et où je peux trouver quelque chose à grailler. » Ah, on lui avait dit autre chose, non ? De très important ? D'être... comme avec le directeur de la station ? Elle devait le saluer ? Non, mais elle y était presque. Ah, oui ! « … S'il-vous-plaît. » Elle devait toujours, toujours être polie avec les gens. Sa mère lui avait donné une guide de conversation, ce genre de truc... Dommage que le petit livre soit au fond de son sac. D'un de ses sacs. Heu. Elle ne l'avait pas laissé sur la table du salon, par hasard ? Oops...
Les écouteurs de ses casques sifflaient encore une version étouffée d'un solo de guitare particulièrement puissants et la jeune femme sortit son baladeur MP3 et l'éteignit d'un geste absent.
« Et s'il y a d'autres trucs à savoir... On m'a juste dit de venir ici, donc, je ne sais rien. » reprit-elle immédiatement.

« Mmh, tutoyons-nous, oui. Comme tu veux. » Erika appuya sa réponse d'un hochement de tête et d'un sourire. Au moins, sa première rencontre à Terrae ne se révélait pas trop contraignante. On pose une question, on obtient une réponse : typiquement le genre de personnes avec qui la Norvégienne pouvait s'entendre. Si tout le monde dans le coin était basé sur le même moule, elle risquait de survivre, voire de passer un bon moment – mais n'anticipons pas trop.

« J'ai un très bon sens de l'orientation, mais je n'ai pas l'habitude de la ville. C'est sûrement plus simple que tu m'accompagnes. Je préfère poser mon sac avant d'aller boire ou manger, de toute façon. »

Un dortoir... Erika n'avait jamais dormi dans un dortoir. La fois où ils avaient tous été bloqués dans la station météo à cause d'une tempête de neige ne comptait pas : ce n'était pas un dortoir, parce qu'ils avaient juste étendus des matelas dans la salle de détente. Elle espérait ne pas avoir à dormir parterre. Les premières nuits, ça allait, mais au bout de la première semaine, son dos commençait à protester.

«  Hé bien, je te suis.»

La jeune femme aux cheveux verts ne savait pas exactement pas ce qui l'amenait ici et elle n'avait pas non plus aimé devoir inquiéter ses parents avec sa dernière lubie. Bien sûr, ils lui avaient acheté un de ces téléphones derniers cris (on les appelait smartphones, « téléphones intelligents », mais Erika n'en voyait pas trop la raison : ils avaient peut-être internet, mais ils ne faisaient toujours pas le café) pour qu'ils restent en contact permanent, mais ils avaient l'air vraiment bizarres, à l'aéroport. Elle avait beau être majeure, ils l'avaient saluée comme s'ils pensaient ne plus la revoir. Vraiment bizarre.

« Je m'appelle Erika, au fait. Et toi ? »

[C'est court et pas très intéressant, mais c'est pour faire avancer les choses. Je te laisse poster à la cafét' ?]

«  Merci ! »

Erika sourit à nouveau. Allen, hein ? Ça sonnait vachement américain, non ? Il était assez mince pour un américain, selon les critères très (peu) objectifs de la Norvégienne (pour qui les adolescents Américains étaient tous obèses et fans de fast-food, les adultes ne valant pas souvent mieux). C'était tant mieux si elle rencontrait des gens un peu différents dans cet endroit : s'ils étaient tous d'ailleurs, ils ne pourraient que se serrer les coudes, non ? Elle n'y connaissait pas grand chose en dynamique de groupe, mais il lui semblait logique qu'ils s'unissent face à l'adversité, surtout qu'on n'avait pas eu l'air de lui dire que le reste du monde serait plus informé qu'elle.

«  Non, non, la cafét', ça sera très bien pour un début. On pourra aller voir le village après, si tu veux ? »

… Être plus informé qu'Erika ne serait pourtant pas dur. Elle ne savait rien, s'étant lancée dans l'aventure sans trop se renseigner, mais elle comptait poser quelques questions quand son estomac et son gosier seraient apaisés, qu'elle aurait posé ses sacs dans un coin et qu'elle aurait pleinement réalisé qu'elle était à l'autre bout du monde, loin de tout ce qu'elle connaissait et qu'elle n'était pas sûre que ses connaissances de la vie dans les terres polaires lui seraient d'une quelconque utilité.

Allen lui tendit une main amicale, qu'Erika serra par réflexe. Heu ? Ah, non, ce n'était visiblement pas la réponse attendue.

«  Hein ? Ah, non, ça va aller, merci. On y va ? »

… Inutile de préciser qu'Erika n'avait qu'une vision très lointaine et floue de la galanterie. Un truc avec des violons et des roses, non ?