S’il est des passages dans la vie d’une femme qui sont marquant, celui de leur mariage en fait souvent partie. Pourtant pour la petite eau ce n’est pas le cas, elle ne se souvient que par bribes racontées du jour de son mariage et a du mal à se rappeler sur ceux qui ont suivi sans se sentir honteuse.

Honteuse c’était ainsi qu’elle se sentait depuis son retour. Honteuse quand elle repensait à Las Vegas. Quand elle repensait à Senri. Quand elle le croisait au club de volley, dernier endroit où les époux se voyaient, ils n’arrivaient plus vraiment à parler ensemble tant ils étaient gênés. Honteuse quand ses yeux passaient sur l’anneau d’or sur son annulaire gauche, celui qu’elle n’osait pas enlver mais auquel elle ne savait quelle signification donner. Honteuse quand elle se décida ce matin-là de rédiger une lettre pour informer sa mère de son récent mariage.

Elle avait la boule au ventre et du s’arrêter de maintes fois comme les jours précédents, elle se figea la plume en suspend. Elle soupira. La posa, et la repris. C’était difficile pour elle, et ce d’autant plus que sensitive depuis quelques jours elle avait du mal à se focaliser sur ses émotions, et se prenait des coups de jus à chaque fois que sa main passait trop près de sa lampe de bureau. Elle soupira. Reposa le crayon, encore une fois.

Elle finit par se lever, elle avait besoin de s’éloigner un peu. Elle n’arrivait pas encore à se préserver totalement des sentiments d’autrui mais finalement s’en sortait mieux qu’une majorité car elle ne cherchait pas à les bloquer, comme elle n’avait jamais cherché à lutter contre ses visions. Elle acceptait, même les plus désagréables et faisait bien attention de les distinguer autant que faire se peu de ce qu’elle ressentait elle. C’était compliqué mais pas tant que ça, car elle se connaissait bien et ne se voilait pas la face quand à ses sentiments.

Elle prit la direction des espaces verts, elle savait qu’elle y trouverait ceux qui avaient du mal à gérer leurs nouveaux pouvoirs… Mais ce n’était pas eux qu’elle allait chercher mais bel et bien la quiétude des grands espaces. Elle essaya de marcher au hasard pour se vider totalement l’esprit.

Marcher parmi les fleurs qui n’ont pas éclos serait assez étrange pour tout nippon. La saison n’est pas aux bourgeons, et pourtant les fleurs ici ont éclose pour certaines. Certains blâmeraient le réchauffement climatiques, mais l’ivoirienne n’a qu’une vague notion de qui est cet étrange personnage. D’autres diraient simplement que le champ de fleur est un endroit paisible pour s’entraîner lorsque l’on est nouvellement terre… comme le prouve le baobab qui n’était pas là la dernière fois qu’elle est venue ou encore le cratère un peu plus loin… Elle ne peut s’empêcher de sourire, le lieu est moins paisible qu’à l’accoutumée, un peu comme tout terrae.

Soudain elle n’est plus seule, elle aurait du le voir venir mais elle n’est plus voyante. Elle aurait pu le sentir venir mais elle ne maîtrise pas tout. Elle sourit sans l’avoir même prémédité. Elle lui sourit parce qu’il est là.

« Bonjour Akkiko, tu vas bien ? »

Elle ne sourit plus, ses sentiments et son regard l’ont atteinte. Regard sur cette alliance qu’elle cache dans son dos presque par réflexe. Un instant elle avait oublié. Un instant elle s’est contenté d’être heureuse de sentir son cœur manque un battement en le voyant. Ça avait été simple, ça ne l’était plus. Elle se reprit et lui sourit à nouveau, en essayant de calmer son pouvoir pour ne pas se montrer intrusive.

« Tu es de quelle affinité maintenant ? Je m’y perds un peu ! »

En effet le changement ne lui avait guère réussi, au contraire de l’ivoirienne qui s’épanouissait dans chaque pouvoir qui s’emparait d’elle. Oh, bien entendu il avait été déconcertant d’être air, mais au final elle avait pris un grand plaisir à apprendre à voler… Surtout que cela la détournait de ses pensées pour Senri. Elle ne voyait pas ses nouveaux pouvoirs comme une épreuve, mais comme un jeu, et chaque fois ils la divertissaient.

Pourtant elle savait que ce n’était pas le cas pour tous, elle ne se souvenait que trop bien de la nuit où elle l’avait trouvé dans un trou… Elle l’avait fini dans sa chambre, et cela pourrait prêter à confusion… Et l’avait rendue bien confuse. Sans doute moins que de recroiser l’homme qu’elle appréciait un peu trop maintenant qu’elle était mariée à un autre jeune homme. L’ancienne maîtresse du temps aurait pu se plaindre des rendez-vous manqués, mais elle ne le ferait pas. N’admettrait pas ses sentiments. Reflets de ceux d’Akkiko estompés.

« J’avoue que ça m’a amusé plusieurs fois de me retransformer devant des inconnus… Ce n’était sans doute pas bien malin... »

Ce n’était peut-être pas pour elle qu’il avait lancé cette pique, mais dans le doute ne valait-il pas mieux y répondre ? Peu importait.

« Je suis tonnerre sensitive, ce qui est étrange, mais j’aime bien… Je crois, ça me permet de m’ouvrir aux autres, d’être un peu plus consciente de ceux qui m’entourent… Alors que d’habitude je suis plutôt dans la lune, tu me connais. »

Peut-être pas si bien que cela que sait-il d’elle ? Sans doute rien et elle lui cachera le reste, enfermant ses incertitudes dans l’anneau qu’elle porte à son doigt. Bien caché au fond de ses poches.

Elle marche au pas à ses côtés, la main toujours enfoncée dans sa poche, dissimulant un secret qui n’en est pas un. L’a-t-il remarqué ? Peut-être pas. Sans doute que si. Il n’a rien dit, et rien dans son comportement ne semble indiquer que cela ait changé quoi que ce soit pour lui. S’attendait-elle à quelque-chose ? Non, sans doute pas… mais elle l’espérait, ça aurait p’t’être voulu dire quelque-chose ? Elle sentit un brin de déception, et sans même s’en rendre compte l’imposa au jeune homme. Elle eut du mal à se reprendre ou à comprendre qu’elle utilisait son pouvoir sur lui. Elle soupira lentement.

« Désolée. » elle bougonne.

Elle essaie de se reprendre, inspire un instant. Les liens se font dans son cerveau, elle connaît monsieur Terrae, comme beaucoup, mais ne l’écoute pas spécialement. Manque de temps, manque d’envie. Elle devrait se sentir curieuse, mais elle sent la gêne d’Akkiko, alors elle ne pousse pas.

« Je ne crois pas que l’eau me manque, sauf peut-être au travail… c’était bien pratique je t’avoue, mais j’en suis revenue à l’huile de coude... »

Parce que les gens n’ont pas arrêté de manger avec l’éclipse et qu’il faut continuer d’assurer en cuisine. Plus que d’habitude même, car il faut dealer avec les problèmes de pouvoir de tout le monde.

« Tu crois qu’on peut dire que tu es plus terre à terre que moi ? » demande-t-elle avec malice une fois de plus.

Bah oui bien entendu, c’est évident. Juste évident. Elle est tombée sur lui. Evidemment. La situation pourrait-elle plus absurde que les battements désordonnés du cœur de la femme qui s’emballe de peur avant le dénouement improbable de la chute ? La mélanine cache le sang propulsé à ses joues, qu’elle cache à l’homme en baissant le regard. Elle sourit, masquant sa gène dans une rangée de perles blanches.

« Ca va…. »

Mensonge, son cœur est sur le point d’exploser. Elle se redresse mais à bien du mal à trouver un endroit où poser ses mains pour se redresser, et elle stoppe son mouvement quand ses yeux se posent sur ceux de l’homme.

« Et toi ? »

Quelle étrange situation, elle s’était déjà couchée à ses côté, mais sous forme féline elle n’avait pas ressenti toutes ces sensations. Elle ne s’était pas posée toutes ces questions, elle s’imagine l’embrasser, et c’est le coup de fouet qu’il lui fallait pour reprendre le contrôle de son corps et de ses mouvement. Elle ne peut pas faire ça, elle est mariée et elle respectera ses vœux. Nouveau sourire, elle s’écarte de lui en un rire qui se veut détendu mais à bien du mal à dissimuler sa gène. Elle se redresse et lui tend la main pour l’aider à se relever. Il a du se faire mal, elle n’a pas réussi à y penser avant toute ravie qu’elle était de ce rapprochement inopiné. Il faut vraiment qu’elle se reprenne.

La main tendue n’est pas saisie, peut-être est-ce l’alliance à son annulaire qui en a détourné le regard de l’aimé, mais l’aimante n’y avait guère songé en la tendant amicale. Elle sourit, sourire las, sourire triste et range la menotte au fond d’une poche qui a bien du mal à dissimuler son embarras. Elle rit, le cœur n’y est pas.

« Il faut croire que la météo est imprévisible. »

Tout comme leurs sentiments mélangés, d’une bourrasque de vents ils s’entremêlent en un tempête qu’elle ne saurait éteindre. Ils virent et voltent, les blesse, la blesse. Le regret de l’homme se fait échos du sien. Ses yeux de tempêtes ne reflètent plus la mer calme, l’ouragan se déchaine.

Elle n’est pas très lourde il est vrai dans la tourmente, elle se trouve balayée comme un fétu de paille. Fragile elle fait face aux sentiments, les siens… A qui appartiennent-ils finalement ? Et ce sourire que se tend, elle aimerait lui dire de ressentir moins fort, que c’est déjà dur pour elle. Elle ne comprend pas, elle inspire, expire. Elle essaie de retrouver le calme, de s’imposer le calme ; elle n’y arrive pas. C’est une éponge à émotions, incapable de modifier le moindre de ses sentiments. Le sourire après s’être tendu s’est tu. Elle cherche quelque-chose à ajouter, mais c’est le silence qui s’impose sur ses lèvres.

« Je vais y aller. »

La fuite, seule échappatoire à une situation qui leur a échappé il y a longtemps. Elle sent son cœur se serrer. Cela ne devrait pas faire si mal.