Les voleurs d'alters

Après la théorie, la pratique. Les élèves de l'institut Terrae avaient passé leurs examens de fin d'année et ceux qui les auraient tous réussis auraient l'opportunité de partir en mission avec leur maître respectif. Yuki, elle, ne semblait pas du tout inquiète par rapport à ses notes. Pendant ses deux semaines de vacances, période durant laquelle les professeurs corrigeaient toutes les copies, elle travailla sur des prototypes avec sa mère. Je passai quelques fois les voir, puisque Mitsuki et moi étions de très bonnes amies, et en avait profité pour admirer leur travail.

Mitsuki et moi nous étions rencontrées à l'institut, lorsque nous étions enfants. Alors que je m'étais inscrite dans le département des héros, elle avait plutôt choisie le département de support. Les étudiants en support apprenaient à créer divers équipements pour assister les héros. J'avais toujours admiré la japonaise pour sa grande intelligence et sa créativité.

Yuki avait pris un chemin différent de celui de sa mère, puisqu'elle souhaitait être un super-héros, mais cela ne l'empêchait pas de bricoler par ci par là. Elle espérait un jour être capable de construire ses propres pièces d'équipement. Je n'avais pas de doute qu'elle y parviendrait, car on pouvait déjà voir qu'elle était une petite génie, comme sa mère.

---

— Elumina-sensei ! J'ai passé tous mes examens ! s'exclama l'adolescente en me montrant la feuille de ses résultats.
— Oh, tu as eu de très bonnes notes. Félicitations !

Elle leva un pouce en l'air en riant joyeusement.

— Alors, on part en mission quand ?!
— Je ne sais pas encore. Je devrais recevoir un ordre de mission d'ici quelques jours. Je t'enverrai un message, d'accord ?
— Aaah, il faut encore attendre..? Bon, ok.

---

J'écarquillai les yeux en lisant les détails du message qu'on m'envoya trois jours plus tard. Nous allions être envoyés à Matsudo, en équipe avec Akkiko, Senri et leurs apprentis. Ce qui signifiait que j'irais en mission avec mon propre enfant. L'administration tentait de ne pas mettre les familles ensemble d'habitude, mais j'imaginais que cette fois-ci, elle ne devait pas avoir tellement eu le choix.

Le jour venu, j'enfilai ma tenue de super-héros et allai chercher Yuki. Je lui expliquai de quoi il en était : depuis quelques temps, des gens disparaissaient dans la ville de Matsudo. Non seulement la police n'arrivait pas à les retrouver, mais en plus, on avait rapporté que les alters des disparus avaient commencé à se manifester sur d'autres personnes, dont des criminels qui ne posaient pas particulièrement problème auparavant. De nouveaux vilains commençaient à émerger...

— Apparemment, certains d'entre eux étaient des sans-alter avant, alors que d'autres se sont retrouvés avec un pouvoir supplémentaire en plus de le leur de base. Ils pensent qu'ils détiennent les disparus quelque part et ont trouvé une façon de leur voler leurs alters. Nous allons travailler avec la police afin de résoudre cette affaire.

Nous nous rendîmes au point de rendez-vous, c'est-à-dire la station de police de Matsudo. Nous étions les premières arrivées. Nous prîmes donc place dans la salle de réunion et continuâmes à discuter en attendant l'arrivée de nos coéquipiers.

Les voleurs d'alters

Quelques minutes passèrent avant qu'Akkiko et Judith n'arrivent à leur tour. Nous nous saluâmes à tour de rôle et mon regard se posa sur la jeune colombienne. Elle était peu bavarde, probablement parce que cette mission était sa première depuis des mois et que le niveau de difficulté avait augmenté. Ce n'était pas pour rien que l'administration avait décidé d'assigner trois équipes à cette dernière, sans compter une grande partie du corps de police de Matsudo. Les trafics d'alters étaient rares.

On pourrait dire que nos trois élèves avaient de la chance, dans un sens. Cela leur permettrait de participer à une mission hors du commun. Il n'y avait eu que quelques instances similaires depuis les vingt dernières années : un alter qui permettait d'en interchanger d'autres, une machine à extraire et à injecter des alters (plutôt instable, elle n'avait fonctionné que sur peu de sujets) et une drogue à altérer les alters.

Évidemment, ce qui ressemblait le plus à notre cas actuel était la machine. De ce que je savais, elle avait été détruite et les plans et les recherches la concernant avaient été envoyés au gouvernement. Serait-il possible que ces documents aient été dérobés ? Ou faisions-nous face à une situation différente ?

Akkiko plaisanta sur le retard de Senri et s'installa. Puis, alors que Yuki engageait la conversation avec Judith, un trou noir apparut au-dessus de nous. Mon fils et son instructeur tombèrent sur la table. Je haussai un sourcil en voyant la porte sur l'épaule du chauve. Toujours le même ! 1000 pompes ? Pauvre enfant... Il semblait totalement épuisé. Au moins, avec un sensei pareil, il ne pouvait pas flâner.

Iruu me salua, ce qui sembla l'énerver. Était-il de mauvaise humeur ? Senri était quelqu'un de particulier. J'avais eu quelques réserves en apprenant que mon enfant allait devenir son apprenti, mais ce n'était pas à moi de choisir. Et puis, ça restait quelqu'un de bien, au fond.

— Rebonjour Iruu, m'exclamai-je alors que Senri se disputait avec Bouclier.

On s'était vus ce matin, après tout. Le Dégondeur le posa sur une chaise et je sortis une bouteille d'eau de mon sac pour la lancer à Iruu, car il avait l'ait d'en avoir besoin. Je hochai la tête à la question de mon coéquipier et les policiers manquants entrèrent et prirent place.

— Bonjour. J'imagine que vous allez tous lu la description de la mission, mais permettez-moi de la répéter pour commencer le briefing. Depuis trois semaines, on nous a rapportés des cas de disparition similaires, douze pour être plus exact. Nous n'avons pas réussi à en retrouver un seul jusqu'ici. Des criminels ont commencé à manifester les alters des disparus, on peut donc assumer qu'ils les leur ont dérobés d'une certaine façon. On a bien entendu tout de suite pensé à la machine expérimentale d'il y a huit ans, mais selon le gouvernement, il est peu probable qu'une copie ait été construite. Les plans sont toujours en sécurité et tous ceux qui avaient un lien de loin ou de près avec cette affaire sont étroitement surveillés.

Il marqua une pause et je plissai les yeux, attentive.

— Les criminels qui ont reçu de nouveaux alters ne semblent pas connectés ensemble, à part deux d'entre eux qui effectuent la majorité de leurs délits en équipe. Les indices nous indiquent qu'il y a probablement un groupe de super-vilains derrière tout ça et qu'ils ont commencé à faire des tests sur de petits bandits. Nous avons réussi à en attraper deux... Dont un qui est mort de ce qui pourrait être un effet secondaire. Nous attendions votre arrivée pour l'interrogatoire du deuxième, pour que vous puissiez y assister.
— Effet secondaire ? Quel effet secondaire ? demanda Yuki, son intérêt piqué.
— Son nouvel alter a... dysfonctionné. C'était un alter de gigantification. Quand il a voulu l'utiliser, ses organes ont pris de l'expansion, mais pas le reste. Il a explosé.

Eh bien, en voilà une image désagréable. Évidemment, ma novice grimaça un peu en l'imaginant.

Les voleurs d'alters

Akkiko marquait un point en disant qu'il n'était pas impossible qu'une machine semblable à la dernière ait été développée. Même sans les plans, en sachant que c'était réalisable, un groupe de personnes ingénieuses aurait pu tenter de faire leur propre version. L'homme regarda alors son apprentie, comme pour l'encourager à parler à son tour. Il était vrai que même avec huites années de développement, construire un tel prototype à partir de rien serait complexe. Cependant, je ne croyais pas qu'il fallait totalement mettre de côté cette hypothèse.

Mais oui, si ça se trouvait on avait affaire à un nouvel alter qui affectait d'autres alters. En fait, pour le moment, nous n'avions pas suffisamment d'informations concrètes pour tirer quelconque conclusion. La prochaine étape était d'aller questionner le témoin détenu par la police. Je hochai donc la tête aux paroles du Forgeron, puis Senri se mit à hurler puisque selon lui, c'était ennuyant.

— Oui, allons-y. Senri, tu peux arrêter de nous casser les oreilles s'il te plaît ? m'exclamai-je avec un sourire, poliment, même si un mélange de réprimande et d'un brin de menace pouvait sûrement se lire sur mon visage.

Les gens qui criaient pour rien, c'était insupportable. J'espérais qu'il se calme puisque nous allions devoir travailler ensemble. La profession de super-héros, ce n'était pas uniquemment de taper sur les méchants, mais aussi d'assister les policiers. J'aurais cru qu'il l'aurait compris depuis le temps. Nous décidâmes d'envoyer nos élèves chercher notre matériel pour l'amener dans une autre salle.

— En attendant que nous ayions fini l'interragatoire, tentez de réfléchir à comment vous pourriez utiliser vos pouvoirs en tant qu'équipe. Élaborez des techniques de groupe, déclarai-je doucement, souriante.

Je connaissais bien ces enfants et j'avais foi en leur potentiel. Surtout le mien, évidemment. Je lançai d'ailleurs un regard encourageant à Iruu avant de partir en direction de la salle d'interrogatoire. Aussitôt, Senri passa d'homme furax à gamin excité.

— D'accord. Mais n'oublie pas que quelqu'un de calme et assuré est bien plus menaçant que quelqu'un qui pète les plombs.

Il n'était pas rare que les criminels soient même bien heureux de voir des héros perdre leur sang-froid. Savoir qu'ils les mettaient en colère leur donnait un sentiment de satisfaction. Le sergent me tendit le dossier du bandit et nous entrâmes dans la pièce.

— Ah, enfin de gens ! Je commençais à m'ennuyer. Oooh, si ce n'est pas Elumina-sama ! Quelle chance j'ai ! M'enfin, ce serait encore mieux si ces deux-là pouvaient nous laisser en tête-à-tête...
— Kuroda Yasuo, c'est bien ça ? demandai-je, ignorant complètement ses propos.
— Oui-oui, enchanté, blah blah blah. J'adore votre accent, vous venez d'où ?
— Vous savez pourquoi vous êtes ici ?
— Hé, je vous ai posé une question.

Je levai finalement les yeux du dossier dans mes mains et feignit un sourire.

— Oh, je le sais bien ! Cependant, je ne suis pas celle qui doit être interrogée.
— Bah voyons. Alors vous, vous pouvez me poser des tonnes de questions, mais moi non ? Vous ne trouvez pas ça un peu injuste ?

Il semblerait qu'il veuille jouer, celui-là. Au moins il semblait bavard, c'était toujours plus facile de soutirer des informations comme ça.

— Répondez à ma question et je répondrai à la vôtre.
— Très bien. Je suis ici parce que... attendez... c'est le porte-clé que j'ai volé quand j'étais gosse, c'est ça ?
— Ce que vous êtes amusants. Mais non.
— Ah... À cause de mon nouvel alter d'acide. Bien sûr ! À votre tour.
— D'Europe.
— Vous ne pourriez pas être plus précise ?
— Non. Vous m'avez demandé d'où je venais. Eh bien, je viens d'Europe, déclarai-je avec un sourire en coin.