4 mois déjà que l'Eclipse a pointé le bout de son nez, 4 mois et j'ai l'impression de n'avoir rien vu passer ! Entre les changements de pouvoirs intempestifs, les entraînements pour essayer de maîtriser tout ça, les missions et le boulot... Sans oublier, plus récemment, mes nouvelles fonctions de préfète remplaçante, et surtout l'attaque terroriste contre Terrae... Bref, c'est compliqué, je suis stressée et fatiguée.
Mais j'essaie de garder la tête hors de l'eau, et comme bien souvent, mon échappatoire principale est la musique ; aussi je passe le plus clair de mon temps libre en salle de musique. Avec Amy lors de nos cours de guitare, ou bien simplement seule pour essayer de me vider la tête et décompresser. Comme aujourd'hui, où je gratte maladroitement les cordes de ma guitare, sans grande inspiration...

Je soupire, pose l'instrument à côté de ma chaise avant de me laisser aller contre le dossier. Non, décidément, je n'arriverai à rien composer aujourd'hui. Je contemple le plafond, quand soudain la porte derrière moi s'ouvre à la volée, me tirant de ma rêverie. Je sursaute et me lève de ma chaise, attrapant instinctivement la guitare pour éviter qu'elle ne tombe, puis me retourne pour voir qui est cet importun si brusque.
Je tombe nez-à-nez avec une fillette d'une douzaine d'années à la peau brune, et je remarque directement les taches de sang sur son pull, et surtout sa lèvre ouverte. Je grimace et m'avance vers elle pour lui demander si ça va, mais elle se précipite vers moi avant que j'ai le temps d'ouvrir la bouche, et m'adresse entre deux sanglots une requête pour le moins surprenante.

"S'il te plaît, s'il te plaît, joue-moi une mélodie d'une chanson de Pink !"

Prise par surprise, et surtout bien démunie face à sa détresse, je me contente de hocher la tête avec un simple "D'accord". Je n'ai jamais été douée pour consoler les gens, les paroles réconfortantes ce n'est vraiment pas mon point fort, mais au moins la musique, je maîtrise. Alors si ça peut lui faire oublier sa peine pendant quelques instants... J'attrape la guitare et réfléchis un peu, je ne connais pas bien Pink ; Matt aimait bien à l'époque mais ça fait longtemps que je n'ai pas écouté, et je ne connais pas les nouvelles chansons. Mais il y a une que j'aimais bien, en plus elle est assez calme donc facilement jouable à la guitare. Je me pose, et commence à gratter les cordes, accompagnant la mélodie de ma voix ; un peu grave, un peu cassée, pas si dissimilaire à celle de Pink au final.

"Made a wrong turn, once or twice
Dug my way out, blood and fire
Bad decisions, that's alright
Welcome to my silly life

...

Pretty, pretty please, if you ever, ever feel like you're nothing
You're fuckin' perfect to me"

Les dernières notes résonnent dans la pièce, et je repose la guitare une fois la chanson terminée, me tournant une nouvelle fois vers la jeune fille. Je m'approche d'elle et lui tends un mouchoir avec un fin sourire. J'hésite à lui demander ce qui s'est passé, mais j'ai peur qu'elle se braque, aussi je préfère ne pas aborder le sujet. Je pars du principe que si une personne a envie de parler, c'est mieux qu'elle le fasse d'elle-même plutôt que de la presser de questions...

"Comment tu t'appelles ? Moi c'est Pandora. Tu es une fan de Pink ? Tu as bon goût, c'est une belle artiste !"

Ne pas pleurer, rester droit. Ils se moquent mais ce ne sont que des monstres. Je suis au dessus d'eux.

« Eh pourquoi tu nous toises la gamine ? On t'a posée une question tu pourrais répondre ! »

Pricie ne dit pas un mot visiblement méprisante. Le plus grand du groupe, dix-sept ans d'apparence, éclata de rire : « Eh les gars, elle n'a peut-être pas compris la question ! » Un autre plus jeune peut-être seize ans renchérit : «  Déjà qu'elle ne comprend pas pourquoi porter l'uniforme est important. » « Peut-être que sa famille est si naze qu'elle ne lui a jamais appris la notion de communauté ! » reprit en ricanant le plus jeune du groupe environ quinze ans.

Une flamme sortit de la paume de Pricie.

« Retire ça ! »

« OHHHH j'ai peur elle me menace avec sa flammèche ! » se moqua le gamin de quinze ans.

Soudain, Pricie le gifla avec sa paume en feu, le gosse poussa un hurlement, la flamme avait disparu de sa main mais la joue du jeune garçon était rouge et une grosse cloque s'y était formée.

« Mais elle est cinglée ! » cria la seule fille du groupe la quinzaine aussi en tentant de calmer son camarade en larmes de douleur. Le plus grand à l’allure élancée d'asperge et assez maigre mais que l'âge dominait en puissance face à la petite Pricie, s'adressa à l'élève musclé de seize ans  : « Tiens la moi, on va lui apprendre qui commande à cette morveuse, t'as quoi douze ans , treize ans ? Peu importe ! Tiens là ! »

Pricie était trop fatiguée par la flamme qui avait surgi de sa main précédemment pour empêcher le jeune homme de l'immobiliser, elle utilisa ses dernières forces pour se débattre, en vain. Un premier coup partit violent en plein visage puis d'autres, sa lèvre étaient en sang et tachait son haut.

« Alors tu vas faire comme tous ici à présent d'accord ? La criminelle ! » Pricie frissonna savait-il ? Mais elle garda un regard de défi et dit malgré sa bouche en sang, goût ferreux désagréable : « Je préfère qu'on me prétende à tort criminelle qu'être des monstres comme vous ! » Ses paroles étaient sèches, mais elle se firent sombres quand elle continua : « N'insultez plus jamais ma famille quoi que vous sachiez ou non, vous n'avez pas assez de cervelle pour comprendre la situation correctement. »

Le plus grand ricana : « On ne sait rien ou  presque, c'est juste que certains se demandent pourquoi tu es arrivée le jour de l'attaque terroriste ! Mais bon coupable ou pas, tu vas nous faire le plaisir de ne plus te la péter, on déteste les enfants rois ici, tu sais ! » Pricie leur cracha dessus un mélange de sang et de salive. « Mais c'est qu'elle en reveut  la tache ! » s'énerva le plus grand. Un nouveau coup allait partir. Mais un élève plus âgé arriva : « Eh qu'est ce qui se passe ici ? » Le groupe s'enfuit lâchement laissant Pricie à terre. Lentement, elle ramassa son sac à dos, tenta d'essuyer en vain le sang de sa lèvre amochée, se leva et fit face au jeune adulte.

« Et petite ça va ? » s'affola t'il avant un silence. « Oh...Tu es la fillette qu'on murmure complice de l'attentat avec ce monstre qui a blessé les gens ici… Ne t'en fais pas, les rumeurs circulent vite mais s'éteignent aussi vite ici, je parlerai pour ton innocence si tu veux et tes agresseurs seront sévèrement punis, en attendant, viens, les médecins de l'institut vont soigner ta lèvre ! »

Pricie dégagea la main du plus grand qui venait de se poser sur son épaule d'un geste brusque, puis elle courut de toutes ses forces vers le premier bâtiment, elle elle voulait juste qu'on la laisse tranquille !

Elle ouvrit une porte à la volée. Une jeune adulte s'y trouvait déjà cheveux bruns assez longs, yeux bleus, surprise sûrement elle venait de sursauter.

Malgré son courage Pricie ne put empêcher ses larmes et cette supplication : « S'il te plaît, s'il te plaît, joue-moi une mélodie d'une chanson de Pink ! »

L'adulte s’exécuta dans un : « D'accord » Pricie ferma les yeux durant toute la chanson, elle murmurait malgré le sang à ses lèvres, les sanglots sur ses joues, les refrains d'une jolie petite voix, maladroite, d'enfant, si jeune si vieille d'en avoir tant vu en même temps.

Dernières notes de la chanson, la guitare complétait les voix avec une harmonie presque réconfortante, encourageante tout du moins. La chanson se termina dans le bruit sourd d'une guitare que l'on pose au sol. Pricie rouvrant les yeux se remit en position d'alerte alors que la jeune adulte approchait d'elle.

« Comment tu t'appelles ? Moi c'est Pandora. Tu es une fan de Pink ? Tu as bon goût, c'est une belle artiste ! » dit la plus âgée.

La fillette accepta le mouchoir et tenta d'essuyer sa lèvre qui, c’est le cas de le dire, en avait vu de toutes les couleurs.

« Merci. Moi c'est Pricie et oui Pink est une personne admirable. » souffla Pricie en pensant au lien entre son père et elle que cette chanteuse qui les passionnaient renforçait.

Son père...

Elle rangea mettant le mouchoir en son jean sombre puis contempla l'état de ses habits, haut et bas était couverts de terre et tâchés de sang. Et elle n'avait plus de quoi les laver.

« Je les déteste... » sortit d'abord dans un murmure, puis continua en tapant du pied avec rage. « Je les déteste !  Je les déteste !  Je les déteste !  Je les déteste ! » Plus elle le répétait, plus de murmure sa voix passait à un hurlement douloureux. Sans réfléchir plus elle se blottit contre la jeune femme et les larmes tombèrent, elle s'accrochait  son tee-shirt comme à une bouée, elle avait cessé de crier, elle semblait plus calme mais les larmes qui mouillaient le tee-shirt de la plus âgée montraient bien qu'elle n'était pas paisible du tout. Elle était juste épuisée de hurler.

« Jamais je ne porterai leur uniforme de Monstre ! » jura t'elle dans une fureur étouffée. Elle lâcha le tee-shirt de l'adulte et recula d'un pas, sa voix tremblait face à ce qu'elle considérerait comme une ennemie si elle avait la force d'y réfléchir, elle ne l'avait pas en cet instant. Elle gémit en une petite voix d'enfant malade : « Seulement je n'ai plus de savon liquide...Et je ne suis pas sûre que ça parte. »

Pricie fixa le sol sans un mot avant d'essuyer son visage rouge de larmes, de fureur et encore un peu sale de sang. « Je veux revoir mon Papa ! » conclut-elle en une voix brisée. Petite brindille qui se tient droite malgré le Vent qu'elle affronte, telle était Pricie. Une petite brindille bien courageuse mais juste une petite brindille.

Juste une enfant...

La voix fluette de l'adolescente se joint à la mienne pendant la chanson, et je remarque qu'elle a les yeux fermés. Sa lèvre est bien amochée, et je devine que sa peau foncée masque quelques bleus également. Mon coeur se serre, qui peut être aussi cruel avec une gamine ? Il faudrait probablement reporter le même problème à quelqu'un, moi je ne peux pas faire grand chose à part essayer de lui remonter un peu le moral.

Une fois la chanson terminée, elle rouvre les yeux, et répond à ma question tout en acceptant mon mouchoir. Pricie donc, et fan de Pink visiblement... Elle éponge sa lèvre d'un air pensif, avant de ranger le mouchoir dans un murmure, que je n'entends pas. Je n'ai pas besoin de lui demander de répéter, car elle le fait d'elle-même, un peu plus fort, et puis plus fort encore. La fillette termine en tapant du pied par terre, presque en hurlant qu'elle "les" déteste. Il n'est pas difficile de deviner qu'elle parle de ses bourreaux... Et soudain, sans que j'ai le temps de dire ou faire quoi que ce soit, elle se jette dans mes bras et commence à pleurer à chaudes larmes, accrochée à mon t-shirt. Prise au dépourvu, je reste immobile quelques secondes, avant de passer une main dans son dos, l'autre sur ses cheveux que je caresse maladroitement.

"Shht... Ca va aller..."

Je continue à murmurer des paroles qui se veulent réconfortantes pour calmer ses pleurs, et elle finit par se détacher de moi, jurant qu'elle ne portera jamais l'uniforme d'un monstre. D'un monstre, de quoi parle-t-elle ? Je hausse un sourcil, un peu surprise, mais ne relève pas, et la laisse parler. Je lui adresse un sourire.

"Je suis sûre que tu pourrais en parler un professeur, si tu ne veux vraiment pas porter ton uniforme ! Regarde, je ne l'ai jamais mis moi !"

Bon après, j'avais plus de 20 ans quand je suis arrivée, et du coup je n'ai jamais suivi de cours à proprement parler ici... Mais je suppose que l'adolescente peut demander à être dispensée du port de l'uniforme, si c'est un sujet de stress pour elle. Ils sont plutôt compréhensifs à l'institut d'habitude, mais j'avoue ne pas trop savoir comment les choses se passent pour quelqu'un de si jeune.

"Il y a une supérette ainsi qu'une laverie au village, donc tu peux acheter du détergent et faire ta lessive sans souci !"

Je me mords la lèvre après avoir parlé ; quid de l'argent ? Elle n'a peut-être pas d'économies, à son âge ? Maintenant que j'y pense, je ne sais pas du tout comment le système fonctionne pour les étudiants ; moi j'ai travaillé directement après mon arrivée, je ne gagne pas des fortunes, mais suffisamment pour la nourriture et les dépenses quotidiennes... Mais pour elle, les choses vont être différentes ! Je suppose que l'institut prend en charge tous les frais jusqu'à la majorité ?

La voix faible de Pricie réclamant son père me coupe dans mes pensées. Il n'est pas difficile de deviner qu'elle l'a perdu, son papa, vu le ton triste de sa voix et la mine qu'elle affiche. Je tends le bras pour caresser doucement sa joue, ne sachant quoi lui dire. J'ai perdu ma mère environ au même âge qu'elle... Mais au moins, j'ai eu ma grand-mère pour s'occuper de moi. A cet âge-là, on a besoin de quelqu'un qui s'occupe de nous... Et ce rôle, je peux peut-être le remplir pour aujourd'hui ?

"Est-ce que tu as des vêtements de rechange ? On pourrait peut-être aller les chercher ensemble, et puis se rendre au village pour faire une lessive ?"

Je souris, lui lance un petit clin d'oeil.

"Et si tu n'as pas d'autre tenue, c'est une chance que je travaille à la boutique de vêtements !"

« Shht... Ca va aller... »

Pricie ne connaissait pas cette chaleur réconfortante, cette caresse dans son dos et ses cheveux qui peu à peu séchèrent ses larmes. C’était un sentiment tout nouveau tendre, apaisant et à la fois effrayant car inconnu. La tendresse…

Pricie avait envie de rire de bonheur quand la dame lui dit que l’uniforme n’était pas obligatoire et qu’on pouvait trouver de la lessive mais très vite la douleur dans sa poitrine revint. Plus rien n’était pareil sans lui… « Papa.» C’est un murmure d’enfant, la dame lui caresse sa joue, Pricie se laisse faire bien que soudainement en alerte.

« Est-ce que tu as des vêtements de rechange ? On pourrait peut-être aller les chercher ensemble, et puis se rendre au village pour faire une lessive ? »

Tout le reste de ses vêtements étaient dans la voiture, la voiture qui avait brûlé, le visage de son papa fondant devant ses yeux sous les flammes fit glisser un frisson d’horreur dans son dos.

« Et si tu n'as pas d'autre tenue, c'est une chance que je travaille à la boutique de vêtements ! »

La dame souriait avec une douceur que Pricie ignorait, même Tata qui était si gentille avait toujours cette lueur de peur dans les yeux, elle était une arme, destinée à faire du mal pour le bien de Maman et Papa mais Maman était à l’hôpital, elle avait besoin d’oublier tout ça et d’oublier Pricie, surtout d’oublier Pricie. Et Papa, Papa était mort.

Alors sans un mot, le regard buté, la petite fille suivit tout de même les pas de l’adulte comme seule réponse mais déjà une réponse.

Elles sortirent du bâtiment, Pricie voyait ses baskets usées fouler un sol poussiéreux, le sol du chemin.

«  Moi, il est où mon chemin maintenant ? » murmura la fillette plus pour elle-même que pour quelqu’un en particulier.

Puis l’enfant revint dans le silence avançant. Quelque chose arrêta le regard de Pricie et elle regarda l’adulte devant elle, dos fin mais solide, un dos de grand mais qui en cet instant ne l’intimidait pas, le bonheur du souvenir remplaçant tout le reste : « Une fois à l’hôpital pour la tête de maman, c’était le printemps ! J’étais petite encore plus petite que là ! Je devais avoir sept ans, j’ai cueilli plein plein plein de fleurs de toutes les couleurs pour que maman les voit, comme ça, le monde, plein plein plein de couleurs, elle l'aurait vu aussi !  ! » Le visage de Pricie se referma. «  Mais papa a dit que j’avais tué des fleurs. » Après un silence le regard de l’enfant se fit pensif et elle lâcha : « Pandora.. .Est ce que je suis une meurtrière ? »

Nouveau silence de la part de l’enfant avant que celle-ci ajoute le regard buté : « Pourquoi tu m’as consolée avec tes caresses toute douce tout douce et pas grondée tout à l’heure quand je pleurai ?  »

La petite fille se mit à se dandiner visiblement mal à l’aise : « Est-ce-que je te fais pitié ? Est-ce-que c’est pas ça ? Est-ce-que en fait les Monstres sont bien plus gentils que les humains que j’ai rencontré ? » Pricie leva un regard plein de larmes à Pandora : « Je ne comprends pas. »

L’enfant perdue rougit soudain et regarda de nouveau le champs de fleurs détournant un regard pensif mais d’un hésitant espoir comme si elle avait peine à y croire : « Ou alors est-ce-que tu voulais vraiment me consoler ? »

La petite ne dit rien, se laisse réconforter sans un mot, puis semble soulagée lorsqu'elle apprend ne pas être forcée de porter l'uniforme. J'espère ne pas lui avoir donné de faux-espoirs quand même, il faudra qu'elle demande la permission évidemment, mais je les vois mal forcer une gamine à porter ce bout de tissu, si vraiment ça la met si mal à l'aise !

Pricie ne répond rien, le regard dans le vague, mais m'emboîte tout de même le pas lorsque je sors de la salle de musique. Bon, en l'absence de réponse, je suppose qu'on va directement au village du coup ? La boutique en premier, il lui faut quelque chose d'autre à se mettre sur le dos pendant que ce qu'elle porte sera à la machine... L'adolescente reste silencieuse alors que nous marchons, et je n'ose pas interrompre le cours de ses pensées. Elle est si jeune, et semble pourtant porter un poids déjà si lourd sur ses épaules... Je me demande ce qui lui est arrivé, mais je suis prête à parier que c'est récent, et qu'elle n'est pas ici depuis longtemps. La pauvre.

"Mh, qu'est ce que tu as dit ?"

Elle marche derrière moi donc je ralentis pour qu'elle arrive à ma hauteur, et tourne la tête vers elle en lui posant cette question ; j'ai entendu le son de sa voix sans en comprendre les mots. Elle continue de parler, me racontant une histoire à propos de sa maman à l'hôpital, et de fleurs... Est-ce qu'elle aurait perdu sa mère également ? Sa question me fait froncer les sourcils et je m'arrête de marcher pour la regarder. Ses pensées sont bien sombres pour une fillette. Et son père n'avait pas l'air d'avoir beaucoup de tact ; quelle idée de dire une chose pareille à une enfant ?

"Bien sûr que non ! Les fleurs ne meurent pas, elles repoussent l'année suivante..."

Si cueillir une fleur était un meurtre, la terre entière serait peuplée d'assassins ! Je repense soudain à l'histoire du petit prince, et cette rose qui s'enorgueillit de sa beauté. Si les fleurs pouvaient parler, je suis sûre qu'elles seraient fières d'être regardées, choisies, cueillies pour un bouquet...

Nous reprenons notre route, et après un nouveau silence, Pricie me pose une question qui me laisse pantoise. Comment ça, pourquoi je l'ai consolée ? ... Parce que c'est ce que n'importe quelle personne avec un coeur ferait en voyant une enfant en pleurs ? Elle s'arrête, une fois de plus, et lève vers moi un regard perdu, rempli de larmes une fois de plus. Et une fois de plus, elle parle de Monstres. Cette fillette est vraiment étrange, et me laisse perplexe. Je m'agenouille pour être à sa hauteur, et essuie doucement ses larmes de mes pouces.

"Pricie, qui sont les monstres dont tu parles ?"

Est-ce que c'est son père qui lui a mis toutes ces drôles d'idées dans la tête ? Je ne le connais pas, mais je pense que n'aurais pas apprécié cet homme. Il a laissé une empreinte forte, et très négative dans l'esprit de sa fille. Comment peut-on s'épanouir en étant entouré d'idées aussi sombres ?

L'adolescente détourne son visage, et j'écarte mes mains pour ne pas qu'elle se sente emprisonnée. Je me relève, et réponds finalement à sa question, le regard perdu sur le champs de fleur.

"Tu ne me fais pas pitié, Pricie. Je te console parce que tu as besoin d'être consolée, et que ça me semble naturel de le faire... Ca ne me coûte rien d'être gentille avec toi, d'essayer de t'aider... Alors je le fais, tout simplement."

Elle est bien trop jeune pour avoir tant d'idées noires dans sa petite tête. Elle me fait de la peine, vraiment, et m'intrigue à la fois. C'est peut-être mon côté mère Thérésa, mais j'ai envie d'essayer de l'aider, au moins un peu si je le peux. Elle est à l'âge de l'insouciance, et non des tracas !

« Pricie, qui sont les monstres dont tu parles ? »

Pricie se bute, Pricie se fige en regardant ses baskets usées  puis elle répond dans un murmure coupable, rouge de honte : « C’est vous...je crois...Mais à présent je ne sais plus trop... »

La dame essuie les larmes de la joue enfantine, c’est tendresse, Pricie la laisse faire.

« Tu ne me fais pas pitié, Pricie. Je te console parce que tu as besoin d'être consolée, et que ça me semble naturel de le faire... Ca ne me coûte rien d'être gentille avec toi, d'essayer de t'aider... Alors je le fais, tout simplement. » dit la dame.

Pricie eut un petit rire étouffé : « Tu es vraiment bizarre Pandora ! » Le rire n’était ni moqueur ni méchant cela se serait senti mais empli d’une incompréhension palpable.

Elle marcha ensuite sans un mot puis expliqua : « Mais tu sais...c’est dangereux de s’attacher à quelqu’un… car... » Elle déglutit : « Ça peut faire mal après car tout le monde mourra un jour même toi, même moi. » L’enfant soupira : « C’est comme ça. »

Puis elle se mit à sautiller sur le chemin avant de s’arrêter et de fouiller prestement dans son sac à dos, elle en sortit un petite peluche de chien en tissu.

« Faudrait le laver le Zéphyr, il doit se sentir mal à être si sale ! » Réfléchit-elle tout haut. Elle se retourna vers Pandora : « Tu crois qu’avec de l’eau et du savon on pourra l’aider ? » Elle rougit et cessa d’implorer grognant mal à l’aise : « J’ai peur qu’il se noit ou ait peur dans la machine à laver. »

Elle soupira à nouveau et demanda : « Dis Pandora... » Elle leva sa manche et dessous il y avait de vieilles cicatrices qu’elle montra à Pandora fièrement : « Je suis forte moi ! » fut son seul commentaire. Elle avait tout un tas d’autre questions comme est-ce que le lait purifie vraiment ? Est ce que les monstres ici sont méchants et cachent pour mieux faire du mal ? Est ce que c’est car elle pleurait que maman va toujours mal... ? Tout tout ça mais elle ne le fit pas, elle ne voulait pas trahir son papa et ça fâcherait Dieu encore plus contre elle, elle aurait dû se tuer, mais son papa lui avait suppliée de vivre, elle, alors désolée le divin mas Papa d’abord...Elle continua son chemin en sautillant et chantonnant joyeusement, un refrain de Pink évidemment :

« Just give me a reason
Just a little bit's enough
Just a second we're not broken just bent
And we can learn to love again
It's in the stars
It's been written in the scars on our hearts
We're not broken just bent
And we can learn to love again »

Elle se retourna vers Pandora avec un grand sourire tout agitée de bonheur réalisant : « Tu vas vraiment acheter une tenue pour moi au lieu que tu ne me connais pas ? » Émerveillée l’enfant ajouta : « C’est vraiment étrange mais tu sais quoi... » Elle hésita à prononcer mais le fit lâchant en cet instant son était d’alerte pour quelques secondes dans un : « Je te trouve merveilleuse de faire ça, je vais te rendre service alors, quel travail tu voudras me donner ? ! »

Car déjà Pricie savait que rien n’était gratuit ni simple.

Juste donne-moi une raison
Juste une petite sera suffisante
Juste une seconde où nous n'étions pas brisés mais juste tordus
Et nous pouvons apprendre à aimer à nouveau
C'est dans les étoiles
C'est écrit sur les cicatrices de nos cœurs
Nous ne sommes pas brisés, juste tordus
Et nous pouvons apprendre à aimer à nouveau ...

Je fronce les sourcils à sa réponse. Comment ça, "nous" ?

"Tu veux dire, les gens de Terrae ? C'est parce qu'on a des pouvoirs, c'est pour ça ?"

Je sais que Terrae n'est pas toujours très bien perçue par le monde extérieur... Je suppose qu'à son âge, c'est difficile de démêler le vrai du faux ? Mais elle est ici maintenant, et visiblement elle a encore un peu de mal à accepter la situation. Je me demande si c'est pour ça que les autres élèves l'ont attaquée... Personne n'apprécie d'être traité de monstre !

L'enfant pouffe de rire ensuite, décrétant que je suis bizarre. Je ne dis rien, force un sourire pour toute réponse, mais je trouve ça tellement triste, d'assimiler la gentillesse à de la bizarrerie... Et encore une fois, je me demande quel genre d'enfance elle a eue, pour en arriver à ce genre de conclusion. Mon sourire s'efface, et je pose une main réconfortante sur son épaule, lorsqu'elle m'explique qu'il est dangereux de s'attacher aux autres.

"Tu sais Pricie... En 25 années de vie, j'ai eu le temps d'en perdre, des êtres chers. Et ça fait mal, et c'est injuste parfois, c'est vrai... Mais tu ne crois pas que ce serait encore plus triste de ne jamais les avoir connus ? Les gens que tu aimes ne partent jamais vraiment, ils restent là, avec toi."

Je ralentis le pas et pose ma main sur mon coeur à ces mots, le tapotant pour lui montrer. Mais c'est compliqué d'expliquer ce genre de notions à une enfant... Aussi difficile que soit la perte d'un être cher, on finit par s'en remettre, et on garde leur souvenir bien précieusement en nous. Des souvenirs qui nous réchauffent et nous redonnent le sourire, quand les temps sont durs.

Pricie sort ensuite un chien en peluche de son sac à dos, et décrète qu'il est temps de le laver. Je hoche la tête à sa question.

"Oui, on devrait pouvoir lui donner un bain tout doux ! Et tu as raison, il vaut mieux éviter la machine à laver, il risquerait de s'abîmer..."

Elle me regarde ensuite avec sérieux, sur le point de me poser une autre question... Mais semble se résigner après une hésitation, et remonte simplement sa manche pour me montrer quelques cicatrices. Je réponds à son sourire fier, levant le pouce en l'air.

"Eh bien dis-donc, ce sont de sacrées blessures de guerre que tu as là ! Tu es une petite aventurière ?"

Je regarde l'adolescente sautiller sur le chemin, fredonnant une autre chanson de Pink. Décidément, c'est une vraie fan ! Elle se retourne finalement vers moi, visiblement aussi excitée qu'étonnée que je sois prête à lui offrir de nouveaux vêtements. Elle me demande ensuite quel service elle pourrait me rendre en échange, et je hausse les épaules avec un léger rire.

"Un travail ? Mais qui te dit que je veux te faire faire quelque chose en échange ? Tu sais, parfois les gens rendent des services juste comme ça, sans rien attendre en retour !"

Je plisse les yeux avec un sourire. C'est affolant comme cette petite est mature sur certains points, et totalement ignorante sur d'autres... A croire qu'elle n'a jamais été entourée que de personnes égoïstes et mauvaises...

"Dis-moi Pricie, tu as quel âge ?"

« Un travail ? Mais qui te dit que je veux te faire faire quelque chose en échange ? Tu sais, parfois les gens rendent des services juste comme ça, sans rien attendre en retour ! »

Pandora avait haussé les épaules et ri en prononçant cette phrase. L’enfant, elle, s’était assombrie.

« Dis-moi Pricie, tu as quel âge ? »

Les poings de Pricie se serrèrent jusqu’à ce que ses ongles fassent saigner ses mains.

«  Pourquoi ? »

Pricie déglutit comme elle put et répéta : « Pourquoi tu t‘intéresses à moi ? Tu ne devrais pas t’approcher de moi et pourtant tu es là et tu veux m’acheter des habits sans rien en contrepartie. »

Pricie prit une grande inspiration pour ravaler ses larmes.  «  Ce n’est pas vrai… Mon papa à moi, mon papa son amour il était dans son sourire pas dans mon cœur. Mon papa... »

Pricie se retourna vers Pandora, la fillette secoua la tête pour chasser la tristesse. Pandora ne devait pas savoir ou elle la détesterait. Pourtant Pricie aurait dû s’éloigner de ces créatures de Terrae. Mais elle en était incapable, peu à peu elle s’en apercevait, elle voulait leur parler, leur sourire, devenir une des leurs. Elle avait si honte de cela et en même temps elle le souhaitait tant.

Elle soupira redescendant la pression en elle et répondit enfin : «  J’ai treize ans ! » Elle fit silence les secondes qui suivirent.

Elle finit par se lancer hésitante d’une petite voix enfantine : «  A l’hôpital pour la tête où est Maman, une fois un monsieur avec une guitare est venu. Et Maman elle a souri, Papa il a dit au médecin que maman a souri et moi j’étais toute heureuse mais juste après elle s’est mise à pleurer en disant à Tata de revenir, mais Tata elle n’était pas là. Alors le docteur a dit qu’elle souriait sûrement à son imaginaire pas au réel. »

Les sourcils de Pricie se froncèrent de colère.

« Mais le docteur avait tort, je suis sûre que maman avait aimé le son de la guitare du Monsieur animateur ! »

Pricie expira et chassa une fois de plus cette émotion orageuse en elle.

« Par exemple, ici, je crois, oui j’en suis presque sûre je crois que pour ici, j’avais tort... »

Elle hésita avant de demander : «  Tu vas vraiment me donner des habits pour de vrai ? Et m’aider à laver doudou Zéphyr pour de vrai ? »  Elle paraissait si incrédule en cet instant la fillette en son regard fixant celui de Pandora.

Pricie poursuivit assez vite d’une voix tremblante jouant avec ses mains de peur d’une réponse négative : « Est ce que tu voudras bien m’apprendre la guitare ? Pour Maman… Je ne dois pas revoir Maman ce serait mauvais pour elle, mais si je peux l’aider un jour ... »

Pricie prit une grande inspiration et demanda à Pandora les yeux plein d’espoirs avec un joli sourire d'espérance : « Car dans la vie, le futur on ne sait pas , hein pandora ! Dans la vie, le futur ça se sait pas ? »

La petite semble hésiter à me répondre, avant de m'affirmer avoir 13 ans. Je souris sans faire de commentaire, c'est étrange, à sa façon de parler je lui en aurais donné à peine dix... Elle souffre visiblement d'un retard émotionnel assez prononcé, ce qui me conforte dans l'idée qu'elle a vraiment besoin d'aide... Même si elle n'est pas très encline à l'accepter !

Nous continuons notre chemin jusqu'au village, et Pricie me parle un peu plus d'elle, par fragments que j'essaie d'assembler en une histoire cohérente. Sa mère semble être dans un institut psychiatrique, quant à son père... Il est décédé, de ce que j'ai déduis de nos précédents échanges. Pauvre gamine...

"Evidemment que je vais t'aider ! Je sais que beaucoup d'adultes racontent des mensonges, mais moi je n'aime pas ça ! Regarde, d'ailleurs, on arrive à la boutique de vêtements !"

Nous passons une quinzaine de minutes à chercher des vêtements qui lui plaisent, et je les ajoute sur mon compte d'employée pour qu'ils soient déduits de ma paye. Je laisse ensuite la petite se changer tranquillement, avant de l'emmener à la laverie pour nettoyer sa tenue tâchée de sang. Pendant que la machine tourne, nous prenons le temps de nettoyer son doudou à la main, et je lui explique comment faire pour les prochaines fois, histoire qu'elle sache le faire seule sans risquer de l'abîmer ; elle semble beaucoup y tenir !

"Eh voilà ! Regarde, ton Zéphyr est aussi propre que tes vêtements maintenant ! Qu'est ce que tu dirais de rentrer à l'institut en passant par le parc ? Il y a un marchand de glaces par là-bas !"

Et dans un clin d'oeil, j'emmène Pricie au parc pour partager une crème glacée avec elle sur le chemin du retour. Il y a longtemps que je n'en avais pas mangé d'ailleurs, la dernière fois devait probablement être avec Akito ! Nous continuons à discuter tout en marchant, j'essaie de démêler les informations qu'elle me donne pour les ajouter à l'image que je me fais de son enfance. Le tableau n'est pas très reluisant, mais je suis sûre que Terrae peut l'aider à passer au-dessus de tout ça !

Une fois de retour à l'institut, je raccompagne l'enfant jusqu'à sa chambre dans le couloir des Eaux, et m'agenouille pour être à sa hauteur au moment de se dire au revoir. Je pose une main sur sa tête et ébouriffe doucement ses cheveux avec un sourire.

"C'était chouette de te rencontrer Pricie ! J'espère que tu arriveras à t'adapter ici, tu sais Terrae est un bel endroit, il faut juste lui donner sa chance. Et quand tu seras plus à l'aise dans ta nouvelle vie, peut-être que je pourrai t'apprendre la guitare... Mais chaque chose en son temps ! Prends bien soin de toi d'abord, et si tu as besoin d'aide, ma chambre se trouve dans le couloir des Airs..."

Je me redresse dans un sourire, avant de lui adresser un petit signe de main lorsqu'elle rentre dans sa chambre. Je reste quelques minutes à regarder sa porte, puis lâche un petit soupir et retourne vers chez moi. J'espère qu'elle ira mieux, mais je suis sûre qu'elle sera prise en charge convenablement ici...