— Mais qui sait ce qui serait vraiment arrivé... et puis, comme ça fait longtemps, je ne m'en souviens plus très bien. Peut-être que ma mémoire me joue des tours et que ce n'était pas si terrible que ça.
— C'est... une possibilité. Toutefois, ça n'a pas d'importance. Ce qui s'est passé ce soir là t'a blessé et tu cicatrices encore aujourd'hui. Je crois qu'une partie du problème est que tu ne veux pas admettre que ton trauma soit légitime. Elfie, rappelle-toi, être forte ne veut pas dire être invincible.
— Je le sais bien ! Mais il ne s'est rien passé, il m'a à peine touché ! Bien sûr que je ne trouve pas ça légitime. Pourquoi après autant d'années je ne suis toujours pas remise ?!
— Tu es dans le déni. Il faut que tu le dises pour passer à autre chose.
— Dire quoi..?
— Ce qu'il t'aurait fait. Tu le sais, n'est-ce pas ? Je sais que ce n'est pas facile mais...
— Ce n'est qu'une spéculation !
— Pourtant, quand tu m'en parlais, sans jamais le mentionner de manière directe, tu ne semblais pas en douter. Parfois, si ton instinct est si fort, c'est qu'il a raison... malheureusement.

Silence. Je savais bien ce qu'elle attendait de moi. J'avais peur... Peur d'y penser, peur de me remettre dans la peau de mon ancien moi, de cette adolescente de 16 ans. Celle qui avait fait des cauchemars horribles, celle dont la seule mention de la nuit troublait. Celle qui avait toujours cru que rien de mal ne pouvait se produire sous les étoiles, ces astres qu'elle admirait, qui la réconfortaient, qui la fascinaient. Ma respiration se fut plus ardue.

Je lançai un regard à ma psychologue pour lui faire comprendre que j'allais le faire, mais que j'avais besoin d'un moment. Cependant, je ne voulais pas trop prendre mon temps non plus, sinon l’anticipation risquerait me rendrait encore plus anxieuse. Allez.

— Il... m'aurait violé.

Je dus user d'une énorme volonté pour ne pas ajouter un « je crois ». Mon cerveau n'y croyait pas. Pour lui, basé sur mes observations, cela serait forcément arrivé. Je ne me rappelais plus vraiment du visage de mon agresseur. Et pourtant, à cet instant, je le revis dans ma tête. Je serrai mes jambes contre moi et éclatai en sanglots.

Pendant plusieurs minutes, mon interlocutrice ne dit rien. Elle y était habituée, depuis le temps, et savait qu'il était préférable de patienter un peu avant de tenter de me parler de nouveau. Je finis par relever les yeux et je pris une tonne de mouchoirs dans la boîte près de moi pour me nettoyer le visage.

— Je suis fière de toi. Elfie, ce que tu as vécu n'est pas banal. Bien sûr, il y a de jeunes filles qui n'ont pas eu ta chance et qui n'ont pas pu éviter le pire... Mais tu n'as pas à comparer ta douleur à la leur. Nous sommes tous différents et nous vivons tous nos émotions de façon différente. Depuis que je te connais, s'il y a bien une chose que j'ai remarqué, c'est que tu es une personne extrêmement sensible et qui visualise beaucoup. Cela peut être tant positif que négatif. Dans ton cas, le fait que te sois imaginé la scène plusieurs fois dans ta tête a contribué à amplifier les dégâts. Dis-moi, tu as déjà mentionné que tu pensais que cela avait influencé ta vision des hommes. Qu'est-ce qui te fait penser ça ?

— Eh bien... Quand je rencontre un mec, je suis plus méfiante. Ça m'énerve parce que je n'ai pas envie de juger les gens en fonction de leur genre et de leur sexe ! Mais je n'arrive pas à le contrôler. Par exemple, ma rencontre avec Tiago. Il a tout de suite remarqué que je gardais mes distances. Ou alors quand Bito a posé sa main sur un de mes seins par accident. J'ai peut-être surréagi vu que ce n'était pas voulu, justement. Mais quand c'est arrivé, j'ai eu peur qu'il se cache derrière un masque et que ses intentions soient mauvaises. Si ça avait été une femme, je pense que je lui aurais pardonné direct sans souci...
— Je vois. Et aujourd'hui, comment ça va avec eux ? Tiago est ton ami maintenant si je ne m'abuse, et Bito, où se situe-t-il ?
— Oui, Tiago est mon ami. Je ne suis plus méfiante à son égard. C'est un Don Juan et bien qu'il ait tenté sa chance à notre rencontre, il n'a jamais été super déplacé ou irrespectueux. Quant à Bito... Je suis allée à l'arcade avec lui récemment. Mes doutes quant à lui se sont beaucoup apaisés. J'ai... envie de lui faire confiance.

Nous continuâmes de parler pendant près d'une trentaine de minutes. Elle pensait que progressivement, je serais en mesure de ne plus me braquer face à la gent masculine. Que je serais en mesure de finir ma cicatrisation... Je sortis de la pièce, le cœur plus léger. Puis j'allai au parc me balancer.