Ses larmes avaient visiblement décidé de ne jamais s'arrêter de couler. Le regardant avec tristesse, je sentais mon coeur se serrer à chaque fois qu'une larme coulait sur sa joue. Je savais que je n'étais pas entièrement responsable, mais je ne pouvais pas m'empêcher de me sentir vraiment coupable. Je sentis sa main resserrer la mienne, et encore une fois, il me demanda de ne pas partir. Je fermai les yeux et laissai l'air balayer mon visage. Un sourire hésitant et désolé se peint sur mes lèvres quand il commença à me dire qu'il avait peur. Vous savez, je sais que c'est terriblement bête... Mais malgré tout, lorsque je voyais un garçon comme ça, qui pleurait, ou qui osait avouer ce genre de chose... En fait, quand je voyais un garçon au bout du rouleau, je ne pouvais pas m'empêcher de trouver ça... Attendrissant. Je sais bien que mes ressentis étaient bien inutiles dans cette situation, surtout que j'étais aussi énormément peinée pour lui, je ne savais absolument pas quoi faire et ça me frustrait, mais je ne pouvais pas m'empêcher de penser ça, même si c'était de Matthew qu'il s'agissait.
En même temps, je n'arrêtais pas de me dire que j'étais bizarre. Premièrement parce qu'il s'agissait là du demi-frère de mon meilleur ami, et que la seule chose qu'il souhaitait c'était tuer son père, qui comptait un peu comme un second père pour moi. Et puis il y avait eu aussi tout ce qu'on s'était envoyé dessus lorsqu'on s'était rencontrés, le mal qu'il m'avait fait, que je lui avais fait, notre mésentente. Et pourtant, pourtant... Malgré tout ça, quand je le voyais ainsi, je ne pouvais pas réprimer ce sentiment d'aide que j'avais à son égard. Je voulais l'aider. Vraiment.

-Je sais à quel point ça peut faire mal de comprendre... Mais dans ton cas, ça peut peut-être aussi t'aider...?

Je n'avais pas la moindre idée de ce que j'avançais. Je me laissai aller par mon instinct, et je savais bien qu'à ce niveau-là, mon instinct était parfaitement nul. J'étais incapable de réconforter les gens, j'en étais consciente... Mais je voulais quand même essayer. Parce que c'était mille fois mieux que de le laisser comme ça. Et puis, il m'avait... Demandé de rester, malgré tout, non...?
Sans la moindre arrière pensée, j'entrelaçai mes doigts aux siens. C'est ce qu'avait toujours fait Maman avec moi lorsque j'étais mal. Elle me serrait contre elle, puis s'éloignait, collait son front au mien et entrelaçait nos doigts. Et ce simple toucher, juste... ça, à quel point avait-il pu m'aider et me réconforter...!

-Pense à des choses joyeuses qui ont pu t'arriver. Oublie ces mauvaises pensées, ne pense qu'au meilleur. Souviens-toi des moments heureux et chasse les souvenirs tristes.

Gardant toujours les yeux clos depuis que je les avais fermés tout à l'heure, j'inspirai doucement, profitant de l'air frais. Une chance que la fête fut déjà bien entamée, sinon il y aurait eu beaucoup trop de monde dehors. Là, il n'y avait que les quelques fumeurs qui n'étaient pas majoritaires à Terrae, il y avait les arrivants de dernières minutes... Et c'est tout. Et puis, notre banc était à l'écart...

-Je suis là, murmurai-je dans un souffle, me perdant dans mes pensées.

J'écarquillai les yeux, abasourdie, trop choquée pour pouvoir le repousser. Je m'étais laissée aller, emportée par mes habitudes, la façon dont moi on m'avait réconfortée, poussée par l'envie de l'aider, lui qui semblait si mal, et pourtant, il...
Il s'excusa, en bafouillant, et je retirai d'un coup ma main de la sienne, tournant d'un geste vif ma tête dans la direction opposée, sentant mes joues s'empourprer. J'étais déjà assez perdue entre mes réactions incontrôlées que je pouvais avoir à son encontre ou à celle d'Aaron, je n'avais certainement pas besoin de ça...
Il s'exclama, alors que je restai silencieuse, que ce n'était pas lui. Je ne compris même pas le geste de ses paroles, encore trop troublée par son geste. Penchant ma tête en avant, je laissai mes cheveux cacher mon visage, tandis que je portai quelques doigts à mes lèvres. Je me sentais parfaitement incapable de le regarder, et je n'avais qu'une envie : partir et le laisser là. Pourtant, je savais que si je le faisais, il allait s'en vouloir. A moins que finalement il s'en fiche... J'avais tant de mal à le comprendre ! Je n'avais absolument pas tort lorsque j'affirmai qu'il était une énigme pour moi...
Je me mordis la lèvre inférieure, et mon visage toujours enfoui sous ma chevelure blanche, ma tête toujours tournée sur le côté, je laissai cette question qui tournait et tournait et tournait dans ma tête depuis tout à l'heure franchir la barrière de mes lèvres :

-Pourquoi...?

Je baissai toujours la tête, fixant mes pieds. Un goût amer s'installa dans ma bouche, et je mis un long moment avant de pouvoir donner un nom à ce goût : la trahison.
Alors c'était si simple ? J'étais la bonne cruche qui servait à le divertir ? La gentille petite gamine débile et incapable de différencier le vrai du faux ? Celle qui se faisait toujours avoir aussi facilement...?
Je n'avais même pas envie de relever la tête pour voir son visage, rien qu'à son ton, je sentais qu'il se moquait ouvertement de moi. Et moi, j'avais essayé d'être gentille, j'avais pris sur moi, m'en étais voulu, je m'étais laissée aller... Pour quoi, ça ? Pour être traitée comme une pauvre idiote ?
Mon coeur commençait à peser lourd. Bien sûr, la seule chose que j'arrivais à faire, c'était me reprocher mes gestes. Comment avais-je pu être si stupide, hein ? Me mordis la lèvre d'un coup, sous la colère, et je sentis un peu de sang couler dans ma bouche. Je pestai intérieurement, m'insultai, me reprochai le moindre petit mot que j'avais pu prononcer.
Oh, oui, bien sûr, après tout, ce n'était qu'un baiser. Quoi, est-ce que les acteurs en font tout un plat lorsqu'ils doivent s'embrasser au cinéma ? C'est sans sentiment, c'est pour le film, c'est juste une scène... Ils vont la répéter 40 fois avant qu'elle soit bonne et puis c'est tout, Johnny Depp rentre le soir et Vanessa Paradis ne lui en veut pas puisqu'après tout c'est son boulot.
Mais ce qui m'énervait le plus, c'était son ton, ce qu'il prétendait avoir fait...
Car malgré tout, j'étais partagé. Ces larmes, ce verre qui était tombé, son déséquilibre... C'était vraiment de la comédie ? Ou bien se cachait-il derrière cette image de...
Je ravalai avec difficulté ma salive. Ces dernières paroles suffirent à m'achever.
Je me relevai brutalement, et plantai mes yeux embués de larmes dans les siens, le fixant avec mépris. Je laissai quelques secondes à peine s'écouler avant de prendre la parole.

-Ca y est, t'as fini ? T'es content, tu m'as bien humiliée ? Il te faut quoi de plus maintenant ? Que je te félicite pour ta sacrée belle réussite ?

Je forçai un rire forcé, bien que l'envie ne soit absolument pas là, et je frottai mes yeux humides d'un revers de la main.

-Je te félicite, tu as réussi à me gâcher la soirée. Elle était déjà pas assez merdique comme ça, il a fallu que tu en rajoutes une couche. J'espère que tu es vraiment fier de toi parce que sinon, ça m'aurait vraiment fait chier de gâcher ma soirée pour absolument rien ! Il faut au moins qu'un de nous deux en soit vraiment content, sinon c'est vraiment inutile.

Je tournai la tête et me pinçai les lèvres pour me retenir de vraiment éclater en sanglot. C'était bête, hein... Mais je venais à peine de quitter les toilettes que j'allais déjà y retourner. Ma chambre était trop loin, et je n'avais pas la force de marcher jusque là. La chasse d'eau suffirait à camoufler mes sanglots, et l'eau du lavabo rincerait mon visage pour ne laisser plus aucune trace.
Ce qui m'énervait le plus dans cette situation... Ce qui me frustrait au plus haut point... C'est qu'une fois encore, je me sois faite avoir, comme une andouille.
Faisant volte-face, je ne pris même pas la peine de rajouter quelque chose. Je n'avais plus envie de lui parler. Et puis, les larmes avaient finalement fini par couler, et je refusais qu'il me voit comme ça, parce que ça signifierait clairement la victoire pour lui. Et il était absolument hors de question que je lui offre ce plaisir.