La porte du bureau du psychologue se refermait, laissant seul dans le couloir une tête blonde qui remettait en place sa montre. Son léger sourire s’effaçait et ses yeux donnaient l’impression de se creuser progressivement, comme si les fils qui maintenaient la mascarade sur sa personne cédaient. Il avait une expression froide, fatiguée. Il était épuisé. Mais une silhouette s’approchait de lui, l’incitant à reprendre un minimum contrôle de ses émotions et de ses gestes. Il se tournait vers le Master qui se chargeait de le guider à travers Terrae, la terre des pouvoirs. La visite chez le psychologue n’était qu’une étape, il fallait reprendre le cours du fil rouge : l’exploration. D’un air nonchalant, Kin traînait de la patte derrière le Master, n’écoutant qu’avec peu d’attention ce que ce dernier avait de bien beau à raconter. Les pouvoirs ? Extravagants, mais sans plus. Une histoire d’avatar ? Inintéressant. Un attentat récent ? La conséquence d’une mauvaise administration.

Plutôt dur, n’est-ce pas ? Pas étonnant venant de quelqu’un qui n’est pas encore entièrement à sa place dans ce décor si particulier. Il marchait sans vraiment savoir où ses pieds. Au bout d’un moment, le Master s’arrêta, tournant la tête vers Kin et lui proposant d’aller se dégourdir les pieds dans le village. De prendre un peu l’air. La tête blonde fronça brièvement les sourcils avant de se reprendre et d’accepter l’offre, de manière indifférente avant de mettre les mains dans les poches et de se diriger vers la direction indiquée. Même si d’habitude il n’était pas froid à l’idée d’autant de compassion, aujourd’hui il n’était pas prêt à recevoir autant d’attention alors qu’il sortait tout juste de sa détention dans un commissariat. Il porte encore quelques séquelles de ce passage douloureux : pansement sur l’arcade sourcilière, lèvre fendue, des marques de menottes au niveau des poignets, quelques bleus sur son corps, un corps plus mince à cause du manque de nutrition, etc.

Pour ne pas davantage égayer sa journée, il se mettait rapidement à pleuvoir. Les gouttes d’eau se multipliaient alors qu’il levait la tête vers le ciel. Une nouvelle Terre, pourtant ils partageaient les mêmes nuages que sa ville natale. Il restait plusieurs dizaines de secondes à méditer silencieusement avant de commencer à reprendre sa marche. Il faisait plutôt frais, les habits mouillés n’arrangeaient pas la chose. Alors il accéléra le pas, jusqu’à s’arrêter en face d’un café assez coquet. Kin entrait, ses pas mouillant assez rapidement le sol alors qu’il passait sa main dans ses cheveux pour les tirer vers l’arrière et ne plus avoir de mèches sur son front. Il remarque du coin de l’oeil certains clients qui se tournent vers lui, curieux de voir quelqu’un mouillé de la tête aux pieds. Kin voyait qu’il y avait des gens d’origines variées dans ce café, ce que disait le Master était donc vrai : tous ceux qui développaient leurs dons dans le monde venaient sur Terrae. Un serveur s’avançait et proposait une serviette à Kin, serviette qu’acceptait avec plaisir le garçon alors qu’il s’essuyait. Une fois remercié, le serveur présenta une table disponible pour lui, avant de proposer la carte. Kin jetait un coup d’oeil à ladite carte, passant plusieurs longues secondes à l’étudier avant d’ouvrir ses lèvres et de parler. Sa propre voix le surprenait, l’impression de ne pas l’avoir entendue depuis des années le traversant alors qu’en réalité il n’avait juste pas parlé depuis qu’il était sorti du bureau du psychologue.

- Je vais prendre un café court.
- Très bien monsieur, souhaitez-vous autre chose ?
- Avez-vous de quoi passer le temps ? Un magazine, n’importe quoi.
- Je vais voir ce que je peux faire.

Avec un léger sourire, le serveur se retirait, allant préparer la commande du blondinet tandis que celui-ci se frottait les yeux. Une vague de fatigue le submergeait alors qu’il n’était plus assaillit par les gouttes d’eau dehors, la chaleur de l’intérieur du café arrivant à détendre son corps, et donc à relâcher la fatigue dans ses muscles. Le café ne tarda pas à arriver, le serveur confiant un magazine à propos des boutiques dans le village. Curieux, Kin commença à parcourir les pages et comprenait plus ou moins la disposition des boutiques et différentes activités dans le village. Il pris une gorgée du café et sentait ses papilles se réveiller, comme si un coup de fouet résonnait entre ses lèvres alors qu’il ressentait pleinement la saveur de la caféine. En grande partie revigoré, il épluchait le magazine à une vitesse assez impressionnante alors que son regard précis montrait son sérieux. Ses habitudes de lecteur des textes de lois reprenaient le dessus, son attention étant focalisée sur ce qu’il lisait afin de pouvoir retenir les informations.

Cependant, il fut tiré de sa rêverie lorsqu’au bout d’un certain moment, il entendait une voix. Comme le tintement d’une clochette cela résonnait dans un coin de sa tête, le poussant à relever la tête pour la première fois depuis qu’il avait commencé à lire. Et l’espace d’un instant, il la voyait. Ses yeux s’élargissaient, ayant du mal à assimiler l’information, jusqu’à ce que son cerveau se charge de traiter l'info et donc le pousser à réagir. Il se levait d’un bond, plaquant sur le coin de la table l’argent que lui avait confié le Master en guise de change pour les yens qu’il avait dans sa poche. Il sortait rapidement du café, à la poursuite d’une ombre qui s’éclipsait plus loin dans les ruelles.

- EBISU !

Mais la belle brune ne s’arrêtait pas, seules ses mèches étaient visibles alors qu’elle courrait de manière hasardeuse, ne montrant que son dos au blondinet. Pourquoi est-ce qu’elle prenait la poudre d’escampette ? Se serait-il trompé ? Non, il était peut-être fatigué, mais il n’était pas non plus fou, il faisait confiance en ses yeux. Et il est certain d’avoir reconnu son amie d’enfance. Enfin, même si “celle qui a mis son poing dans la figure la dernière fois” était plus exact. Grinçant des dents, il laissait son instinct prendre le pas sur la raison et décider de courir après elle, malgré la pluie. Il allait finir de nouveau mouillé, et alors ? Il s’en moquait. Il ne s’attendait absolument pas à tomber sur quelqu’un qu’il connaissait, surtout quelqu’un comme elle. Lui qui pensait avoir tout laissé tomber derrière lui, qui pensait que son passé allait être enterré à tout jamais, voilà que ce dernier lui revient à la figure de manière assez violente. Et pourtant, alors qu’un tourbillon mélangeant confusion, colère et joie faisaient rage en lui, il parvenait à saisir la main de celle qu’il connaissait depuis qu’il était petit, la forçant à se tourner vers lui et la fixer directement avec ses yeux rubis.

- Pourquoi tu me fuis ? Tu ne penses pas que tu as quelque chose à me dire ? Tu as disparu après que j’aie payé ta caution il y a plus d’un mois !

Ce… n’est pas vraiment ce qu’il avait envie de dire exactement mais parfois les mots sortent naturellement. Cela n’arrive jamais pour Kin, sauf avec Ebisu. Elle seule arrivait à le faire agir comme ça, comme un humain normal, et non un robot.

Il était arrivé jusqu’à elle, elle qui était de nouveau à portée de main après avoir disparue pendant un moment. Une partie de lui n’y croyait pas, jusqu’à ce qu’il sente sa peau entre ses doigts, à quel point elle était réelle. Aussi réelle qu’au moment où elle se retournait tout en repoussant sa main, Kin écartant brièvement les yeux alors qu’il gardait la main tendue sur le côté, ne savant plus trop quoi en faire. Elle avait le regard confus, lui était trop surpris et perturbé pour réellement savoir quoi dire ou quoi penser de tout ça. Mais il fronça les sourcils lorsqu’elle s’excusait poliment. Il avait l’impression qu’un fossé se créer entre eux deux, qu’elle l’écartait, qu’elle se distançait de lui. Ses quelques mots avaient bien plus d’effet que la course-poursuite qu’ils venaient de réaliser, ce qui l’agaçait beaucoup. Pourquoi est-ce qu’elle s’adressait aussi poliment à lui ? Est-ce que depuis le début elle ne voyait en lui qu’un simple inconnu à qui elle aurait causé du tort ? Est-ce vraiment à ça que se résume leur relation ?

Il laissait ses bras retomber le long de son corps, serrant fermement les poings alors qu’il ne disait rien tandis qu’elle lâchait excuses sur excuses. Ce n’est qu’au moment où Ebisu se redressait qu’elle pouvait voir l’espace d’un instant cette expression blessé qu’il portait sur son visage, comme si le masque qu’il s’efforçait de porter depuis si longtemps déjà, alors qu’il avait fait face au cadavre de son père, le regard désespéré de sa soeur, la colère des policiers et l’attention démesurée des médias, commençait à doucement se fissurer. Il était capable de faire face à de nombreuses choses, mais les mots d’Ebisu qui en rajoutait alors qu’elle demandait le montant de la caution trouvaient les points faibles dans sa mascarade. Il inspirait profondément, dressant ses yeux vers le ciel couvert de nuages avant d’expirer profondément. Il devait se reprendre, il devait rester fort. Parce que s’il laisse la douleur prendre le dessus, il ne sait pas s’il pourrait réellement le supporter.

Donc, au moment où elle lui demandait pourquoi il faisait ces choses pour elle, il se contentait de s’avancer et de lui saisir la main à nouveau. Pas avec précipitation, mais avec confiance alors qu’il la regardait avec un regard sérieux.

- Suis-moi.

Et de cette manière, il la guidait à travers les ruelles, marchant pendant une minute ou deux alors qu’il la tenait par la main. Il savait qu’ils étaient dans un quartier commerçant, alors il ne doutait pas de trouver rapidement un autre café dans lequel ils pouvaient entrer. Leur recherche ne fut pas longue, puisqu’ils ouvraient une porte décorée et furent accueillis par le regard curieux du propriétaire du petit café, qui était vide. Avec ce mauvais temps, peu de monde semblait venir par ici. L’homme avec une barbe tâchée de poils blancs rangeait son journal, s’avançant vers Kin qui ne lâchait toujours pas la main d’Ebisu.

- Une table pour deux ?
- Aaah, oui. Est-ce que ce serait possible d’avoir un coin tranquille ?
- Je pense que personne ne va venir pour le reste de l’après-midi, donc installez-vous où vous vouler. Je vous apporte des serviettes. Et de quoi vous réchauffer.
- Merci monsieur !

Le propriétaire se retirait à l’arrière du café tandis que le blondinet s’installa avec Ebisu sur une table non loin de la fenêtre. Ils pouvaient voir les gouttes d’eau frapper contre la vitre, le bruit empêchant un silence pesant de s’installer à l’intérieur du café déserté. L’homme dans la quarantaine approchait le jeune duo avec une paire de serviettes, Kin remerciant poliment avant de commencer à s’essuyer, une nouvelle fois. Ses mèches de cheveux reprenaient en vigueur alors qu’elles n’étaient plus autant mouillés, lui permettant de pouvoir les décaler et donc laisser son visage libre de toute gêne. Pourtant, Kin regardait en direction de la fenêtre, laissant un silence gênant se formait entre elle et lui. Le propriétaire déposait discrètement deux tasses de café pour eux, et retourner derrière son comptoir sans dire un mot alors qu’il reprenait en main son journal. Le blondinet réfléchissait, en silence, comme à son habitude, avant de se tourner vers Ebisu et de commencer à prendre en main une cuillère de sucre et de mélanger son café.

- J’ai perdu ta trace après que tu sois sortie du poste de police. Je voulais essayer de t’aider du mieux que je pouvais, mais impossible de te retrouver. Je me suis inquiété, tu sais.

Il tournait à plusieurs reprises la cuillère dans sa tasse, bien plus que nécessaire alors que son regard était rivé sur son propre café. Pourtant, cela n’empêchait pas ses lèvres de continuer de bouger et de poursuivre, ne permettant pas qu’on le coupe dans son élan.

- Mon patron était furieux, mais lorsque je lui ai dit que je prendrais la responsabilité pour ce qu’il s’est passé et que je travaillerai dur il a fini par se calmer. Après tout, c’est à cause de moi que tu as réagis comme ça, et pour ça je voulais m’excuser.

Il terminait enfin de mélanger son café, manquant de déborder par moments. Il prenait en main la tasse et buvait de grandes gorgées avant de tout boire d’une traite, reposant délicatement la tasse avant de sortir de l’argent de sa poche et de poser sur la table. Il regardait Ebisu un instant, ne disant rien, avant de commencer à se lever et de se tourner pour partir.

- Ne te prends pas la tête avec cette histoire de caution, j’ai simplement fait ce que je voulais et ça me paraissait juste. Reste ici le temps de sécher. Allez, à la prochaine.

Il plaçait ses mains dans sa poche et tourner de plus en plus le dos à son amie d’enfance, ne savant plus vraiment où était la raison dans toute cette série d’événements. Il l’avait vu, il avait envie de la revoir donc il lui a couru après, et après ce petit échange de rien du tout il décidait de s’éloigner ? C’était confus dans sa tête, et dans un sens il avait peur. Peur que s’il n’arrivait pas à rapidement mettre de l’ordre dans le chaos de ses pensées il allait avoir un énorme mal de tête...