Je. Voudrais. Arracher. Mon cerveau.

Les gens s'arrêtent-ils parfois de penser ? Je ne pen- crois, CROIS, pas. Le bourdonnement dans ma tête est tel que je pourrais aussi bien avoir une ruche en place de cervelle, ce serait la même chose.
Épuisée de l'activité mentale ayant lieu dans l'institut, je décide de sortir afin de, peut-être, trouver un peu de calme.

Pourtant, lorsque j'arrive au champ de fleur où je comptais me reposer un peu, je reconnais au loin une silhouette familière que je ne voyais plus trop avant que nous ne devenions toutes deux préfètes : Ariana. C'est à la fois une joie et une peine de la voir maintenant, je ne peux toutefois pas ne pas aller la voir, c'est comme un devoir.

Alors que je m'approche, cela m'attaque : de la tristesse, de la rancune, et beaucoup, BEAUCOUP, trop de pensées. Je suis presque tentée de faire demi-tour mais au moment où je me décide, l'ancienne Eau qui me tournait le dos jette un regard en arrière, ayant dû ressentir une présence, et je suis coincée. Elle pense vraiment beaucoup, c'est fou...
Un léger sourire éclaire mon visage. Je suis sincèrement heureuse de la voir, même si cela fait un moment que c'est étrangement tendu entre nous. J'espère qu'elle est d'accord pour que je sois là, que je ne la gêne pas.

- Bonjour Ariana. Cela fait longtemps que je ne t'ai pas vue...juste nous deux, je veux dire. Est-ce que...Est-ce que je peux m'asseoir ?

Je fronce légèrement les sourcils. Je crois pouvoir affirmer sans me tromper qu'elle est désormais Sensitive, vu le ressenti que j'ai de sa...colère ?

Respirer. Il faut que je respire. Il faut que je respire.
J'arrive pas. C'est comme si on m'arrachait l'air des poumons. C'est comme si on m'obligeait à respirer du feu.
Je peux pas.

Y a rien qui va. Y a absolument rien qui va. Maintenant, j'suis sensitive. J'ai envie de tout casser. Tout le temps. J'ai déjà balancé une tasse contre le mur. J'ai fait flipper Afya — forcément, je regrette ; bien sûr que je regrette ! Bien sûr que je regrette… Mais franchement, qui en a quelque chose à foutre ? Il faut que j'respire, que j'respire, que j'arrête de hurler dans ma tête dès que quelque chose ne va pas.
J'ai tenu une journée avec mes pouvoirs ; après, je me les suis fait retirer. Ils sont bien sûr revenus très vite. Mais c'est très différent de la télépathie. C'est juste. Une espèce de trucs explosifs qui te clouent à toi-même et te donnent envie de gerber tes tripes. Ca amplifie les émotions des autres, ça amplifie les tiennes. Et quand on supporte déjà pas les siennes, on fait quoi, hein ? Aha.

Au final, j'ai trouvé le truc, ce qui me permet de pas me laisser complètement bouffer. J'expulse tout, comme je le fais avec l'électricité. Quand je suis saoulée, tout le monde le sent, et j'en suis pas désolée. Quelques étincelles courent encore sur ma peau, mais c'est plus discret que quand j'étais téléporteuse.

Le seul moment de calme que je m'octroie, c'est quand je sors pour m'entraîner ou pour décompresser dehors. Loin de ce dortoir de merde avec tous ces gens aussi stressés et en colère et sensitifs que moi bon sang de bonsoir. Heureusement que les voyants sont maintenant sonores....…

..................… Enfin ça veut dire que les sonores sont voyants, lolololol.
J'envoie un nouvel éclair dans les airs, tandis que j'exécute l'un des mouvements que nous avons appris en danse, dans le cours de Sibylle. Danser m'aide à canaliser, lol. Au moins, j'arrive à sortir un peu ce trop-plein d'énergie à l'intérieur de moi. La rupture avec Allen m'aura au moins appris ça, lol.

D'un coup, j'sens un bouillon d'émotions un peu désagréable et surtout ultra gêné qui m'appartient pas, et je fais volte-face, en sueur et essoufflée, et je vois Adé de loin. Je lui souris aussi, chaleureusement. Ca me fait plaisir de la voir, même si objectivement j'ai pas envie de voir grand-monde. Mais je fais un effort avec les amis.

"Elle pense vraiment beaucoup". J'me crispe, mais mon sourire reste le même. WOW MDR OUI SANS DEC, OUI, TKT, tout le monde pense beaucoup, en fait, même ceux qui parlent pas, on l'apprend très très vite quand on est télépathe. Gros lol.

—Salut Adé ! Ca me gêne pas du tout.

Je me baisse pour attraper la serviette posée sur mon sac et me la passer sur le visage, peinant à reprendre mon souffle. C'est pas mes émotions, laisse les dehors, laisse-les dehors de toi Aria, c'est bon… Bon sang…

—Dur la télépathie, hein ! Comment tu vas aujourd'hui ?

Oué. Grosse ambiance.

Vient-elle de répondre à ma pensée ?

- Ah. Tu...m'entends. Bien.

Ce n'est pas bien du tout mais nous ferons avec, je suppose ?

J'acquiesce quand elle me parle de la Télépathie.

- Un peu. Peut-être m'y ferais-je avant le prochain changement, si prochain changement il y a.

Je m'assois au milieu des fleurs. Ariana semble tellement tendue... Arg ! arrête de penser, Hamilton.
Je soupire. Cela va être difficile.

- Je vais bien, malgré le fait que ce soit compliqué...et toi ? Tu es Sensitive, je suppose ? Comment le vis-tu ?

Mal, visiblement. Mais tu vas arrêter, oui ?

Je la fixe d'un air un peu désolée pour elle. Ben. Oui. Enfin. Pas tout. Mais. Globalement, ouais, j'entends parfois. Pas tout, heureusement. Elle s'installe au milieu des fleurs et je la regarde faire tout en me répondant, décidant que j'avais le droit de m'octroyer une demi pause. J'attrape ma bouteille d'eau et lui propose des biscuits par réflexe, vu que j'en ai toujours dès que je sors de ma chambre.

—On prend le pli au bout d'un moment, oui ! Courage !

Ahhh euh ouiii, alors, j'ai pas seulement l'air tendue, j'le suis à mort - il paraît que ça s'voit vachement plus depuis que j'peux de nouveau lancer des éclairs, c'est bizarre, j'avoue.

—Ah. Euh. Bah. Mal, comme tu dis…? Mais on fait avec, pas le choix, hein, aha ! je ris, mais sans aucune joie. Par contre, si je peux te donner un conseil : plus on essaie de s'empêcher de penser, moins ça fonctionne, souris-je, un peu contrite, en me remémorant mot pour mot, image par image, la manière dont Allen m'a larguée télépathiquement tout en essayant de faire genre tout va bien.

Cette fois, je me racle la gorge en captant que ben. Elle peut lire. Donc. Bon. Bah. SURPRISE, ON EST PLUS ENSEMBLE. On adore balancer des infos par erreur face à des potos télépathes, c'est fun. J'vais manger un gâteau et faire comme s'il s'était rien passé hein, mdr.

—Mais sinon, je m'efforce de changer de sujet, un grand sourire sur les lèvres, alors que je sens la colère gronder à nouveau en moi juste en pensant à ce moment de ma vie, j'ai compris que je pouvais pas garder tout ça en moi ! Du coup j'essaie de canaliser en m'entraînant ! Et en dansant ! C'est très utile ! Tu devrais essayer ! Tu étais déjà sensitive, toi, nan, t'as fait comment ?!

Mes yeux s'attardent de trop sur les légers éclairs qui parsèment parfois la peau d'Ariana alors qu'elle me donne le conseil de ne pas trop m'empêcher de penser. Logique, oui. J'accepte un de ses biscuits mais manque de m'étouffer avec.

QUOI ? Oups pardon j'ai crié. Je sens mon regard exprimer une stupeur franche et aussitôt reprends une mine plus neutre. Je suis incapable d'anticiper ce qu'elle va penser, et cela me rend beaucoup plus expressive, ce qui me déplaît fortement. Ils était bien, pourtant, tous les deux... Mais ça ne va pas de penser cela, toi ?

Je m'apprête à lui parler mais elle enchaîne trop vite, cela lui ressemble bien. Elle sourit mais. Comment dire. Je commence à être en colère rien que par sa colère ?

- Tu as raison. Oui, j'ai été Sensitive, mais je faisais l'inverse de toi. J'essayais de tout garder. Ce n'était pas vraiment une bonne idée, et je n'ai fait qu’exacerber mes propres émotions, je finissais même par mélanger mes sensations et celles des autres et ne savais plus vraiment ce qui était mien ou non. Changer de pouvoir a été un soulagement. Si danser t'aide, c'est une bonne chose.

Je finis mon gâteau, la regarde avec douceur. J'aimerais pouvoir l'aider. Je me sens perdue et ne sais pas vraiment comment l'aide en revanche.

- Ariana... Tu peux me parler, quand cela ne va pas.

A titre d'exemple, quand quelqu'un rompt avec toi.

Adé, tu cries dans ma tête, mais je t'en veux pas. Je le faisais aussi, quand j'étais télépathe, aha. Horrible. J'comprends pourquoi Houston me défonçait du regard, c'est vraiment pas fun, en fait-… Venant d'elle, c'est plus surprenant cela diiiit, j'pensais pas qu'elle était si expressive dans sa tête, en fait !! Du coup, j'essaie tant bien que mal de me concentrer sur autre chose et parler. Ma poitrine se comprime et j'ai l'impression que je suis en train de mourir quand j'entends ces mots. Ils étaient bien. Ils étaient bien. Ouais. Non. Je sais pas. Je sais plus. Je rigole et j'enchaîne, mais à l'intérieur c'est le dawa complet : moi aussi, je croyais qu'on était bien, mais j'étais la seule à le penser…

À la place j'me concentre sur ce que mon amie me dit. Yes, tout garder c'est de la merde, surtout quand on est sensitif ahah ! Faut dire qu'à un moment donné, ça cherche quand même à s'échapper. Alors. Ca fait n'imp. Je comprends l'idée, même si j'aurais préféré ne pas expérimenter. Y a des pouvoirs qui nous correspondent vraiment pas, y a pas à dire…

—Tu m'étonnes ! Bon, maintenant, tu dois gérer les pensées des gens, c'est pas mal gratiné aussi !

Je reprends un gâteau. Wow. Trop de compassion. Hm. C'est pas que j'en veux pas, comprends-moi, Adé, hein, mais, c'est un peu. Un peu bizarre surtout quand j'ai pas envie de parler de ça aha. Est-ce qu'elle pourrait m'aider ? P'tetre ? Nan ? Je sais paaas. Héhé… (Long hurlement de désespoir intérieur : POURQUOIII)

—Ah, oui ! Euh, merci ! (Est-ce que je peux vraiment en parler ? Tout le monde s'en fout, non ?) J'ai pas envie de me plaindre ! (Et franchement si j'en parlais je ferais que ça.) C'est.

Je déglutis. Serre les dents. Je souris, à la place, mais c'est la misère, là. Elle sait que j'mens. J'sais qu'elle sait. J'ai envie d'en parler. J'ai pas envie en même temps. J'suis paumée et j'ai juste tellement mal. C'est invivable.
J'respire. J'respire…

—C'est juste difficile pour moi de parler.

Ca a toujours été le cas. Mais. Alors que mes yeux piquent un peu, j'ai envie de lui dire merci quand même. Pour l'avoir dit, au moins. Mais les mots sortent pas, alors je les répète juste dans mes pensées.

Comment ça, expressive ? Je bouderais presque, en vrai. J'ai juste été un peu surprise, pas plus.

Mais les sentiments puissants de douleur d'Ariana me détourne de ma vexation enfantine et je retrouve ma compassion précédente. J'ai envie de lui faire un câlin, mais je n'ose pas. Je n'ai pas envie qu'elle se sente encore plus mal par ma faute.

La conversation continue pourtant. "Les" conversations ? Entre celle que nous avons à l'oral, celle télépathique et les questions réponses d'émotions, je suis un peu perdue. J'acquiesce tranquillement à ce qu'elle me dit sur les pouvoirs...puis c'est un orchestre symphonique dans ma tête. Je fronce les sourcils et encaisse l'enchaînement de pensées confuses de l'ancienne Eau sur ma volonté de l'aider, et finalement son hurlement de désespoir, tout en lui lançant un petit regard implorant. Si tu pouvais ne pas crier...

Ses émotions et son tourbillon de pensées contrastent tellement avec sa mine douce, son petit sourire. Je la regarde de mon regard neutre, et j'essaie de me protéger de sa tristesse, de sa panique, du désespoir qui a l'air d'imploser dans son cœur et son esprit. A la place, je tente de lui envoyer de l'apaisement, de dégager du calme, de la sérénité. Ça va aller, Ariana. Pour le moment, tout parait trop compliqué, mais tu n'es pas toute seule. Ça va aller. Pour tout ce qu'elle dit, ce qu'elle pense, ce qu'elle vit, je hoche doucement de la tête. Elle a le droit de ressentir tout cela, d'avoir l'impression de ne pas avoir le droit de parler si ce n'est que pour se plaindre, de se dire que c'est trop dur d'en parler.

Et après toute la douleur, c'est de gratitude que mon esprit est envahi. Des mercis qui se répondent et se répètent en boucle. Je tends, avec lenteur, ma main vers la Sensitive nouvelle, et attrape la sienne, prête à la retirer si je sens que je la gêne. J'inspire profondément pour m'amener à autant de calme que possible et lui en donner un peu, si j'y parviens.

- C'est difficile, je veux bien te croire. Mais, tu sais, même si ce n'est que pour te plaindre, tu as le droit d'en parler. Je serais d'accord pour t'écouter te plaindre pendant des heures en buvant un thé chaud, sous un plaid, juste toutes les deux, si tu en avais besoin. Tout comme, si tu en as envie, je suis d'accord pour que nous restions là, sans parler, à juste essayer de respirer et t'aider à te sentir mieux. Je peux partir, aussi, si c'est de solitude donc tu as besoin.

J'inspire une nouvelle fois. C'est compliqué, mais j'arrive à maîtriser un peu mieux mon flot de pensées lorsque je dis les choses à voix haute, que je ne retiens rien.

- Tu es libre de choisir l'option qui te va le mieux.

Un câlin ? Aha… Elle peut, si elle en a envie. Pour le moment, c'est un peu compliqué. Mais ça va. Ca ira, pas vraiment ? Je crois que j'ai peur de vraiment pleurer si elle me prend dans ses bras. Peut-être tout à l'heure, si elle en a encore envie. Sauf si elle fait ça parce qu'elle a pitié de moi …? Meh…

Par la suite, j'continue, je change de sujet. M'excuse quand elle me demande de ne pas crier, mais bon, elle veut que je fasse comment pour contrôler mes pensées ? Gnjdgbjd.

Ses pensées se veulent rassurantes. Ses émotions se calment. Adé tend la main vers moi et je presse doucement ses doigts entre les miens, essayant de respirer, de ne pas pleurer. Mes yeux se ferment fort. Je souris, même si c'est la chose la plus difficile au monde actuellement. Ca m'aide. J'peux pas arrêter. Parce que même si elle me dit que je le suis pas, souvent, je me sens misérablement seule.
Mais elle est là. Adé est là. Je suis pas toute seule, c'est ça …?

J'inspire. Rouvre les yeux, humides. Quelques larmes coulent, mon visage se crispe en une grimace.

—Merci, je coasse.

Je délgutis. Inspire encore. Ses doigts m'apaisent. J'essaie de contenir un peu plus mes émotions, je vois bien que je la fais souffrir aussi. Restez à l'intérieur… Restez un peu à l'intérieur, cette fois. S'il vous plaît…

—Je veux bien que tu restes, je lâche piteusement, avant de reprendre, après un temps de pause assez long. Je sais pas vraiment ce qu'il y a à dire. Ou à faire.

C'est vrai, je suis toujours perdue dans ce que je veux. Comment on sait de quoi on a besoin ? Mes yeux se perdent dans les fleurs qui n'ont pas encore éclos…

—Il veut juste plus me voir… Alors je suppose que je l'ai mérité, c'est tout.

Sans entendre de manière distincte chacune des pensées d'Ariana, je ressens qu'elle craint les contacts trop fort et me contente de garder sa main dans la mienne. Non pas que je sois particulièrement à l'aise avec ce geste, mais j'aime me dire qu'il l'aide à comprendre que je suis avec elle dans ce combat.

Je perçois à quel point sa solitude est forte. Désolée si je t'ai fait ressentir que je ne pouvais pas te soutenir. Malgré les larmes qui coulent elle me remercie et essaie d'inspirer, expirer pour se calmer un peu. J'admire sa force. Elle a tenu longtemps sans parler, avec toutes ces émotions en elle.
J'attends qu'elle arrive à mieux parler. Quand c'est le cas, elle me dit qu'elle veut bien que je reste. J'acquiesce en exerçant une pression légère sur sa main. Je reste tant que tu en as besoin.

Comment on sait de quoi on a besoin ?

Ces mots résonnent plus fort que les autres, comme un cri de détresse. Mes sourcils fléchissent légèrement avant que je ne retrouve ma neutralité. Elle l'aurait mérité ? Mérité quoi, au juste ? Et pourquoi ? Elle me brise le cœur à se sentir aussi coupable.

- Ariana...

J'ai commencé mais je ne sais pas quoi ajouter. Idiote.
J'inspire, me recentre.

- Je ne sais pas comment nous pouvons savoir ce dont nous avons besoin. Je suppose...Je suppose que des fois, c'est logique ou émotionnel. Soit un appel de l'esprit, soit un appel du cœur.

Un temps passe, je réfléchis. Comment l'aider ?

- Je ne sais pas pourquoi il ne veut plus te voir.

Cet imbécile.

- Mais ce n'est certainement pas parce que tu l'as mérité. Je n'étais pas présente et je ne sais pas exactement ce qu'il s'est passé, mais je te connais, Ariana. Tu ne ferais pas de mal à une mouche. Peu importe ce qui  a poussé Allen à couper court à votre relation, je ne pense pas que cela soit quelque chose qui vienne de toi, ou du moins pas consciemment...

Je regarde avec douceur mon amie. Elle a l'air si perdu par rapport à cette rupture.

- Tu veux...Est-ce que tu veux me raconter ?

Les pensées d'Adé, puis ses mots, me percutent de plein fouet. Ca fait mal. Ca fait du bien. Ca me fait juste pleurer un peu plus. Alors je serre sa main dans la mienne comme si c'était une bouée, comme si juste sa main toute fine pouvait me sauver. C'est pas lui l'imbécile, c'est moi. Je suis pas forte. Je suis pas forte. Je suis pas forte, je suis juste une idiote trop stupide pour parler à mes amis, je suis juste une idiote qui ne pense qu'à elle, je suis juste une idiote qui ne sait pas comment se gérer. C'est moi qui sait pas soutenir les autres. C'est moi qui suis un déchet. C'est moi qui échoue tout le temps, tout le temps, tout le temps. C'est pour ça que personne se confie à moi quand ça va pas. C'est pour ça que les gens ne me parlent pas. C'est pour ça qu'ils ne me demandent même plus comment je vais, parce que quand ça va pas, c'est trop pénible de m'entendre geindre… C'est trop pénible de m'avoir auprès d'eux. C'est pour ça qu'Allen ne va pas bien. C'est à cause de moi. Et c'est pour ça qu'il ne veut plus me voir.

Parce que je lui ai fait du mal.

Les larmes coulent à grosse gouttes de mes joues. Malgré les conseils de mon amie, je ne sais pas ce que je suis censée vouloir… Sentir… Quel appel ? Est-ce que je veux parler, est-ce que je veux me taire ? J'ai juste envie de tout casser. J'ai envie de parler. Mais je crois que j'en ai peur…? Est-ce que j'ai peur de me faire juger ? Qu'on me voit comme ça ? C'est pas trop tard ? Si, c'est trop tard, alors pourquoi j'lutte ? Je lâche pas le morceau ? Pourquoi je laisse pas tomber ? À quoi je me raccroche…? À l'image que les autres ont de moi, ou celle j'en ai moi ?…

J'inspire, essayant de calmer les sanglots dans ma voix, levant des yeux inondés vers Adé. Je les essuie comme je peux, mais l'eau revient, et elle revient, et elle revient. L'eau me manque, mais au fond, elle me quitte jamais vraiment, hein. J'essaie de me rappeler ce que Adé m'a dit…

—Je suis… égoïste, lâché-je dans un rire étouffé par mes larmes. Tu vois, là aussi… on ne parle que de moi. Je sais même plus si je t'ai demandé comment tu allais... Et avec Allen, je crois que c'était ça aussi.

Je lâche la main d'Adé pour me cacher derrière mes cheveux et essuyer mon visage.

—Je… ça va pas. Ca va rarement. Enfin, j'ai appris à faire avec, et… et les anti-dépresseurs aident. Mais ça va pas, articulé-je, comme si on m'arrachait ces mots de la bouche. Et Allen n-non plus… Ca n'allait pas. Mais il est fort, alors… il a tout pris sur lui. Et il me parlait jamais. Il pensait… Que s'il faisait quelque chose de travers, il allait me blesser fort. Et c'est stupide, parce que… Même si parfois des choses me font mal, ça passe toujours. Il se retenait… Il était pas honnête… Il a culpabilisé… Et… Il me faisait pas confiance. (Je pleure encore.) Du coup ça allait plus… Il pouvait plus me voir, parce qu'il pouvait pas me parler.

J'aurais voulu l'aider, j'aurais voulu être là pour lui. Mais la seule manière de l'aider, c'est d'être loin de lui.

—Faut croire que c'est ce qu'il y a de mieux à faire… Rester loin.

Rester loin pour ne blesser personne.

Les sentiments d'Ariana se contredisent sans cesse et je dois doublement lutter pour ne pas les laisser m'atteindre car je ne peux les anticiper. Je serre les dents. Tout autour de moi, au sein de mon propre esprit, est imprévisible et je déteste cela. Je ne sais même plus quelles pensées m'échappent, qu'est-ce que je laisse percevoir de mes émotions. Je fatigue.
Mais j'ai envie d'être là. J'ai envie de l'aider. Je ne partirai pas.

Elle pense au fait que personne ne se confie à elle. Je ressens sa culpabilité et je balance imperceptiblement ma tête de gauche à droite. Ce n'est pas sa faute. Nous avons tous du mal à communiquer, autour d'elle. Ce n'est pas sa faute. Peut-être que si je le répète assez, elle l'entendra et le comprendra. Ce n'est la faute de personne.

L'esprit d'Ariana est un tourbillon d'amertume, de questionnements, de regrets, de peurs, de...De tant d'émotions. Je serre sans le vouloir un peu plus fort sa main, sans tout à fait m'en rendre compte aussi. Je sens des larmes qui humidifient mes yeux. Pourtant, je n'ai pas envie de pleurer. Pourquoi...? Ce ne sont pas mes larmes. Ce ne sont pas mes émotions qui débordent.

J'inspire profondément. J'attends que cela passe en essuyant mes yeux du dos de ma main.

Quand elle me dit qu'elle est égoïste, je sens une colère sourde qui monte en moi l'espace d'une seconde, avant de redescendre. La mâchoire légèrement crispée, je la laisse finir, je l'écoute avec attention. C'est son ressenti. Elle a le droit.

Sa main file et elle se cache. Je clos un instant les paupières, souffle un coup.

Enfin, elle me dit que ça ne va pas. Étonnamment, qu'elle le dise finalement me soulage.

Elle finit de parler et je laisse un petit temps de silence avant de commencer à lui répondre d'une voix douce, calme :

- Déjà, Ariana, tu n'es pas égoïste. Tu as le droit d'avoir cette impression de toi-même, mais, moi, en tant que ton amie, je ne te trouve pas égoïste. Si nous parlons de toi, là, c'est parce que tu en as besoin. Cela ne signifie pas que nous ne parlerons pas de moi. Après.

Je réfléchis un moment à la meilleure manière de continuer, de lui exprimer ce que je ressens, ce que je comprends.

- Des fois, je pense que nous avons tous un peu peur de te faire du mal. C'est idiot, car en ne te parlant pas, nous ne faisons que cela. Peut-être Allen avait-il la même impression. Mais il aurait dû te parler. Tu es quelqu'un de sensé. C'est idiot de sa part de ne pas avoir mis la communication au premier plan dans votre relation. Cela ne peut pas fonctionner autrement. Enfin, je suppose que je n'étais pas là, dans votre relation. Pour sa défense, peut-être qu'il était compliqué de te parler...? Désolée, je ne suis pas très douée pour comprendre les ruptures. Ce que je sais, par contre, c'est que ce n'est pas forcément sa faute ou la tienne et que tu ne peux pas te blâmer pour l’entièreté des problèmes de votre relation, Ariana.

Même si j'ai très envie de dire que c'est forcément sa faute.

- Peut-être que pour le moment, il a besoin d'un peu d'espace et qu'il réalisera ensuite que s'il avait parlé, votre relation ce serait mieux passé. Ce n'est pas parce que, maintenant, discuter est difficile que ce sera le cas plus tard. Je sais qu'attendre est difficile...D'ailleurs non, je ne sais pas. Je n'ai jamais vécu ce genre de situations. Mais j'imagine et je ressens bien, je pense. Mais tu peux faire en sorte que l'attente passe plus vite. Et tu as le droit de demander à tes amis de t'aider à la faire mieux passer, aussi.

J'essaie de lui faire un petit sourire réconfortant. J'ai peur de lui faire plus de mal que de bien, en réalité. Je n'ai réellement jamais géré une situation comme cela, ni pour moi ni pour quelqu'un d'autre.