Je sens que mes paroles, si elle les a entendus, ne la touchent pas.
Enfin, je ne sens pas cette étincelle de compréhension et d'empathie habituelle chez elle, même quand elle n'est pas censée comprendre. Cela dit, il manque une étincelle tout court en ce moment, et j'aurai du mal à la discerner de toutes façons, vu mon état de fatigue.

Ses paroles font sens, mais elles n'ont pas... la même saveur. Comme déconnectées. Je balaye une petite insatisfaction qui point au fond de moi. Elle n'est pas en état de me supporter émotionnellement, comme je ne suis pas sûre de l'être non plus. Il faut nous laisser du temps pour ça, pour rattraper aussi.

Elle me dit les mots que Chris pense sûrement très fort quand il m'invite à prendre une pause. Me reposer plus sur les autres. Evidemment que c'est la solution, évidemment que j'en aurais envie. Mais... C'est comme si... Je sais qu'ils sont capables de le faire, ils le faisaient avant que je passe Master. C'est juste que... Comment leur faire confiance ? Ces derniers mois ont été éprouvants pour tout le monde. Même sans parler de Mitsuki et de Ys... L'eclipse met tout le monde sur les nerfs et à nu. Akihiko a volé une potion de Greffe ? On apprend qu'un groupuscule d'extrémiste nous en veut et les retours de missions tendent à conclure que le Centre est de plus en plus actif. Ipiu a été dans leurs rangs, maintenant certes elle n'en fait plus parti, mais c'est une amie proche de Ys aussi, est ce qu'on peut encore... Compter sur elle pour ne pas l'aider à attaquer ses semblables ?

JE SAIS que ces questions sont absurdes, que ce sont des pensées et des considérations déceptives que j'ai avant d'aller dormir -correction, qui m'empêchent de dormir- mais je ne peux pas m'en empêcher. Je pourrais leur confier mes tâches, partager le travail mais... Je n'arrive pas à le vouloir vraiment. Même parmi les élèves que je mets à contribution, je les fais tourner. Pas toujours les mêmes. Officiellement parce qu'il ne faut pas qu'ils s'épuisent. Officieusement... Tant pis pour ma santé, je peux tenir. Juste un peu plus longtemps.

Je secoue la tête avec un petit sourire, rendant les armes pour chasser ces pensées sombres. Il faut que je leur laisse un peu le contrôle, c'est ce qu'a dit mon psy.

_ Les élèves sont des anges pour sûr. Et bien sûr, j'ai de quoi t'occuper une ou deux après-midi si tu te sens.

Je sens qu'elle n'est pas en forme non plus. Elle se force sûrement. N'y pense pas, sinon tu ne pourras plus lui demander. Je souris un peu plus clairement à sa seconde proposition, lâchant même un sourire de soulagement.

_ Oh bon sang oui s'il te plait. Le garçon censé me ramener les listes a oublié hier, et courir dans tout l'Institut n'est pas mon passe-temps préféré en ce moment (je lâche une grimace à l'image de mes hanches abimées par une utilisation trop intensive de mes prothèses). J'ose espérer qu'ils n'ont pas saccagé une pièce entière sinon je vais plus commander que du ruban adhésif pour condamner des accès. Merde le gaffer, je l'ai oublié sur la liste-

Je retourne de mon côté pour griffonner sur mon petit carnet de ne pas l'oublier. Un nouveau tonnerre a fait claquer les cables électriques de sa chambre et, dans l'attente d'un électricien compétent, j'ai fini tout le scotch disponible mais bon, qui s'en fout, vous sûrement. Je lâche un soupir avant que mes yeux ne tombent sur quelque chose qui les réveille enfin un peu.
Je tends une boite ouverte vers Mitsuki.

_ Tu veux des gâteaux ?

Le chocolat est mon anti-dépresseur préféré.

Athéna finit par accepter mon aide et je lui adressai un sourire. Si c'était au départ davantage pour être polie que pour me rendre utile, j'imaginais que ça ne pouvait pas me faire de mal d'avoir l'impression, ne serait-ce qu'un peu, d'être utile.

Un mince sourire étira mes lèvres quand elle se dépêcha d'aller reprendre quelques notes, visiblement des oublis de commande, et je terminai de mon côté, en silence, la tâche qui m'avait été confiée.

Une fois tous les plastiques pliés, je levai la tête vers mon amie qui me proposait du chocolat. Je chassai une grimace, incapable d'avaler quoi que ce soit depuis trop longtemps, et secouai négativement la tête dans un léger sourire maladroit.

-C'est gentil merci, mais je vais plutôt aller remplir ma nouvelle mission.

Je lui adressai un clin d'oeil que j'espérais un peu plus joyeux que le visage que je présentais jusqu'alors, et lui désignai les plastiques pliés.

-Du coup, ça, c'est fait ! Je vais aller les replacer directement dans les salles de classe si tu veux, pendant que je fais mon tour pour vérifier l'état de l'Institut. Comme ça, c'est fait !

Puis bon, même si je n'étais plus très active, replacer des morceaux de plastique pour réparer les néons ne devait pas être si compliqué que ça.

-Allez, je repasse tout à l'heure, courage !

Je lui adressai un signe de main, et équipée de mon matériel, je quittai la pièce.
Faire le tour de l'Institut se révéla particulièrement long, surtout lorsqu'on n'est plus téléporteur. Et dire qu'Athéna faisait ça tous les jours ? Tout inspecter était terriblement ennuyant. J'avais ouvert tous les placards de la salle commune après avoir entendu dans les couloirs que l'autre jour, un initié y avait caché la lampe qu'il avait cassée sans le faire exprès.

Après avoir terminé le premier étage, entre la salle commune et l'installation du plastique sur les néons dans les salles de classe, je me dirigeai vers le rez-de-chaussée, choisissant que s'il y avait eu des problèmes dans les chambres, les élèves auraient été assez intelligent pour le signaler plutôt qu'attendre que quelqu'un passe vérifier.

Je grimaçai en constatant que la porte de la cafétéria avait perdu sa poignée, probablement à cause un Titan qui n'a pas maîtrisé le changement de pouvoir, et soufflai. J'étais clairement pas équipée pour le moment. Je décidai de prendre une photo de l'incident pour la montrer à Athéna, puis terminai l'étage qui n'était pas tant mal au point que ça. En remontant, je réparai rapidement l'ascenseur, constatant une fois encore qu'être privée de mes pouvoirs rendait les tâches tellement plus longue, puis je revins auprès de mon amie qui semblait à nouveau complètement perdue dans son travail.

-Re !

Je lui adressai un petit sourire et sortis mon téléphone.

-Tiens, il faut juste que tu me passes une poignée de porte et je peux m'en occuper je pense. Tout le reste est ok aujourd'hui ! J'ai réparé l'ascenseur donc t'en occupe pas.

Je jetai un coup d'oeil à ma montre.

-Dernière tâche avant la fin de la journée ?

Elle refuse mes chocolats mais je ne peux pas lui en vouloir, chacun a sa manière de décompresser. Ça en fera plus pour moi -et bon sang que j'en ai besoin. Elle me montra sa tâche achevée et me dit qu'elle allait s'atteler à la suivante, et j'essayais de chasser de mon esprit le pauvre avancement de mon côté. Elle me propose même d'aller les installer et je lui lance un sourire fatigué en joignant mes mains en prière.

_ Merci Dieu, merci d'avoir donné vie à une si bonne âme.

Evidemment je plaisante à moitié, mais on ne se débarrasse pas d'une éducation religieuse aussi facilement que ça. Elle quitte la pièce et je me replonge dans mes propres réparations, essayant de ne pas laisser mon esprit vagabonder trop loin. Plusieurs fois je suis surprise par l'arrivée de quelqu'un, heureusement personne ne vient m'apporter de travail supplémentaire. Je me rends compte qu'avoir quelqu'un dans la pièce avec moi me donne l'impression d'être surveillée, et me pousse à mieux avancer. C'est bon à savoir.

Mitsuki revint alors que je terminais ma dernière pièce (une pièce de métal tordue par une mauvaise utilisation) et éteignais le tour à métal. Je l'accueillais avec un sourire avant de lui indiquer du doigt un placard.

_ Trop bien pour l'ascenseur merci ! Tu devrais trouver ton bonheur dans celui là ! J'ai fait une réserve de poignées mais elles ont quasiment toutes été utilisées, du coup je recycle les vieilles en plus maintenant. Je pense sincèrement à passer à des portes à pousser ou à coulisser, je finis avec une pointe de sarcasme.

Clairement ce n'est pas ce qui règlera le problème mais en vrai ça pourrait être un poil utile. Elle me demande si j'ai une dernière tâche à lui confier avant de partir. Je regarde mon établi et relève la tête avec un sourire un peu incertain.

_ Tu sais quoi ? On va juste ranger ici et afficher la liste des volontaires pour demain, et ce sera une fin de journée.

Est ce que je devrais être fière de faire des horaires de bureau ? Pas autant, mais j'essaye, que voulez vous. Il faut se satisfaire du travail quand il est bien fait.

_ Et Mitsu... Merci.

Je crois qu'elle ne doit pas l'entendre souvent en ce moment.

Je hochai la tête suite à ses directives, m'emparant d'une poignée de porte dans l'armoire qu'elle m'avait désignée. Un mince sourire vint étirer mes lèvres en réponse à son merci, et je hochai une épaule.

-C'est trois fois rien à côté de tout ce que tu fais chaque jour. C'est bien normal que je t'aide un peu si j'en ai le temps et l'occasion.

J'attendis qu'elle affiche la liste des volontaires, l'aidai à ranger les dernières choses qui traînaient, puis la suivis jusqu'à la sortie, l'esprit vide. Que dire ? D'ordinaire, ce n'est pas si compliqué que ça de dire au revoir. Il suffit de se saluer, et de partir dans des directions opposées. Sauf que là, j'ai tant de choses qui tourbillonnent encore en moi que c'est difficile de couper le contact. Parce qu'elle s'est montrée présente pour moi d'une manière si simple et si naturelle, elle a mis de côté ses propres problèmes pour m'écouter moi, m'aider moi, sans se préoccuper pendant un instant de tout ce qu'elle a toujours à gérer en permanence.

Alors que la porte se refermait derrière nous, je tournai la tête vers elle. J'aurais aimé sourire, mais mes lèvres se bloquèrent un peu de manière maladroite. Je penchai alors légèrement la tête sur le côté, baissant les yeux vers le sol, avant de lever la poignée devant moi.

-Je vais aller m'occuper de cette porte avant de rentrer.

"Merci". Ca semble parfois si facile à dire, et c'est aussi parfois si difficile. La remercier, c'est aussi accepter encore une fois que je ne vais pas bien, et que j'ai encore besoin des autres pour me prouver que j'existe. Et c'est dur.

Je relevai le regard vers elle.

-On se revoit vite ! N'hésite pas à me demander si tu as à nouveau besoin d'aide. A la prochaine, Athéna !

Et je fis volte-face pour disparaître dans le couloir.
Quand ai-je fini par l'appeler "Athéna" et plus "Isis"...?