Mon cerveau est balayé par le vent froid de la ventilation quand j'ouvre les yeux.
Il fait sombre, mais le soleil a dû se lever depuis un moment. On dirait que je suis tombé de sommeil, parce que ça me viendrait pas à l'idée de dormir pile sous la ventilation, c'est un coup à chopper la crève. Il faut que je sorte aujourd'hui, j'ai des micros à installer et- le son d'une alerte résonne à mon oreille, et je jette un regard désabusé vers l'écran le plus proche. Je me relève d'un bond. Michigan a été arrêté par la police. Il est ici. Putain le con. Je peux rien faire pour lui il faut que-

Je trébuche et manque de percuter un mur.
Je sursaute tout seul en me voyant soudainement apparaître, et je disparais à nouveau pour continuer. Merde. J'ai flanché. Je sors discrètement des sous-sols, ne souhaitant pas attirer plus l'attention. Tout est presque prêt. Je regarde le ciel grisonnant en plissant les yeux, trop de lumière.

Je suis invisible. Je pensais que j'allais gérer, après tout c'est juste un pouvoir de merde, comme les autres. C'est son pouvoir. Je gère pas du tout, ou plutôt, mon cerveau gère pas du tout. Les souvenirs sont devenus omniprésents, impossible de m'en débarrasser, ils me poursuivent. Je comptais sur mon invisibilité pour cacher mes déplacements, mais... Je n'arrive plus à vouloir être visible. Mon cœur se serre pour pleins de raisons. Pour ce que je m'apprête à faire, même si je sais que c'est la seule chose à faire (est ce que c'est vraiment la seule ? Ils ont réussi à me faire douter. Je doute de mes raisons, je sais que ça n'est pas bien, je- il faut que j'arrête d'y penser). Pour Michigan. Pour ceux que j'évite -et oui, c'est à mon tour d'esquiver le taff. J'y vais pendant la nuit, je fais mon travail et je rentre. Je dors, je mange, j'ai l'impression de prendre sa place ici. C'était déjà une pensée régulière qui me tournait dans la tête, mais là...

Des fois, j'entends sa voix me dire que je suis con. Je sais que c'est un souvenir, mais ça a l'air tellement... présent. Alors je serre juste les dents et je me concentre. Et dire que je me moquais d'Ariana... Mes pas me dirigent vers un endroit où je ne suis jamais allé. Je ne sais pas vraiment ce que je cherche, mais... Ça fait un peu trop longtemps que j'évite tout le monde. J'ai besoin de parler à quelqu'un qui pourra comprendre. A quelqu'un qui ne pardonnera pas aussi vite qu'Alice.

Je frappe à la porte de l'appartement d'Akihiko, l'esprit à moitié ailleurs, encore invisible.
Je sais pas ce que j'espère.

La tête posée sur mes mains croisés, à même l'oreiller, allongé sur mon lit, je contemple pour la énième nuit consécutive le plafond de ma chambre, résistant autant que possible aux assauts du sommeil. Ce n'est pas difficile à vrai dire... mes yeux sont grands ouverts et ne veulent pas se fermer, j'ai beau être crevé je ne trouve pas le sommeil, et même si je le trouvais... Je ne dormirais pas bien. Peut-être que je devrais faire comme l'autre soir, quand j'ai rencontré ce gars trop chelou là, Charlie je sais pas quoi, et aller courir pour me défouler ? Ou me mettre devant la télé, la console ? C'est mauvais pour le sommeil mais qu'est-ce que je m'en fous ? C'est pas comme si j'allais bosser demain... Je grogne, me tourne, me retourne sur mon lit, cherchant des positions plus confortables sans que ça change quoique ce soit. Après un profond soupir, je finis par me lever.

La télé projette une lumière flippante dans le salon de l'appart puisque c'est la seule allumée, un peu comme dans ces films d'horreur où on voit un gars juste éclairé par son écran. Ben c'est un peu pareil là... Pourtant mon jeu à des couleurs vives hein, ça compense un peu non ? Sûrement pas. Et bizarrement je m'en fous. Alors que je suis le premier à placer les graphismes et les couleurs sur un piédestal dans ce jeu, je m'y attarde même pas. Je me contente d'avancer, de me battre, comme un zombie, sans même prêter attention à l'histoire. Je dois récupérer un instrument de musique dans une grotte sous la cascade là, mais je sais plus pourquoi... Pour en jouer sûrement ? Sauf que là je viens de me prendre un mega coup, forcément les ennemis en profite pour m'enchaîner comme une merde, et je me fais latter la tronche sans pouvoir réagir. Je jette la manette de rage sur le canapé et éteins tout, puis retourne m'affaler sur le canap dans le noir. Je check rapido ma montre : ça fait 2h que je joue là... et toujours aucune envie de dormir forcément. Je reste avachi quelques minutes, puis me dirige vers la cuisine pour me préparer un chocolat chaud, ç am'aidera peut-être à m'endormir si profondément que je ne rêverais pas.

Des coups frappés à la porte me distrait de ma tâche, et je tourne la tête dans la direction en question, les sourcils froncés. A cette heure-ci ? Qui c'est qui peut bien se pointer ? Sûrement pas Senri, il aurait pas toqué lui... Je pose ma tasse encore vide sur la paillasse puis me dirige vers la porte, que j'ouvre à demi, juste de quoi laisser voir ma silhouette et ma tête, que je passe dehors.

- Oui ?.... Euh.... Hum...

Personne. Sacré concept. Une boule d'inquiétude se noue dans mon estomac. Dans les films d'horreur, ça commence toujours comme ça. Je vais refermer la porte et un connard va vouloir me découper à la hache. Puis je ressens son énergie. C'est un Terraen. Et pas n'importe lequel. Chacun à sa propre signature et je reconnais celle-ci, je l'ai moins fréquentée que d'autres, mais elle reste reconnaissable. En plus, est-ce que les invisibles ne sont pas les voyants cette phase-ci.

-Houston... Qu'est-ce qui t'arrives ? je demande à tout hasard, les yeux passant de droite à gauche car je ne sais toujours pas où regarder.

L'étonnement est sûrement visible sur ma face. Je ne m'y attendais clairement pas faut dire, à cette heure, lui... Il doit y avoir un problème. C'est pas le genre de gars à passer à l'improviste juste pour se taper la discut.

Je me rends compte que je suis encore invisible quand il ouvre la porte, et que je vois son air surpris. Surpris et fatigué. Je fais un sourire caché, parce que je crois qu'on a tous des gueules d’enterrement, même ceux qui se portent bien d'habitude. Vous avez pas vu Athéna mais putain ça craint. Il cherche du regard, et je me retrouve incapable de parler. Vu l'heure, vu que je n'ai parlé à personne depuis un moment. Je ferai un effort pour Zola probablement bientôt, mais pour le moment, j'ai juste... Disparu. Pour le mieux.

Puis... Il devine. Ouais, faut pas être trop con non plus.
Je pousse un soupir avant de me décider à parler, une voix âpre sortant de ma gorge.

_ Je... Est ce que je peux entrer ?

J'ai pas envie d'être dehors, je suis sûr d'avoir envie d'entrer non plus, surtout que si je lui donne pas d'explications y'a assez peu de chances qu'il me laisse pénétrer dans son domicile. Alors je fais un effort pour expliciter un minimum.

_ J'ai besoin de parler. A quelqu'un qui pourra comprendre.

Voilà. Exactement ça. Quelqu'un qui n'est pas encore passé au dessus, que la colère dévore. Je pousse un soupir en me rendant compte que mon invisibilité est encore active.

_ Oh et eh, t'inquiète je vais redevenir visible à un moment, c'est juste que... Bon pour le moment c'est comme ça, c'est lié à d'autres problèmes.

Je suis pas venu pour parler de Michigan c'est trop daté pour la plupart des gens autour de moi. Pour moi ça sera éternellement présent, c'est peu étonnant que ça revienne maintenant. Mais ça n'est pas le sujet.

Même en sachant qu'il est là, je ne peux m'empêcher de sursauter lorsque sa voix se fait entendre. Je pose le regarde dans la direction d'où elle est venue, faisant un effort pour regarder au niveau de ce qui est supposé être ses yeux (chances de succès peu élevées, échec critique probable). Je m'apprête à m'écarter de l'embrasure de la porte lorsqu'il parle à nouveau... sûrement pour se justifier. Chelou... Ça lui ressemble pas ça d'habitude de vouloir se justifier, sa causticité se suffit à elle-même. Ses paroles m'intriguent pourtant. Quelqu'un qui pourra le comprendre ? Alors qu'on est SI différent comme il se plait à le remarquer de temps en temps ?

Pourtant je hoche la tête, ouvre la porte en plus grand et m'efface pour le laisser entrer.

-Entre. J'imagine que tu dois avoir une bonne raison pour venir à cette heure-ci.

Une fois son énergie à l'intérieur de l'appart, je referme tranquillement tandis qu'il m'explique son invisibilité prolongée. Enfin... Il m'explique rien du tout au fait. Il redevient lui pendant quelques instants avec son fameux mode "c'est comme ça". Un sourire amusé se dessine sur mes lèvres et je désigne le canapé d'un geste pour l'inviter à s'asseoir.

-T'as de la chance que je capte les énergies... Je l'aurai diablement con sinon à parler dans le vide, même s'il s'agit de mon apprenti chéri, dis-je en rigolant.

Bon, j'avoue, le coeur y est moyen. L'heure tardive (ou trop tôt ? Je sais pas, j'ai jamais su quoi dire dans ces cas-là) n'aide pas, mon humeur ensommeillée non plus. On doit tous être dans le même cas si j'en crois les accents éraillés qui émanent de sa voix. Il a la voix du mec qui douille... ou qui dort pas... Ou les deux. Bref, c'est pas la joie.

-Je m'apprêtais à me faire un chocolat, t'en veux un ? J'ai rien d'autre, désolé... j'ai oublié d'aller faire les courses...

Dans le doute, je place deux tasses de lait avec deux carrés de chocolat noir au micro-onde en attendant sa réponse. Au pire, ça me fera toujours une deuxième tasse pour tenir le coup. Deux minutes de silence plus tard, puisque visiblement ni l'un ni l'autre n’éprouvons le besoin de parler plus que nécessaire à cet instant, je sors les tasses fumantes, rejoins le canapé et les dépose sur la table basse. Il pourra se servir s'il veut, sinon je finirai.

-Je t'écoute Hout. De quoi tu veux parler ?

Je sens qu'il sait pas où regarder et je ne peux pas vraiment lui en vouloir.
Je suis pas sûr de savoir où est ce que je dois moi même me regarder. Il se pousse pour me laisser entrer et... C'est différent de la fois où je suis venu voir Aaron. Paradoxalement, je dirais que je suis moins proche d'Akihiko, que ce soit en âge ou en lien. Mais je n'ai pas d'ego ou de fierté à respecter, il accepte que je rentre comme ça, parce que si je viens maintenant ça doit être important. Je ne sais pas si ça l'est. Je ne sais plus ce qui est important, de manière générale.

Il m'appelle son apprenti chéri, et j'étouffe un rire sans relever. Je sais qu'il fait ça pour détendre l'atmosphère, mais d'un autre côté est ce qu'il a tort ? J'en sais rien. Une chance qu'il capte les énergies ouais, mais bon il est Master, il aurait trouvé un moyen, quitte à me faire cramer au passage, je suppose. Il essaye de détourner la conversation, mais je sens bien qu'il est fatigué. Non, c'est plus que ça, plus comme la lassitude froide qui accompagne la colère contenue. Celle qui ne fatigue pas, celle qui épuise. Je secoue la tête. Il faut que j'arrête de chercher cette même colère chez les autres. C'est un Master, il a pleins de raison d'être épuisé. Et pourtant, j'aimerai tellement trouver un écho à ma colère.

Il propose un chocolat chaud, et je ne réponds pas tout de suite, pris dans un souvenir que je vous épargne car j'aurais aimé qu'il me soit épargné. Un chocolat me va très bien, alors une fois qu'il a finit et que j'ai repris mes esprits suffisamment pour le suivre, je m'assois au bord de son canapé pour regarder la fumée s'échapper de la tasse.

_ Merci, pour le chocolat, je dis avec ma voix rauque et plate.

Il me demande de quoi je veux parler. Je ne réagis pas vraiment au surnom, c'est toujours mieux que le précédent et je sais que c'est sa manière de... Gérer les interactions sociales pour lesquelles j'ai tant de mal. Au moins, il n'y va pas par quatre chemins. Tant mieux, ça n'est pas non plus ma manière de procéder. Même si pour cette fois, j'ai besoin d'être plus subtile que lorsque j'ai parlé avec Mitsuki, parce que cette fois je suis impliqué directement aussi.

Je pose mes coudes sur mes genoux, entrelaçant mes doigts devant mon visage, les yeux fixés dans le vide, même s'il ne peut encore rien voir de ça.

_ Je voudrais parler de Ys. Enfin, pas vraiment de lui, il m'intéresse pas, mais plutôt... De ce qu'il s'est passé, votre combat, si on peut vraiment appeler ça un combat. Pas en tant qu'élève ou collègue ou je sais pas ce que je suis censé être officiellement, plus en tant que... en tant que connaissance.

J'ai voulu dire "ami", mais ça n'est pas sorti aussi facilement qu'avec Mitsuki. Parce que j'ai l'impression que ça serait présumer, ou abuser de sa potentielle sympathie. Ou alors juste une occasion de me prendre un vent de plus.

_ J'ai juste... J'ai besoin de savoir comment tu te sens par rapport à la façon... dont ça s'est passé. Je sais que c'est vague, mais ça me tourne dans la tête, j'arrive pas à le formuler autrement...

Les mots sont difficiles, ils sont frustrants. Parce que j'ai beau ne pas vouloir prendre de pincettes, je ne sais pas jusqu'où je peux aller sans l'influencer. Sans repenser sans arrêt à la face satisfaite de l'enfoiré qui- être objectif est dur. S'inquiéter est encore plus dur si on ne sait pas si l'autre est passé au dessus de cet événement ou pas.
Alors j'attends juste.

Je hausse les épaules à ses remerciements, lui signifiant clairement que je m'en fichais. C'est pas deux carrés de chocolat qui vont me faire mourir... Quoique... je pourrais me servir de ça pour l'envoyer faire les courses non ? Donnant donnant! Pourtant je garde le silence pendant un moment, tout comme lui. Le fait qu'il prenne son temps pour parler me laisse présager que le sujet ne doit pas être évident à aborder... alors je me contente de prendre ma tasse, les jambes croisées sur le canap et d'attendre.

A son nom, la réaction est immédiate. Je me tends comme un arc, comme en état d'alerte, le visage de marbre, je crois même que j'en oublie de respirer. C... C'est... C'est une blague hein ? Ça doit être ça, Ça PEUT être que ça. Cette nuit est décidément bizarre jusqu'au bout! Ou plutôt tristement normale puisque, encore une fois, il trouve le moyen de me pourrir la vie, à la fois dans mes nuits et dans mes relations... Bien que, comme Houston semble avoir tant de mal à le dire, notre relation est difficile à définir. Curieusement, son hésitation me blesse et je ne peux le retenir dans ma voix.

-Je suis RA-VI que mon état, ou mon avis, t'intéresse Hout! Qui l'eut cru ?!

Je penche la tête sur ma tasse, remarquant que le liquide s'agite à l'intérieur. Je pose mon autre main sur celle qui tremble, inspire et expire un grand coup.

-Pardon... Je suis injuste là. Je m'y attendais pas c'est tout, balbutiais-je

Je reste malgré tout totalement pris au dépourvu Il a envie de savoir ce que je ressens... ce que je ressens... C'est à dire ? Il a raison pour le coup, c'est vaste sa demande. D'un air las, je me laisse tomber sur le dos du canap, les yeux levés vers le plafond.

-Va falloir être plus spécifique. Tu veux dire quoi : Qu'est-ce que j'ai ressenti en voyant que j'allais crever ? Qu'est-ce que ça fait de brûler vif peut-être ? Qu'est-ce que ça fait de voir un collègue - connaissance- pote - que-sais-je tenter de te tuer ? Qu'est-ce que ça fait de pas comprendre comment c'est arrivé au juste ? Qu'est-ce que ça fait de se sentir tellement en vrac que t'en parles à personne MAIS que la nuit est là, elle, pour te le rappeler lorsque t'aimerais bien dormir ? Ou encore, qu'est-ce que ça fait de se sentir seul au milieu d'une troupe de masters absolument pas concernés ? Qu'est-ce que ça fait de perdre la fille que tu considères comme ta soeur parce qu'elle assume pas que son chéri ait pu agir comme un connard ? Choisis le topic mon gars! Comme tu vois, le sujet est varié! Mon forum "spécial trauma" propose toutes sortes de sous-catégorie!

Je me redresse, pose ma tasse un peu violemment sur petite-table et me remet en mode décontracte dans mon coin, les yeux dans le vague. J'étais injuste encore une fois., je m'en rendais bien compte, je l'avais été avec Zola aussi... mais quand on parlait de ce sujet, je ne parvenais plus à penser correctement, encore moins calmement visiblement. Ça m'énerve, ça m'énerve à un point... Je secoue à nouveau la tête, me passant la main dans les cheveux en soupirant.

-Excuse-moi encore, dis-je avec l'ombre d'un sourire. C'est pas contre toi que je m'énerve...

Plutôt contre moi en vrai. Parce que je suis incapable de gérer. De ME gérer. J'ai l'impression d'être faible, et j'ai horreur de ça. Je n'aime surtout pas l'introspection, or il me force à en faire une. J'ai bien compris qu'il voulait pas que je lui raconte les événements, aussi mal exprimé qu'il puisse l'être, mais bel et bien mes déboires. Sauf que... Je ne sais pas si je suis prêt pour ça. Encore moins avec lui... Il l'exprime lui-même très bien, notre relation est indéterminée, peut-être même au stade de simple connaissance, pourquoi je devrais me confier à lui ?

-Pourquoi tu veux savoir ça ? ... A quoi ça t'avances sérieux ? demandais-je doucement, toujours perdu dans le vague.

Il s'est figé. Je connais ces réactions. Je les connais pour les avoir vécu.
Sa première phrase sort, elle est dure. Elle fait mal. Je serre les dents parce que ouais, en ce moment j'ai du mal à me concentrer sur autre chose que sur ma petite personne, que je suis incapable de mettre de côté les choses et de demander aux autres si ça va. Alors je prends la remarque, et même quand il cherche à s'excuser, je sais que... Il ne devrait pas. Il n'est pas injuste. Il le dit juste parce que c'est ce qu'il convient de dire, je suis sûr que là tout de suite il ne le regrette pas du tout.

D'ailleurs la suite m'en convint complètement.
Lui aussi a du mal à définir les choses, à savoir exactement ce qui est le pire, chaque question fait écho en moi comme un ricochet dans l'eau, chaque phrase sonne horriblement juste. J'ai l'impression d'avoir... Un miroir. Ma conversation -dispute ? Je ne sais pas- avec Senri me revient en mémoire et tout ce... Bruit résonne. La colère, l'incompréhension, le sentiment d'avoir été lésé, l'injustice... Je serre encore plus les dents, parce que ça fait mal. Pas les mots. Juste... Tout le reste.

Il lutte contre ça, s'excuse. Putain mais arrête. Tu le penses pas, t'excuses pas, t'as aucune raison de le faire. Il me demande à quoi ça m'avance de savoir ça. J'ai laissé le silence s'installer trop longtemps, alors quand je parle, ma voix est serrée, rauque, mais elle est là.

_ T'as pas à t'excuser. Sinon ça veut dire que je dois le faire aussi. Et... J'ai pas envie que tu t'excuses parce que t'es en colère.

Je croise mes doigts plus fort, me mords la lèvre, et c'est à ce moment là que mon corps décide de réapparaître. Ça ne me surprend pas, je n'ai pas parfaitement compris comment ça marche, mais j'ai suffisamment compris pour savoir que c'est une bonne chose. Mon visage me fait mal, tiraillé entre une grimace de frustration et un sourire cynique.

Je passe mes mains devant mon visage pour me détendre avant de continuer.

_ Je pose la question parce que... Je suis en colère aussi. Depuis... Depuis un moment maintenant. J'arrive pas à la calmer, c'est de pire en pire. Je me suis disputé avec Alice alors qu'on était tous les deux des victimes, j'ai menacé Senri parce que c'est un débile mental incapable de respecter la seule sanction qu'il a eu et... Bref, je suis pas là pour parler de moi, mais quand j'ai entendu ce qu'il s'était passé, et surtout la sanction qu'a reçu Ys, je me suis dis que peut-être... Au moins je pourrais te comprendre ?

Je prends une longue inspiration, histoire de ne pas finir dans le même état que lui, et de garder ma voix posée.

_ Et je sais que c'est malsain dans un sens, je sais que c'est pas une bonne chose de... Garder cette haine, mais quand j'ai essayé d'en parler ça a juste fait plus de mal aux gens autour de moi, je me suis dis que ça avait du faire la même pour toi. C'est indéniable qu'il y a un problème à Terrae, t'as failli y passer probablement pire que moi, et cet enfoiré il a quoi ? On lui retire ses pouvoirs ? Désolé mais je trouve pas ça suffisant.

J'arrête de monologuer pour le regarder et attendre une réaction, qu'elle soit positive ou négative.

Je reste silencieux pendant toute sa tirade. J'écoute chacun de ses mots, je ressens chacun de ses émotions. Ouais, pas besoin d'être sensitif pour le coup. Je les reconnais d'autant plus qu'elles font un douloureux écho aux miennes. La colère... non, la rage même. Cette terrible envie d'obtenir justice, de se voir retirer quelque chose qu'on estime nous être dû. Mes traits n'expriment rien, je garde les yeux penché sur ma tasse de chocolat, faisant tourner cette dernière distraitement entre mes mains. Même aux noms d'Alice et Senri je ne réagis pas. Je vois bien de quoi il parle. J'avais démonté Senri pour ça. J'avais fait jurer à Tiago de rester à l'écart de Hout s'il ne voulait pas que j'intervienne personnellement... Nous n'étions peut-être pas aussi proches que l'on devrait, mais c'était mon élève, un voyant et... une connaissance que j'appréciais, qui faisait partie d'un groupe que j'appréciais également. Cela m'avait parut juste précisément. Pourtant je me taisais... je ne lui dis rien... à quoi cela aurait servi ? Ce n'est pas ça qui allait apaiser sa rancœur. Ca n'apaiserait pas la mienne non plus.

Je remarque alors qu'il s'est tu, alors que je reste silencieux. Il attend une réaction de ma part. Je me redresse, pose ma tasse sur la table et, comme lui, entrelace mes doigts sur lequel je pose mon front.

-Je ne suis pas aussi fort que toi Hout... C'est beaucoup trop récent alors si j'en parle... j'ai peur de faire ma mijorée et de chialer comme un gosse...

Ce n'était pas une exagération. Mes lèvres tremblaient déjà et mes doigts se crispaient sur mes phalanges. La simple évocation de ses sentiments avaient réveillés les miens ainsi que le souvenir cuisant de ce fameux jour.

-Je te comprends. Bien sur que je te comprends. Si je dois être honnête, je me sens.... trahi. Je ne sais pas comment le dire autrement. Mes propres collègues, mes amis pour certains, ont classé l'affaire sans suite après le retrait de ses pouvoirs. Y... Il avait des amis aussi, ça ne facilite pas les choses....

Je lâche un petit grognement rauque puis secoue la tête, le front toujours posé sur mes mains.

-Si tu avais été là lors de cette réunion....

Je n'achève pas ma phrase. Il a compris ce que je voulais dire.
Je tourne enfin ma tête vers lui, un sourire fatigué aux lèvres, un sourire déconfit. Je lui adresse un regard vide tout d'abord puis résigné.

-Que puis-je faire de plus ? Les masters ont décidé... c'est ainsi... "Je ne suis pas le seul à souffrir" comme dirait Mitsu, dis-je d'une voix faussement amusée.

Le regard que je lui adresse se teinte de tristesse. Finalement, rompant me position monolithique, je me laisse tomber dans la canapé, les bras ballants, comme si on venait d'aspirer toute mon énergie. J'arrive pas à tenir en place je crois en fait. En évoquant ainsi mes pensées, je prenais un risque, je le savais. Ce n'était pas bon de ressasser ainsi, surtout avec une personne qui ressent la même chose. Sans le vouloir, je pourrais très bien l'encourager à faire des choses qu'il regretterait. Je lui jetais un coup d'oeil. Quel imbécile je fais... je n'aurais jamais cru qu'il était dans le même état que moi. Il ne montre tellement rien, c'est dur de deviner ce qui se cache sous ce crâne.

-Pardon de ne pas avoir pris plus de tes nouvelles Hout... Je n'imaginais pas que cet évènement t'affectais encore.

J'étais idiot, encore plus de lui dire ça. Je ne mesure l'étendue de ma connerie que parce que, maintenant, je sais de quoi je parle et ce qu'il a enduré.