Erika cherche des yeux la lune mais le ciel est trop nuageux pour voir quoique ce soit. Dommage. Elle quitte le porche du cinéma et prend le chemin de l'institut. Heureusement qu'il ne lui faudra pas longtemps pour traverser le village de Terrae, elle baille déjà. En même temps, quelle idée d'aller à la dernière séance de la journée pour voir un film de 3h ! À l'heure qu'il est, il n'y a plus grand monde dehors, juste un peu d'animation aux abords de la boîte de nuit. Elle ne devrait croiser personne.

Enfin, c'est ce qu'elle pensait. Parce qu'au détour d'une rue lui parvient le bruit désagréable de quelqu'un qui chante faux avec beaucoup de conviction. Elle parie sur une personne trop alcoolisée qui estime que tout l'espace sonore du village lui appartient.

Elle est surprise en tournant au coin de la rue de tomber sur une charmante jeune femme en fauteuil (ses stéréotypes en matière d'alcooliques anonymes manquent de diversité maintenant qu'elle y pense). Elle est encore plus étonnée quand la jeune femme lui annonce avec moult "Hou Hou" qu'elle est en état d'arrestation. Erika désigne du doigt sa poitrine, l'air de dire "moi ?", elle ne comprend pas trop pourquoi, elle n'est pas en train de commettre un délit. Puis la jeune femme paraît partir sur le côté, son fauteuil dérape et Erika laisse échapper un cri, elle va tomber ! Mais non, le fauteuil retrouve sa place en glissant avec précision. Était-ce un dérapage contrôlé ? Est-ce qu'une personne qui a bu contrôle quoique ce soit ? Erika place un poing mécontent sur sa hanche et déclare :

- Ça va pas ? J'ai sincèrement cru que vous alliez tomber ! Qu'est-ce que j'aurais fait moi si vous vous étiez fait mal ? On fait pas ce genre de choses quand on a bu ! Et ne me dites pas que vous n'avez pas bu ! Inspecteur "Hou Hou" ou whatever il est temps de rentrer chez vous.

Comme si elle n'avait que ça à faire ce soir, de materner une buveuse sur roulettes.

- Non, je ne connais pas l'inspecteur gadget et je n'ai pas l'intention de faire sa connaissance.

Erika essaie de rester sérieuse, d'être l'adulte de la situation. Mais ça s'avère difficile face à la bouille si expressive de la jeune femme en face. Elle a l'air sincèrement concernée quand elle lui demande ce qu'elle a fait de son enfance. Erika a envie de répondre : "J'ai appris le piano plutôt que des chansons pourries comme la tienne, meuf", mais elle a à peine le temps de le penser qu'elle enchaîne sur autre chose. Sa copine ?

- Une grande fille comme toi a déjà des tas de copains et de copines, je suis sûre. Mais je veux bien l'être ce soir si tu me dis où tu habites, que je puisse te raccompagner chez toi.

Voilà, elle s'embarque sûrement dans un plan foireux. Mais elle n'arrive pas à être complètement agacée par cette femme bruyante qui a trop bu, elle la trouve un peu attachante et elle ne voudrait pas qu'il lui arrive des malheurs ce soir. Oui, il vaut mieux s'assurer qu'elle parvienne saine et sauve jusqu'à chez elle.

- Oui, oui, tu vas me montrer inspecteur gadget, whatever, mais d'abord on rentre à la maison et on boit beaucoup d'eau.

Elle se mettrait une gifle si elle était la personne en face, c'est tellement infantilisant de parler comme ça. En même temps, y a-t-il une autre façon de communiquer avec une personne bourrée ? Surtout quand celle-ci vous parle comme si vous vous étiez rencontrés dans une cour de récréation ? Erika soupire.

- Bon, comment tu t'appelles miss Hou Hou ? Moi c'est Erika. Erika Brandt.

TGS ? Cosplay ? Mais de quoi parle-t-elle ? Est-ce qu'elle a bu au point de perdre toute forme de cohérence ? On ne dirait pas puisqu'elle a le réflexe de balayer d'éventuels soupçons de drague. Erika décide de la rassurer, même si elle aura probablement oublié demain matin.

- J'ai bien compris que t'essayais pas de me mettre dans ton lit. Et de toutes façons c'était pas mon but non plus, je suis pas de ce bord là. Je vais me contenter de te raccompagner chez toi et ça sera tout.

La jeune femme prend une mine préoccupée et Erika se demande un instant si elle doit s'inquiéter. Mais apparemment non, puisqu'elle crie son prénom accompagné d'un youhou digne de l'Eurovision.

- Dis moi Ipiu, tu aimes chanter, non ?

Question purement rhétorique.

Les deux femmes avancent tranquillement dans le village de Terrae. Elles ont dépassé le konbini quand Ipiu annonce candidement qu'elle habite le quartier des masters. Erika a un moment de panique. Une master ? Que fait-elle à babysitter une master ? Comment va-t-elle pouvoir faire face à sa supérieure hiérarchique à l'institut après cette rencontre alcoolisée ? Est-ce qu'il y aura des conséquences ? Est-ce qu'elle se souviendra d'elle demain matin ? Peut-être pas... Cette idée la rassure un peu. Alors elle déglutit et elle dit d'une voix faussement joyeuse :

- Le quartier des masters, haha, bien sûr.

Le point positif c'est qu'elles vont dans la bonne direction. Erika reste silencieuse un moment. Tout le monde a le droit de se bourrer la gueule, bien sûr. Mais elle se demande... Est-ce que Ipiu pourrait boire pour oublier tout ce qui arrive en ce moment avec Terrae ? Parce que si elle-même a déjà du mal à gérer les choses, alors être en plus master avec toutes les responsabilités que ça implique... Elle n'ose pas se mettre à la place d'Ipiu, elle a mal à la tête rien que d'y penser. Elle finit par demander, l'air concerné :

- Alors Ipiu, ça va en ce moment ? Tu as passé une bonne soirée ? Quelque chose à fêter ?