En vrai, organiser un mariage, pour Jérémy, c'est pas compliqué. Et là, il s'agit du sien. Une fois que la date et le lieu sont fixés, il a une ligne directe pour le projet et les questions qu'il pose demandent souvent une simple réponse par oui ou par non. Il écoute les choix d'Elwynn bien sûr, et les intègre directement dans sa ligne... Puis il la montre fièrement, scrapbook rempli d'images découpées et collées lui-même, comme un gamin, pour lui dire qu'il peut modifier telle ou telle chose pour que son idée se fonde parfaitement dans le projet. C'est pratique d'être organisé comme lui pour ça, et comme il est amoureux, que ça l'anime au plus profond de son être et de ses rêves de gosse, il communique comme rarement il lui arrive de communiquer ses pensées, ses idées, ses émotions. Et il veut en faire profiter tout le monde.

Déjà, il a demandé à son père de faire le gâteau. Il a totalement confiance en Aaron pour ça, au point de lui laisser carte blanche. Il sait qu'il va pas faire un truc au hasard, qu'il connaît les goûts de Jérémy et d'Elwynn qui vient manger souvent...  Et Jérémy qui est control freak n'a même pas essayé de deviner ce qu'il avait en tête. Bon par contre, il va laisser la cuisine à un traiteur, mais il va gérer le contenu du menu faut pas déconner.
Il a demandé à Aria si elle pouvait faire son costume pour la cérémonie, et un autre pour la fête qui suivra. Pour le premier, il lui a donné tous les compliments qu'Elwynn a pu lui faire et là aussi, il lui a laissé carte blanche, parce qu'il lui fait confiance bien sûr... et aussi parce qu'il n'est pas très fashion. Par contre, il aura quelque chose d'un peu plus classique pour le reste des festivités faut pas déconner.
Il a demandé à Nicolas de s'occuper des alliances, puisqu'il a des moyens quasiment illimités et des contacts artisans en métallurgie, capables de réaliser les demandes les plus farfelues. Des anneaux de mariage adaptés à leurs bras, c'était possible selon lui. Il n'avait pas eu besoin de le dire, il faisait confiance à son garçon d'honneur/témoin. Par contre, il va pas le laisser s'habiller comme un punk à chien, non Nico, faut VRAIMENT pas déconner.
Il y avait aussi Luna pour s'occuper des boissons durant la fête, Alice pour les fleurs, et tout ceux qui veulent bien participer, à ce jour qu'il veut rendre parfait pour Elwynn et qu'il veut partager avec le monde entier.

Le monde entier ? Eh beeen... Oui. Hm. On va y venir.

Si vous ne savez pas, pour se marier à la catholique en France, faut d'abord passer à la Mairie, faire un contrat de mariage. Ils feront ça en privée, avec leurs témoins et leurs familles, le matin avant la cérémonie -ils ont eu l'accord de la mairie et du prêtre. Sauf qu'il faut aussi être baptisé... Et qu'Elwynn ne l'est pas, ça ne surprendra personne. Pas de panique, ils n'ont qu'à demander une "dispense de disparité de culte"... Si vous avez froncé les sourcils en lisant ça, Jérémy comprend, il a fait la même chose. Il ne renie pas son éducation catholique, mais il faut admettre que sur le coup il a grincé des dents... La dispense, c'est un moyen pour l'évêque de s'assurer que les deux parents respectent la religion de l'autre et sont d'accord sur les préceptes qu'ils vont inculquer à leurs enfants. Mais là, c'est Elwynn, ce n'est pas qu'elle pratique un culte différent, c'est qu'elle n'en a pas. D'où l'évêque il a quoi que ce soit à leur dire ?!... Fallait le voir arriver tout penaud devant sa future femme, un peu en colère aussi, pour lui expliquer tout ça... et que si elle voulait changer d'avis, il comprendrait et annulerait tout.

Mais elle n'a pas changé d'avis... Alors six mois avant la cérémonie, ils n'avaient qu'une chose à faire. Aller sur place pour confirmer les réservations et faire cette dispense à la con. Sur place, au village donc... et au passage affronter Laurent. Son père biologique.

Jérémy ne pouvait pas ne pas l'inviter à la cérémonie... Rien que par défi, pour commencer. L'homme ne voit pas en Elwynn une "bonne femme", rousse, musclée, fort caractère. Il faisait aussi la gueule parce que Jérémy portait non seulement le nom Williams, mais comptait aussi complétement abandonner l'héritage des "Bonnet" pour porter celui des "Evrard". Ensuite, parce qu'il s'agissait quand même de l'homme qui lui a sauvé la vie... oui bon il l'a battu, affamé, empêché de s'habiller chaudement en hiver pour "le renforcer", encouragé à être violent, à travailler dans un gang et comptait le forcer à devenir garagiste plutôt qu'à suivre ses passions mais-... Bon ok c'est surtout par défi. Elwynn a insisté à ce qu'il ne vienne pas à la fête par contre. Jérémy n'a pas eu besoin de beaucoup d'arguments pour être d'accord.

Mais il y a une différence entre envoyer un faire-part et se faire juger via face-time au téléphone et affronter cet homme de visu. Il le sait, il a grandi avec lui. Et même s'il n'a aucun doute qu'Hélène va vouloir les protéger Elwynn et lui -la mère biologique de Nicolas avait explosé de joie en apprenant la nouvelle et pleurait constamment dès qu'elle en parlait au téléphone-, Laurent était une force qui l'atteignait toujours, même de loin, comme s'il avait toujours de l'emprise sur le petit garçon mort en lui... Pourtant, il était hors de question qu'il gâche le plus beau moment de sa vie. Pas alors que celle qu'il aime lui a demandé sa main.

Bon par contre il était une boule de stress absolue donc si vous vous demandez ce qu'il fait alors qu'ils auraient dû se téléporter au village il y a genre... un quart d'heure... il est en train de fixer son sac, statue parfaitement immobile, une partie de son cerveau en train de chercher un objet qu'il aurait oublié et l'autre sachant parfaitement qu'il n'a rien oublié. Fffffffffffffffun.

Je passe la tête par la porte pour la troisième fois. Jérémy fixe toujours son sac. Aussi intensément qu'il doit angoisser. Aussi longtemps qu'il lui en faut pour se poser toutes les questions 4 fois. Aussi fixement qu'il est assis. Aussi fort que comment j'ai envie de dégommer Laurent.

Jérém' prépare tout avec le coeur. Mais genre, littéralement. Ce mariage, c'est genre. Son plan de carrière finale. Et moi, bah en vrai, j'ai envie que ce soit cool. Alors j'essaie de tout faire bien aussi. On a beaucoup discuté, pour nos témoins. On a fini par trouver. En vrai y avait des évidences, et puis y a eu tout le bail de l'église de ses morts, mais l'avantage c'est qu'on peut avoir plein de gens d'honneur et moi j'aime bien. J'ai envie que les gens passent une bonne journée, un bon moment. Je sais que Jérém' a demandé à Aria de lui faire son costume, je sais qu'il va être trop beau. Pour ma robe, j'ai longuement réfléchi seule, puis j'ai demandé à Aria, Alice, Adé et Asb de filer un coup de main. Parce que ouais, j'avais énormément d'idées, et que je veux décider moi, mais être bien conseillée.
Jérémy a demandé à ce qu'on laisse les alliances à Nicolas. J'ai accepté. Je lui fais suffisamment confiance.
J'ai aussi demandé à Adé et Alice si elles pouvaient s'occuper des éléments de déco avec Aria, à Misao et Roman de faire des playlists, parce que ça aussi ça prendu un temps monstre. J'ai proposé à Huo d'être notre photographe officiel. Bref, on a essayé d'inclure tous ceux qui le souhaitaient. Et puis de toute façon, quand on bosse dessus à la maison des Williams, on discute aussi avec Lou et Aaron. C'est assez marrant, on s'échangé des tips à la con, qui aurait cru qu'on aurait des discussions sérieuses à ce sujet.

Des discussions comprenant ce putain de contrat à la con de merde de l'église. Pardon hein, pardon, mais le bordel. Genre j'dois dire "oui oui ok pour les enfants", déjà mdr. Et ensuite : allô ? J'fais bien ce que je veux de ma vie et c'est pas le corps religieux qui va commencer à me péter les couilles. Sinon il va finir au même endroit que tout ceux qui m'ont cassé les couilles, et ils ont pas envie j'vous le dis. Mais bon, ma prio, c'est faire plaisir à Jérémy. Alors, signer un vieux papier de merde dont je suivrai pas les engagements pour faire ce que je veux de ma vie franchement j'm'en fous. Ouais non parce que si on me demande, je serai très claire : j'en ai absolument rien à foutre. J'le fais parce qu'ils veulent une signature. Mais c'est plus un acte de bonne volonté qu'un engagement. Ils vont faire quoi, de toute façon, hein ? Bah vasy viens vérifier si les préceptes c'est les bons mon gars, viens. T'façon quelqu'ils soient ils vont rien faire déjà parce que le principe de l'église c'est qu'elle fait rien (enfin si elle crée des guerres et apaisent les gens des fois par erreur), et ensuite, les humains là les religieux. Soit ils aiment pas que j'sois totu dans le combat et ils auront peur de moi. Soit baaaaaah que j'ai pas une sexualité sainte. Et là encore : je sais être très convaincante.

Bref, après m'être vénère, pas contre Jérémy évidemment, j'ai quand même accepté. Sauf que tout ça, ça impliquait d'aller les signer ces papiers. Genre, y aller. Genre. Physiquement. Le truc c'est que : l'église, fallait la choisir. On était assez d'accord de faire cette partie en France aussi. Sauf que moi bah, j'ai pas d'attaches. Donc j'ai suivi celles de Jérémy. Et dans les attaches, y a Hélène. Hélène, la daronne biologique de mon meilleure pote futurement mon reuf, la belle-mère de mon mec, futurement mon mari. La mère de Lottie. Ouais j'vous avoue y au un p'tit stress à l'idée de la rencontrer. Je l'ai vue quelques fois sur Whatsapp pour l'orga. J'ai fait coucou de loin. Elle a pleuré les deux fois où elle m'a vue. J'pensais pas pouvoir faire pleurer les gens si vite.

Et avec Hélène, vient Laurent. Lui clairement, j'suis pas stressée par le rencontre. Lui : en deux secondes, c'est plié. "Bonjour" "Non", voilà, terminé. J'm'en fous qu'il vienne à la cérémonie. Surtout si c'est important pour Mymy. Surtout si c'est pour lui mettre un énorme sheh dans la gueule pendant que tout le monde est heureux. Ouais c'est cruel.
So. Fucking. What. Hors de question qu'il vienne à plus. J'suis pas l'abbé Pierre, justement.

Sauf que bah, là, on allait devoir y aller. En fait on est déjà en retard. Je m'appuie au chambranle de la porte, croise les bras.

Hey. Faut qu'on y aille Jérém'. Ca va aller tu sais. On reste pas longtemps.

Je cherche son regard, lui sourit.

Et puis j'suis là.

J'dis ça comme si c'était facile. Alors que depuis le début, on parle bien de Jérémy hein. Si y a quelqu'un qui entre dans la famille de l'autre c'est moi, c'est à sens unique.

Parce qu'Adélaïde Evrard, elle a même pas idée que je vais me marier. Et j'ai aucune foutue envie qu'elle sache quoique ce soit. Moi, ma famille, c'est Adé et Roman. C'est tout. Alors voilà. C'est facile de dire d'y aller. Je serai sûrement autant en pls si c'était moi.

Jérémy tressaille de la tête au pied en entendant la voix d'Elwynn. Elle le tire si facilement de ses pensées vides... Il se lève d'un coup, le regard un peu perdu comme s'il venait d'atterrir en terre inconnu, avant de maltraiter ses poignets en les frottant fort, vérifiant qu'il avait bien remis des bracelets... Ceux-là, ce ne sont pas des bracelets-éponges, mais ils sont en cuir... Un cadeau de sa mère. De Louisa. :

-Oui. Sa voix est faible, alors il tousse et reprend. Oui pas longtemps.

Et puis elle le regarde dans les yeux, et puis elle sourit. Elle est là. Jérémy a un bref sourire pour lui répondre avant de retrouver sa mine plus inquiète, avant de lui sourire à nouveau, cette fois plus clairement, plus franchement. Comme si elle avait été le chercher au fond de la marée de doutes. Tout est toujours plus clair quand elle le regarde, quand elle le voit, et que rien ne peut faire flancher cette femme qu'il aime tellement. :

-T'es là.

Il prend quand même une grosse inspiration avant de soulever le sac. Il prend le cristal téléporteur d'une main, l'autre va chercher celle d'Elwynn... :

-Bon je vais nous poser dans un endroit un peu désertique pour éviter les emmerdes alors on va marcher un peu jusqu'à la maison de Laurent. Rien de bien long hein, et en évitant la rue principale... parce que euh... Alors c'est pas parce que t'es rousse ! lâche-t-il soudain très sérieux. Je t'aime et je suis très fier. Je m'en fous. J'aimerais juste-... je sais que c'est impossible parce que les rumeurs vont plus vite qu'un avion de chasse là-bas mais... j'aimerais qu'on soit tranquilles, tous les deux... C'est notre moment, pas le leur.

Permettez que je baigne un peu dans cette déclaration que Jérémy n'aurait jamais fait y'a quelques années...
...
...Ouaiiis... ça fait du bien.

Il prend le temps de demander si elle est prête, attend son feu vert et se téléporte au village, sur des rails un peu à l'écart de la gare, cachés des regards.

Un truc que j'aime rappeler constamment. Mais le village pue. Ça dépend selon les saisons, mais entre la station d'épuration à l'air libre juste à côté et les deux usines, c'est au choix. Là, c'est une douce odeur de chou pas frais. Pas frais, du tout. Jérémy avait l'habitude parce qu'il avait grandi dedans, mais après son "sevrage" à Terrae, ça le surprend un peu. Pour ceux qui se posent la question, non, ça ne pue pas autant en centre-ville. Le mariage sera sauvé du chou... quoi qu'au printemps, c'est plus l'œuf pourri que ça sent. BREF, Jérémy se remet de ce premier choc, ne lâche pas la main d'Elwynn et lui sourit en la guidant jusqu'à la gare déserte puis dans les ruelles. Enfin... de terrains vagues en terrains vagues plutôt. Jérémy ne raconte que ses bons souvenirs. Sur le champs de foire, terrains caillouteux entre le Carrefour et les bâtiments en décrépitude, il y avait parfois un cirque qui s'installait, et Virginie l'avait emmené. Il avait quatre ans et il avait pu voir un éléphant en vrai, monter sur son dos. Plus loin, le bar où son père allait tous les soirs, mais Jérémy se souvient et raconte qu'il pouvait acheter des sucettes à vingt centimes. Un peu plus loin et il remarque qu'un ancien bunker de la seconde guerre mondiale n'était plus là... A la place, un nouveau terrain vague avec une installation électrique. Ça a changé depuis son départ, précise-t-il, il se demande si c'est pareil en ville.

Il y a quelques voitures. Deux ou trois qui passent... mais il les ignore. Et bientôt ils arrivent au "Garage Bonnet" qu'ils dépassent pour toquer à la maison d'à côté. Une maisonnette en vérité, avec un petit jardin derrière, dont la façade délavée et striée de fissures n'a pas changé depuis son départ. Ce fut rapide. A peine entendit-il la clef être tournée à la va-vite dans la serrure que la porte fût ouverte en grand sur une petite femme. Plus petite qu'Elwynn, mais de pas grand chose. Cheveux blonds platines et méchés de blanc en meilleur santé que ce qu'il avait connu, dans une coupe dégradée, non plus droite. Des yeux d'argent remplis d'étoiles reconnaissables entre mille. Un sourire si grand et si heureux qu'on pourrait penser que ça blesserait ses traits fins. Hélène, la mère biologique de Nicolas et Charlotte, la femme de Laurent, est clairement heureuse de les voir. :

-Jérémyyy ! Oh ! Tu as grandi ? Non c'est sûr, tu as grandi ! Regarde comment tu es beau mon grand ! Oooh ça fait tellement plaisir de te voir.

Elle tend son bras pour cueillir délicatement sa joue avec sa main. Hélène a toujours été douce, calme, même quand elle était excitée de bonheur. Ses gestes n'ont jamais fait peur à Jérémy. Il lui sourit sincèrement, et il voit que ça surprend la petite femme qui doit se mordre la lèvre pour ne pas pleurer. :

-Ça me fait plaisir aussi... Hélène... Je te présente Elwynn.

Elwynn peut se présenter toute seule mais c'était surtout pour forcer Hélène a le quitter des yeux pour enfin rencontrer celle qu'il aime en chair et en os. Hélène qui dévie enfin son regard et, bien qu'elle était au courant de leur visite, semble totalement prise par surprise par la présence de l'Eau. Son cri est si aigu qu'il est quasiment muet, ses cordes vocales abîmées par trop d'années de mutisme, et ses joues se baignent de larmes. Sans prévenir, elle enroule Elwynn de ses bras, dans un câlin soudain mais tout léger, comme si la dame prenait garde à ne pas vraiment la toucher, ne pas la percuter, aérienne. Elle se recule et plante son regard gris humide d'émotions dans celui émeraude. :

-Oh Elwynn. Je suis vraiment heureuse de pouvoir enfin te rencontrer pour de vrai ! Tu es belle comme un cœur roh. Je suis s- si heureuse pour vous deux oOOh...

-Hélène s'il-te-plaît respire.

Elle renifle et essuie ses larmes. Grosse romantique qu'elle était, évidemment sa première rencontre avec Elwynn ne pouvait pas se passer autrement... Et Jérémy la connaissait assez pour savoir que tous les compliments qu'elle leur offrait étaient plus que sincère. Hélène avait un cœur en or, malgré ses erreurs passées. C'était une bonne humaine, juste une mauvaise maman.


HRP : Au cas où ça peut t'être utile :
Hélène #663366
Laurent #652047

Mes yeux scrutent sur ses poignées quelques instants avant de retrouver ses yeux. Je sais pourquoi il fait ça. Je connais bien cette partie-là de l'histoire maintenant. Les cicatrices sur les poignées, c'était sa première faiblesse devant moi, la deuxième fois qu'on s'est parlé. Et j'étais loin de croire que c'était à cause d'un drame comme il a vécu. Encore plus loin de me douter qu'il avait un abruti pour daron. Un gros con qui lui a mis en tête que c'était une faiblesse. Je ne dis rien pourtant, je sais, c'est tout. Comme Misao frotte ses mains, ou que Nico a des tics nerveux, je sais, c'est tout.

Mais on est ensemble cette fois. Toutes tes faiblesses, je les couvre, Jérém'. Tu peux compter sur moi. Je sais que tu couvres chacune des miennes, que tu les connais toutes par coeur, même s'il est jamais trop tard pour en découvrir de nouvelles. Je lui souris quand il me répond, et hoche doucement la tête. J'suis là, et j'ai bien l'intention d'y rester.

J'attends qu'il finisse de se préparer, dans sa tête. J'ai eu la même chose y a quelques jours. Maintenant j'attends juste de me jeter la tête la première dans son passé. On verra bien c'que j'y trouve. On y va pour écrire notre futur après tout. Je tiens sa main fermement dans la mienne, et écoute attentivement ses explications, comme si c'était un plan d'attaque. Il m'explique qu'on évite le danger, ça m'fait pas peur, mais il a forcément une bonne raison, alors j'acquiesce. Et puis ça me tire un sourire, quand il me dit que c'est pas parce que je suis rousse. J'espère bien. Et mon sourire s'étire en vrai sourire heureux quand il me dit qu'il est fier. Je hoche la tête.

J'ai un certain talent pour créer et tuer des rumeurs très rapidement, et celles de ton village me font pas peur... Mais t'as raison. On a aussi le droit d'avoir la flemme. C'est pour nous qu'on y va.

Je sens que c'est important pour lui. Et j'suis d'accord. On a pas à donner du temps à tout ça. Et puis, au pire, y en aura. Et j'me ferai un plaisir d'y répondre. De toute façon ce foutu mariage aura lieu dans ce foutu village, donc ils pourront s'en donner à coeur joie. Ca sera jamais aussi fort que pourquoi on a décidé de se marier. Ils nous le prendront jamais. Il me demande si j'suis prête. Plus que jamais.

Et puis on y est. Je fronce légèrement le nez. Ca sent. Pas étonnant, Nico et Jérém' m'ont parlé des usines autour. J'vais m'habituer, je le sais. Mais tout de même. Vivre là en permanence. Hm. En lui tenant la main, on fait le trajet tranquillement. C'est... même pas si moche. C'est simplement, terne, et ennuyeux. Je me dis que pour tromper l'ennui, c'est sûr que tu finis par faire des conneries. Tu finis par devenir idiot quand tu t'épanouis pas. Idiot ou cruel. Voire les deux. J'ai pas échappé à la règle. Jérémy me raconte, pourtant. Bah ouais, il a eu une vie ici lui. Y a des histoires que je connais. D'autres que j'ai vu. D'autres qui me sont étrangères et que j'écoute attentivement. Il me signifie que ça a changé. Je suis pas surprise, la vie continue même quand on est parti. Les endroits morts le sont pas autant qu'on le croit. J'me demande ce que ça ferait. Si je l'emmenais moi, dans la ville où j'ai grandi. Si je l'emmenais au dojo, qui doit toujours exister. Si je l'emmenais là où j'ai vécu quelques temps avec ma mère. Au hangar. Pff. Ca a changé, là-bas aussi. Ed est plus là. Mais au final, j'suis assez persuadée que les marques que j'y ai laissé, dans les murs ou dans les esprits, y sont toujours.

On arrive devant le garage de son père. Il paie pas de mine. Sa maison non plus. Je m'empêche de marquer un temps d'arrêt. Y a une différence entre connaître les histoires, savoir à quoi ressemble la maison, et se préparer à y entrer. Avec le fait de savoir qui y vit, et les rencontrer. Je pince légèrement mes lèvres quand il frappe. De toute façon j'ai pas le choix.

Une femme nous ouvre. Ah. Bonjour maman biologique de Nicolas. Y a aucun doute, on peut pas s'planter. C'est bien elle qui l'a fait. Ca fait bizarre. Très bizarre. Elle est surexcitée et calme à la fois. Bordel y a pas à dire c'est bien la daronne de Nico. Je ne dis rien, je lâche pas la main de Jérémy et je lâche pas cette femme des yeux. Hélène signifie clairement à Jérémy qu'elle est heureuse de le voir, et y pas besoin d'être Sensitif pour savoir que c'est pas un mytho. J'me rends pas compte que j'fais ce truc bizarre où je fixe les gens, mes cibles en fait, pour lire qui ils sont, avant qu'elle pose son regard sur moi. Ca me rappelle que je dois avoir un comportement de personne à peu près normale. Je souris doucement alors qu'elle crie, l'air super à l'aise. Et c'est pas entièrement faux, mon beau-père c'est Aaron Williams j'vous rappelle.

Enchantée Hélène.

J'ai pas le temps d'en dire plus, elle se jette dans mes bras. L'effort pour ne pas rester tétanisée est colossal. Je me force à bouger mes bras, c'est presque douloureux. Elle pleure et me tient contre elle, je lui rends comme je peux son étreinte, et baissant un peu les yeux. J'ai pas l'habitude que les mamans soient comme ça avec moi.

J'ai pas l'habitude des mamans*. Et Lou en fait l'expérience tous les jours.

Elle me lâche rapidement et pleure encore. J'me rappelle qu'Hélène, à la base, c'est la mère de Nico. Et que Nico, sa maman, bah, c'est Lou. Qu'Hélène est adorable mais ne sait pas tant y faire. Elle est un peu cassée. Elle est un peu comme moi. Alors je finis par sourire moi aussi, gentiment, un peu amusée mais sans me moquer pour un sou.

Faut pas pleurer comme ça Hélène, t'auras plus de larmes pour le jour J après !

Je lui souris en grand, elle se met à rire, j'essaie de la mettre à l'aise. C'est pas évident, je sais pas trop comment j'dois être. Et puis ça bouge dans le fond. Et il apparait, dans le cadre d'une porte ouverte. Nos regards se croisent au-dessus de l'épaule d'Hélène. Si mon sourire reste pour elle, mes yeux le transpercent immédiatement. C'est pas de la défiance, ni de la menace. C'est la promesse qu'on s'entendra jamais.

Laurent finit par examiner son fils du regard. J'ai pas lâché sa main. Si j'avais besoin de la sienne pour accueillir Hélène, je suis là s'il en a besoin pour Laurent. Laurent qui, en un seul coup d'oeil, valide le fait que j'ai pas peur de lui. Les types comme lui, j'me mouche dedans.

Jérémy observe les réactions des deux femmes... Hélène est... Hélène, c'est évident qu'elle n'a rien remarqué. Mais lui, il connaît bien Elwynn et son regard de prédatrice. C'est rien de méchant à ce moment, surtout qu'il disparaît vite quand elle s'adresse à la petite blonde qui répond, émue. :

-Ah ! Ne me défie pas ! J'en aurais bien plus quand tu- quand vous serez-... gnih. souffle-t-elle sans pouvoir finir sa phrase.

Par contre, ce regard de tigresse revient avec sa toute puissance, non contenue, pour une ombre qui apparaît dans l'entrée...

Laurent a perdu de sa superbe en quelques années, c'est vrai, mais il y a quelque chose que l'âge et l'alcoolisme ne pourra jamais retirer aux Bonnet ; leur masse. Si Hélène est toute en finesse, petite taille délicate et mouvement gracieux, Laurent est large, grand et sa brutalité est marqué par l'épaisseur de ses bras, son allure, ses traits. Depuis le départ de Jérémy pour Terrae, il a perdu du ventre, mais pas de muscles, c'est certain. A peine le regard doré se pose sur Jérémy qu'il tremble, s'accroche à la main d'Elwynn comme à une ancre, sa réalité... Toutefois il n'arrive pas à y faire face, et baisse automatiquement la tête, soumis. Jérémy serre les dents ; la loyauté "familiale" est incroyablement puissante dans la vie d'un enfant...... quel que soit le degré de corruption de la famille. Et lui qui avait mis tout son cœur dans sa nouvelle et véritable seule famille venait de comprendre qu'il y avait encore un bout de son esprit attaché à cet homme face à lui même s'il le reniait de toutes ses forces.

Et Hélène, évidement, n'a rien vu. :

-Venez ! Voyons, entrez, ne restez pas dehors... Ah ! Laurent, dis bonjour ! Je m'occupe de chercher les grignottines.

Hélène est partie que Jérémy n'a pas bougé. Il tient toujours Elwynn, il a la tête baissée, mais ce qui le fait entrer ce n'est pas l'invitation d'Hélène. C'est l'ordre de Laurent. :

-Bonjour. ...vous deux. Entre, champion.

Il fait un pas, militaire. Il ne lâche pas Elwynn et lui fait traverser l'entrée, prenant bien garde à se placer entre elle et Laurent, pour l'amener jusque dans le salon. Hélène arrive déjà avec un plateau de charcuterie, du saumon, de légumes crus et de boissons pétillantes. Pas une trace d'alcool. Hélène s'assoit. :

-Je ne savais pas trop ce que tu aimais Elwynn alors j'ai pris du perrier mais il y a différents sirops si tu veux... Je sais que Jérémy aime les toasts au saumon ! Je m'en suis souvenue ! Hein Lolo ?... Laurent ?...

Elle lève enfin les yeux de son plateau, découvre qu'elle est la seule assise. :

-Euh... Vous- ...pouvez vous asseoir ?


HRP : *ressort ses notes sur les parents-dieux, les parents alcooliques, les parents abusifs qui expliquent les traumas et le caractère de Jérémy (ainsi que les notes sur les parents déficients pour Nicolas parce que pourquoi s'arrêter en si bon chemin)* OH BOY HERE WE GO !
Et je me suis planté pour la couleur de Laurent alors j'ai plutôt mis du rose #C23666... parce que fuck you Laurent.

Hélène est plus émue que moi, et ça me perturbe CARREMENT. Je sais pas quoi en penser, et je lui souris juste, parce que plus ça va plus je me persuade qu'elle est pas bien méchante, juste un peu paumée, un peu pétée. Et j'peux pas lui en vouloir.

Mais j'oublie vite le souci d'Hélène, qui en est pas un vrai finalement. J'sais pas encore ce qu'il pense de moi, mais j'le défonce s'il parle mal de son fils. Je sais. Je saaais j'ai dit que je me tiendrai. J'ai dit que je ferai pas de vague, que je le laisse gérer ses affaires avec son paternel. Mais putain de bordel : je sais. Je sais ce qu'il lui a fait. Et de nous deux, on sait bien qui est la plus aggressive hein. Il s'en tirera pas sans rien j'peux te le dire. Bizarrement, c'est une forme de haine que j'avais jamais eu. Oh, elle est loin, loiiiin derrière celle que j'ai pu avoir pour Ed. Mais on sait aussi comment ça s'est finit pour lui. Laurent finira pas avec trois balles dans le bide, la gueule ouverte devant tout ceux qui le respectent.

Mais y d'autres formes d'humiliation que je maitrise super bien.

Jérémy baisse la tête. Ma main libre se contracte. J'ai envie de tourner la tête vers lui, darder mes yeux sur son visage et de le secouer, de lui hurler de se ressaisir, de ne jamais se montrer comme ça. Mais ça serait une erreur. Jérémy n'y ait pour rien. Pour absolument rien. Alors mon regard ne quitte pas Laurent. Si tu peux pas le regarder mon Chatteur, c'est moi qui le ferait. Je garde fermement ma main dans la sienne, je resterai jusqu'au bout, je serai là pour te soutenir. Quoiqu'il arrive. Quoique tu fasses. Mais moi, j'peux pas m'écraser. Alors je regarde cet homme pourtant plus grand et plus massif que moi comme s'il était aussi dangereux qu'un mouchoir, pour y revenir. Hélène s'engoufre à l'intérieur, je ne bouge pas tant que Jérémy non plus. Je tique. Laurent s'exécute, lui par contre. Il dit bonjour. A nous deux.

Je reste neutre, impassible, sans plus aucun sourire. C. h. a. m. p. i. o. n. J'm'empêche de rire. Et de vomir. Jérémy s'avance, rigide, je reste souple, et le suit. Il se place évidemment entre nous, je ne fais que le suivre, jusqu'à l'intérieur. Hélène nous présente ce qu'elle a préparé. Je retrouve un sourire de circonstance pour la rassurer.

Hmhm, c'est parfait Hélène, merci beaucoup. Je ne suis pas difficile, je vais me régaler avec ce qu'il y a.

Et depuis quand je sais parler aux daronnes que je connais pas moi ? Je tourne la tête vers Jérémy, cherche son regard. Est-ce qu'on s'asseoit ? Tu veux parler à Laurent avant ? Je checke du regard l'homme de l'autre côté de Jérémy, essaie de lire quelque chose dans sa posture, son regard. Ils peuvent pas rester comme ça sans se parler plus. Et en même temps. Je me tiens prête. La dinguerie elle est vite partie venant de lui, qu'elle soit en parole ou en geste. Et si y a un truc à dire sur moi : hihi.

Si Hélène avait eu une mine inquiète devant le comportement des autres, elle a vite retrouvé le sourire au commentaire d'Elwynn, lui offrant un grand sourire, gigotant la tête de droite à gauche comme une enfant qui venait de recevoir des félicitations, chantonnant un "C'est bien, c'est bien~ !"... Laurent, de son côté, est resté debout l'espace d'un instant avant d'obéir à sa femme, lâchant un son bourru d'homme vieillissant en entrant en contact avec son fauteuil. Jérémy regarde Elwynn ; qu'est-ce qu'elle peut bien penser de tout ça ? Ses réactions ? Son mutisme ?... Il connaît la réponse, un peu. Et il est désolé. Ses yeux lui disent à quel point il est désolé de ne réussir à s'asseoir qu'après cet homme qui a détruit son enfance.

C'est Hélène qui fait le gros de la conversation ; elle déballe tout ce qu'elle a à dire et bien plus, sa voix s'accrochant parfois à rien du tout, juste un heurt comme ça, sa voix dont elle ne s'est pas servi pendant des années et qu'elle n'utilise clairement pas tous les jours, encore aujourd'hui. Elle grignote quelques carottes crues mais rien de plus, appétit d'oiseau, et préfère parler de ses mariages. Celui avec Laurent avait été plutôt simple, il n'y avait pas beaucoup de monde qui était venu -les secondes noces sont mal vues par les Bonnet, était-ce surprenant ?- pour un mariage laïc. Mais c'était Jérémy qui avait tout préparé, elle était si contente maintenant de pouvoir l'aider à son tour ! Son premier mariage, avec François, avait été fait très rapidement ; elle était enceinte jusqu'aux yeux. Il n'y avait personne parce qu'ils avaient fui la maison, mais c'était un doux souvenir. C'était leur moment rien qu'à eux, devant Dieu certes, mais la preuve ultime que rien ne pouvait les empêcher d'être heureux. :

-Je ressemblais absolument à rien ! Toute ballonnée que j'étais... Mais j'avais tout donné dans la coiffure et-

-D'ailleurs qu'est-ce qu'elle va en faire ?

Silence. Laurent n'avait pas bougé, n'avait rien dit pendant ce lapse de temps. Jérémy s'est rendu compte qu'à force d'écouter Hélène, il s'était légèrement détendu car il a aussitôt réagi à la voix de l'homme, tournant la tête vers lui. Voyant que personne ne lui répondait, il souffla... Jérémy se prépara à ce qu'il hausse la voix mais rien d'autre ne vint qu'un marmonnement. :

-Elle. lâche-t-il en pointant Elwynn du doigt, puis de la même main, faire un geste devant son visage. Elle va en faire quoi.

Elwynn a dû l'entendre ; Jérémy a tellement serré sa mâchoire d'un coup que ses dents ont grincé. :

-Eh ben ce qu'elle veut c'est... son mariage ?

Jérémy a un frisson avant de décaler un bol qui n'était pas assez bien aligné sur le plateau. :

-Non mais... Tu vois bien ce que je veux dire... Elle fait mauvais genre.

...

Lorsque nos regards se croisent, je lui adresse un sourire. Léger, discret, mais un sourire. On est ensemble, jusqu'au bout, quoiqu'il arrive. Je suis là. Et j'te lacherai pas. Il est désolé de pas réussir à s'asseoir sans attendre. Je m'asseois dans un seul mouvement avec lui, coordonnée à absolument tous ses gestes. On s'en fout Jérém'. J'ai fini de t'en vouloir depuis bien, bien longtemps. Laurent par contre, plus ça va plus j'ai envie de lui en mettre une.

Et puis Hélène fait la discussion, je la remercie de son accueil, oui, le sien, je grignotte par politesse aussi, pas trop non plus, mais quand même. J'essaie de veiller à ce que Jérémy mange aussi, au moins un peu. Et puis je fais l'effort, je le fais propre. J'écoute sérieusement Hélène, lui répond avec aisance, rit gentiment à ses blagues, m'enthousiasme pour ses histoires de fugues. C'est sincère, mais calculé. Je suis presque sûre que Jérémy peut le sentir. C'est dû à la présence de Laurent mais aussi au fait que je suis stressée face à Hélène. J'veux pas rater. Et mine de rien, des années avant Terrae, ma meilleur technique pour tuer des gens, c'était gagner leur confiance. Je sais faire ça. Bon on en est pas là, je reste moi. Je suis pas extravagante, je ne dis que des choses que je pense vraiment. J'essaie juste, de faire au mieux.

Laurent coupe Hélène. Mon sourire s'efface. Je garde mes yeux posés sur Hélène, analyse sa réaction. Elle est un peu séchée, un peu embêtée. Comment tu réagis à ça autrement, hein ? Et lorsqu'il dit "Elle", je tourne lentement la tête vers lui. Il me pointe du doigt. Il parle de mes cheveux. Un sourcil se lève, très lentement également, au dessus de mon regard glacial. Le geste de Jérémy me fait encore plus mal que la tension que je sens dans son propre corps. Je le vois du coin de l'oeil, mais ce bol il était très bien. Mon coeur se serre. Et il continue le con. Pardon Jérémy.

Je fais "mauvais genre". Si t'as les couilles d'aller jusque là, vas-y à fond connard. Mais comme t'es un gros lâche, on va remettre les points sur les i. Je penche légèrement la tête sur les côtés, les yeux qui s'écarquillent un peu, l'air ingénue.

Tu veux dire que j'ai l'air d'une pute ?

Dis-le, dis les termes connard, regarde-moi bien et parle-moi. Je pince les lèvres, l'air embêtée.

Hmhm, c'est embêtant ? Pourtant, on m'a toujours dit que je ressemblais pas à ma mère.

Mon sourire disparait, mon regard devient dur, immensément désobligeant mais surtout, sans aucun doute. Et il se plante bien dans le sien.

Dom-mage.

Léger sourire.

J'pensais les tresser. On aime bien tous les deux, et comme c'est notre mariage, j'compte bien faire ce dont j'ai envie, comme Hélène le souligne - merci Hélène.

J'ai pas tourné la tête vers elle. Mais fallait bien que j'enfonce le clou. Après tout, c'est les premiers mots que je lui aurait adressé. Vous voulez savoir ce qui est drôle ? La première chose que j'ai dit à Jérémy c'était que la pute, c'était pas moi, mais ma mère. Finalement, on y revient. Laurent, qui l'a donné a Jérémy, doit clairement avoir un souci avec Adélaïde Evrard. Sad story, moi c'est Elwynn.

C'était comme de la bile dans sa bouche. Jérémy a pourtant eu aucune grimace, aucun tressaillement. Il a entendu cet homme balancer que sa femme faisait "mauvais genre" et ça lui a pris tout le corps. N'importe qui d'autre l'aurait dit, il aurait ri. Il aurait ri et ce serait tourné vers Elwynn, tout content à l'idée de la voir défoncer cette personne avec des mots ou avec ses poings. Mais cette personne, là, c'était Laurent. Et Jérémy suit le moindre mouvement de ses mains en ayant toujours la tête baissée vers les putains de carottes crues et la charcuterie premier prix. Il veut répondre, un "et alors ?" simplissime pour lui montrer à quel point ce n'était pas ses affaires, un "c'est mon mauvais genre" histoire de remuer le couteau dans la plaie, que s'il a honte de la voir au bras de Jérémy, il devrait avoir honte de Jérémy, un "Hélène parlait." pour montrer à quel point il avait été invité par pure politesse, qu'il préférait de loin la présence d'Hélène qui, même si elle ne l'a jamais connue, représentait bien mieux Virginie qu'il ne le ferait jamais. ...Mais rien ne sort. Aucun son. Juste de la bile.

Elwynn ne se laisse pas faire. Elwynn est mille fois plus forte que lui. Elle dit tout haut ce que Laurent pense tout bas, et ça énerve directement l'homme en face. Hélène de son côté, se redresse, regarde Elwynn et Laurent tour à tour, comme si elle n'avait pas compris qu'effectivement, son mari venait de traiter la demoiselle de "pute"... Elle ouvre la bouche, inspire profondément, choquée, avant d'expirer un "Laurent !" qui se voulait ferme mais qui était tremblant. Il ne répond pas à sa femme, fixe Elwynn qui continue en disant qu'elle ne ressemblait pourtant pas à sa mère. :

-T'as pas besoin. C'est dans le sang, la crasse.

-Laurent !!! répète Hélène, plus fort cette fois, la main posée sur sa gorge.

-Quoi ?! J'ai le droit de donner mon avis ! C'est mon fils !

"Fils" qui commence à voir flou... et qui au mot "crasse", a frotté fort d'une main l'un de ses poignets, l'autre refusant de lâcher Elwynn. Ses doigts se contractaient, sans la blesser, dès qu'il touchait un nerf. Hélène secoue la tête devant la stupidité de son mari, se tourne vers Elwynn. :

-C'est une très jolie idée les tresses Elwynn, n'écoute pas ce ronchon, bien sûr que vous faites ce qui vous plaît. C'est votre-

-Non ils ne font pas ce qu'ils veulent !

Hélène souffle et lève les bras avant de se poser au fond du canapé avec un verre de perrier à la main, clairement soûlée d'avoir été interrompue... encore. Laurent continue, toujours assis mais ses gestes sont plus brusques et Jérémy se tasse. :

-Que cette relation en reste au stade de "passe-temps", je dis rien. Je comprends. Mais faire passer ça devant Dieu ? Une blague. Et devant moi ? Je veux pas avoir des petits-enfants souillés moi ! C'est mon droit en tant que père et mon fils-

-Ta gueule.

Jérémy sent son cœur battre à toute allure... Il a chaud. Il a arrêté de frotter ses poignets. Il ne bouge plus et respire lentement, profondément,... La bile qu'il avait dans sa bouche et partout maintenant, dans son sang qui boue, dans son regard fixe,... Laurent laisse passer un instant de silence avant de gronder. :

-Qu'est-ce que tu as dit ?

Je lève la tête, plante mon regard dans le sien. :

-J'ai dit ; ta gueule. Je suis pas ton fils. Mon père c'est Aaron Williams et il est heureux qu'Elwynn ait demandé ma main. Oui. C'est Elwynn qui a demandé. Et j'ai dit oui. Parce que je l'aime. Alors. Ferme bien ta gueule.

Jérémy est en plein mutisme, mais je sais qu'il me fait confiance : me défendre je sais faire. Bien, propre, sans déborder. Aucun souci. Mais Laurent déclare une guerre. J'espère que personne voit mon rictus. Oh, qu'il est bref. Un instant à peine. Personne, sauf lui, j'espère. Mes traits se détendent, mes yeux brillent, mon sourire s'étire largement. Carnassier, sans pitié. Oh, toi. Tu déclares la guerre à ton fils, à tous ceux qui ont pris soin de toi sans en prendre les conséquences. J'aurai aucun, absolument aucun scrupule, à te poignarder dans l'dos. J''étais une assassine, l'honneur c'est cool j'aime bien, mais la triche c'est ce que je connais le mieux. Et là mon p'tit pote, c'est trop. Tricher en étant trop con, ça va deux secondes.

La crasse hein ? Mon sourire redevient calculé, serein. Les yeux légèrement plissé. Il écoute toujours pas Hélène. Je souffle.

J'espère que tu comptes pas rencontrer une quelconque descendance alors.

J'tiens mes promesses. Qu'il y en est une ou pas, maintenant j'me poserai pas la question. Il coupe de nouveau Hélène. Je pose simplement une main sur son bras quand elle se recule. Brièvement, mais histoire de le dire clairement. Moi, j'ai entendu. Mais j'ai pas fini de me battre.

Je plisse un peu les yeux, penche la tête sur le côté. Attendez, c'est possible d'être aussi con ? Pardon j'me permets de demander non parce que là. Enfin ou alors il est suicidaire. Parce que si moi j'allais juste l'emplatrer, j'pense que c'est un très, très mauvaise nouvelle pour lui que Jérémy réponde. Parce que, j'ai entendu. Alors j'ferme ma gueule.

J'ai rarement vu Jérémy énervé depuis qu'il... Depuis qu'il a arrêté d'être le Jérémy de Laurent. Depuis qu'il a arrêté d'hurler sur tout ce qui existe. Depuis qu'il s'est retrouvé. Les colères de Nico j'en ai essuyé plusieurs. Violentes, avec des mots et des gestes. Mais celles de Jérémy sont calmes. Ca fait bizarre. Mais la colère, j'la connais bien. La haine aussi, c'est des vieilles amies. Les voir exploser dans l'homme que j'aime, ça trouble, mais c'est facile. J'ai sa main dans la mienne. Je vais pas bouger. Et Laurent gronde, comme si c'était un gosse.

C'est pas un gosse, ça l'est plus depuis longtemps mais il s'est jamais intéressé à lui pour le savoir. Je fixe Laurent. Eh ouais mon pote. Alors. Ta gueule. Tu vas bien la fermer maintenant ? Il va pour ouvrir la bouche, je le devance calmement, clairement.

Jérémy Evrard Williams t'as dit de fermer ta gueule, alors ferme-la. Personne a demandé ton avis.

Si j'pouvais taillader sa peau avec ma voix ça serait fait. C'est pas ton fils. Que tu l'entendes bien Laurent : c'est. Pas. Ton. Fils.

Laurent n'a pas compris. Laurent n'a jamais compris que les enfants, c'est pas pour faire survivre son nom, sa lignée, son sang,... Il ne comprend pas ce que c'est un enfant. Il n'a jamais compris, c'est pour ça que c'est Virginie qui s'occupait de moi. Un enfant, c'est pas un soldat. Ça n'a rien à foutre en short dehors en plein hiver. C'est pas sensé ramener de la nourriture à la maison parce que la seule chose à laquelle tu penses c'est ta petite gueule, tes petites clopes et tes petites bouteilles d'alcool que tu planques dans ta veste avant d'aller au boulot. C'est pas sensé te ramasser dans les escaliers devant la maison avant d'aller à l'école parce que tu t'es effondré là, bourré la veille et que t'as dormi dehors. C'est pas sensé recevoir un bravo pour s'être fait troué avec un couteau, un flingue,... C'est pas sensé être encouragé d'aller trouer les autres. Ta descendance, Laurent Bonnet, tu peux en rêver mais jamais tu ne l'auras. Parce que Dieu sait combien j'aime Elwynn, et je sais qu'elle a pas envie d'être maman, dans mon cœur, j'ai toujours cette grande famille autour de moi mais je la lâcherais jamais, cette femme, ma femme, que cette famille existe ou non. Et si un jour ils naissent, cet ou ces enfant.s, ils seront couvert chaudement l'hiver, ils seront bien nourris et ne manqueront de rien, ils feront ce qu'ils auront envie de faire, ils iront à l'école avec la main de papa et maman, ils auront des câlins et des bisous et je n'aurais jamais peur de leur dire que je les aime. Et tu n'es PAS là, Laurent Bonnet. Tu n'as jamais été là et tu ne seras JAMAIS là.

Allez savoir ce qu'il s'est passé dans la tête de Laurent pour qu'il s'anime d'un coup. Parce que Jérémy a osé pour la première fois de sa vie lui tenir tête ? Parce qu'Elwynn a utilisé son nom ? Parce qu'en fait, il s'est aculé tout seul en ne cessant de repousser Hélène pendant que les deux terraens faisaient front ? Deux Étoiles aux abysses insondables qui brûlent éternellement... C'était la peur qui a contracté tous ses vieux muscles pour agir de la seule façon qu'il savait faire pour mater tout ceux qui ne l'écoutent pas.

J'ai vu ça. Bien avant tout le reste. Parce que je m'en souviens. Quand il savait que j'allais fuir les coups de ceinture, il préparait son corps entier à l'attaque. Laurent s'accrochait aux accoudoirs de son fauteuil -ce même fauteuil- et s'aidait de la force de ses bras de mécano pour soulever son corps en avant, m'attraper dans ses griffes avant que je n'ai le temps de réagir. Quand mes cheveux étaient trop longs, il m'attrapait là en me disant que c'était tout ce que je méritais, que je passais pour une tantouze. Quand j'avais un pull, il le déchirait en me disant que je n'étais qu'un fragile, un homme n'a pas besoin de pull. Et si je n'avais rien de tout ça, il plantait ses ongles noirs de cambouis dans ma chair, son haleine fétide de cancer ambulant s'écrasait sur mon visage pendant qu'il hurlait qu'il avait honte de moi, que je méritais de ne plus jamais sourire... J'ai vu tout ça au présent, quand ses doigts se sont arqués sur les accoudoirs, le regard vrillé sur Elwynn, et j'ai su, instinctivement. Un petit garçon qui était sensé être mort s'est mis à hurler, loin, en nous.

J'étais debout avant Laurent, mon corps plié quand il fût complétement redressé... Je savais exactement la hauteur de son visage, la direction qu'il allait prendre, j'avais tellement lu sa trajectoire que ça donnait l'impression qu'il s'était aligné sur le chemin de mon poing. J'y ai mis toute ma force. Droit. Jambe stable. Comme ma tigresse m'a appris. Et Laurent s'est effondré comme un château de cartes, un tonneau creux qui éclate,... Il geint et se tord, longtemps... Je lui ai éclaté la lèvre et il y a déjà un bleu qui se dessine sur sa joue. J'ai blessé Laurent. Cet être que je ne pouvais même pas frôler. Ce demi-Dieu inatteignable et aux humeurs changeantes que je ne pouvais jamais satisfaire. Au tapis. D'un seul coup. :

-Je viens de te sauver la vie.

Je ne reconnais pas ma voix... Et Laurent me regarde incrédule. Je le fixe de ma hauteur, je me sens brûler et pourtant ma respiration est mesurée. Aaah... Je le hais. :

-C'était ça ou je la laissais t'étriper... ou t'égorger je sais pas ce qui lui plairait le plus là. Mais je l'aurais laissée faire. ...Donc je viens de te sauver la vie. Dis merci.

"Compte les coups de ceinture et dis merci à la fin... parce que je te sauve la vie." :

-Hélène tu dis rien ?!

Hélène leva un sourcil, finit de siroter son perrier avant de répondre. :

-Ah ? Mais je croyais que c'était "ton fils" ? Tu as besoin de moi maintenant ?

Elle posa son verre et se leva, tout doucement. Elle s'approcha du couple, ignorant complétement son mari encore à terre. :

-Ça vous dit un tour dans le jardin ? On n'est pas obligé d'attendre Père Jules dans le salon... Hein mon grand ? Ça te dit de voir le jardin ?

Jérémy décolle enfin ses yeux de Laurent pour regarder Hélène... Elle est courageuse elle aussi... Elle se tient à distance parce qu'elle a eu peur du coup, il le sait, il a déjà vu Hélène réagir à la violence des deux hommes. Pourtant elle est restée là. Il hoche la tête, déglutit, un arrière-goût de bile qui s'efface doucement. :

-Je veux bien.

-D'accord. Tu veux venir aussi Elwynn ?

Je penserai plus tard à tout ce qu'on a pu dire à ce moment-là. A ce qu'a pu penser Jérémy. Pour l'instant, je suis concentrée sur ce qu'il se passe. Ca fait beaucoup, tout ce bloc, toute cette révolte, pour un homme comme Laurent. Ca fait beaucoup très vite me direz-vous : oui, c'est le propre des gros cons. Et le fait est qu'il s'apprête à le prouver. Laurent vrille son regard sur moi. Je ris à l'intérieur, je le connais celui-là, par coeur.

Allez viens Laurent.

Je me tends à peine, prête à réagir. Par où j'vais commencer ? Qu'est-ce que je vais frapper en premier ? Contrairement à Ed, pour qui je concentrais toute ma haine et que je voulais seulement anéantir, détruire, Laurent m'inspire autre chose. C'est pas moi qu'il a blessé. Lui, je veux qu'il souffre. Mais j'suis pas bien sûr d'avoir envie de me retenir.

Je sens la main de Jérémy qui lâche la mienne. Alors je détend tout. S'il réagit, c'est lui qui doit régler. Tout s'enchaîne sûrement très vite, moi, je vois tout comme au ralenti. Je vois bien comment Laurent va se lever, lent et lourd, mais puissant. Et je vois Jérémy se lever avant lui, bien plus vif, bien plus affuté. Il est déjà prêt, déjà en position. Je pensais pas qu'il en arriverait là, je pensais pas qu'il en viendrait aux mains. Mais en même temps, avec un type qui comprend que ça, tu veux faire quoi d'autre. Je me lève sans lâcher des yeux la scène et le coup que prend Laurent. Un coup magnifique, précis et net. Je lève les yeux vers Jérémy une fois le son sourd du corps de Laurent qui rencontre le sol. Il est de dos, tendu comme je l'ai jamais vu avant. Ca doit lui faire si mal. Je m'approche de lui lentement, pose une main dans son dos, légèrement, à peine, pas longtemps. Je suis là. Je suis toujours là.

Je me décale légèrement de lui, comme en sortant de son ombre, lorsqu'il dit à Laurent qu'il vient de lui sauver la vie. Je juge Laurent au sol, le regard sombre et venimeux. Il a raison. Jérémy le sait aussi bien que moi. J'suis la plus patiente de nous deux, j'suis aussi la plus destructrice. Y a quelques secondes je pensais à comment le tuer, et je l'aurai fait sans hésiter.

Laurent ne le croit pas, alors Jérémy explique. Simplement, calmement. Y a plus question de fils là. Il vient de se faire déverouiller la gueule par celui qu'il pensait aimer, et lui il explique que c'était pour le sauver. Et puis il lui demande de le remercier. Je grimace un instant.

Ca fait mal à moi aussi. Je sais ce que ça veut dire, ce "Dit merci". Je serre les dents. Fort. Putain de merde. J'ai mal et à la fois, y a un truc de fait. C'est bon. C'est rendu. Il lui a renvoyé la balle. Bizarrement ça frappe toujours fort hein. Il va se réfugier dans les jupes d'Hélène NON MAIS AHAHAHAHA MAIS QUEL CHIEN DE LA CASSE ! Genre elle existe maintenant. Bah ouais, super. Et Hélène lui répond, comme il faut. Bien la daronne de Nico. Et elle tire Jérémy de son énergie qui doit le ronger de tout l'intérieur. Je lève les yeux vers lui, qui s'adoucit instantanément. Il accepte, et Hélène me propose. Je lui souris gentiment.

Oui, j'arrive. Merci Hélène.

Je pose une main sur le bras de Jérémy en lui souriant à lui aussi. Fais-moi confiance. C'est bon, le coup est parti. Tu l'as sauvé. T'es le meilleur mon amour. T'es bien meilleur que tout c'que tu pouvais penser. Je les regarde sortir en souriant toujours. Et puis je tourne la tête lentement vers Laurent.

Y a plus de sourire. On est que toi et moi maintenant mon p'tit pote. Je m'avance souplement, m'agenouille à côté de lui, très, très proche. Il veut parler, se défendre, je vois bien. Je viens poser mon doigt très, très fort sur sa lèvre fendue, comme un enfant curieux. Il recule vivement la tête en gémissant.

C'est bien ce que je pensais, tu vas me laisser parler.

Je vois dans son regard qu'il est pas sûr de ce qu'il doit penser. Est-ce que j'viens vraiment de poser exprès mon doigt là où ça fait mal ? Juste mon index, désinvolte ? Je me mets à sourire, rien de sympathique là-dedans.

Imprime bien dans ton p'tit crâne ce que je vais te dire. Parce que y aura pas de répétition. Celui qui a été ton fils a bien changé, mais il a toujours été gentil. Jérémy n'a jamais été comme toi. T'as de la chance. Moi j'le suis pas par contre. Alors que ce soit bien, bien clair.

J'attrape brutalement son menton dans ma main et je serre, mes yeux s'ouvrent grand, j'pourrai le bouffer. Et malgré ça, mon ton reste calme, très serein.

Si tu blesses de nouveau Jérémy, de n'importe quelle façon, sache qu'un jour, quand tu seras paisiblement chez toi, quand tu penseras que t'es intouchable,je viendrai te buter. J'serai la dernière ombre que tu verras. Donc tu vas te tenir bien, bien sagement. Et tu touches plus jamais à ma famille. Jamais.

Je le relâche.

C'est clair ? Dis-moi que c'est clair.

Il bougonne, j'attends patiemment en souriant.

C'est très clair.

Je souris plus largement, et donne une tape sur mes cuisses.

Et beh c'était un plaisir de te rencontrer Laurent.

Je me redresse toujours en souriant et me retourne, ne lui accorde plus aucun regard. J'espère qu'il a compris qui on est. La famille Evrard Williams. Et qu'il a pas son mot à dire. Jamais. Je sors dans le jardin, rejoint Hélène et Jérémy. Je l'interpelle en souriant.

Eh, Chatteur.

Je trouve son regard, y plonge sans hésiter, m'approche de lui sans m'arrêter. J'enroule mes bras autour de lui, et le serre contre moi. J'suis fière de toi. Je t'aime. Et t'as rien fait de mal.

Elwynn ne les suit pas. Elle arrive. Il n'y a aucun doute dans l'esprit de Jérémy qu'elle ne craint absolument rien, seule avec Laurent. Alors, quand il frôle de ses doigts la main d'Elwynn posée sur son bras, il ne tremble pas. Il la regarde un peu, lit son regard et suit Hélène jusqu'à la porte qui mène derrière, dans le jardin. La petite femme ne dit rien, elle a mis ses bottes et s'est avancée. Il n'y a jamais eu grand chose dans ce jardin ; Jérémy n'avait pas le temps d'entretenir des plantes. Aujourd'hui, on y repère un peu la présence d'Hélène. Il y a des bosquets de roses, sans fleurs à cause de l'hiver approchant, et l'ombre d'un potager au fond, avec quelques poireaux et des pieds de pomme-de-terre fanant mollement. Jérémy s'arrête devant, s'assoit sur la pierre plate, lissée par les intempéries, banc naturel. :

-Il voulait frapper Elwynn. Silence. Il se tourne vers elle pour lui demander : Il te frappe encore ?

-Non mon grand. Il suit une grosse thérapie maintenant, à l'hôpital. Il ne boit plus du tout depuis presque un an.

Il pose de nouveau ses yeux sur le potager. :

-C'est pas une excuse.

-Je sais, je sais... ...Je peux m'asseoir avec toi ?

Il hoche la tête et Hélène s'installe. Elle laisse planer sa main au-dessus de la sienne, celle qui a frappé Laurent, puis, voyant qu'il ne bougeait pas, elle l'a posée délicatement. Elle frôlait ses articulations avec douceur, comme pour effacer la violence du coup qu'il avait porté. Jérémy souffle. :

-J'veux pas devenir comme lui... Je voulais que mes mains servent à faire à manger...

-Non... Nooon... Tu n'es pas comme ça. Tu as de jolis bracelets maintenant.

Ah. Hélène déconnecte. C'est normal avec tout ce qui vient de se passer d'un coup, et puis elle avait dû attendre cette journée avec impatience, avant que tout soit gâché. Jérémy la regarde jouer avec son poignet ; les doigts fins et blancs tremblent un peu, de fatigue... Il sait, alors il joue le jeu. :

-Tu aimes bien ? C'est mom qui me les a offert.

Elle hoche la tête avec un petit sourire. Jérémy l'observe en silence... jusqu'à ce qu'Elwynn arrive. Il se tourne pour la voir arriver, il tend un des ses bras pour la cueillir contre lui, toujours assis. Il la tient dans ses bras, là, juste un peu, sans bouger. :

-On est mieux dehors... hein les enfants ?... On est toujours plus libre dehors qu'à l'intérieur, même si on est souvent obligé d'y retourner... Mais ce n'est pas grave... C'est bien de profiter de chaque instant dehors... "La nature ne crée que des êtres libres." C'est-... C'est une citation de-... une citation de-... de-...

Jérémy se décale un peu pour voir comment va Hélène. Elle n'est pas triste, elle essaie très fort de se souvenir... Elle regarde Jérémy avec un air d'enfant perdue qui a oublié sa leçon, alors il sait qu'il peut lui dire la réponse sans l'interrompre. :

-Choderlos de Laclos. ...L'auteur des Liaisons Dangereuses.

-Merci. ...Je suis désolée... pour tout ça. Mais ne t'inquiètes pas Elwynn, j'empêcherai Laurent de dire des bêtises pendant la cérémonie ! J'irai même embêter sa thérapeute pour ça ! Il ne sait pas de quoi je suis capable !

-Mais oui Hélène. sourit Jérémy, plus convaincu par le fait que si Laurent va bien se taire à l'église, c'est par ce que whatever Elwynn lui a dit pendant qu'ils étaient dans le jardin.

-Et vous aurez toutes les tresses que vous voulez. Parce que c'est votre journée. Pour mon premier mariage, j'avais les cheveux détachés, parce que j'ai passé ma vie à faire des chignons, constamment, pour présenter bien devant ma famille. François il aimait mes cheveux détachés. Mais dedans, j'avais mis des fleurs, des plumes, des paillettes,... On en a retrouvé pendant des semaines encore après, mais ça nous faisait rire. J'ai gardé mon bouquet, comme il n'y avait personne, on n'a pas fait de fête, j'ai pas pu le lancer. Je pourrais vous le montrer si vous voulez ? Ça peut te donner des idées Elwynn, si tu veux un bouquet. Des fois c'est difficile, surtout quand on essaie de comprendre le langage des fleurs, mais au final, j'avais choisi des fleurs que j'aimais, ce qu'elle voulait dire n'était pas important, ce qui l'était, c'était ce qu'elles me faisaient ressentir... Oh ! J'ai aussi retrouvé des photos de Virginie. Ça t'intéresse peut-être Jérémy ?... Je sais que Laurent n'en veut pas, il les a très bien cachées, mais je ne veux pas te forcer à les prendre si tu n'en as pas envie... Il y en a de toi bébé ! Ça m'a surprise, tu avais de bonnes joues...

Et pendant qu'Hélène ne cessait de parler, le bruit de la voiture de Laurent démarrant et s'éloignant se fit entendre en fond... Jérémy se contenta d'écouter Hélène, comme toujours, parlant peu, répondant des phrases courtes et droit au but, attentif... ses bras toujours autour du corps d'Elwynn.

Je me pose contre lui, les jambes autour d'une des siennes, vient poser sa tête doucement contre mon ventre, carresse sa peau, ses cheveux. C'est fini, on est là, c'est bon. On a pas besoin d'en reparler tout de suite, mais il a frappé Laurent, il l'a littéralement étalé au sol. Ca va pas rien lui faire ça. Moi, de mon côté, j'ai la sensation étrange d'être soulagée. Ouais, c'est bizarre hein ? Mais j'ai l'impression d'être allée poser une grenade dans le coeur de Laurent. S'il fait le moindre mouvement dangereux ça pète, et il le sait. Il peut plus rien faire. Ca, et le fait que son "fils" l'a défié, l'a viré de sa vie, lui a retiré toute son importance... Il en a pris des mauvaises aujourd'hui Laurent.

Sheh. Grosse merde.

Et puis Hélène parle. Elle parle pour remplir le vide. Ca doit être super difficile pour elle. Jérémy pose ses yeux sur elle, il essaie de voir comment elle est. Je suis son regard : Hélène est concentrée, comme complètement à coté de la réalité. Si elle est loin d'être mauvaise ou méchante, je doute de l'efficacité de cette technique lorsque les autres ne peuvent pas se défendre par eux-même. Hm. Mais elle fait bien comme elle peut pour elle hein ? Déjà, survivre avec un type pareil... Pouah. Le courage. Quand elle lève les yeux vers moi pour me dire qu'elle l'empêchera de dire des bétises, j'ai un sourire amusé, sincère.

Merci Hélène. Mais je suis sûre qu'il ne dira rien. Tu pourras en profiter pour toi.

Il n'y a pas la place pour le doute dans le ton de ma voix. Il ne dira rien. Qu'Hélène l'en empêche ou non. Il ne dira rien. Parce que s'il désobéit, j'vais pas tergiverser un instant, ça dégage immédiatement, et j'tiens mes promesses.

Et puis Hélène enchaine, je ne dis pas grand chose non plus, Jérémy près de moi, mes mains dans ses cheveux qui s'activent lentement, je l'écoute parler des photos qu'elle pourrait donner à Jérémy, ne me positionne sur rien, c'est pas mes histoires ça, c'est les siennes, mais j'suis là à le soutenir quoiqu'il arrive. Le moteur de Laurent se fait entendre timidement et s'en va. Ouais, bah ouais, casse-toi mec, t'as compris que personne veut de toi, pas mal ça. Et puis y a une autre voiture qui arrive, pas très longtemps après. Ca doit être le type de l'église, le Daron Jules. Je baisse les yeux vers Jérémy.

On va signer ces papiers. Ca va aller ?

Je lui souris doucement, attends sa réponse, recule à peine quand il se lève et glisse une main dans la sienne avant de retourner vers la maison pour accueillir le Daron. Quand Hélène ouvre la porte, le gars a l'air tout à fait sympa. Franchement il aurait pas un uniforme à la con on pourrait être pote. Mais j'me rappelle de ma vie, passée et actuelle et j'me dis que non, en vrai, on s'entendrait sûrement pas si bien que ça. Malgré tout je lui souris, j'veux que ça se passe bien et vite, j'veux signer ces papiers et rentrer chez moi avec Jérém'. On s'installe à la table, il nous explique un peu ce qu'on va devoir signer. Je dis trop rien, rien sur le fait que j'ai ABSOLUMENT PAS l'intention de respecter ce que je vais signer mais finalement, ce sera ni la première ni la dernière fois que ça m'arrive.