Le Dimanche soir, c'est la hantise des barmen. A part les quelques irréductibles qui ne veulent pas admettre que le week-end est fini pour se rendre compte après deux pintes qu'ils ont eu leur compte,  les débits de boisson sont généralement complètement vides. Pourtant dans le village de Terrae, Lloyd a eu une idée pour faire venir du monde les veilles de reprise, et ainsi est née la soirée Quizz.

Un succès plutôt mitigé, mais qui lui garantit de ne pas avoir à compter les heures jusqu'à la fermeture comme il l'a fait les premières semaines sans pour autant crouler sous les commandes. Les étudiants sont occupés à répondre aux questions qui défilent sur l'écran habituellement dédié aux retransmissions sportives, si bien qu'ils ont moins à cœur de privilégier leur consommation. Lloyd doit même faire le tour des tables pour aller quémander son chiffre, mais il préfère ça au coup de feu du Samedi qui le laisse souvent sur les rotules.

Ce soir donc, pas moins de quatre tables sont occupées alors que vingt-deux heures approche, horaire auquel Lloyd aurait normalement songé à pousser les survivants dehors pour fermer en avance. Pas de ça aujourd'hui, il reste encore quelques questions avant qu'une équipe ne soit couronnée et obtienne le droit d'envoyer un de ses joueurs derrière le bar pendant une minute. Tout ce que le champion arrivera à servir sera offert par la maison, et tout le monde repartira content.

Certes, Lloyd pourrait regretter ce genre de récompense s'il tombe un jour sur un serveur chevronné qui pillera ses bouteilles, mais d'un autre côté... il faut bien faire vivre l'établissement. Alors qu'un blindtest démarre, une énième chanson de Queen au titre plus ou moins méconnu, le rouquin quitte son fief pour aller se faufiler au milieu des tables en direction de celles où les verres sont vides depuis trop longtemps.

"Je vous ressers quelque chose ?"

Derrière lui, la porte du bar s'ouvre. Est-ce une âme égarée qui a suivi la lumière, pour arriver aussi tard, ou un groupe de fêtards qui pensent pouvoir mettre l'ambiance à eux seuls ? Lloyd prie pour la première solution, il n'est pas sûr de vouloir gérer des sacs à bière ce soir. Tout ira mieux lorsqu'il aura trouvé du renfort, il pourra même envisager de garder son Dimanche pour profiter des joies de la colocation avec bénéfices.

     Suite à des difficultés techniques, on-ne-peut-plus dépendants de notre volonté, nous sommes dans le regret d’interrompre le style habituel de narration. Voyez-vous, Luna raconte sa vie en première personne, or cela requiert d’avoir une certaine conscience de ses actions et paroles. Les capacités mentales minimales requises pour pouvoir s’orienter, se mouvoir et tenir un discours cohérent ne sont pour cette histoire heureusement pas sévèrement entamées pour notre protagoniste, mais être capable d’un niveau supplémentaire d’abstraction et de réflexion, coordonné et simultané avec ses gestes, ce qui serait requis pour narrer sa vie, est pour le moment tout à fait au-dessus de ses forces. Comprenez, étant dans l’incapacité de penser droit, il serait incorrect sinon impossible de fournir une narration à la première personne qui permettrait de rendre compte du flux de pensée de Luna. Précisément car il n’y a aucun flux de pensée. Si on devait tenter l’exercice, voilà ce que cela donnerait :
     Euuah j’suis claquée sans déconner, juste une dernière et… pff, une dernière quoi… Qu’est-ce qu’il me raconte ce… Ouah la lumière est trop forte… Euuuhh…
     Avouez que ce ne serait ni très intéressant à écrire ni très palpitant à lire.
     C’est pour quoi, une fois n’est pas de coutume, le récit va être provisoirement confié aux bons soins de moi-même, qui aurai le plaisir d’être votre hôtesse tout du long de ce récit, jusqu’à nouvel ordre ou reprise d’une conscience claire de la part de notre héroïne en état d’ébriété. Mais je manque à tous mes devoirs en ne me présentant pas : je suis la troisième dionée en partant de la droite qui occupe la poche extérieure gauche de la veste de Luna.
     Je vois tout de suite quel va être votre commentaire suivant : il ne fait pas plus sens de promouvoir une plante au rang de conteuse d’une histoire que d’imaginer un décalage entre ce que vit réellement Luna et la narration à la première personne qui raconte ses péripéties. Cela est vrai, mais plutôt que d’avoir à rappeler régulièrement que Luna est bien moins mentalement apte que ce que la narration en première personne habituelle proposée pourrait suggérer, il a paru plus simple de faire appel à mes services. J’agis ainsi comme un rappel permanent de l’état d’ébriété et de fatigue avancés de celle que je pourrais sans complexe appeler « maman » – si ce n’est que ce serait là agir par anthropomorphisme grossier, la famille n’étant pas une notion qu’on peut transférer du mammifère à la dicotylédone.
     Quant à mon nom, si d’aventure vous en avez besoin d’un, il est là aussi hasardeux de supposer qu’à l’instar d’homo sapiens, dionaea muscipula se pare de tels artifices lexicaux. Pour la forme toutefois, comme nous ne sommes pas à une licence poétique près, vous pouvez vous souvenir de moi sous le doux nom de Vénus, car ainsi appelait-on les ressortissantes de mon espèce quand von Linné foulait encore cette terre.

     Ces interminables prolégomènes étant achevés, passons au vif du sujet.
     Toujours en quête de la compagnie de ses semblables, voulant ne pas finir comme une ermite dans sa jungle à ne fréquenter que des êtres du même règne que moi-même, Luna décida de passer la soirée dans le bar de Terrae. Elle avait bien entendu eu vent de la modérément fameuse soirée Quizz initiée par son tenancier et comptait bien y rencontrer quelques personnes à la conversation agréable.
     Tintin.
     Son groupe n’était ni éclairé ni éclairant, excepté pour répondre aux questions posées. Si les connaissances en culture populaire et les goûts musicaux variés de Luna lui permirent d’emporter quelques points, elle finit vite par se rabattre sur l’intérêt principale d’un débit de boissons : celles-là mêmes.
     Et força quelque peu.
     Vingt-deux heures sonna, les dernières questions s’affichèrent sur les écrans, projetant leur lueur bleutée sur notre héroïne, leur éclat se reflétant dans le houblon brassé que notre protagoniste tenait à sa seule main valide. Et Luna était avachie sur sa table, ronde comme une queue de pelle.
     Cela a tendance à limiter sensiblement la possibilité qu’on peut avoir à converser avec ses semblables. L’ironie est que ce fut son groupe qui l’emporta et alla multiplier les rasades à l’œil pendant que celui de Luna tournait, la tête dans lequel il était enchâssé affalée sur le bois de la table telle une montre dans un Dalí.
     Une personne entra, au moment idéal pour avoir sa consommation gratuite. Un groupe de jeunes gens et d’étudiants passa en sens inverse la porte, se congratulant mutuellement pour leurs aisances aux devinettes proposées par le charmant débiteur ; tant de rafraîchissements que de divertissements.
     Ne resta plus que deux tables de trinqueurs tardifs.
     Et Luna. Qui roupillait.

Comme une libération, la dernière question de la soirée trouve sa solution dans les cris rageurs des équipes présentes. Les tablettes qui ont servi à enregistrer les réponses ne tardent pas à rendre leur verdict, et l'équipe des « zinzins de l'espace » est déclarée gagnante avec une marge confortable. Pour Lloyd, c'est la dernière étape avant un repos mérité, celle d'établir les règles du débit en folie et veiller à ce qu'elles soient respectées. Il suffira ensuite d'attendre que tout ce petit monde s'imbibe à l'oeil, ce qui n'est jamais très long, et reparte en titubant pour le laisser clôturer les hostilités.

Mais alors qu'il accueille le groupe victorieux devant le bar, il remarque qu'ils ont laissé quelqu'un à leur table dans un état plus que douteux. S'en occuper maintenant lui ferait perdre un temps fou, sans compter les protestations qu'il devine déjà de la part des vainqueurs impatients. Il y aura bien l'un de ses semblables pour la réveiller et la traîner dehors, si l'agitation qui s'annonce ne suffit pas à lui faire ouvrir l'oeil. Le rouquin décide donc de s'en laver les mains pour le moment et s'adresse directement à l'étudiant qui braille le plus fort devant les tireuses à pression, généralement le signe le plus évident qu'il est le chef de meute de la troupe.

"Bon, vous envoyez une personne, pas plus... une minute pour remplir des pintes de bière, des verres de vin, des coupes, peu importe. Pas d'alcool fort à la louche, mais si vous voulez perdre du temps à faire un cocktail c'est pas moi que ça gêne. Vous avez votre champion ?"

Une étudiante qui n'a pas l'air d'avoir plus de vingt printemps lève une main timide en arrière-plan, ce qui ne rassure pas forcément Lloyd, les apparences sont souvent trompeuses. Le top départ est donné peu après, et force est de constater que la demoiselle a un coup de main plutôt terrifiant. En fin de compte, ce ne sont pas moins d'une quinzaine de chopes pleines à ras-bord et trois cadavres de raisiné qui trônent sur le zinc, une perte sèche qui commence à chiffrer pour le tenancier. C'est le jeu, comme on dit, et c'est avec philosophie qu'il subit les acclamations enthousiastes des zinzins pendant que les autres tables se vident peu à peu.

Le temps passe, les rires fusent en couvrant la musique d'ambiance, l'humeur est à la fête pour les survivants et Lloyd constate avec un brin de dépit que personne n'a pensé à récupérer le colis endormi sur sa table. Les autres l'ont tout bonnement abandonnée pour aller célébrer leur triomphe sur un étal voisin, et même les bruits de pintes claquées sur le bois ne troublent pas le sommeil de Morphée. Il n'y a plus vraiment d'échappatoire, le barman va devoir s'y coller et jouer les bons samaritains une fois de plus.

Ce n'est qu'en approchant de l'endormie qu'il remarque les branchettes de bois dépassant de sa veste, les fleurs dans ses cheveux et l'absence d'une main, remplacée par... il ne sait trop quoi, mais rien d'humain. Est-ce qu'elle tient la plante dans sa manche, ou est-ce qu'elle est cousine du fameux Groot ? Une chose est sûre, elle s'est arrosée pour la soirée, il ne lui manquera plus qu'à prendre un peu le soleil demain et tout ça va bourgeonner comme jamais. D'abord hésitant, Lloyd se contente de poser une main sur son épaule, mais le manque de réaction du sujet le pousse à revoir sa stratégie et à secouer légèrement  la jeune femme pour lui faire reprendre connaissance. Sans résultat, pas plus que la petite claque qu'il lui donne sur ce qu'il peut voir de sa joue. Pour celle-là, il va falloir employer les grands moyens...

Sans trop de ménagement, Lloyd récupère la chope qu'elle tenait encore à la main et repart derrière son bar pour la vider et la remplir d'eau fraîche. Si avec ça ça ne marche pas, il faudra penser à appeler quelqu'un. Une fois de retour à la table et après avoir jeté un coup d'oeil autour de lui pour éviter les jugements de ses autres clients, le rouquin inspire profondément et renverse une partie du contenu de la pinte sur la tête de l'éméchée, prêt à gérer un réveil difficile.

"Allez debout, c'est pas Jardiland ici ! Faut pas se mettre dans des états pareils quand on n'est pas prêt à assumer."

     Soudain, une ondée d’eau claire vint ruisseler sur la nuque de Luna. Son sommeil troublé, ses rêves interrompus, celle-ci poussa un cri et bascula sur le côté. Point n’entendit-elle la tirade du tenancier, car déjà la surface où elle s’était assise se dérobait sous elle. De grands gestes et un sens de l’équilibre contrarié la firent choir sur le parquet de l’établissement.
     Hélas, par quelque coup du sort, maudite par la Fortune que je devais être, je fus atrocement pressée, entre le corps de l’humaine me servant de terreau et ce sol qui allait devenir mon tombeau. La constriction de ces deux masses sur ma personne fort fragile suffit à m’ôter la vie. Alors que, déchirée, broyée, je sentais les derniers souffles de la vie s’échapper de mon enveloppe corporelle, que mon essence se dispersait pour retourner au grand tout, la dernière chose que j’aurais entendu si d’aventure j’avais été pourvue d’une quelconque perception auditive fut la voix de Luna ; ma mère, qui se réveilla en une tirade :
     « Ah merde… »
     Je m’en allais, je quittais les rangs des vivants, mais ce ne fut pas avec mon végétal cœur encombré de regrets. Ma mission avait été accomplie ; mon rôle de narratrice s’acheva au moment où celui de l’humaine dont je veillais sur le sommeil put reprendre. « À accompli son devoir jusqu’au bout », voilà l’épitaphe qu’on pourrait citer si jamais on vous demande qui était la Vénus de Luna. Je n’aurais pu espérer plus belle fin que d’achever cette phrase alors que, pour celle dont j’avais pour mission d’assurer le récit, la première de sa narration dans son esprit éveillé s’esquissait…

     C’qui s’est pas loupé, ce con.
     Ou c’est moi qui ne me suis pas loupée.
     En tout cas j’ai mal au derche. Et aux yeux. C’est quoi ce truc mou sous moi ? Ah zut, une de mes dionées… Bah, je m’en fous, je peux en faire pousser des tas des comme ça. Enfin, je la ramasse et la fourre dans une poche.
     Il a parlé. Mais il a dit quoi ? Non, en fait, avant ça, qui a parlé ? Ah, je n’arrive pas encore à voir net, il faut un petit temps pour mes yeux… Alors… okay il est là. Roux, grand, mec. Le proprio. À coup sûr. Ok, ça c’est éli… édulé… aciludé… On reprend. É. Lu. Ci. Dé. Voilà. Les mots de plus de deux syllabes c’est encore un peu trop pour moi là.
     « Geuh ? »
     À peu près ça.
     « J’ai dormi beaucoup ? »

Ce n'est pas la réaction la plus discrète, mais au moins il se passe quelque chose. Quelques regards curieux se tournent vers la cliente qui vient de s'effondrer par terre, puis les éclats de rire reprennent bientôt le dessus et la fête poursuit son cours. Tout en jetant un coup d'oeil intrigué à la créature qui émerge par la force des choses, le barman repose sur la table ce qu'il reste de la chope d'eau ayant servi au méfait avant de prendre le temps de la réflexion. Il a eu l'occasion de croiser d'étranges spécimens malgré le cours laps de temps passé à Terrae, mais rarement d'aussi singuliers. Avec toutes ces fleurs accrochées partout et sa dégaine de sous-bois, en voilà une qui ferait sûrement bander Bear Grylls, mais Lloyd se demande surtout s'il s'agit d'artifices ou si son pouvoir a quelque chose à voir dans l'équation. Les deux, probablement.

Alors que l'embrumée jure et se redresse sur son séant, il remarque une petite fleur par terre, le genre qu'on voit en modèle géant dans les films d'épouvante et capable d'engloutir The Rock au petit-déjeuner. Sauf que là, celle-là tire la gueule et elle n'est pas près de bouffer qui que ce soit, d'ailleurs le cadavre est récupéré par sa propriétaire et fourré sans ménagement dans une poche de veste. Qu'est-ce qu'on dépose sur la tombe d'une fleur, un petit humain ? Il y a plus urgent à penser pour le barman, qui voit sa cliente peiner à retrouver le sens des réalités. S'il s'est montré un peu bourru au premier abord, encore que sa punchline exceptionnelle semble être passée totalement inaperçue, il n'en oublie pas moins que le sac à bière est roi en toutes circonstances et qu'il se doit de montrer un minimum de compassion.

"Assez pour que je m'en inquiète, mais t'as encore le temps de te remettre avant que je ferme. Il reste un peu d'eau dans le verre, ça te fera pas de mal."

Si Lloyd était réellement serviable il irait lui remplir pour que ça lui fasse vraiment du bien, seulement on est Dimanche et sa seule envie désormais est de pouvoir aller se coucher, avec un éventuel secouage de colocataire en règle avant de sombrer comme un bienheureux. Tout de même, cette cliente l'intrigue. Et vu la charge gratuite que sont en train de se mettre les étudiants d'à côté, il ne va pas crouler sous les commandes d'ici la fin de soirée, alors c'est l'occasion rêvée de faire causette.

"C'est quoi ton prénom ?"

Il y a encore un effort à faire sur les formules de politesse, mais dans son  état elle ne risque pas de lui en vouloir.

"Tu viens souvent ici ? J'ai pas l'impression de t'avoir déjà servie."

"Et je m'en souviendrais". C'est quand même pas tous les jours qu'on voit débarquer l'Arbre Mojo dans son établissement.

     « Assez pour que je m’inquiète ? On est quel jour ? »
     Non, peut-être pas à ce point là, quand-même. Je ne vois pas quelque barman que ce soit laisser des gens passer la nuit sur une de leurs chaises. Enfin, si, j’en vois plusieurs, mais pas vraiment le style de Terrae.
     « Non en fait oublie ma question. »
     J’attrape le reste de l’eau et hésite à finir de me la verser dessus ou à la boire, mais opte au final pour la seconde option.
     Et voilà qu’il me pose des questions. Deux minutes mon pote, je suis à moitié affilée au sol comme une clocharde, laisse-moi au moins le temps de me remettre sur mes deux guibolles. Puis je n’arrive pas à faire le point, vous savez, je vois tout flou encore. Ça demande trop de travail à mes yeux, or j’ai juste envie de les laisser se reposer là. Mais si je les ferme, pas dit que je les rouvre de sitôt. Ceci dit, je vois juste assez bien ma chaise pour m’y agripper et qu’elle m’aide à remonter.
     Oké, je suis debout, c’est pas glorieux.
     Pourquoi tu me regardes toujours toi ?
     Ah oui, tes questions.
     « Luna. Et ouais ça m’arrive. Enfin, souvent, je ne sais pas, chaque pékin a une définition différente de « souvent ». Régulièrement. On va dire. Plutôt. En fait c’est moi qui ait pas l’impression de t’avoir déjà vu ici. »
     Ou d’avoir vu des gens ayant la trentaine, en fait, maintenant que j’y pense.
     « Puis à moins d’avoir un filtre à verdure sur tes lentilles de contact je vois mal comment t’aurais pu me louper, en fait. »
     Ah, si je viens d’utiliser l’expression « filtre à verdure sur tes lentilles de contact » c’est que ça va, je suis un peu remise. Le type ressemble encore un peu à un amas roux indistinct, mais ça passe.
     « Ou alors la dernière fois que je suis passée j’ai dû me saper autrement qu’en… bah plante. »
     Ce qui n’arrive plus tant que ça, ces derniers temps.

Pour la causette, Lloyd a peut-être mis la charrue avant les bœufs. Déjà, il faudrait que madame arrive à faire autre chose que répéter ce qu'on lui dit ou juste à se relever, histoire de pas passer pour la dernière des soulardes. Ce qui n'est pas gagné, vu comme elle a démarré. Au moins elle se décide à boire le reste d'eau, ça devrait l'aider à se sentir un peu mieux, et se met même en tête de retrouver une station verticale. De son côté le rouquin attend patiemment qu'elle reprenne ses esprits, sans manquer de jeter quelques coups d'oeil en arrière pour vérifier que les autres soiffards se comportent encore comme des humains décents.

Outre une modeste volonté de faire la conversation, Lloyd veut aussi s'assurer que sa cliente est en état de se débrouiller toute seule, et qu'elle ne s'est pas mis la tête à l'envers au point d'oublier où elle habite. Il ne retournera pas derrière le comptoir sans avoir obtenu de réponse à ses questions de contrôle, même s'il a la détestable impression d'être un vieux con en pensant de la sorte, parce qu'il ne faudrait pas qu'on puisse lui reprocher d'avoir manqué à son devoir si d'aventure les choses venaient à tourner au vinaigre. Mais l'heure est à l'optimisme, la chose a un prénom, une posture à peu près stable et malgré quelques allers-retour, elle a l'air de savoir à peu près ce qu'elle raconte. Lloyd est un barman rassuré.

"C'est bien possible que tu m'aies pas croisé, ça fait que trois semaines que je suis à Terrae et une de moins que j'ai repris le bar. Moi c'est Lloyd, au fait, initié Tonnerre depuis peu."

Il réalise avec un brin de retard que la plupart des gens qu'il sert sont là depuis des lustres et qu'il est encore tout frais dans le paysage, c'est donc lui l'inconnu dans l'équation, peu importe le job ou le degré d'alcoolémie. Il s'étonne malgré tout de ne pas avoir déjà remarqué Luna, si comme elle le prétend elle vient régulièrement, elle est assez particulière pour retenir l'attention. Cela dit, quand le bar est plein Lloyd prend rarement le temps de se concentrer sur les visages ou quoi que ce soit d'autres que les commandes qu'on lui passe.

"J'étais probablement débordé, c'est pas toujours évident à gérer tout seul. Au moins ce soir c'est tranquille..."

Il y a cette histoire d'annonce, aussi. L'australien pensait qu'une place de serveuse dans le seul bar du village attirerait les candidats, mais là encore il a eu tout faux. Et ce n'est pas le sujet, Luna vient bel et bien de lui dire qu'elle s'habille en plante, et il n' pas réagi tout de suite.

"Ah mais attends, parce que ça vient pas de toi les fleurs ? Enfin de toi... c'est juste que t'aimes bien te trimballer avec des plantes partout, sans impératif ?"

Dit comme ça, ça sonne un peu connard, mais il ne pense pas à mal, c'est seulement la surprise et une pointe d'intérêt pour la démarche. Reste à ce que ce soit compris comme tel.

     Trois semaines. C’est con que je n’ai plus une notion du temps bien assurée. Si je me souvenais à peu près d’à quoi ressemble une semaine, je pourrais lui dire si on s’est déjà croisé ou non. Déjà que les jours eux-même sont des notions temporelles qui m’échappent un peu…
     Lloyd, en tout cas. L’amas roux a un nom. Et il commence à avoir un visage.
     « Ouais… Y’a pas une annonce ou un truc du genre à l’entrée ? Ça m’étonne que ce soit toi qui se soit chargé d’arroser mes loupiotes plutôt qu’un de tes employés. Je veux dire, la dernière fois que je suis passé elle devait déjà être. L’affiche. Et personne l’a pris. Le poste. »
     Je ne précise pas pour lui mais pour moi. Histoire de vérifier que je suis encore capable de faire des phrases cohérentes. Verdict : ça va, on peut continuer la discussion sans trop de poser la question de savoir si on est compréhensible. Parce qu’on l’est.
     Je ne sais pas s’il y avait des sous-entendus dans sa question sur mes plantes, mais je n’en ai repéré aucun. Du coup je lui réponds comme s’il m’avait demandé, je sais pas moi, ma manière de trier mes chaussettes.
     « Si, ça vient de moi… Enfin, je les fais pousser, quoi. Je suis Terre. Je contrôle les plantes. Et ouais, j’aime bien ça, on va dire. »
     Elles s’occupent de mon hygiène corporelle à ma place et ce sont en règle générale des expériences assez intéressantes pour développer ses pouvoirs. Faire pousser une plante c’est facile, recréer un mini-écosystème dans des poches et créer une symbiose entre végétal et tissu, c’en est une autre.
     « Tonnerre lunaire ou solaire ? Moi c’est lunaire. C’est un peu dit dans le nom. »
     Parce que je m’appelle Luna. Et oui. Rien à voir mais c’est comme ça. Et ça implique que je ne vais pas pouvoir lire son esprit. Enfin, ceci dit, je n’arrive qu’à peine à lire le mien à l’heure actuelle. Heh, je me demande à quoi ça ressemble, un télépathe déchiré. Il faudra que je propose à Alice de tester. Pas dit qu’elle accepte, mais je peux survivre à un vent venant d’elle.

Même si l'élocution de Luna s'améliore quelque peu, on ne peut pas dire qu'elle ait l'air d'avoir l'esprit encore très clair, au point que Lloyd songe sérieusement à refaire le plein d'eau fraîche pour lui lâcher une seconde rasade sur le museau. Généralement les personnes conscientes ont tendance à beaucoup moins bien supporter ce genre d'attention, il se retient donc pour essayer de remettre dans le bon ordre les paroles de la sauvage. Sauvage dans le sens nature sauvage, il y a un minimum de respect à observer pour la clientèle.

"Il y une annonce à l'entrée de l'Institut, et ici sur la devanture. Mais les quelques uns qui se sont présentés n'ont pas l'air de comprendre qu'il faut servir les boissons, pas les vider soi-même."

Le barman pousse un léger soupir en se souvenant du dernier qui a tenté sa chance, encore qu'ils n'ont pas été très nombreux, et de son sourire de demeuré à l'idée de pouvoir rincer tous ses potes quand il serait derrière le zinc. L'entretien ce jour-là avait été de courte durée.

"Je vais quand même finir par prendre le premier clampin venu, parce que les week-end sont durs à assumer en solo."

Le premier venu, ça ne veut pas dire non plus ceux qui s'endorment sur les tables parce qu'ils ont trop picolé. Mais la conversation dévie sur les pouvoirs de Luna, lunaire donc, et le rouquin fouille dans sa mémoire pour tenter de se souvenir quel est le don associé. Sensitif ? Non, ce sont les autres Tonnerre ça... Télépathe ? Pas moyen de remettre la main dessus. En tout cas, le côté Terre, il l'avait plus ou moins assimilé en voyant des branchettes dépasser de partout, et il sait maintenant que sa cliente n'est pas juste un sac de terreau qui parle, sa fantaisie est volontaire.

"C'est quoi, déjà, Terre lunaire ? J'ai pas encore tout en tête, j'essaie déjà de me faire à l'idée que tous ceux que je croise sont capables de faire un peu n'importe quoi s'il leur prend l'envie."

Ce sera peut-être son cas aussi, s'il se décide à mettre en pratique un peu plus souvent ses talents.

"Sinon je suis lunaire aussi. Enfin vu que je me retrouve n'importe où chaque fois que j'essaie de me téléporter, pour le moment je me qualifierais de neutre."

La dernière fois que Lloyd a tenté l'expérience, il s'est retrouvé dans la chambre de Pandora parce qu'il avait trop chaud, même si l'association d'idée l'avait fait sourire. Mais c'est pas tout ça, il a tout de même un établissement de renom à gérer, et il n'a pas besoin de regarder l'horloge au dessus du bar pour savoir qu'il ne doit pas tarder à pousser gentiment les fêtards vers la sortie.

"Bon, hum... tu te sens mieux ? Tu veux boire quelque chose ? De non alcoolisé, ça va de soi..."

     Pas les vider soi-même, hein ? Aucun risque avec moi, je suis trop pauvre pour ça. Enfin, Si j’ai un salaire, je ne le serais plus et qui sait ce qui va se passer. D’un autre côté, si j’ai un salaire, je vais devoir travailler et donc me montrer un minimum professionnelle.
     Ouah la galère. Et puis, qui voudrait de quelqu’un comme moi comme employée. Même pas moi je voudrais de moi-même, c’est dire.
     Ah, ça tombe bien, je suis une clampine. Non mais, sérieusement.
     Voilà, qu’on discute d’autre chose que de perspectives d’avenir s’il te plaît, j’ai moyennement envie de me rappeler que je n’ai aucun avenir. Ça me tire toujours dans le bras droit quand ça arrive.
     « Ah, oui, téléporteur. En vrai, j’ai vu ce que ça donne quand c’est maîtrisé, c’est vraiment impressionnant. Si tu te laisses le temps de travailler ça, tu peux te surprendre. »
     Je parle de Mitsuki, pour les deux du fond qui ne suivraient pas. Non sans rire, le jour où elle m’a annoncé comme ça qu’elle pouvait m’envoyer à peu près n’importe où sur la planète, ça m’en a bouché un coin. En fait, quand j’y pense, c’est un peu trompeur. Il y a trois grades, mais la progression est exponentielle, pas linéaire.
     Enfin bref, si je suis capable de caler le mot « exponentielle » dans une phrase, c’est que mon cerveau fonctionne.
     « En vrai… En vrai attend. »
     Je me lève. Ouais c’est mieux.
     « En vrai, de l’eau. Ce serait genre. Parfait. »
     J’ai pas zappé une de ses questions ? Ah, si.
     « Puis Terre lunaire, c’est… ben c’est ça. »
     J’attrape la table de la main gauche et la soulève, comme si elle ne pesait rien, puis la repose.

Preuve que l'état de la cliente s'améliore, un semblant de discussion s'installe entre Lloyd et elle. Le pouvoir du barman semble retenir son attention, et il ne peut empêcher une grimace d'étirer ses traits à l'évocation de ce qu'un téléporteur accompli est capable de faire. Il en a fait les frais avec Mitsuki, le souvenir de ses remontées gastriques après le premier voyage instantané encore bien présent dans son esprit. Il s'y est fait rapidement, tant mieux étant donné son affinité, mais pour ce qui est de pratiquer lui-même il est encore loin des prouesses de l'ingénieure.

"Pour être honnête, je sais pas encore si j'ai envie de devenir un acharné des tours de passe-passe. Je suis juste un connard de base, j'ai déjà du mal à me dire qu'on m'a mis ça sur le dos... mais qui sait, l'envie me prendra peut-être d'avoir un peu d'ambition."

C'est important, l'estime de soi. Lloyd en manque cruellement depuis des mois, et ce ne sont pas trois semaines à Terrae qui suffiront à remonter la barre. Mais avant qu'il puisse sombrer dans un énième constat d'échec, la conversation bifurque sur la dernière demande du rouquin à la titubante. De l'eau, c'est un peu ce qu'il s'était imaginé, et en quantité suffisante pour nourrir aussi le jardin que Luna transporte avec elle. Encore qu'il n'a pas vraiment la responsabilité de ces êtres supplémentaires, et elle n'a pas l'air d'avoir besoin d'aide pour s'en occuper.

"Je te ramène ça, bouge pas..."

Sauf que Lloyd est sensé bouger, lui, et au lieu de ça il reste la bouche à demi-ouverte devant la démonstration de force.

"Titan, bien sûr... "

C'est ce qu'il avait oublié. Il faut dire qu'avec le gabarit de Luna, c'est un peu le dernier pouvoir sur lequel il aurait misé à première vue. Mais à la voir bouger une table aussi facilement, il ne peut qu'imaginer la facilité avec laquelle elle serait capable de ranger le bar, ou de faire sortir les poivrots incapables d'aligner trois pas. Sans prendre le temps d'y réfléchir plus que ça, il laisse échapper la proposition.

"T'as un boulot, toi ? Tu voudrais pas me filer un coup de main ?"

     Tu sais pas si t’as envie d’assumer tout ce merdier ? T’es un clampin quelconque ? Tu sais pas trop ce que tu fous là ? Tu te demandes régulièrement s’il serait pas temps de te secouer les miches ? On a tellement de choses en commun, embrasse-moi grand fou.
     En tout cas, mes pouvoirs de Titanide font de l’effet à… il m’a dit son prénom ? Lloyd, oui, il me l’a dit, ça y est je le remets. Histoire de présenter vraiment bien, je décide de prendre une décision courageuse et me relever.
     C’était plus difficile que prévu, j’ai clairement un peu plus titubé que ce que je voudrais mais on va dire que c’est déjà pas mal d’être sur ses deux jambes. Le sol est super bas, par contre, il faut pas trop que je regarde dans sa direction.
     Ah, une question. Deux pour le prix d’une, même, mais j’ai comme l’impression que les deux sont un peu pièges. Est-ce que ça se voit à ce point sur la tête que je suis une chômeuse ? Probablement, on ne va pas se mentir.
     « Disons que je suis entre deux trucs. »
     La version politiquement correcte.
     « Mais en vrai… »
     Grosse question, là. Non parce qu’avoir un boulot, ça veut dire respecter des horaires, faire ce qu’on me dit, passer moins de temps à glander et faire pousser des trucs et plus à voir des gens. Peut-être même devoir porter une tenue correcte. Est-ce que je suis prête à tout ça ? Certainement pas. Mais d’un autre côté, je ne le serai jamais vraiment.
     « Allez. »
     Au pire quoi, il me vire au bout d’une semaine, j’y survivrai.
     « J’ai plus d’expérience d’un côté du comptoir que de l’autre, mais ça m’est arrivé de filer des coups de main à des potes dans ce domaine, je devrais pas être la plus longue à former. »
     Ça, c’est vrai en plus. C’est un bon moyen pour se faire offrir quelques consommations et le droit de dormir sur une banquette après l’heure de fermeture.

Elle essaie de faire quoi là, elle veut pas lui répondre d'abord? Si c'est sa dignité qu'elle cherche en se mettant debout comme une grande, elle aura plus vite fait d'aller regarder sur la table, elle en a écrasé une bonne partie sous sa joue quand elle pionçait tout à l'heure. Lloyd ne juge pas, il a déjà été dans des états bien plus lamentables et n'en est pas sorti grandi, mais l'équilibre précaire de Luna l'inquiète assez pour préférer qu'elle reste assise. Quoique, après un petit moment d'hésitation, elle a l'air de tenir sur ses deux pattes et comme une bonne nouvelle n'arrive jamais seule, elle arrive même à parler en même temps. Entre deux trucs... entre deux cuites, plutôt, non ? Peu importe, l'important vient ensuite.

Ça veut dire oui, ce « allez » qui manque d'entrain ? Visiblement, puisque Luna enchaîne sur une expérience passée, ce qui ne manque pas de rassurer l'australien. C'est qu'il était plutôt parti sur un refus poli, ou pas d'ailleurs, alors constater qu'il a finalement réussi à recruter l'employée la moins convaincante à première vue l'a quelque peu pris au dépourvu. Mais bon, maintenant que c'est fait il ne peut plus vraiment reculer, et il reste soulagé de ne plus avoir à chercher. Autre point positif, elle doit forcément s'y connaître en boisson, vu sa descente de ce soir.

"Parfait, ça m'arrange. Tant que tu finis pas comme ce soir quand t'es de service, on devrait pouvoir s'arranger pour le reste, je suis pas chiant normalement. Tiens attends, je reviens..."

Il ne faudrait pas oublier le plus important, alors Lloyd laisse sa future serveuse pour retourner derrière son bar sans manquer de voir au passage que les autres loustics ont bientôt terminé leur tournée gratuite, et il en revient après une petite minute. Est-ce qu'il s'imagine qu'il était parti chercher un contrat ou ce genre de connerie ? Peut-être, mais c'est une grande pinte d'eau que le rouquin dépose sur la table. Il y aura tout le temps pour la paperasse plus tard, d'autant qu'il ne sait pas ce qu'il doit signaler à l'Institut ou pas.

"Voilà pour toi... et pour la formation vu que tu connais déjà un peu, t'auras qu'à me regarder au début le temps de capter les routines, et ensuite tu pourras te débrouiller. On sera deux la plupart du temps, de toute façon."

Lloyd hésite un instant, jaugeant Luna du regard avant d'ajouter.

"Et si t'as besoin de tirer une bouteille pour je ne sais quelle raison, tant que ça reste occasionnel, je regarderais ailleurs."

     Un aveugle remarquerait qu’il a pas une opinion super flatteuse de moi, le Lloyd, mais je ne peux pas vraiment lui en vouloir. Déjà parce que je n’ai moi non plus pas une opinion super flatteuse de moi-même. Genre, tu crois que je vais me bourrer la gueule pendant les heures de boulot ? S’il te plaît, quitte à tout gâcher dans ma vie, je compte m’y prendre mieux que ça. Mais surtout essayer de ne pas le faire. Ça marche aussi.
     Ah, de l’eau. Je la regarde comme Indiana a regardé le Graal et bois son contenu avec la même avidité que Luffy après son combat contre Crocodile. En fait, je suis tellement concentrée sur cette sublime boisson que je ne suis pas sûre d’avoir bien entendu ce qu’il m’a raconté. Des trucs sur la formation et être à deux. Ouais ouais, on verra bien en temps voulu.
     Ah, par contre, sa proposition est intéressante et là pour le coup je n’en perds pas une miette. Je n’aime pas trop utiliser la générosité d’autrui, mais j’aime encore moins claquer du pognon, alors.
     « Je note. Mais vu que… tu vas me payer quoi, ça devrait jamais être autre chose que du dépannage. Puis c’est pas comme si j’avais un frigo tellement vide en boissons que je devrais chourer de quoi le remplir, t’sais. »
     T’as raison, passe encore plus pour une alcoolique auprès de ton futur patron.
     « Enfin c’est pas tout ça. Merci pour la flotte. Et le taf, j’aurais dû commencer par ça. Par contre là je suis clairement pas en état, et… »
     Je lui désigne du menton les gens en train de se jeter le cul de leur verres dans le gosier.
     « Visiblement t’as pas tout à fait fini ta journée non plus. Du coup pour la paperasse les machins comme ça, je te propose de voir ça demain. »
     Moment décisif : si je lui dis dans l’aprem, soit à l’heure où je me lève, ça va pas faire très professionnel.
     « J’essaierai de me ramener… une heure avant l’ouverture, un truc comme ça. »
     Aucune idée de quand c’est, genre je suis du genre à voir l’ouverture de quelque magasin que ce soit. Mais je regarderai sur le panneau l’entrée.
     « Ça te va ? »

Il est rassurant, ce discours sur le dépannage. Lloyd s'attendait à ce qu'elle se jette sur l'occasion, ou qu'elle ne dise rien pour cacher un éventuel intérêt, mais finalement elle a l'air d'avoir plutôt les pieds sur terre. En même temps, sans godasses... Toujours est-il qu'après une première impression assez originale, le rouquin aime bien Luna, elle est cool. Peut-être même qu'ils arriveront à s'entendre en bossant ensemble, c'est pas donné à tout le monde. En tout cas ce serait plutôt à lui de la remercier d'avoir accepté le job, parce que quand elle aura fait un week-end complet elle déchantera probablement.

"T'inquiète pas pour les papiers, ça peut attendre oui... "

Effectivement, ça s'agite derrière, la Compagnie Créole a l'air de vouloir retourner en studio. C'est le signe pour Lloyd qu'il va enfin pouvoir lancer les dernières vaisselles, éteindre les tireuses et ranger le plus gros du bar avant d'aller retrouver sa colocataire pour un after plus intime. Luna a une dernière question, l'australien reste donc encore un peu à la table pendant que les raclements des chaises se font entendre.

"C'est nickel, l'ouverture c'est 16h. J'arrive toujours une heure, une heure et demie en avance pour avoir le temps de faire les sols et tout démarrer, mais à deux on devrait gagner pas mal de temps. A demain, alors."

Un petit signe de la main, et le rouquin délaisse sa cliente un peu particulière pour aller s'occuper de la fermeture.