Elle n'y arrivait pas. Décidément. Elle n'y arrivait pas. La petite Terre essayait depuis quelques heures de trouver la couleur qui lui convenait pour peindre la couleur des arbres dehors en ce moment. Ce vert si particulier qui tire doucement vers le marron, alors que l'automne s'approche doucement. Elle en était arrivé à des moyens extrêmes : elle avait vidé son bureau, poussé sa chaise et s'était étalé dans l'espace entre son lit et le petit espace cuisine. Fenêtre ouverte, tubes de peintures éparpillés partout sur le sol, elle avait 3 feuilles de test en plus de sa palette, et son brouillon au crayon au milieu. Elle n'avait pas besoin de regarder au dehors, elle savait, elle ressentait presque la couleur des arbres.

Mais impossible de la reproduire... Pourtant, elle avait une bonne lumière, et suffisament de couleurs pour faire un mélange convaincant. Mais non. Ce n'était pas pour aujourd'hui, elle devrait s'y remettre un autre jour. Elle passe le dos de sa main sur son nez, avant de se motiver à ranger. Il fait beau dehors, autant en profiter et aller directement au contact des arbres, ce sera une bonne alternative. Elle a à peine le temps de reboucher un tube qu'on frappe à sa porte. Elle ne reconnaît pas la façon de penser de la personne, se lève et va ouvrir.

La jeune femme est nouvelle, Alice est sûre de ne l'avoir encore jamais croisée. Elle fait rapidement le lien, elle doit être Luna, nouvellement Initiée, elle ne sait juste pas de quel affinité elle s'est révélée. Elle lui adresse un grand sourire, sans s'attarder sur l'image qu'elle renvoie, et inversement : Alice a une trace de peinture bleu sur le côté gauche du nez...

« Bonjour ! Je peux t'aider pour quelque chose ? »

Le visage d'Alice devient curieux lorsque Luna ouvre la bouche. Elle regarde son visage, puis l'image mentale qu'elle a lui parvient : Luna regarde le nez bleuté d'Alice. Elle rigole doucement en comprenant.

« Pas de souci. C'est la peinture c'est ça ? »

Alice hoche ensuite la tête pour valider son prénom. Luna, oui. Elle lui sourit doucement en l'écoutant enchaîner sur le pourquoi de sa présence devant sa porte. Elle semble penser à beaucoup de choses en même temps, un peu perdue face à la situation. Alice l'écoute jusqu'au bout tranquillement. Malgré sa récente Initiation, Alice n'a pas particulièrement vue de nouvelle membre du dortoir.

« Félicitations Luna, et oui, il n'y aucun souci, ne t'en fais pas. J'étais en train d'arrêter de peindre, si ça ne te dérange pas je range juste rapidement, je lave mon visage et je suis disponible. Tu es Terre ? De quelle affinitée ? »

En même temps qu'elle parle, Alice a un peu reculer pour laisser la place à Luna d'entrer dans sa chambre.

« Rentre, j'en ai pas pour longtemps. Tu veux quelque chose à boire en attendant ? »

La jeune Terre s'accroupit pour rassembler ses essais, et isole le dernier, encore à sécher, qu'elle pouse par dessus le reste de son bureau et faire de la place. On peut marcher normalement dans sa chambre maintenant. Elle est pleine de peintures affichées sur les murs, pas seulement les siennes. On y retrouve des citations de livres en toutes langues, et sur le rebord de la fenêtre, une petite forêt de plante et des figurines de terre, offertes par ses ami.e.s. Alice s'occupe ensuite de remballer les tubes comme elle l'avait commencé avant l'arrivée de Luna.

« J'ai quelques jus au frigo, et sinon j'ai pas mal de thé à droite de la bouilloire. Ne te gêne pas pour fouiller dans les boîtes. »

     Comme elle m’y invite, j’entre. c’est sympa, chez elle. Pas trop bordélique. Ce n’est certainement pas moi qui vais faire le moindre commentaire là-dessus, notez. Je dors littéralement avec mes plantes. Comme je bouge peu en dormant – enfin, depuis que je suis arrivée à Terrae, avant, ces derniers mois, j’avais un sommeil tellement agité qu’il m’arrivait de finir ma nuit sur le sol et avec une bosse –, je me blottis souvent avec un pot que je viens de planter. Le résultat est souvent très intéressant au réveil. Je ne me souviens pas des mes rêves, mais elles, il semblerait que si : deux plantes identiques n’éclosent jamais tout à fait de la même façon…
     Enfin, c’est peut-être juste mon imagination. Qui ferait bien de fermer sa gueule trente secondes que je puisse me concentrer sur ce qui se passe devant moi.
     « Hon ? Queuh ? »
     C’est pour ça que je ne suis pas devenue une brillante universitaire.
     « Ah, euh, je voulais dire, Terre Titanide, oui. Et de l’eau. De l’eau c’est bien. Ou un thé. Ou un café. Ou j’en sais rien, ce que tu prends toi, c’est bien. »
     Tant que c’est liquide, en fait.
     Allez, statistiquement, c’est impossible que sur tout ce que je vais dire, je foire absolument toutes mes tentatives de communiquer.
     Il y en a, des peintures, en tout cas. Je la laisse ranger en en regardant quelques unes. Je sens qu’elle me regarde. Elle s’attend au sempiternel commentaire sur ses dessins. Le truc est que je ne m’y connais pas du tout en la matière. Enfin, on va essayer de sortir un truc. Je m’arrête devant une peinture* et fais un hochement de tête pouvant tout et rien dire.
     « T’as un chouette style, dis-donc. Je l’aime bien, celle-là. »
     Je ne mens pas, c’est juste que je n’ai rien à dire d’autre.

* : Qui s’avère être une n’étant pas d’Alice, n.d.a.

Terre Titanide ? C'était la première fois qu'elle entendait cette façon de le présenter. Elle sourit simplement acquiesce, qui était-elle pour la corriger alors qu'elle aimait à créer de nouveaux mots. C'était amusant. Alice ne pouvait cependant pas s'empêcher la comparer, tant qu'elle ne la connaissait pas vraiment : sa mère aussi, avait ce côté un peu dans la lune, jusqu'à ce qu'elle touche terre et devienne inarrêtable. Une autre Luna.

« Je ne suis pas une experte concernant le titanisme mais je peux largement t'aider pour ce qui est de la Terre. »

Elle finit de ranger ses peintures, avant d'aller vers la cuisine pour attraper un verre et le remplir d'eau tout en l'écoutant. Alice jette un coup d'oeil à la peinture que Luna désigne avant de lui lancer un grand sourire, très sincère.

« Ah, merci beaucoup. Celle-ci n'est pas de moi, c'est un ami qui me l'a offert, mais je te remercie pour lui, je lui dirai que sa peinture a été appréciée ! »

Elle lui tend gentiment le verre d'eau avant d'aller en remplir un de jus de pomme pour elle.

« En tout cas ça me fait plaisir, tu peinds aussi un peu ? »

Alice se tourne finalement vers la nouvelle Initiée et s'appuie contre la table, un doux sourire aux lèvres.

« Je t'écoute alors. Qu'est-ce que tu aimerais travailler exactement ? . Je suis donc Télépathe mais j'ai un peu vécu le titanisme, donc je pourrai peut être t'aiguiller un peu, mais je te propose que nous nous concentrions sur la Terre. »

Alice l'écoute lui raconter un peu ce qu'elle a déjà fait auparavan. De la peinture à la bombe donc, sur des grands supports. Elle hoche la tête, l'air réellement intéressée.

« Oh ça devait être chouette ! Tu avais des thèmes qui te plaisaient, ou tu peignais juste comme ça ? »

Elle rit un peu et lui sourit pour la remercier quand elle dit que les autre sont jolies aussi. Elle n'a pas l'air offusquée le moins du monde, et de fait, ne l'est pas du tout. Il se passe beaucoup de choses dans la tête de Luna, elle a l'air d'essayer de faire bonne impression et de vouloir rentrer dans une case, sans vraiment y parvenir. Rentrer dans une case, c'est un peu fort, Alice ne se concentre pas assez pour comprendre toutes ses intentions.

Elle semble avoir du mal à saisir, jusqu'à ce qu'Alice comprenne qu'elle parlait de leur planète. Elle sourit doucement. Ca arrive. Passer du temps à Terrae, c'est aussi rencontrer des personnes qui changent de point d'attention toutes les minutes, alors les galères de compréhension, Alice en a bien l'habitude. Elle l'écoute attentivement en croisant son bras gauche contre sa poitrine, et boit quelques gorgées.

« C'est génial déjà ! J'ai mis beaucoup de temps avant d'arriver à faire pousser une plante correctement, et ça m'épuisait. Mais c'est venu avec l'entraînement et du temps. Par contre j'étais vraiment douée pour ce qui était de modeler la terre, j'imagine que c'est un peu l'inverse pour toi. En tant qu'Initiée, il va te falloir du temps avant d'arriver à faire pousser des arbustes, voire des arbres. Je doute que pour les arbres tu y arrives en une fois avant de bons mois d'entrainement, mais on peut toujours voir ça ensemble. »

Alice lui adresse un sourire encourageant.

« Mais on peut commencer par bouger la terre si tu veux ? C'est vrai que le contact avec, ça aide, mais... »

En même temps qu'elle parle, les plantes autour d'elle sortent de leurs pots. Alice manipule leur terre pour les faire simplement s'élever avant de les replacer. Elle les a à peine regardées : elle connait par coeur l'organisation de chaque pot à force de s'en occuper et d'en prendre soin. Elle ressent la présence de son élément et de ses plantes en permanence.

« Au bout d'un moment, tu n'en a plus besoin. Je peux te proposer de commencer petit et de manipuler de petites quantités avec ta main, et puis on verra un peu plus tard pour les plus grandes surfaces ? Ca te plairait ? »

Logiquement, bouger la terre lui prendra bien plus d'énergie si son domaine de prédilection réside dans la manipulation des plantes. Elle ferait donc attention à commencer en douceur pour qu'elle ressente d'abord comment faire.

Alice n'insiste pas, après eu un petit flash de jolis mots écrits à la bombe sur des voitures neuves. Pas qu'elle soit particulièrement gênée d'en parler mais plutôt pour respecter Luna qui n'étaye pas spécialement son propos.

Alice apprécie la concentration avec laquelle elle l'écoute, même si elle s'amuse un peu de la surprise qu'elle peut ressentir en apprenant ce qu'il est possible de faire, une fois Etoile. C'est déjà énorme, de pouvoir faire pousser un arbre en une seule fois, mais même aujourd'hui, cela fatigue bien Alice alors même qu'elle a en a déjà poussé un bon nombre. Elle sait de sa mentor qu'il est possible de maitriser le mouvement des arbres une fois Master, mais elle ne l'a donc jamais pratiqué et préfère ne parler que de ce qu'elle connaît. Commencer par étape, c'est ça qui permet de progresser, même si, en ayant poussé son pouvoir à bout, jusqu'à ne plus pouvoir physiquement bouger, Alice n'avait jamais réussi, Initié, à amener un arbre d'un coup à maturation, elle avait déjà atteint un niveau important. Elle ne doutait pas que Luna y arriverait aussi, surtout si elle passait son temps à faire pousser des plantes.

Et puis Luna n'en revient visiblement pas de la capacité de la Terre à faire léviter les plantes hors de leur pot. Elle sourit d'autant plus, et va pour les replacer doucement quand l'Initié renverse le verre au sol. Et panique. Elle renverse la chaise, et a l'air toute affolée un temps. Alice se contente de lui sourire et d'attendre : elle se calme très vite et arrête de bouger. Elle hoche la tête avec tendresse.

« Tout va bien, ce n'est que de l'eau. Je vais essuyer, est-ce que tu veux bien redresser la chaise ? »

Elle ne semble pas du tout surprise. En fait, elle l'a été mais elle a surtout bien vu Luna se perdre et paniquer, elle a donc décider de rester très calme. Elle se lève pour récupérer un torchon dans un placard et vient essuyer l'eau au sol, avant d'aller le poser sur le dossier de sa chaise de bureau pour qu'il sèche au soleil.

« Ca arrive à tout le monde. Désolée de t'avoir tant perturbée en te montrant mes pouvoirs ahaha. Tu veux que je te resserve de l'eau peut-être ? »

Ce n'est pas ironique du tout, Alice voulait vraiment la mettre à l'aise. Elle attend sa réponse avant d'agir en fonction, et d'attendre son retour quant à leur entraînement, lorsque la Terre aura repris ses esprits.

     Redresser la chaise. Oui, ça je peux faire. Hop, voilà. Je me rassieds dessus maintenant ou…? Ou… Sans déconner, comment on peut oublier comment se comporter en société à ce point là.
     Et je ne suis pas sûre que la Alice aide beaucoup. Elle est trop calme… J’aime pas trop beaucoup ça. J’préfère quand c’est un peu trop plus moins calme… Je suppose qu’elle se dit que pour que je ne panique pas, se montrer super détendue, n’avoir aucune réaction brusque, ne me faire aucun reproche, être extrêmement gentille est la meilleure solution, mais en fait, ça me rassurerait plus d’avoir quelqu’un ayant des réactions plus… ben plus normales en fait. Se montrer calme presque à l’excès c’est une technique d’intimidation que j’ai un peu connu, venant d’un chef de gang de chez moi. Le type était imperturbable, mais c’était aussi un sociopathe complet. Autant vous voyez avec quelqu’un qui s’énerve, tu peux lire sur son visage à quel point tu vas prendre cher, du coup tu te prépares mentalement. Quand en face y’a rien auquel s’accrocher, c’est une torture avant l’heure.
     Après, ce serait vraiment stupide de penser qu’elle a des arrière-pensées. Déjà parce qu’elle est télépathe et donc doit déjà savoir ce que je pense de sa pensée, ensuite parce que je psychote beaucoup, beaucoup trop. Là, c’est juste mon cerveau qui invente des trucs au fur et à mesure. Parce que s’il y a une voix dans ma tête qui répète que tout va bien, il y en a une autre qui se contente de hurler depuis que je suis sortie des dortoirs.
     « Euh, non merci, te gêne pas. »
     Fuyons cette distraction aussi vite que possible, il faut que je me concentre sur autre chose sinon je suis à peu près sûre que je vais imploser. Et Alice se retrouvera avec une clocharde catatonique qui va baver sur son parquet, ce qui ferait désordre.
     « Du coup, les exercices pour bouger de la terre, tu veux faire ça où ? »

Alice se demande une seconde si Luna a déjà connu de gens à peu près stables. Et gentils. Parce qu'elle n'a pas l'impression d'être la seule personne qui réagit bien quand quelqu'un fait une bêtise. Et en travaillant avec des enfants, garder son calme même dans des circonstances improbables, c'est assez important. Renverser un verre d'eau, au moins dans sa tête, puis un peu paniquer de gêne, ce n'est pas si incroyable que ça. A Terrae, elle a vu des vitres exploser pour moins que ça. Ah, peut-être l'une des explications est là : Terrae, pas les mêmes échelles qu'ailleurs.

Elle acquiesce et ne lui ressert donc pas de verre, elle se rassoit sans plus de cérémonie. Luna panique tout autant, et Alice reste calme. Elle désigne sa porte en répondant.

« On peut aller dehors pour commencer ? Ou alors tu préfères aller là où tu fais pousser tes plantes, si ça te rassure ? »

Par habitude et rigourosité quant à ses convictions, Alice n'est pas censée être au courant, mais ne nous mentons pas : elle sait depuis quelques minutes déjà à quoi ressemblent les dortoirs. Cela ne a dérange pas du tout néanmoins, si cela peut rassurer Luna et la mettre plus en confiance pour se concentrer sur les exercices, cela lui va pour le mieux. La Terre est patiente, elle attendra de trouver la situation qui met la plus à l'aise l'Initiée.

__-Glgzb ?
__-Me rassurer ?
__-Non, en fait t’as juste réussi à me faire encore plus paniquer intérieurement. Si c’est seulement possible.
__-Comprenez, je vais essayer de vous expliquer posément, sans aller trop vite, ce qui se passe dans ma tête, là, mais il faut se figurer que je vais faire un effort pour vous rendre ça compréhensible, alors qu’en vérité, c’est plutôt un sac confus de réflexions contradictoires qui se rentrent dedans. Un peu comme à un destruction derby. vous savez, ces événements aux États-Unis où on fait se crasher les unes sur les autres des vieilles voitures jusqu’à ce qu’il n’en reste plus qu’une. Sauf que là, mon cerveau joue le rôle de la piste et elle est jamais en super état après.
__-Donc alors.
__-Elle sait pour les dortoirs. Sauf que le problème, c’est que c’est un petit peu complètement illégal ce que j’y fabrique. Et je ne parle même pas de la pousse de cannabis. Juste niquer les locaux c’est déjà pas trop mal.
__-Sauf que. Là du coup j’y ai pensé. Donc, comme elle est télépathe, elle le sait. Que je fais pousser de la beuh.
__-Oui, mais et si elle ne lit pas dans mes pensées parce qu’elle a un minimum de décence ?
__-Mais du coup comment elle sait pour les dortoirs ?
__-Et pourquoi est-ce qu’elle a l’air d’en avoir rien à péter ? Je veux dire, d’un côté c’est super suspect, de l’autre, c’est peut-être juste qu’elle est sympa, non ?
__-Admettons, mais là, c’est vous qui me posez la question, vous pensez sérieusement que mon cerveau en plein pic d’anxiété va arriver comme ça à la conclusion que, non ça va elle est sympa y’a pas de problème ? Mes seins sur la commode ouais. Il va au contraire faire l’inverse et envisager la pire possibilité. Puis, n’envisager plus que la pire possibilité et être complètement bloqué à toute autre.
__-Enfin.
__-Jusqu’à ce qu’à un moment, je dise stop. Je souffle un petit coup, fais mine de réfléchir, eeeeeeet ah oui merde. Ça va pas marcher comme d’habitude.
__-Non parce que, ça m’est arrivé plutôt deux fois qu’une d’avoir des moments de panique, surtout quand on a vécu une vie plutôt dangereuse comme la mienne, m’voyez. Du coup y’avait toujours un tic à la con, un truc qui me faisait passer ça. Sauf qu’évidemment c’était un jeu de la main droite.
__-Et se reposer uniquement sur sa force mentale pour faire comme si de rien n’était alors qu’on implose intérieurement, c’est sensiblement plus dur sans un ancrage physique, je veux dire sans un truc pour compenser. (Si vous voulez savoir, le mien c’était de compter en binaire sur mes doigts. Essayez, vous trouverez des tutos sur la Toile, c’est assez amusant. Comment je sais faire ça  ? Hé bien, je me suis tapée un nerd une fois, à une fête étudiante ou je suis partie taper l’incruste. Et, bon, plutôt polie et tout, avant de me le faire je l’ai écouté me draguer comme seuls les étudiants en informatique savent le faire : en me parlant de pourquoi Pac-Man s’appelait Puck-Man au Japon, nom qui n’a pas été jugé adapté au marché occidental vu la facilité avec laquelle il peut être détourné, et en me montrant sa connerie avec les doigts, là.)
__-Attendez, pourquoi je vous raconte tout ça.
__-Les plantes. Voilà. C’était ça le sujet de base.
__-« Euh. »
__-Bon, alors, je repars à vous expliquer vite fait ce qui se passe dans ma tête histoire que vous suiviez. (Non parce que clairement, ma précédente réplique avait besoin d’un commentaire pour l’expliquer, après tout, on était face à un monument de la littérature mondiale.) Donc là en fait, j’ai trop, mais alors, vraiment trop réfléchi et suis arrivée au stade où c’est tout vide à l’intérieur. Ça a planté, on redémarre le système et en attendant que ça se fasse, il y a un écran noir avec une espèce de roue qui mouline pour indiquer que ça charge. Mais du coup, je suis passée de beaucoup trop de pensées à aligner à, plus aucune. Et dans les deux cas, c’est pas idéal pour parler. Surtout que ça fait un blanc assez inconfortable dans la discussion.
__-Tout ça pour une question simple, merde quoi. ’faut vraiment que je me reprenne en main.
__-« Euuuuh. »
__-Ça vient, ça vient. Je suis sur Windows 1995, allez vous chercher un café, ça peut prendre du temps.
__-« Dehors. »
__-On la refait, hein.
__-« Dehors c’est bien. Juste dehors. »
__-C’est pas sensiblement mieux mais on va dire que ça passe.
__-Okay et maintenant, on ouvre le gestionnaire des tâches et on fait quitter toutes les applications. Y compris celle de la métaphore informatique. Non parce que je me connais, je vais avoir envie de justifier pourquoi dans la forêt ou le jardin ou que sais-je plutôt qu’ailleurs, ce qui implique de devoir formuler un raisonnement et donc de m’empêtrer dans mes propres pensées encore une fois. Et c’est déjà éreintant de juste tenir debout et de ne passer que pour une colossale demeurée et pas bien pire, on va pas trop tenter le diable.
__-Pour une fois.
__-« Je te suis. »

Être Télépathe, dans la vie de tous les jours, ce n'est pas forcément évident. Être Télépathe à Terrae, c'est entendre les pensées de gens facilement angoissés, avec des parcours de vie atypique voire terrifiant, et être souvent la source d'une panique incontrôlées chez eux. Alice en connait un grand nombre dans ce cas, dont des amis proches. Elle connait aussi l'opposé, les piles électriques qui ne s'arrêtent pas de penser, qui ont quinze idée à la seconde, qui font des associations entre elles avant même qu'elles naissent. C'était rare de rencontrer les deux. Oh, elle a suffisamment trainé avec Asbjorn et Houston pour que c'en soit quelque chose de presque commun. Ce qui la surprend par contre, c'est que ça n'arrivait pas souvent après lui avoir demandé de l'aide. Et encore de la part des Terres. Mais voyez-vous, il faut une première fois à tout. Et Terrae est un terrain très vaste pour les premières fois improbables.

Luna cumule tous les critères pour cette première fois improbable. Elle a l'impression de la terrifier comme si elle était membre d'un cartel on ne peut plus dangereux, qu'elle est la première personne qu'elle croise vraiment sincère. Elle ne sait pas trop comment la mettre à l'aise, alors elle reste patiente et attend la réponse de la jeune femme. Elle ne comprend pas vraiment d'où vient sa peur, mais elle est probablement un peu fondée... Être Télépathe, c'est aussi faire peur. Après une hésitation et une prise de décision laborieuse, Luna choisit dehors. Alice hoche la tête en souriant.

« Va pour dehors ! »

Alice se lève, enfile ses chaussures et attrape une veste, et laisse passer Luna devant pour fermer sa porte derrière elle. Elle ajoute tout en commençant à avancer dans les couloirs.

« Luna, est-ce que je t'impressionne ? Si tu n'es pas à l'aise, tu peux me le dire, je préfère que tu te sentes à ton aise pour t'entraîner. Et puis si jamais tu n'as pas envie de commencer aujourd'hui, on peut se revoir plus tard, c'est comme tu préfères, ok ? Tu peux aussi juste me montrer ce que tu sais faire, enfin, on peut y aller petit à petit. »

__-Hé ben dehors. Je regarde si j’ai rien oublié pendant qu’Alice se sape, passe devant et quooooiiiiiiiiiiii
__-glzbl
__-aglbzglrbl
__-gn
__-Nan mais ça va j’ai juste été surprise. Si si je vous jure. Et eu un frisson qui aurait nécessité un brise-glace pour remettre mon dos à un état normal, certes. Non parce que comprenez-moi bien. C’est pas tant Alice qui est impressionnante que moi qui suis impressionnable. Et le plus insupportable c’est qu’au naturel ce n’est pas le cas, plutôt l’inverse même, mais mes capacités sociales sont complètement atrophiées depuis que je suis à Terrae.
__-Ah par contre il faut que je lui réponde, je ne peux pas juste la fixer comme un rat mort.
__-« Nan mais si je remets à plus tard je bougerai jamais mon cul. »
__-Vous-mêmes vous connaissez.
__-Enfin bref, du coup on arrive dans l’espace vert. Pourquoi on est là déjà ? Ah oui, maniement de la terre. Okay. Du coup… je lui montre, ou…? Je suppose ? C’est pour ça que je suis là après tout. Hein. Je crois ?
__-Héo.
__-Héééooo Luuuuunaaaa il faut arrêter de regarder Alice et s’y meeeeettre. Hop hop hop.
__-« Okay bah j’y vais du coup. »
__-Il serait temps. Et puis, n’aie pas peur de te planter, tu ne peux pas avoir l’air plus conne que tu l’es déjà.
__-Alors ça c’est mal me connaître.
__-Bref, j’y vais. Je repère une petite motte de terre et me concentre. Comme j’ai vu les Star Wars assez de fois pour connaître le script par cœur en anglais et en portugais, je lève mon bras gauche, le tend dans sa direction et essaie de, je sais pas, faire quelque chose. Ce que j’imagine qu’un jedi ferait. J’ai toujours du mal à décrire la sensation associée à l’utilisation de la magie. Enfin en fait non. Je sais exactement à quoi ça ressemble, c’est d’ailleurs un peu ça le problème. Ça ressemble à quand j’utilise une prothèse. Que ce soit une plante, de la terre ou n’importe quoi fiché au bout de mon moignon, ça réagit à ma volonté, fait à peu près ce que je demande, mais sans les sens associés aux vrais membres : toucher, température, perception de soi dans l’espace, douleur, vous voyez. Ce qui est très déstabilisant.
__-Et je n’arrive qu’à la faire vaguement trembler, la motte là.
__-« C’est à peu près mon max. »