Cette nuit encore, le sommeil ne vient pas. Cette nuit encore mes pensées volent et tourbillonnent dans mon esprit. Je fini par me lever, cette nuit je prend mes affaires et même la guitare que Tiago à ramené de je ne sais où et laissé dans ma chambre après une bière. Je m'enfonce dans al forêt, dans l'état actuelle, je ne veut voir personne. Tout juste je veut m'éloigner loin à l'abri des arbres de cette forêt aussi prisonnière que moi.

Je trouve un endroit, tout juste assez grand, j'allume un feu et malgré le froid de la nuit, la lumière éclaboussent d'or les tronc autour d'elle. Je me cale devant le feu et prend la guitare sur mes jambes. J'ai laissé un thermos de boisson chaude près de mon pied et une couverture de camping. Je commence à gratter les cordes. Cela fait très longtemps que je n'ai pas joué. Je tâtonne mais je trouve ce que je veut joué... cela n'est pas conscient, les notes finissent par s'agencer d'elle même petit à petit.

La mélodie me ramène à des souvenirs. Les gens étaient heureux et chantaient, les pieds dansaient dans la joie. Les paroles me revienne, c'était une langue étrange, presque éteinte mais que quelques irréductibles refusent de laisser sombrer dans l'oubli. Je 'éclaircis la gorge et les mots sortent de ma gorge... je gagne en assurance et après m'y être repris à deux fois, je peut enfin jouer et chanter ces paroles ancestrale.

Le chant d'Akkiko:

Les notes se taisent peu à peu et les paroles se tarissent... Quand un craquement qui ne vient pas des branches dans mon feu me fais tourner la tête.

Je crois que j'ai bien trop abusé, ces dernières semaines. Les sorties qui s'enchaînent, les nuits blanches, le sexe, l'alcool, les pilules... J'ai perdu l'habitude, et mon corps a atteint la limite de ce qu'il pouvait supporter. J'ai passé la journée avec la tête dans la cuvette, à payer le prix de tous ces excès sous forme de bile et de sang. Il faut que je me calme, au moins pour les quelques prochains jours... Mais rester enfermée dans la solitude de ma chambre est toujours au-dessus de mes forces.

Je traîne ma pauvre carcasse sous l'eau brûlante de la douche pour me débarrasser de cette moiteur sur ma peau. Je pense que ça aide un peu, je me sens déjà moins mal, même si ce n'est toujours pas l'extase. Il faudrait que je mange, mais je suis tiraillée entre la faim qui me ronge, et l'impression que mon estomac ne supportera rien de solide. J'opte finalement pour des noodles en pot et des biscottes salées, le tout accompagné de boisson énergisante. La meilleure combinaison pour la gueule de bois, en ce qui me concerne...

Je m'habille ensuite avec des gestes lents, optant pour un pantalon cargo aux imprimés camouflage, un sous-pull thermique noir à col roulé et un large pull à capuche noir par dessus. Je compte aller me promener dehors, l'air frais me fera du bien mais je n'ai pas non plus envie de geler sur place... J'enfile mes boots et une écharpe-tube en laine avant de sortir. Je n'ai pas pris mon sac mais fourre simplement mon téléphone, mes clés et mes cigarettes dans la poche ventrale de mon pull.

Les ruelles du village sont désertes, la nuit tombe et il fait froid, on sent bien que l'hiver s'installe doucement. Je passe devant les vitrines sans m'arrêter et continue tout droit jusqu'à la forêt. Les arbres sont déjà presque entièrement dénudés de leurs feuilles, et si les couleurs automnales sont un délice de jour, le tout revêt un aspect franchement lugubre une fois la nuit tombée. Ca m'étonnerait que j'y croise quelqu'un - quoi que, peut-être en fait, c'est l'endroit parfait pour les transactions non-autorisées...

Je m'enfonce plus profondément dans le bois, les mains dans les poches, écoutant distraitement les bruits de la nuit et la mélodie du vent dans les arbres. Je finis par apercevoir un point de lumière au loin, et me rend soudain compte que ce que j'avais pris pour le vent dans les branches, est en fait une mélodie de guitare... Je perds l'oreille, ce n'est pas possible là ! Je m'approche jusqu'à entendre une voix masculine chanter des paroles dans une langue étrange, que même la puce traductrice semble incapable de traduire. Il n'est clairement pas un musicien chevronné, mais c'est tout de même agréable à écouter, et je me rapproche un peu plus pour profiter des volutes de chaleur de son feu de camp.

La musique cesse, et presque au même moment, une branche craque sous mes pas. Je laisse échapper une grimace alors que l'homme se retourne instantanément - c'est qu'il a de bons réflexes ! Je sors les mains de mes poches et les garde ouvertes devant moi, signe que je ne viens pas chercher la bagarre. Je me rapproche suffisamment pour que la lueur du feu éclaire mon visage. Je prends le temps de détailler ses traits, mais je ne pense pas le connaître, sa tête ne me rappelle vraiment rien... Un nouveau peut-être ?

"Hey... Désolée, je ne voulais pas te déranger, j'ai entendu de la musique et je n'ai pas pu résister, ça m'attire comme une lampe avec un moustique, ahah ! C'était joli... C'est une vraie langue ? La puce traductrice n'a pas réussi à faire son boulot..."

Je ne sais pas pourquoi je parle autant, je ne suis pas si bavarde d'habitude. Peut-être que je suis un peu nerveuse ? Tomber sur un inconnu, de nuit et au milieu des bois, ce n'est pas la situation la plus rassurante qui soit... Bien qu'il n'ait pas vraiment l'air agressif. Il cherche sans doute un peu de solitude, lui aussi ? On ne s'isole pas comme ça pour finir par taper la causette avec une inconnue !

"Mais je ne voudrais pas m'imposer, pardon ! Je te laisse à ta solitude... Bonne soirée."

Et sur ce, je tourne les talons, m'apprêtant à repartir dans la direction d'où j'étais venue.

La voix de l'homme résonne dans mon dos alors que je m'apprête à partir, et il me propose gentiment de venir me réchauffer autour du feu. J'hésite une seconde avant de finalement m'exécuter, un peu de compagnie me fera sûrement du bien... Et puis j'ai un peu froid, pour être honnête !

Je m'installe face à lui, de l'autre côté du feu, et l'observe en silence manipuler son pouvoir pour m'envoyer le thermos à ses pieds. Il est Terre, donc... Des gens calmes et sensés généralement. Comme Amy... Je chasse bien vite sa tête blonde de mes pensées et ouvre le récipient pour boire une gorgée. Du café bien chaud, ça fait du bien !

"Merci."

Je lui souris, avant d'utiliser mon propre pouvoir pour faire léviter le thermos jusqu'à lui à nouveau. Voilà, comme ça nous sommes à égalité, il connaît mon affinité et je connais la sienne ! Je suis assez contente de ne pas être tombée sur un Tonnerre ou un Feu... J'ai besoin de calme, ce soir. Il m'explique ensuite que la chanson était en dialecte breton, un langage oublié. Je hoche lentement la tête avec un léger sourire aux lèvres.

"Je connais la Bretagne. Je suis anglaise, nous sommes donc voisin ! Par contre, ça ne ressemble pas du tout au français, non ?"

Pas que je le parle, mais j'en reconnais les sonorités douces et chantantes. Son dialecte sonne plutôt... Comme une langue nordique, je dirais ? Il continue de gratter les cordes de sa guitare, et je l'observe faire sans rien dire. Son visage est partiellement caché par la casquette qu'il a sur la tête, mais je note tout de même qu'il est métissé eurasien, plutôt beau même si... Un peu renfrogné, peut-être.

Il se présente ensuite dans sa langue étrange, avant de me traduire sa question. Akkiko, donc, c'est un prénom très japonais ! Je laisse échapper un petit rire avant de lui répondre.

"Eh bien, j'avais compris la question même sans la traduction, je suis douée ! Je m'appelle Pandora, enchantée."

Je tends ma main par dessus le feu pour qu'il puisse la serrer.

Je souris aux mots d'Akkiko, je commence à avoir l'habitude des remarques sur mon nom ! C'est vrai qu'il est assez... Atypique, disons, mais je l'aime bien. Et puis, il a un sens bien particulier pour moi, un rappel constant que la curiosité est un vilain défaut, comme me le répétait toujours ma mère. Le jeune homme me donne de plus amples explications sur la langue bretonne, et je hoche lentement la tête, intéressée par le sujet.

"C'est une langue encore beaucoup utilisée ? C'est étrange que la puce traductrice ne connaisse pas..."

Après, on ne va pas se plaindre, cet ustensile est déjà très complet et surtout bien utile ! Il boit une gorgée de café, avant de reprendre la parole. Décidément, cette langue est super bizarre ! Je ne me fais pas aux sonorités, et je la trouve... Un peu barbare peut-être ? Je souris néanmoins en réponse à sa question - une fois traduite.

"Beaucoup, oui ! C'est même ma plus grande passion, pour être honnête... Même si je joue un peu moins, ces derniers temps."

Je ne pensais pas perdre un jour le goût de la musique, mais il faut croire que mon Etoilisation et tous les sentiments que ça a engendré m'ont vraiment chamboulée... Je n'ai pas touché à un instrument depuis plus d'un mois, maintenant, et je ne sais pas si je suis prête à m'y remettre.

Akkiko reprend sa guitare et joue un nouveau morceau, en anglais cette fois-ci. La mélodie m'est inconnue, elle est calme et douce, et les paroles sont... Tristes. Sans vraiment savoir pourquoi, cette chanson me rappelle Amy. Amy que j'aurais aimé emporter loin de sa tristesse, naviguer avec elle sous la lune dorée des paroles. Amy qui est partie. La musique s'arrête, et je me rends compte qu'une larme roule le long de ma joue, que j'ai vite fait d'essuyer en baissant la tête, avant d'adresser un sourire mélancolique au brun.

"Je ne connaissais pas, mais c'est une très jolie chanson..."

Je pense qu'Akkiko a remarqué mon moment de battement, mais il a la décence de ne rien dire à ce propos, et me répond simplement, comme si rien ne s'était passé. Je hoche la tête lentement alors qu'il m'explique que le breton est une langue presque morte - ceci explique donc cela !

"La Bretagne n'a pas toujours été rattachée à la France ? Ca alors, je ne savais même pas ! J'avoue que les cours d'histoire n'étaient pas mon point fort..."

Pourtant, on avait eu une bonne partie de cours sur l'histoire de la France justement - principalement axée sur les conflits avec l'Angleterre, évidemment.

"Tu as une jolie voix, je trouve, grave et suave. Tu ferais un bon crooner, avec de l'entraînement ! Tu ne chantes pas très souvent, je me trompe ?"

Sa voix, comme ses doigts sur l'instrument semblaient hésitants, comme c'est souvent le cas des personnes qui ne sont pas habituées. Je l'observe se servir une nouvelle fois de son pouvoir, pour me faire parvenir la guitare. Je n'avais jamais vu quelqu'un se servir de la Terre comme il le fait, et je trouve ça vraiment intéressant ! Il semble totalement en harmonie avec son affinité et l'incorpore dans ses gestes, chose que je n'ai jamais faite. En dehors des entraînements, je me sers rarement de mes pouvoirs...

"Je connais beaucoup de chansons, oui ! C'est une chouette idée, quel genre de musique te plaît ?"

Je pourrais lui dire que j'ai d'ailleurs composé énormément de morceaux moi-même, mais je préfère garder ça pour moi. Je mets mon âme dans ma musique, aussi je ne la partage pas facilement... Mais jouer une chanson d'un autre artiste, ça je peux le faire. Même si je n'ai pas pratiqué dernièrement, et que je ne pense pas être prête à recommencer seule, la situation ici s'y prête bien. J'ai trop peu eu l'opportunité de partager ce genre de moment avec un autre musicien, ce serait bête de refuser !

Je relève la tête vers lui avec surprise à l'évocation d'un nom un peu trop familier. Est-ce qu'il s'agit bien de la personne à laquelle je pense ? Alors ça, c'est une surprise, les deux hommes ont l'air diamétralement opposés !

"Tiago ? Le kiné ?"

Ou encore "Tiago, le mec avec qui je me suis envoyé en l'air dans un placard à balais"... Ouais, j'étais dans une mauvaise passe. Un peu comme maintenant, en fait. Il faut croire que je retombe dans les mêmes schémas pathétiques à chaque fois que j'ai le coeur brisé.

Akkiko semble troublé par mon compliment, avant de changer de sujet et me parler de Radio Terrae et de son créateur. Je relève la tête vers lui avec une expression surprise. Comment j'ai pu passer à côté de ça ?!

"Terrae a sa propre station radio ? Je ne savais même pas, ça alors ! Enfin, j'écoute assez peu la radio, mais quand même !"

Je suis étonnée qu'on ne passe pas cette station-là à la boutique, par exemple... Je pourrais en toucher deux mots avec le chef - si la sélection est meilleure que la vieille pop moisie qui passe en boucle sur les hauts-parleurs, je ne dis pas non !

Le brun me parle ensuite de son amitié avec Tiago, et je dois dire que je n'en reviens pas qu'ils puissent s'entendre ! Enfin, comme quoi, il faut croire que les opposés s'attirent aussi bien en amitié qu'en amour. Je hausse les épaules quand il vante ses mérites, je n'ai pas grand chose à en dire, le seul mérite que je lui connaisse, il n'a sans aucun doute pas dû le partager avec Akkiko !!

"Je ne le connais pas beaucoup à vrai dire... C'est mon kiné en fait, je l'ai vu quelques fois pour un problème au genou."

Ce n'est pas faux, mais disons juste que ce n'est qu'une demi-vérité ! Il n'a pas besoin de savoir dans quelles autre circonstances on se connaît. Et de toute façon... Cette histoire remonte à plus d'un an déjà ! Il n'est plus que mon praticien, maintenant.

"Mmh, d'accord... Laisse-moi réfléchir une minute."

La plupart des mélodies douces qui me viennent en tête sont des chansons d'amour, et ça ne me semble pas vraiment approprié... J'attrape délicatement la guitare, ajuste les mécaniques jusqu'à ce que le son me convienne, et commence à jouer. Je décide de partir sur un classique, ce n'est pas vraiment une chanson feel good, mais je l'ai toujours bien aimée. Elle me ressemble, quelque part.

Radiohead - Creep

"But I'm a creep
I'm a weirdo
What the hell am I doin' here?
I don't belong here"

La mélodie s'éteint et je reste silencieuse un moment. Ce sentiment de n'appartenir nulle part m'a poursuivie toute ma jeunesse... Je pensais avoir trouvé ma place ici, à Terrae, mais dernièrement, après tout ce qui s'est passé, je ne sais plus.

"Désolée, c'était peut-être un peu triste, finalement..."

Je pense que je ne suis simplement pas d'humeur à pouvoir produire autre chose que de la tristesse, malheureusement.

J'adresse un maigre sourire à Akkiko à sa remarque. Si j'arrive à prétendre et garder la face au travail et devant les autres de manière générale, quand il s'agit de musique, c'est différent. Je joue avec mon âme, aussi je ne peux pas faire semblant... J'aurais probablement du refuser son offre de lui jouer un morceau, mais c'est un peu tard à présent.

Il reprend la parole avec quelques vers joliment tourné, et je comprends à ses mots que lui aussi est tourmenté par une peine de coeur. Enfin, comme pour moi, ce n'est sûrement qu'un problème parmi tant d'autres... Mais c'est sans doute le plus douloureux. Un fin sourire étire mes lèvres alors que je lui réponds.

"C'est vrai que c'est une sacrée chance, on ne peut pas dire que tu aies choisi le meilleur endroit pour trouver quelqu'un avec qui partager..."

Ce n'est pas une critique, juste une remarque. Si je suis venue ici, c'est parce que je cherchais de la solitude - je serais allée au bar si j'avais voulu faire des rencontres et discuter. Après tout, au moins la moitié des piliers de comptoir boivent pour oublier leurs peines eux aussi...

"Qu'est ce que tu fais ?"

Je demande curieusement en pointant vers la petite pile de pierres qu'il construit à côté de nous.

J’affiche un sourire à l’explication du jeune homme. Un témoin muet de la mélancolie de deux inconnus en cette soirée d’hiver... Un point de repère aussi ; peut-être que je reviendrai ici, ou peut-être pas, qui sait ?

"C’est une bonne idée, et un joli symbole. J’espère tout de même que ta mélancolie ne sera que passagère, Akkiko."

Je lui offre un sourire compatissant. Je passe sous silence ma propre mélancolie, qui je le sais ne s’effacera pas de sitôt... Mais mon état ne m’empêche pas de souhaiter mieux pour lui ! Je me demande tout de même ce qui le tourmente, mais c’est une question indiscrète que je ne poserai pas.

Mon regard se perd sur le feu pendant de longues minutes silencieuses, et je perçois finalement un mouvement du coin de l’œil. Le brun se relève et récupère sa guitare, me laissant néanmoins le café. Il s’en va déjà ? Il est vrai que notre conversation s’est éteinte, et je ne sais pas vraiment quoi lui dire après ce moment étrange que nous avons partagé. Je décide donc de le laisser partir sans essayer de le retenir, le saluant légèrement de la main.

"Merci de m’avoir offert une place au coin du feu... Et pour cette parenthèse agréable. Au plaisir de te revoir dans de plus joyeuses circonstances, Akkiko. Bonne fin de nuit à toi !"

Je le regarde s’éloigner avec l’ombre d’un sourire sur les lèvres. J’attrape le thermos pour boire une gorgée de café tout en me remémorant la soirée. Akkiko... Pourquoi ce nom m’est-il familier ? Je manque de m’étrangler avec la boisson chaude lorsque la réponse me vient enfin ; c’est le même prénom que celui qui a agressé Mira ! Simple coïncidence, ou est-ce la même personne ? Je me retourne vivement pour scruter la nuit noire, mais l’homme est loin à présent. Sentant une menace désagréable planer soudain autour de moi, je décide de me lever à mon tour pour quitter les lieux. Je prends néanmoins la décision de revenir ; j’ai des questions à lui poser...