Ses pensées tournent en boucle, désespérées et agressives, contre tous ceux qui ont le malheur de la croiser. Elle est partie sur un coup de tête, pour fuir cette conversation où Allen n'a visiblement pas envie de lui laisser la moindre place. Où il n'a pas envie de lui parler non plus. Ni de la voir. Est-ce qu'elle aurait dû rester ? Non, c'est sur que non… Est-ce qu'elle aurait dû faire mieux, plus, davantage, trouver des solutions, parler, ne pas le laisser la repousser comme il vient de le faire ? Sans doute… Mais peut-être que c'est mieux comme ça, finalement. Si elle lui fait tellement de mal…

Main serrée sur le cristal que lui a offert Allen, elle a tellement d'idées, de choses qui se bousculent dans sa tête. Elle n'entend plus rien du monde extérieur, plus personne, plus rien. Toutes ses pensées s'éjectent d'elle, mais aucune ne parvient à rentrer. Elle est hermétique, concentrée sur le brouhaha qui prend tellement d'ampleur à l'intérieur d'elle. Sa colère bouillonne, sa tristesse l'engloutit, elle a l'impression de perdre tous ses repères à nouveau. Elle ne sait même plus où ses pas la guident, mais bientôt elle est face au lac.

Elle y voit son reflet, rouquine blessée au visage inondé de larmes, et ces yeux marrons brillant faiblement, qui font si étrange sur son visage. Sa main serre davantage le cristal de Morphe ; elle l'arrache presque de son cou, passant la ficelle par dessus sa tête, et s'apprête à le jeter. Ses jambes tremblent, ses larmes tombent dans l'eau du lac et viennent en troubler la surface si lisse.

Le cristal glisse dans son sac, qu'elle jette plus loin sur la grève, la poitrine se soulevant dans ses sanglots. Elle s'accroupit… ses doigts effleurent la surface de l'eau. Sa voix glisse faiblement.

*—You are the hole in my head… You are the space in my bed… You are the silence in between… What I thought and what I said…

Elle inspire. Quelques gouttes d'eau se soulèvent et dansent autour de ses doigts. Ses yeux s'ouvrent en grand. Ses doigts s'agitent, tissent un mouvement ; un accord.

—You are the night-time fear… You are the morning when it's clear… When it's over you'll start. You're my head, you're my heart…

Lentement, elle se remet debout. Le coeur battant, l'esprit ailleurs. Quelques mouvements du bras ; l'eau suit, lourde, compacte, terrienne. Elle se met à danser, comme souvent lorsqu'elle ne va pas bien. Quelques pas, quelques mouvements maladroits, mais l'eau la suit, et c'est tout ce dont elle a besoin, là, maintenant, tout de suite. Chanter la libère. Bouger la connecte. Elle sent encore ses larmes, mais elle est moins centrée sur ses pensées, sur sa culpabilité.

—And I'd do anything to make you stay-…

Sa voix se brise. **L'illusion aussi.
Ce n'est que de la terre. Cela ne l'empêche pas de continuer. Au moins, cet espoir lui aura redonné de la force.

Elle vide ses poumons de tout l'air qu'ils contiennent. Essoufflée, pas plus sereine, mais cette énergie qu'elle n'arrivait pas à dissiper disparaît enfin. Ses yeux se calment. Elle a envie de se laisser tomber au sol.
Mais c'est hors de question.


*La chanson, parce qu'Aria vit dans une comédie musicale : https://www.youtube.com/watch?v=HGH-4jQZRcc
**L'eau est donc une illusion créé par son cerveau télépathe- C'est de la terre qu'elle contrôle, non y a pas eu de changement de pouvoirs chelou-
Ptite illu loul (ça me défoule dont mind me) : https://cdn.discordapp.com/attachments/248937363261227009/685540921256837158/unknown.png






Quelques jours ont passé. Ariana a toujours autant de mal à s'y faire, mais elle tâche de donner le change pendant les réunions. Faire de son mieux, sourire, toujours. Elle se sent mal et ne parle pas beaucoup (elle a compris qu'elle saoulait les gens), alors forcément, ça doit se remarquer un peu. Alice lui a gentiment demandé si elle avait envie de parler ; si elles pouvaient se poser, toutes les deux. C'est difficile d'accepter, mais la solitude et l'isolement l'est encore plus. Au final, elles vont se poser au lac, toutes les deux. Alice non plus n'a pas l'air très bien ; est-ce que ce sont ses pouvoirs qui la font souffrir ?

Armées de leurs boissons chaudes, récupérées avant de s'installer au lac, elles se sont assises par-terre, devant le lac. L'eau et la terre. Peu de gens. C'est tranquille, ici. La chaleur de sa boisson entre ses mains lui fait du bien ; il ne fait pas encore si chaud que ça. Heureusement, il y a du soleil.

—Comment est-ce que tu t'en sors, alors, avec l'eau ? Pas de transformation inconfortable ? lui demande-t-elle avec un sourire, malgré sa fatigue.

Depuis qu'elles s'entraînaient ensemble, lorsqu'elles étaient Air, Ariana parvenait à trouver un certain réconfort auprès d'Alice. Et maintenant que leurs pouvoirs sont échangés, c'est aussi quelque chose qui les rapproche, pense Ariana.

Ariana n'était pas dans son assiette. Alice avait eu vent que son couple n'allait pas fort, mais les rumeurs étaient souvent erronnées, elle préférait donc juste demander à son amie d'aller faire un tour ensemble. La Télépathie était décidemment un des pouvoirs posant le plus de porblèmes personnels, Alice ne comptait plus le nombre de personnes qu'elle avait aidé depuis le début. Avec Ariana, c'était une peu différent, dans le sens où elles avaient pratiqué ensemble la maitrise de l'Air avec Aoi. Et le fait de s'entrainer avec le même élément avait permis à Alice de mieux comprendre le fonctionnement de la Morphe, et probablement inversement. Il n'était pas rare que dans les réunions de préfets, Alice tende sa main à moitié par réflexe à Ariana pour qu'elle concentre ses pensées sur elle. Elle vivait un peu sa Télépathie par procuration. Pour autant, Aria s'en débrouiller bien mieux maintenant.

Elles s'étaient retrouvées pour aller prendre des boissons chaudes, un bon chocolat chaud pour Alice n'est pas de refus. Le Lac est un endroit parfait pour cette phase. Eau, Terre. Inverse et complétaire. Alice appréciait beaucoup l'Eau en terme d'élément. Il était à la fois très proche et très éloigné du sien. Elle se sentait néanmoins proche de l'élément puisque la glace, d'une certaine façon, à ce même aspect inébranlable que la terre. Alice pose ses deux mains autour du verre en carton.

« Hmm, l'eau ça va. C'est agréable en fait. Et puis avec tes conseils et ceux d'Elwynn ça m'a aidée à avoir une meilleure idée de comment mieux m'en sortir avec. Et pour le Morphisme je n'ai pas eu de trop pénibles épisodes, mais je me retrouve parfois bloquée en oiseaux diverses, ou en gerboise. Et en furet il y a deux jours. Enfin ça ce n'est pas trop grave. Je n'aime pas trop la sensation de ne plus avoir mon propre corps, mais en un animal tout neuf, c'est moins problématique. Je me suis réveillée avec les cheveux de ma mère une fois, c'était plus... Perturbant. »

L'idée de vivre dans le corps d'une autre personne lui était encore très inconfortable. Elle adresse un sourire à Aria en rabattant ses genoux contre sa poitrine.

« Et toi alors ? Est-ce que ça va un peu mieux, la Télépathie ? »

Le vent n'est pas désagréable, malgré la température qui monte et baisse de manière aléatoire ces derniers jours. Soleil brillant sur le lac, quelques vagues douces ; Ariana se met en tailleurs, inclinant la tête pour mieux observer Alice. Elle sourit un peu — l'eau… L'eau, ça lui manque un peu. Elle repense à cette illusion qu'elle s'est auto-imposée l'autre jour. Ahh…

La rouquine acquiesce lentement, compréhensive.

—Perturbant ? (Elle fait une pause, laissant Alice lui répondre si elle le souhaitait.) Perso, j'ai… Hm… J'aimais pas trop non plus, au début. Mais au final, c'était rigolo. Et c'était un peu comme être quelqu'un d'autre, tu sais. Comme quand on entend les pensées des autres, mais qu'on ne sait plus si c'est les siennes ou pas… essaie-t-elle d'expliquer, avec un comparatif qui pourrait parler à Alice. Même si, dans ce cas-là, c'est un peu, hm, plus embêtant, parce que les pensées parasites empêchent vraiment de structurer ses propres pensées, héhé…

Elle se frotte la nuque, prend une gorge de son café-caramel avec double dose de chantilly et s'essuie la bouche.

—La télépathie ça va mieux !… Enfin, parfois, j'ai du mal à distinguer quand les gens parlent pour de vrai et quand ils pensent, et c'est pareil pour moi, j'ai l'impression que je dis des trucs à voix haute mais en fait non, et parfois paf je lance mes pensées dans la tête de tout le monde… C'est super épuisant, rit-elle, un peu maladroitement. Tu m'as beaucoup aidée en tout cas. Je crois que quand je lâche juste un peu prise, ça va mieux. J'essaie pas de repousser les pensées que j'entends comme les visions, donc elles sont prenantes et toujours là, mais c'est pas comme si elles étaient agressives ? Juste… ("Constantes ? Présentes ? Pressantes ? Bon ça change pas de mon cerveau habituel, en fait ? Je sais pas ? Peut-être que c'est parce que je pense trop vite et je fais des associations de partout et woaahhh je sais paas.") Enfin tu vois !!

Ariana sourit. Puis elle repense à Allen. Son sourire se fige un peu et elle repart dans ses propres pensées.
"Oui, en fait le problème c'est pas comment moi je le vis, c'est comment les autres autour le vivent, je crois."

Alice acquiesce à perturbant. Oui, c'était vraiment ça.

« Ma maman est morte quand j'avais 10 ans, et même si je n'ai jamais été trop triste, elle me manque beaucoup, et revoir ses cheveux sur moi tout d'un coup, sans prévenir, ça fait tout drôle. »

Ariana lui donne son point de vue sur ce que c'était au début et comment elle a finit par apprivoiser ses pouvoirs. Alice se doute qu'elle en aurait fait de même si elle les avait depuis aussi longtemps, mais elle n'est pas sûre d'en avoir le temps, et pour l'instant c'est encore trop instable pour elle.

« Je crois que je comprends ce que tu veux dire... J'imagine qu'avec un peu plus de familiarisation, j'y arriverai aussi, à ressentir ça ! »

Alice accompagne le rire d'Ariana, c'est vrai que c'est épuisant de ne plus savoir faire la différence entre pensées et paroles, c'est très peu pratique et amène à des situations pas nécessairement agréables. D'ailleurs, Ariana termine en pensant, et Alice boit quelques gorgées.

« Oui je vois complètement. Je trouve que tu as progressé très vite en tout cas ! C'est difficile d'accepter de laisser couler, et plus tu le feras, moins tu confondras. Peut être qu'il faudrait t'entrainer un peu quand tu es seule à faire la différence pour toi, à ressentir ce qui change entre pensées et paroles, et peut être qu'en partant de là tu auras aussi plus de facilité à différencier pour les autres. On pourra essayer ensemble si tu veux ! »

Alice sait que maitriser la Télépathie est bien complexe, comme Ariana comprend que ce peut être très incofortable, une transformation non commandée. Puis Ariana se perd un peu en pensées. Et ce qu'elle dit fait écho avec ce qu'Alice ressent, depuis un moment maintenant. Elle remue un peu les pieds.

« Je ne sais pas si ça te faisais ça avec le Morphisme, mais je sais que la Télépathie, pour moi aussi le plus dur c'est les autres. Parce qu'on a beau essayer de faire de son mieux, ça fait peur, ou ça crée de l'incompréhension... »

Et ce n'est pas toujours évident. Alice aurait bien aimé qu'Ariana n'ait pas à le vivre. C'est peut être aussi pour cela, inconsciemment, qu'Alice essaie d'aider tous les nouveaux Télépathes le plus possibles en les rassurant comme elle peut, et en n'ayant pas peur de leur pouvoir.

Ariana a une expression un peu triste quand Alice lui annonce pour sa maman. Elle baisse les yeux et lâche un petit "Oh non, je savais pas, je suis désolée…" sans chercher à l'interrompre. Alors elle acquiesce.

—Oui c'est sûr, ça doit être très étrange… Ca t'a fait de la peine ?

Peut-être qu'elle ne devrait pas poser la question, mais Alice est toujours tellement douce, elle a l'impression que si elle ne lui demande pas directement, elle n'arrivera pas à passer outre le calme de ses yeux limpides.

Un petit sourire s'étire sur ses lèvres lorsqu'elle est félicitée, elle baisse les yeux vers le sol d'un air gêné. Elle n'a pas pour habitude d'être félicitée, il n'y a que Zola qui fait ça régulièrement, Ashton, sobrement, quand elle réussit quelque chose de très difficile, et All-… Ses émotions se bloquent dans sa gorge. Il faut que je pense à autre chose…

Elle inspire, se rend compte qu'elle a perdu le fil.

—C'est gentil ! C'est ce que j'essaie de faire, un peu, mais comme je suis pas très concentrée en ce moment, c'est pas facile, alors je veux bien ton aide, un peu plus tard… (Elle se mordille la lèvre.) C'est vrai que les autres réagissent pas toujours facilement. Avec le morphisme ça allait, 'fin... Je leur faisais un peu peur, parfois, je crois. Mais j'aimais bien être autre chose. Quelqu'un d'autre. D'ailleurs, je... Désolée de t'avoir fui à l'époque. J'étais. Enfin. Il y a des choses que je voulais garder pour moi.

Même si je suis persuadée que tu sais. Elle fixe l'eau du lac, très perturbée.

—C'était difficile avec certaines personnes ?

Pourtant, Alice a toujours eu tellement à l'aise avec son pouvoir… avec tout, en fait. Elle envie son assurance et son calme. Ca la renvoie juste au chaos qu'elle est elle-même.

Alice secoue la tête négativement.

« Non, ce n'était pas tout positif bien sûr, mais je n'étais pas triste. Maman n'est pas une personne qui me rend triste quand je pense à elle, c'est juste bizarre, ça me rappelle comment elle était, et mes cheveux étaient réels, alors qu'elle n'est plus là. Mais j'étais aussi heureuse, c'était un peu comme si elle était... Passée me voir ? »

C'était étrange. Mais Alice avait toujours eu une relation un peu étrange avec sa mère, qu'elle voyait parfois en rêve, comme une sorte de totem. Luna était toujours là pour veiller sur elle. Les pensées d'Ariana lui parviennent de nouveau, elle comprend que c'est réellement difficile pour l'ancienne Morphe de maitriser cela.

Elle lui sourit. Elle sera là lorsqu'elle aura besoin, si ce n'est pas maintenant, eh bien c'est comme ça, Alice ne veut pas qu'Ariana s'en fasse. Elle ne lui en voudra pas non plus si elle ne veut plus de son aide ensuite et qu'elle préfère le gérer seule.

« J'imagine que le Morphisme aussi à sa part de surprise et de rejet de la part des autres. Encore plus quand tu te transformes en humain qui existe. C'est un peu intrusif, comme la Télépathie, quelque part. »

Elle lui sourit sincèrement, l'air très touchée. C'est la première fois qu'une personne s'excuse sincèrement de son comportement envers sa Télépathie. Et pas seulement d'un réflexe, mais d'un vrai comportement. Elle n'a pas besoin des excuses des autres bien sûr mais venant d'Ariana, cela lui fait plaisir.

« Ca me fait plaisir, que tu sois honnête comme ça. Je ne t'en veux pas du tout, mais ça fait du bien de l'entendre dire pour être sincère aussi. Je crois que je sais quelques détails, faits, mais je n'ai jamais osé venir te demander. D'ailleurs je m'excuse si tu aurais, ou aimerais toujours que je le fasse... Comme tu m'évitais un peu, j'avais peur d'être brutale et encore plus intrusive en te posant directement la question. Peut être que je n'aurai pas dû. Est-ce que ça ne te dérange pas si je te laisse la responsabilité de me faire comprendre si tu veux en parler ? Je n'ai pas envie de te ramener à de mauvaises choses quand tu n'en as pas envie. Ni besoin. »

Elle lui sourit un peu timidement, espérant ne pas la brusquer comme cela non plus. Elle est cependant très heureuse de pouvoir échanger sur ça avec la petite rousse. A sa question, elle se rembrunie un peu, hausse les épaules avec sourire pourtant tendre.

« Hmm oui. Avec beaucoup de personnes en fait. Nicolas a eu très très peur de moi au départ, Adé aussi, elle n'approuve d'ailleurs pas toujours ma façon de gérer mon pouvoir, alors qu c'est réellement difficile, tu en as la preuve maintenant... Ca fait un peu mal. Beaucoup de gens ont peur, m'évite, font des choses bizarres avec leurs pensées pour me tester... Ce qui est entre nous vraiment très bizarre. Mais c'est souvent au début, ou dans des périodes difficiles pour les gens, la plupart du temps, tout va bien. Et pour toi ? Ca a été difficile à vivre pour d'autres autour de toi ? »

Ariana acquiesce, un peu triste pour son amie. Mais si elle le vivait bizarrement, et donc pas vraiment mal, alors ça lui convient. Quelque part, c'est vrai que ce genre d'événement peut faire à la fois du mal et du bien… Mais Ariana, qui n'a jamais vraiment perdu personne (et elle se refuse de penser à Lola), ne peut pas forcément comprendre. Elle se sentirait probablement dévastée à nouveau…

La rouquine incline la tête en réfléchissant.

—Hm, ça va encore. C'était pas tellement du rejet. Les gens ont plus de mal à te prendre au sérieux quand tu t'amuses à te transformer en n'importe quoi… Par contre, ils détestent quand on se transforme en eux ou quelqu'un qu'ils connaissent. Normal, quoi. Je crois que je le prendrais mal aussi…

Mais pour certains, comme Ys, c'est mérité : nah !!

La discussion dévie, et Aria s'excuse. Se mordillant la lèvre d'un air coupable, elle rentre sa tête dans ses épaules. Elle n'arrive pas à s'empêcher de se sentir malgré tout agacé par le fait qu'Alice sache. Parce que ça l'énerve. Qu'elle fait de son mieux pour maintenir des barrières mentales pour éviter qu'elle ne vienne y fouiller librement, ne serait-ce que pour qu'elle comprenne qu'elle ne veut pas qu'on lise en elle… Pour autant, elle se doute qu'Alice ne le fait pas exprès. Elle perçoit bien qu'elle pense ce qu'elle dit. Malgré tout, ça l'agace. Ce n'est pas de sa faute. C'est simplement son jardin secret, et personne n'a le droit d'y mettre les pieds sans autorisation. Elle s'humecte les lèvres.

—Ca me va. Je ne sais pas quoi en dire, de toute manière. J'ai pu en discuter un peu avec Aoi, et ça m'a fait du bien. Je crois que ça va mieux à ce sujet-là. Même si c'est encore difficile.

Elle hausse une épaule, mal à l'aise, yeux posés devant elle. Elle reprend une gorgée de sa boisson, se cachant presque derrière pendant qu'Alice lui raconte les difficultés avec ses amis. Elle n'imaginait pas ; elle qui pensait que tout le monde acceptait tout d'Alice, justement parce que c'était elle…

—Oh… Euh… C'est pas intéressant, grimace Aria. Par contre, je pensais pas que Nicolas et Adé avaient autant de mal. Qu'est-ce qu'elle n'approuve pas ? Elle ne peut pas te reprocher d'être qui tu es. Même si... J'aime vraiment pas ces pouvoirs intrusifs. Parce que je trouve qu'ils le sont, même si c'est difficile au début, comme tu dis.

Alice l'écout en hochant la tête. Elle sourit, fronce un peu les sourcils.

Hm, ça ne doit pas être très agréable, de ne pas être prise au sérieux alors que tu utilises juste ton pouvoir comme bon te semble. Et j'imagine bien que ça doit être un peu désagréable pour les autres ça...

Le Morphisme, à part lorsqu'on veut faire du mal, n'est pas instrusif. Alice trouve ça injuste qu'Ariana ne soit pas prise au sérieux par les autres. Ce n'était pas juste, elle avait bien le droit d'agir comme elle voulait ! Mais la petite Terre sait aussi ce que c'est : souvent au départ on ne la prend pas au sérieux parce qu'elle est petite, jeune, et gentille. Elle écoute la rouquine lui dire que ça lui va, mais tout reste difficile. Elle lui sourit doucement.

« Si ça peut un peu te rassurer, je ne sais vraiment pas beaucoup de choses concrètes. Je sais que ce n'est pas grand-chose et pas forcément agréable. Je suis désolée que ce soit comme ça. Je te promets que j'essaie de faire mon maximum pour respecter tes pensées. Celles de tout le monde en fait. »

Elle lui sourit, un peu désolée à son tour. Elle n'a pas envie qu'Ariana se sente flouée par son pouvoir. Elle lui fait confiance pour comprendre néanmoins, maintenant qu'elle vit réellement ce qu'Alice expérimentait avant. Elle doit savoir qu'Alice n'avait pas l'intention d'aller fouiller dans sa tête. Tout de même, Alice avait conscience de la difficulté d'accepter que quelqu'un d'autre sache tout ça.

Elle ne cherche pas plus loin lorsqu'Ariana évite ostensiblement la question. Elle boit quelques gorgées du chocolat, sourit pour elle-même comme elle aime cette boisson. Elle hoche la tête avec sourire.

« Nicolas c'est fini maintenant. Adé n'approuve pas le fait que je baisse mes barrières en permanence maintenant, et que je laisse couler les pensées dans ma tête. Elle n'approuve pas non plus que je me permette d'écouter les personnes que je pense être problématique. Ce que je conçois complètement, j'y ai beaucoup réfléchit, et je ne devrais pas founier ou me mêler de ce qui ne me regarde pas. Mais la seule personne pour qui je l'ai fait, c'était Atumane, et malgré mes avertissements auprès des Masters eh bien... Houston et moi avons été victime de violences. Et parfois, ça me fait mal de me dire qu'Adé le désapprouve autant, parce que ce pouvoir, j'ai mis presque un an avant d'arriver à l'accepter, à ne pas complexer, à l'apprivoiser. Et j'ai mis encore plus de temps avant d'accepter de relâcher mes barrières mentales, pour pouvoir entendre les gens, les sentir en quelques sortes. Enfin, ce pouvoir c'est devenu une part de moi, comme un nouveau sens. »

Elle se gratte un peu la tête. Ce n'est pas vraiment de la colère, ce n'est pas assez fort. Plutôt de l'incofort, de la lassitude.

« Pour être honnête, lorsqu'on a perdu nos pouvoirs au début, elle a sous-entendu que je pourrais maintenant m'habituer à vivre sans ce pouvoir. Et ça m'a fait mal parce que, eh bien c'est moi, ce pouvoir. C'est moi. »

Elle tourne la tête vers Ariana, en lui souriant un peu, comme la remerciant de l'écouter.

Ca n'est pas très agréable de ne pas être prise au sérieux tout court, en fait. Peu importe qu'elle soit un peu enfantine, un peu joyeuse. De toute manière, les gens ont toujours quelque chose à critiquer… Et s'ils ne se moquent pas ouvertement (ce qui n'arrive plus tant que ça depuis son arrivée à Terrae, au final, malgré les séquelles que cela a laissé) ils la considèrent tout de même comme une enfant. Parfois, elle aimerait leur rappeler qu'elle n'est pas une chose fragile à protéger. Elle n'est pas une fleur qu'on ne fait que regarder. Elle sourit malgré tout, maladroitement, un peu amèrement, mais ne répond pas davantage.

Le ventre d'Ariana se tord lorsqu'elle perçoit les pensées d'Alice au sujet du manque de crédibilité qu'elle a envers les gens : elle ne se rend pas compte que tout le monde compte tout le temps sur elle et du nombre de responsabilité qu'elle a à Terrae depuis longtemps, malgré son jeune âge, au contraire… Ce n'est pas vraiment la même chose, pour elle. Personne n'aurait un mot de travers envers Alice. Envers Aria, en revanche…

Un peu perdue dans ses pensées, elle n'écoute qu'à moitié Alice, puis un peu surprise quand elle semble attendre une réponse de sa part.

—Oh, euh… oui ! Ne t'en fais pas. Je comprends que ce soit difficile !

La preuve, Ariana essaie de rester dans sa propre tête, actuellement. La petite rousse pose ses doigts contre la terre et y fait jouer ses doigts… Ca l'aide un peu, lorsqu'elle se perd.

Aria a un petit regard triste, fait la moue. Quelque part, elle comprend Adé, elle n'approuverait pas vraiment non plus. Du moins, elle le pense. Elle n'empêcherait pas Alice de le faire ; simplement, elle pense que laisser les Masters gérer serait peut-être plus judicieux, malgré ses critiques envers eux. Dans tous les cas, Ariana plisse le nez. Elle se souvient, elle était là. Elle les a aidés à se relever, a voulu rester près d'eux pour les soutenir. Pour autant, de la manière dont Alice le prononce, c'est presque comme si… les Masters étaient responsables, eux aussi. Bien sûr qu'Aria leur en a voulus. Bien sûr qu'elle en a voulu au monde entier. Bien sûr qu'elle était en colère. Mais parler avec Akihiko lui a bien fait comprendre une chose : personne ne leur fait confiance. Personne ne leur laisse une chance, une réelle chance d'aider. Personne ne voit ce qui est réellement fait. Tous les manquements sont pointés du doigt. Comme si les autres pouvaient faire mieux…

Les mots qui lui brûlent les lèvres sont éteints par la suite de ses paroles. Haussant un sourcil, Ariana lâche :

—Bien sûr que c'est toi… C'était pas très délicat de sa part. (Elle fait la moue.) Après, peut-être que ce n'était pas vraiment ce qu'elle voulait dire ? Si tu dis qu'elle l'a sous-entendu… 'fin, souvent, j'interprète pas bien ce genre de choses, surtout en sous-texte, justement parce que ça me blesse beaucoup, c'est pour ça que je dis ça. C'est normal que ça t'aie fait de la peine, par contre !! Et c'est pas parce que quelqu'un n'est pas d'accord avec toi ou ta manière de faire que tu dois t'y conformer.

Elle se mordille la lèvre.

—Par contre, je sais pas trop quoi te répondre pour l'autre con—hm, l'autre, mais je vais pas me permettre de juger. Je sais pas comment j'aurais réagi dans ta situation. Je veux dire, je pense pas que surveiller quelqu'un soit notre job, tout simplement, sourit-elle faiblement en traçant des sillons dans la terre poussiéreuse. Vous avez réussi à mettre les choses au clair avec Adé, ou c'est toujours pas tip top ? Enfin, pardon de poser la question, je sais pas si tu as envie d'en parler ?

La confirmation d'Ariana rassure un peu Alice. Tout étant, elle essaierai de faire encore plus attention. Si tant est qu'elle retrouve ses pouvoirs un jour. Elle préfère éviter d'y penser, c'était trop anxiogène et elle verrait bien le moment venu, pas la peine de se rajouter de l'angoisse alors que la situation actuelle de Terrae est suffisamment compliquée.

Ariana lui suggère que peut-être, elle a mal interprété le message d'Adé. Elle hausse les épaules et hoche la tête.

« Peut être bien, je préfererai à vrai dire. Mais ce n'est pas la première fois qu'elle fait ce genre d'allusion. Et en même temps... Je la comprends. Comme je te dis, j'ai beaucoup réfléchi et je pense que je suis plutôt d'accord avec elle. Et puis, justement je suis d'accord avec toi... Je suis allée en parler aux Masters parce que je pensais que ce n'était pas de mon ressort. Enfin, si je pouvais aider j'étais bien contente ! Mais bon, ce n'était pas forcément une bonne chose. Je l'ai aussi un peu fait pour Adé, pour essayer de respecter ce qu'elle pensait, et moi, ce qui me faisait réfléchir. »

Elle ferme les yeux une seconde, évite de se rappeler que peut-être, si elle avait insisté, elle aurait pu amoindrir les dégâts, que peut-être, elle aurait pu comprendre qu'il avait l'intention à un moment donné de s'en prendre à Houston. Et qu'en même temps, elle n'avait pas envie de fouiner plus fort qu'elle ne l'avait déjà fait, qu'elle voulait faire confiance aux Masters pour les protéger. Ce n'était pas sa faute, elle l'avait suffisamment répété pour s'en être convaincue avec sa psychologue. Des fois, ça refait surface, et puis ça repart.

« Oh non, ne t'en fais pas. C'est plutôt toi que ça pourrait embêter d'en parler. C'est gentil de m'écouter, merci Aria. Oui, on en a parlé et ça va mieux à ce propos. Ca va bien tout court en fait. C'est assez amusant de noter qu'Adé manque ma Télépathie parce que cela créait comme un lien entre nous. Tu sais, elle n'aime pas trop parler. Alors parfois, penser était plus simple pour elle. »

Elle sourit à cette pensée, alors que ses cheveux roussissent légèrement.

« Est-ce que ça va d'ailleurs, avec Allen ? La Télépathie ne vous bouleverse pas trop ? »

Ariana acquiesce. Elle voit ce qu'elle voulait dire ; ce qu'elle avait pris pour des excuses justifiant ses actes n'en étaient peut-être pas, finalement. L'important, c'est que maintenant, elle se soit rendue compte que parfois, on ne peut pas agir seul. Alors elle lui sourit, mais ses sourcils se froncent lorsqu'elle termine de parler.

—Quand tu dis "tu l'as fait", tu veux dire… Aller voir les Masters ? Ou simplement prendre de la distance ?

Ses pensées coupables la frappent de plein fouet. Ariana baisse les yeux et lui offre un nouveau sourire un peu plus gêné.

—Tu peux pas savoir si ça aurait changé les choses. Désolée de… enfin, tu vois (elle agite la main près de sa tête pour signifier "lire tes pensées"). Mais… Tu… Tu es vraiment pas fautive ? Et les Masters ne pouvaient pas forcément le deviner non plus. Ce n'est la faute de personne, à part ceux qui vous ont fait du mal.

Et cela, elle le dit sans ciller. Elle frémit un peu, grimace à la suite de la conversation. Pourquoi elle ne voudrait pas en parler ? Enfin, en tout cas c'est plutôt bien, ça montre que la télépathie est confortable, et qu'elle est confortable vis à vis d'Alice aussi, au final. C'est bien de voir qu'elles sont si bien ensemble, qu'elles se soutiennent, même s'il y a des désaccords… Et qu'elles communiquent… Hm… La gorge de la rouquine se serre, elle ferme les yeux très fort. Et malheureusement, Alice pose la question qu'il ne faut pas.

—On n'est plus. Euh. Ensemble. Je crois.

Elle a parlé sans réfléchir, alors elle sourit. C'est crispé, c'est pas un sourire content, c'est même pas un sourire en fait. C'est juste. Nerveux, et elle serre très fort la mâchoire comme pour retenir ses larmes et d'autres mots de sortir. Pourtant elle se sent forcée de justifier sa bourde par d'autres mots.

—J'ai compris qu'il me cachait plein de choses en devenant télépathe. Et qu'il me parlait pas de ses problèmes. Qu'il me... voyait comme… un problème, articule-t-elle, avant de reprendre plus rapidement. Il me fuyait, en fait, et je l'avais pas remarqué parce que je pensais qu'il avait juste besoin d'espace à cause de l'Eclipse. Mais. Ouais. Bref. Y a plus rien à bouleverser, du coup. Hm. C'est. C'est vraiment chouette que ça aille mieux avec Adé, en tout cas. Et que. Bah. Elle. Ait envie de revoir un lien pareil se créer entre vous, aha.

Ses doigts grattent un peu la poussière et la terre… Elle inspire. Allen…
Ah… Elle pleure. Elle garde la mâchoire contractée.

Idiote, idiote, idiote.

Elle secoue la tête.

« Je veux dire prendre de la distance par rapport à ces pouvoirs. C'était ce qui me semblait le mieux. »

Les mots d'Ariana perturbe Alice le temps d'une seconde, avant qu'elle comprenne qu'elle a lu ses pensées. Elle répond à son sourire un peu gêné par une expression rassurante et secoue la tête pour exprimer qu'elle n'y trouve pas de problème. Elle hoche la tête doucement.

« Je sais bien. J'ai décidé d'essayer de ne pas en vouloir non plus à ceux qui l'ont fait. Enfin non. D'être prête à pardonner s'ils le souhaitent. J'aimerai juste qu'on apprennent tous de cette agression et que ce soit mieux ensuite. Ahaha ça doit sonner un peu utopiste... Mais ça m'aide un peu à aller mieux. C'est un peu difficile de ne pas m'en vouloir, mais je sais que ce n'est pas ma faute. »

Elle se gratte un peu la tête. Ce n'est clairement pas évident pour elle, mais elle tient le coup, s'entoure, et essaie d'avancer. Elle se tourne vers la Terre.

« Mais merci Aria. Ca me fait plaisir que tu me dises ça. »

C'était sincère, la jeune femme était vraiment heureuse de l'avoir entendu. Parfois il y a des choses qui résonnent plus fort quand ça vient d'une autre personne, à un autre moment, dans un autre contexte. Et ça faisait vraiment du bien.

Puis vient le sujet d'Allen, et Alice a un léger mouvement de recul lorsqu'Aria lui annonce qu'ils ne sont plus ensemble.

« Je suis désolée, je ne savais pas. Excuse-moi. »

Ariana continue, et tente de lui expliquer. Alice ne veut surtout pas qu'elle se sente obligée de se justifier et qu'elle en soit mal à l'aise. Elle écoute, impuissante, les mots de la jeune femme. Allen la considérait comme un problème ? Elle avait du mal à l'entendre, mais lui faisait confiance. Si elle lui disait, au moins elle l'avait perçu comme tel, et ce n'était pas normal. Et c'était probablement une part de vérité de toute façon. Elle ne sait plus trop quoi dire tellement la situation la prend de court. Et puis ce sont ses mots à propos d'Adélaïde qui la secoue un peu et lui font retrouver ses moyens. Ariana pleure en silence. Alice souffle doucement.

« Est-ce que je peux te faire un câlin ? Est-ce que... tu veux un câlin ? »

D'habitude elle n'aurait pas spécialement hésité, mais avec sa Télépathie, ce n'était pas forcément agréable d'être en contact direct avec une personne, alors elle préfère être prévenante plutôt que de la mettre dans une position encore plus compliquée.

« En tout cas, moi je pense que tu n'es pas un problème. Et que tu ne devrais jamais être un problème. Je ne peux pas me permettre de juger votre relation parce que ce n'est pas la mienne, et je ne connais pas assez Allen, mais tu ne devrais pas être un problème. Tu es une personne à l'écoute, tu es très intelligente, tu comprends vite les autres, et je crois que tu communiques très bien, si on te le permet. C'est peut-être pas grand chose, et je sais pas si ça t'aiderai vraiment, mais je trouve que te considérer comme un problème est stupide. »

Elle s'arrête. Elle n'a pas envie de la forcer à en parler non plus. Est-ce qu'elle en a déjà parlé un peu ? Elle lui semble si triste et désemparée, Alice n'a aucune envie de laisser son amie pleurer sans rien faire.

La rouquine aux cheveux bleu et lilas ramène un genou contre sa poitrine, quelque peu confuse, mais acquiesce. Elle a un peu du mal à concevoir la manière de penser d'Alice ; pas qu'elle ne comprenne pas que l'on puisse pardonner, ou que l'on puisse apprendre de ça, après tout. Mais ressentir de la colère, c'est légitime, pourtant. Elle est un peu perdue, mais ne veut pas la contredire davantage. Après tout, c'est son ressenti, et il est légitime lui aussi.

—C'est pas vraiment utopiste, je trouve ça bien de penser que nos erreurs et celles des autres peuvent nous amener à… faire mieux. C'est comme ça qu'on apprend, aussi. Mais oui, ce n'est pas ta faute !

Elle secoue légèrement la tête et reprend une gorgée de son café, comme pour se cacher derrière, quand elle la remercie. Elle ne sait pas trop bien ce qu'il y a à remercier, elle ne dit que la vérité — la sienne, dans tous les cas.

La discussion glisse lentement sur une pente qu'elle n'apprécie pas beaucoup ; par rapport à Allen. C'est encore trop frais. Beaucoup trop fort. Elle a envie de pleurer juste en y pensant, et, à bien y réfléchir, c'est ce qu'elle fait. Les gouttes tombent sur le sol et se glisse parmi l'herbe. Ce n'est pas agréable comme émotion, elle préférerait l'étouffer, la noyer, la déchirer, la faire sombrer plus loin, plus fort. D'autant qu'elle entend, qu'elle perçoit toute la peine d'Alice à son égard, les questionnements perplexes, les craintes, puis ses excuses — celles-là sont réellement prononcées.

—T'excuse pas, c'est pas de ta faute, sourit faiblement Aria, comme un en écho à ces mots qu'elle a déjà prononcé quelques minutes plus tôt.

C'est vrai. C'est de la faute de personne, ça aussi. À part de la sienne, sûrement — elle a été trop envahissante, trop mal, et elle n'a pas su se gérer. Allen l'a quittée parce qu'elle n'était pas assez attentive à lui, donc elle l'a bien mérité, finalement.

Sa demande — proposition — la laisse coite quelques secondes, puis, le visage crispé dans ses larmes, acquiesce. Elle se laisse prendre dans les bras et se blottit presque contre Alice, en reniflant à moitié. Elle l'écoute lui parler mais ne sait pas trop quoi répondre, elle non plus — elle a du mal à distinguer ce qui est pensé et parole, mais dans tous les cas, ça lui fait un peu de bien. C'est dur pour elle. Parce qu'elle se sent toujours responsable — qu'elle se demande si elle n'aurait pas dû insister davantage ou si, au contraire, elle n'a pas un peu trop insisté. Dans ses larmes, elle renifle :

—Pourtant c'est vrai… Je suis un problème. Il va vraiment pas bien, et je l'ai pas compris, et c'est de ma faute. Il s'inquiétait que je sois près de lui, il voulait pas que je reste… Je crois que s'il m'avait dit qu'il me détestait, ça aurait fait tout aussi mal.

Alice sourit doucement à Ariana. Entendre quelqu'un le lui dire aussi, c'était un peu rassurant. Puis la jeune femme se renferme, et c'est bien normal après les questions maladroites d'Alice. Non c'est vrai, ce n'est pas sa faute, mais elle n'aurait peut être pas dû poser la question, lui rappeler des choses douloureuses encore une fois.

Lorsqu'elle accepte son câlin, Alice vient doucement l'entourer de ses bras et la prendre contre elle. L'avantage, c'est qu'elles sont toutes les deux petites, et qu'Alice peut la réconforter en entier. Elle l'écoute lui répondre qu'elle est un problème. Alice ne la contredira pas plus, si elle ressent comme ça, alors peut être que c'est vrai. Mais ça ne veut pas dire qu'elle est le seul problème. Peut-être qu'Allen n'avait pas non plus su le lui dire, la comprendre, échanger avec elle, comme Ariana devait avoir fait des erreurs, comme ne pas remarquer le mal être de l'ancien Sonore.

Elle se tait un peu, la garde contre elle doucement.

« J'imagine que ça doit être vraiment difficile. Si je peux faire quelque chose, je suis là. »

Elle sourit doucement. Ce n'est pas facile, et c'est le genre de moment où il n'y a pas grand chose à dire, ni à faire, à part être présente, et écouter.

Ca fait tout bizarre d'avoir quelqu'un pour la câliner. Elle n'a plus trop l'habitude, depuis qu'elle s'est séparée d'Allen. Oh, bien sûr, il y a Zola, mais ce n'est pas tout à fait pareil, elle n'oserait pas rester longuement blottie dans ses bras. Avec Alice, c'est un peu différent. Elle a cette espèce de douceur calme qui l'apaise, qui la fait se sentir plus en phase avec elle-même. Est-ce parce que ses pensées sont aussi paisibles que le lac aujourd'hui ? Pas agité pour un sou par le vent. Ca ne fait pas aussi mal que lorsqu'elle est en compagnie de tout un tas de monde. Ca ne fait pas aussi mal que lorsqu'elle a lu dans les pensées d'Allen.

La blessure se rouvre bien grand dans sa poitrine.

—Merci, chuchote Ariana.

Elle ne sait pas bien ce qu'il y a à faire. Ce qu'il y a à dire. C'est vrai que parfois, juste se faire écouter, ça fait du bien. Être entendue. Pouvoir dire les choses…

Sans doute aurait-elle aimé pouvoir dire les choses à Allen aussi. Qu'il lui dise les choses, aussi. Pouvoir dialoguer. Être présente pour lui. … Qu'est-ce qu'elle a loupé…

Elle renifle et, doucement, se recule pour ramener ses jambes contre sa poitrine.

—Je crois que j'aurais aimé qu'il me parle. J'aurais aimé qu'il me dise ce qu'il pense plus tôt… Pour qu'on puisse faire en sorte d'aller mieux ensemble...

Il ne devait vraiment pas m'aimer pour ne pas chercher à réparer les choses.

Levant les yeux vers le ciel, Ariana sent ses yeux couler, encore et encore. La coupure du lien avec l'eau est d'autant plus déchirante aujourd'hui.

—Qu'est-ce que je peux faire pour réparer les choses ?

"Mais est-ce que j'ai le droit de les réparer ? Est-ce qu'il le souhaite ?
… Il ne veut plus me voir…"

—Ou alors... on n'est vraiment pas faits pour être ensemble ? chuchote-t-elle.

Ses épaules tressautent. Ramenant ses petits poings contre ses yeux, elle laisse aller ses pleurs sans honte, pour une fois.