Ce soir, comme tous les autres soirs, je suis de sortie. Enfin non, j'exagère, j'ai dû ralentir un peu la cadence après que mon corps ait clairement dit merde à mes excès... Ce n'était plus possible de continuer à ce rythme tout en conservant mon travail à la boutique, j'ai donc bien été forcée de réduire un peu. Oui, je suis quand même encore assez lucide pour me rendre compte que j'ai besoin de ce job, c'est ma seule source de revenu, et surtout, le dernier rempart qui m'empêche de tomber dans cette spirale auto-destructrice qui s'ouvre sous mes pieds - ou plutôt qui m'empêche d'y plonger tête la première, parce que je crois que j'suis tombée dedans il y a un moment déjà... Je cantonne les sorties, l'alcool et les pilules magiques à 3 ou 4 fois sur la semaine maximum, et les autres soirs je me contente de m'enfumer seule dans ma chambre. L'herbe a cet avantage non négligeable de bloquer mes pensées et m'aider à dormir...

Mais aujourd'hui, c'est samedi, la boutique est fermée demain donc je peux m'en donner à coeur joie sans craindre de ne pas réussir à me lever le lendemain. J'ai passé le début de la soirée au bar, comme d'habitude, et j'ai rencontré un type, un Feu - Randy qu'il s'appelle, quel nom de tocard ! Il n'est pas très intéressant, mais il m'a payé suffisamment de tournées pour que sa conversation ne m'importe plus vraiment. Et puis, il embrasse bien, ça me suffit.

J'avais envie de danser, alors on a fini par bouger jusqu'à la boîte de nuit. Les basses assourdissantes coupent court à toute conversation, et c'est par le langage des corps qu'on continue à communiquer. Il bouge bien, j'aime sa façon de me toucher sans jamais aller trop loin, faisant graduellement monter la température jusqu'à ce qu'on craque tous les deux et que je le ramène à ma chambre. Je lui glisse à l'oreille que j'ai besoin d'aller au petit coin, l'alcool a tendance à remplir ma vessie bien trop rapidement ! Je l'embrasse et lui mords la lèvre avant de me diriger vers les toilettes. Il me claque les fesses une fois que j'ai le dos tourné, et je pivote la tête vers lui en gloussant comme une poule, un sourire en coin sur les lèvres. Au moment où je me retourne pour continuer ma route, je bouscule quelqu'un et sens une giclée de liquide froid me recouvrir le bras. Merde.

"Oh, pardon, je t'avais pas vu ! ... Allen ?! Mais que... Qu'est ce que tu fais ici ?"

Voir mon ami ici me fait l'effet d'une douche froide, et mon degré d'alcoolémie chute instantanément. Sans qu'on soit entrés dans les détails de son histoire, je sais qu'il a eu quelques problèmes d'alcool et qu'il ne boit plus, aussi je ne m'étais jamais vraiment inquiétée de le croiser au bar ou en boîte. Il sait que je broie du noir et que j'ai du mal à remonter la pente depuis mon Etoilisation, mais j'ai gardé le silence sur ma double-vie nocturne. Je ne veux pas qu'il s'inquiète... Non, c'est faux, j'ai surtout peur qu'il me juge. Parce que c'est la seule personne à Terrae dont l'opinion est toujours importante pour moi, et j'ai honte qu'il me voie comme ça. Honte de ce maquillage bien trop chargé qui couvre mon visage, honte de cette robe trop courte et décolletée qui marque ma perte de poids, et surtout, honte de cette attitude de fille facile et désinvolte que j'adopte en soirée. Ce n'est pas moi, tout ça. Ou plutôt, c'est une partie de moi dont je ne suis vraiment pas fière, et que j'aurais préféré qu'il ne découvre pas ! Je tire maladroitement sur ma robe pour essayer de couvrir un peu plus mes cuisses, ayant pour seul effet de dévoiler mon décolleté encore plus qu'il ne l'est déjà. Je suis ridicule et pathétique, et j'ai honte, tellement honte de moi... Pourquoi a-t-il fallu que je tombe sur lui ce soir ?

Je ne sais pas ce que je fais là.

Je crois que nombre de mes aventures commencent de la même façon. A croire que je ne sais jamais bien ce que je fais dans mes journées et que je finis toujours dans des situations qui échappent à mon contrôle, c'est fou.

Nan, en vrai, j'avais bossé aujourd'hui à la boutique, le samedi étant le jour où je prenais tarif au travail, vu que ma semaine était relativement allégée pour me permettre de suivre les cours en présentiel à l'université. En quittant, j'avais rendez-vous avec ma psy, alors je m'y étais rendu sans trop traîner. L'évolution était assez frappante quand même, quand je voyais l'état dans lequel j'étais il y a à peine un an. C'était encore loin d'être parfait, mais je constatais quand même que j'étais clairement moins déprimé, et quelque part, ça faisait du bien de ne plus se sentir un poids pour les autres. Après, c'était approximatif, j'avais encore vachement de mal à entrer dans les interactions sociales avec certaines personnes, et je préférais toujours observer de loin, mais on dira que ça c'était de la déformation professionnelle due à mes études en sociologie.

A la fin de mon rendez-vous, j'étais rentré, et j'avais relu un des dossiers que je devais rendre pour la semaine prochaine à la recherche d'éventuelles coquilles. Une fois le travail officiellement terminé, je m'étais rendu à la cafétéria pour manger, et j'avais alors croisé certains types de mon étage avec lesquels j'avais pris l'habitude de dîner le soir pour pas être tout seul à ma table. J'leur parlais pas plus que ça, d'ailleurs je connaissais le nom que d'un seul des types, celui qui me disait bonjour tous les jours et s'enquerrait toujours de mon état. Bref, j'étais pas la plus bavard de la table, mais un peu d'animation ne me faisait pas trop de mal alors c'était sympa de juste les écouter parler.

Une fois le repas terminé, j'avais suivi le mouvement et je m'étais levé pour débarrassé mon plateau ; c'est là qu'ils ont commencé à parler de sortie. Evidemment que moi j'avais déjà voté mentalement pour rentrer pénard dans ma chambre et lire jusqu'à ce que le sommeil emporte la bataille. Mais visiblement, Mathieu n'était pas de cet avis, parce qu'il s'est tourné vers moi avec des yeux pétillants de malice. Non. Non non non non non s'il te plaît.

Et en fait si.

Oui oui, j'ai perdu la bataille, évidemment que j'ai perdu la bataille, j'suis le mec avec le moins de volonté de la Terre ! Et puis, imaginez, j'aurais pu croiser Aria. J'aurais pu voir ce qu'elle faisait de ses soirées...

Et bien non. J'me suis retrouvé ici en suivant le mouvement ; ils ont bu comme des trous avant, before chez Abdel apparemment (lui je connaissais pas son nom), puis après tout le monde s'est dirigé vers la boîte de nuit après avoir tenté par divers moyens de me faire boire, sans succès. Ils sont fous eux, j'ai pas envie de finir dans le même état qu'eux et, SURTOUT, j'ai certainement pas envie de replonger alors que je commence seulement à voir des résultats !

J'arrivais donc dans la boîte avec le groupe ; le passage au vestiaire fut assez vertigineux, mais je finis par prendre la relève parce qu'ils étaient vraiment trop long, et que la nénette qui tenait le poste devait vraiment en avoir marre. Une fois à l'intérieur, j'indiquais que j'allais aller prendre une table pendant qu'ils se re-commandaient des verres, et je les attendis donc assis dans un coin, traînant sur mon téléphone. Quand ils revinrent, je décidai d'aller aux toilettes, et disparus donc de leurs rayons quelques courts instants ; juste le temps d'aller vider un peu ma vessie. Sur le chemin, j'en profitai pour commander un verre de coca, puis fis volte-face pour retourner rejoindre le groupe. C'est terrifiant, j'ai l'impression d'être un daron qui surveille un groupe d'ado là, en fait.

Alors que je faisais demi-tour, je bousculai quelqu'un sans faire exprès. Je ne pus qu'écarquiller les yeux en constatant qu'il s'agissait de Pandora. Je fronçai légèrement les sourcils en baissant les yeux sur sa tenue, ancrant mon regard dans le sien visiblement paniqué, bien que pétillant à cause de l'alcool.

Quand je vis le malaise se peindre sur son visage et envahir ses gestes, je sentis mon coeur s'alourdir et je grimaçai. J'avais l'impression d'être face à moi, en version féminine, quelques années plus tôt, quand je buvais pour oublier.

Un mince sourire étira le coin de mes lèvres. Je n'approuvais pas. Mais je n'étais personne pour la juger. Surtout que la honte qui animait chacun de ses traits était déjà une punition bien suffisante en soi.

-Désolé pour le coca, je ne t'ai pas vue arriver ! J'espère que ça ne t'a pas tâché ?

Je lui ébouriffai les cheveux.

-Je suis venue avec d'autres gars de l'étage des Airs. Enfin, ils m'ont traîné ici et j'ai pas réussi à dire non... Je crois que mon livre m'appelle encore sur ma table de chevet.

Je vois le regard d'Allen baisser sur ma tenue, avant de remonter vers mon visage. Et il ne dit rien. Il sourit, s'excuse même de m'avoir bousculée - alors que c'est moi qui lui suis rentrée dedans. Il m'ébouriffe les cheveux. Son geste d'affection favori, qui est un peu devenu notre petit "truc" à nous. J'aurais préféré qu'il me fasse une remarque, ou même qu'il m'engueule, ça m'aurait sans doute fait moins mal que cette désapprobation silencieuse que je lis dans son regard. Je force un sourire, qui doit ressembler plutôt à une grimace.

"T'inquiète, le noir masque les tâches. J'allais aux toilettes de toute façon, je vais pouvoir me rincer..."

Il m'explique ensuite qu'il est venu ici avec d'autres gars de notre étage - contre son gré visiblement. Je tourne la tête dans la direction qu'il m'indique et reconnaît quelques visages, ces personnes anonymes que je croise tous les jours, à qui je dis bonjour sans même savoir leur nom. Je ne savais pas que le brun était ami avec eux, je serais presque étonnée de le découvrir plus sociable que moi ! Je hausse les épaules à sa remarque.

"Ils ont l'air bien entamés, pourquoi tu ne te défiles pas en douce ? Je suis sûre qu'ils ne s'en rendraient même pas compte !"

Et moi, ça m'arrangerait bien qu'il ne soit pas là. Parce que je ne peux juste pas retourner à ma soirée tout en sachant qu'il va m'observer de loin... Même s'il s'en va d'ailleurs, je ne suis plus du tout d'humeur. Je sens soudain un bras m'entourer les hanches et me retrouve pressée contre un corps chaud. Merde, Randy, je l'avais presque oublié celui-là ! Mauvais timing...

"Alors poupée, on s'est perdue en chemin ?"

Je grince des dents. Quel beauf, il se prend pour qui à me faire des remarques de ce genre ? J'ai encore bien le droit de discuter avec un ami, non ? Je me racle la gorge d'un air ennuyé avant de forcer un sourire très faux.

"Mh oui, désolée. Randy, Allen, un collègue. Allen, Randy..."

Je laisse ma phrase en suspens. Randy, ma conquête de ce soir ? Super, comme si la situation n'était pas déjà assez embarrassante comme ça. Et maintenant quoi, hein ? Je pars avec le Feu en faisant comme si rien ne s'était passé ? Remarque, ce serait encore le plus simple. Après tout, Allen est le maître dans l'art balayer ce qui dérange sous le tapis, je peux bien faire la même chose une fois de temps en temps...

Je haussai à mon tour une épaule à sa remarque, réfléchissant à la tentation de partir et de les abandonner là, puis je secouai finalement la tête.

-Mouais. Faut bien quelqu'un pour les surveiller. Et puis en soi, j'ai rien d'autre à faire chez moi. Au moins ça me permet de voir un peu comment les gens vivent...

Ce qui peut être utile quand on est en socio.

Je quittai le petit groupe du regard pour reporter mon attention sur Pandora, qui, visiblement, aurait préféré être n'importe où ailleurs plutôt qu'en face de moi. Je me pinçai les lèvres, puis arquai un sourcil quand un type marcha de manière pas franchement équilibrée dans notre direction, se jetant littéralement sur Pandora. Mes yeux se fixèrent instantanément sur la main qui se posa sur ses hanches et je relevai le regard vers Pandora, comme attendant de la voir le bouger de là. Au lieu de ça, elle se tourna vers moi pour faire les présentations. Et là, le souffle me manqua. Je fronçai légèrement les sourcils, ancrant mon regard dans celui de mon amie.

-Un... collègue ?

Je restai un petit instant interdit. Je savais qu'elle n'allait pas bien. Je savais aussi qu'elle avait besoin de décompresser, et quand bien même ça passait par un comportement que je ne pouvais pas encourager, je n'étais personne pour la juger. J'étais passé par là, je savais ce que ça faisait. J'avais laissé l'alcool l'emporter et j'en avais payé le prix, mais je savais aussi d'expérience qu'avoir toujours quelqu'un sur le dos à nous faire la morale n'aidait en rien, alors je n'avais jamais rien dit à ce sujet à mon amie. Elle était de toute façon plus avertie et intelligente que moi, je savais que tôt ou tard elle reprendrait ses esprits.

Alors être appelé là, maintenant, face à l'une de ses conquêtes (et mon instinct me disait que ce n'était pas la première), un simple "collègue", je devais avouer que c'était blessant. Parce que j'avais toujours essayé de la soutenir sans la juger. Et rien qu'à l'instant, quand elle m'avait bousculé, je n'avais rien dit.

Je quittais finalement du regard Pandora pour le poser sur le fameux Randy, et levai mon verre désormais quasiment vide à son intention.

-Et bien Randy, santé mon gars ! Tu as tiré le gros lot ce soir, apparemment ! Félicitations gros !

Je hausse un sourcil à l'explication d'Allen ; il veut vraiment me faire croire qu'il reste juste pour observer la faune locale ? L'idée me traverse soudain l'esprit qu'il a peut-être accepté de suivre le groupe jusqu'ici dans l'espoir de croiser une certaine personne en particulier... Mais il n'en est plus à ce point-là quand même, si ? Je me rends compte qu'il y a des mois que je ne lui ai pas demandé de nouvelles sur sa non-relation avec Aria, ou même s'il avait rencontré quelqu'un d'autre, sait-on jamais... C'est dingue ce que la tristesse rend égocentrique, lui qui est toujours là pour moi, je ne suis même pas foutue de lui rendre la pareille ! Je me mords la lèvre avec culpabilité, j'ai envie de m'excuser, de lui parler, mais ce n'est ni le lieu ni le moment...

L'arrivée de Randy me sort de mes pensées et rend la situation encore plus gênante qu'elle ne l'était déjà. J'ai juste envie de disparaître, mais au lieu de ça, je m'entends faire les présentations comme si tout était normal. Et là, je capte le regard d'Allen, qui se plante dans le mien avec insistance. De l'étonnement, de la déception, et surtout... Je vois bien que je l'ai blessé. Mais il s'attendait à quoi aussi ? "Allen, mon ami, mon meilleur ami, mon seul ami". Bien sûr que je ne vais pas le présenter comme ça ; je m'efforce de garder ma vie nocturne complètement séparée du reste, ce n'est pas pour commencer à présenter mon ami à mes plans culs quand même ! Un collègue, c'est bien, c'est impersonnel... Lorsqu'il détourne finalement les yeux pour féliciter Randy d'un ton sarcastique qui ne lui ressemble vraiment pas, je ne peux que baisser les miens, honteuse.

"Bon euh... Au final je n'ai jamais été au petit coin ! Je reviens dans 2 minutes, hein..."

Oui, très clairement, je fuis. Je ne sais juste pas quoi dire et j'ai l'impression que quoi que je dise de toute façon, je vais m'enfoncer. Alors je cours me réfugier aux toilettes comme une lâche, abandonnant les deux garçons derrière.

Randy a bien capté la soudaine tension entre ces deux-là, mais comme il n'est pas très malin, il a tout compris de travers. En tout cas, il est bien décidé à marquer sa supériorité et à ne pas laisser la brune lui filer entre les doigts. Profitant d'être seul à seul avec le "collègue", il se penche vers lui, un sourire suffisant sur le visage.

"T'es l'ex encombrant, ou le pote trop timide pour déclarer sa flamme ? Crois pas que j'ai pas remarqué ton petit manège. Mais j'te le dirai pas deux fois mon gars, ce soir, elle est à moi, pigé ?"

Et s'il faut, il est prêt à lui coller une raclée, à ce minus !

Je dus me faire violence pour ne pas rouler des yeux quand Pandora annonça qu'elle allait enfin aux toilettes. Un soupir m'échappa et je reportai mon regard vers le type qui s'était ramené pour elle, et qui se retrouvait à présent seul avec moi.

Lorsqu'il prit la parole pour s'adresser à moi, j'arquai un sourcil, un sourire amer venant étirer le coin de mes lèvres. Pardon, il raconte quoi là ?

Plusieurs sentiments se partagèrent en moi, et je dus avouer que c'était tout sauf agréable.

D'une part, il y avait l'envie de protéger mon amie. Ce type était clairement un vaurien. La seule chose qui l'intéressait, c'était son corps, et il n'y avait une once d'intelligence dans ce cerveau. D'ailleurs, la seule chose qui l'intéressait, c'était le corps de Pandora pour SON plaisir à lui. Grosso modo, t'es un morceau de viande Pando.

Mais d'autre part, il y avait ce "collègue" qui me restait en travers de la gorge. Après tout, elle le savait bien, et visiblement, elle n'avait pas besoin de mon aide, elle préférait plutôt que je parte. Je fis d'ailleurs enfin le lien avec ce qu'elle m'avait dit avant, concernant une possible fuite pour rentrer chez moi maintenant que l'entièreté du groupe était alcoolisée, et je soupirai.

Je finis par hausser une épaule, reprenant la parole pour répondre à l'autre abruti.

-T'inquiète pas, j'vais même pas chercher à t'empêcher de serrer ta proie, vieux. J'suis qu'un collègue, t'as bien vu. Ce serait déplacé de réagir.

Alors qu'il fronçait les sourcils, se sentant visiblement menacé quand même, je levai les yeux au ciel.

-Oooh c'que t'es relou. Si t'as si peur que ça c'est que tu dois bien manquer de confiance en toi, alors que...
-Mais ta gueule !

Je n'eus pas le loisir de terminer ma phrase qu'il partit au quart de tour, m'insurgeant de tous les noms d'oiseaux qu'il devait connaître. Je le regardais sans répondre, arquant un sourcil. Plaît-il ?
Je soupirai une énième fois avant de désigner la porte des toilettes du menton.

-Ta dulcinée semble être de retour, l'interrompis-je.

La culpabilité commença à monter. Ouais, j'aurais peut-être dû le placer ce "Par contre, si tu la fais souffrir, j'te pète les dents.".

Une fois aux toilettes, je m'autorise à souffler un coup, et en profite quand même pour vider ma vessie pleine. J'suis bien là, assise sur la cuvette, et je me tâterais presque à rester cachée ici... Enfin, si l'excitée de l'autre côté de la porte se décidait à arrêter de cogner dessus comme ça ! C'est bon, j'ai compris, encore une qui a trop bu et a peur de redécorer ses escarpins hors de prix... Pas comme si je pouvais me permettre de juger hein, mais bon.

"Ouais, deux secondes, je pisse là !"

Je me relève, remonte mon string et abaisse ma robe avant d'ouvrir la porte. J'ai à peine le temps de sortir de la cabine, qu'une blonde s'y engouffre et s'agenouille devant la cuvette. J'vous passe les détails sonores, hein... Je soupire et me plante devant le miroir, me passant les mains sous l'eau, avant de m'asperger le visage. Bon, il faut bien que j'y retourne, même si je ne sais toujours pas quoi dire... Ni à Allen, ni à Randy. Le fait est que j'ai juste envie de rentrer là, et fumer un pétard digne des posters de Bob Marley pour oublier cette situation moisie.

La remarque du brun sur le manque de confiance en soi a piqué Randy en plein dans sa fierté, et il l'empoigne par le col dans un accès sanguin bien typique des Feux. Juste au moment où je reviens près des deux garçons en fait, et ce petit spectacle me fait accélérer le pas pour intervenir avant que les choses ne dégénèrent. Bon, c'est génial, je ne l'avais pas vue venir celle-là ; est-ce qu'il s'est excité tout seul, ou bien Allen l'a chauffé ? C'est étrange à dire, mais ça m'étonnerait de sa part, tout autant que ça ne m'étonnerait pas du tout en fait... Je m'interpose entre les deux, écartant les bras pour les maintenir à distance de sécurité, avant de tourner la tête pour regarder Randy.

"Wow, qu'est ce qui se passe là ? C'était nécessaire la démonstration de testostérone ?"

Je sais que j'ai dit vouloir rentrer pour ce soir, mais si on pouvait éviter de se faire jeter dehors comme des malpropres avec un ban d'entrée, ce serait bien aussi... Je tourne ensuite ma tête vers Allen et plisse les yeux d'un air mauvais.

"Qu'est ce que tu lui as dit ? Tu peux pas juste retourner d'où tu viens et continuer à n'en avoir rien à foutre, hein ?"

C'est petit, et je le regrette dès que les mots sont sortis de ma bouche. Je sais bien qu'il n'en a pas rien à foutre, et que sa manière à lui d'être là pour moi, inclut justement de ne pas me chaperonner et me sermonner comme une gamine. Mais franchement, parfois j'aimerais mieux qu'il m'en fasse, des remarques. Et surtout, qu'il les fasse à moi plutôt qu'au pauvre type sur qui j'ai mis le grappin ce soir !

Je crois que ce fut la goutte d'eau qui fit déborder le vase.

Lentement, j'ancrai mon regard dans celui de "Randy" alors qu'il me saisissait par le col, visiblement dérangé par ma réflexion. Je restai quelques secondes interdit, sans véritablement comprendre ce qu'il attendait de moi après ce geste. Que je me batte ?

Je n'avais pas franchement prévu de réagir, et j'attendais donc de voir jusqu'où ce type était prêt à aller dans sa connerie, quand Pandora revint des toilettes à ce moment-là, se tournant en premier vers son chéri pour remettre les points sur les i. Puis évidemment vint mon tour. Parce que oui, j'étais complètement responsable.

Je la fixai avec un air de reproche dans le fond des yeux. Je finis par détourner le regard en soupirant, ne sachant même pas quoi répondre. J'hallucinais. Clairement, ça allait être de ma faute. C'était de ma faute si je l'avais croisée ici, complètement jetée, accompagnée de ce bon à rien prêt à m'en coller une après m'avoir verbalement agressé pour ne pas que je touche à sa proie du soir. Et le pire, c'est que je n'avais même pas essayé de la défendre ! J'avais juste subi gratuitement, et je me retrouvais là, dans cette situation merdique parce que son putain de mec avait pas confiance en lui. Comme si j'pouvais juger en plus, avec le suivi psy que j'ai !

J'ouvris la bouche en tournant la tête vers Pandora, mais la refermai aussitôt, ne sachant pas quoi dire. J'avais bien conscience que peu importe ce que je pouvais dire, ça me retomberait dessus de toute façon. Alors, agacé, je finis par passer une main sur ma chemise, replaçant mon col après que l'autre cinglé m'ait attrapé.

-Tu sais quoi ? T'as raison. Et je vais donc m'en aller de ce pas. Bonne soirée chère collègue, profite à fond !

Je m'abstins de faire tout autre commentaire, ma langue ayant déjà fourché sur l'appellation de "collègue". Si j'avais toujours fait l'effort de ne pas le juger, il fallait croire que ce soir, les choses avaient changé.

Je quittai donc l'heureux couple, et partis rejoindre le groupe de mecs avec lequel j'étais arrivé. Ptn mais j'avais même plus envie de rester. Du coin de l'oeil, j'observais Pandora, la gorge nouée. Ok, il faut vraiment que je me casse d'ici, sinon je sens que je vais craquer et me commander un verre avec autre chose que du coca à l'intérieur.

Je vidai donc le fond de mon verre de soda, et pris la direction de la sortie après avoir prévenu les garçons que je repartais, évitant soigneusement de passer à proximité de Pandora et de son mec. De toute façon, ils avaient mon numéro si besoin.

Je vois Allen ouvrir la bouche, puis la refermer sans rien dire, retenant sans doute une remarque aussi minable que la mienne. Il a plus de self-control que moi il faut croire... Il finit par lâcher que j'ai raison, et s'en va non sans me souhaiter une "bonne soirée" d'un ton qui indique tout le contraire. Je le regarde retourner vers le groupe de gars avec qui il est venu tout en grommelant dans ma barbe.

"Ouais c'est ça, casse toi, j'ai pas besoin d'toi de toute façon."

C'est faux. Totalement faux. Bien sûr que j'ai besoin de lui, et que les seuls moments où je me sens bien dernièrement, sont les moments que je passe avec lui. Je devrais le rattraper et m'excuser avant qu'il ne soit trop tard, mais ma mauvaise foi et ma fierté, amplifiées par l'alcool, m'en empêchent. Alors je me contente de l'observer de loin en marmonnant, énervée contre moi-même bien plus que contre lui. Au final, il n'a rien fait de mal, à part se retrouver là au mauvais endroit au mauvais moment !

"Quel tocard celui-là !"
"Ta gueule, Randy. Paye-moi à boire plutôt."

Parce que là, je vais avoir besoin d'une bonne dose d'alcool pour me remettre dans le mood de la soirée et réussir à passer au-dessus de cet accrochage. Je me dirige vers le bar pour commander, le Feu sur les talons.

"Un rhum, double. Triple. Autant que tu peux en mettre dans le verre, en fait !"

Le serveur s'exécute - après tout, le client est roi, et tant que je paye... Enfin, que Randy paye plutôt ! C'est de sa faute tout ça, il n'aurait pas pu rester à l'écart quelques minutes, non ? Je tourne la tête et regarde vers le groupe des Airs, mais Allen semble être parti pour de bon. Je me retourne à nouveau vers le bar d'un air rageur et me saisis du verre  que je bois cul-sec, retenant une grimace au goût prononcé de l'alcool. Un shot, ça va, mais là ça fait beaucoup d'un coup ! Mais il me faut bien ça. Il me faut plus que ça même, ce soir, je me mets totalement minable.