— Wow, ça a l'air sérieux...
— C'est carrément tordu, là !
— Mais n'importe quoi, c'est juste rouge !

Senri était assis par terre, son gant droit entre les jambes tandis que les trois autres initiés avec qui il s'entraînait, regardaient son poignet. Le tonnerre avait proposé aux trois autres de s'entraîner ensemble. Comme le club d'auto-défense prohibait l'utilisation des pouvoirs, ils avaient convenu de s'entraîner à l'arène pour mêler pouvoirs et corps à corps. Sauf que, quand Senri avait lancé son poing pour atteindre l'un d'eux, il avait dressé autour de son bras un bouclier de terre sur lequel le poing de Senri s'était tordu.

Agacé par la panique des trois autres et le fait qu'elle ne lui était communiquée que par leurs piaillements et non son pouvoir de sensitif, il soupira tout en se levant.

— C'est rien, je vais à l'infirmerie poser de la glace. Ça suffira.

Les trois autres le regardèrent, mi-inquiet, mi-effrayé par le fait qu'il ne leur ait pas hurlé dessus comme d'habitude. Il retira la lanière de son deuxième gant avec ses dents et prit le chemin des vestiaires de l'arène pour récupérer affaires et effets, sans prendre le temps de se changer. Il passa rapidement sa main droite sous l'eau, mais celle-ci continuait de le lancer.

Il espérait que ce n'était rien, à force de se blesser, les membres de l'hôpital et de l'infirmerie avaient eu pour consigne de ne pas utiliser de pouvoir de guérisseur sur lui. Chose qui énervait l'adolescent. Eux, qui avaient accès à leurs deux pouvoirs, étaient réticents à l'utiliser, tandis que lui, n'avait jamais pu noter la moindre manifestation de son pouvoir de sensitif depuis la fin de l'éclipse. Et même lors de son étoilisation, il ne s'était rien produit de ce côté.

Alors qu'il ruminait ses pensées, il arriva devant la porte de l'infirmerie. Il toqua de sa main valide et rentra. Sa main droite, maintenue devant lui, dans une position étrange. C'était effectivement tordue.

— Euh, y a quelqu'un ? C'est pour de la glace. 

On vient de recevoir de nouveaux bandages et pansements de la part de l'hôpital mais c'est l'heure de la pause... Je me propose aussitôt de le faire pour que ma responsable puisse prendre l'air. Je la convaincs en disant que j'étais en retard ce midi parce que j'ai sorti Roda, alors c'est bien le moins que je puisse faire. Elle n'insiste pas trop, elle a des dossiers médicaux de cas particuliers à renvoyer. Je lui souris et lui fais un petit signe de la main alors qu'elle sort de l'infirmerie. Je pousse un soupir, mets les mains sur mes hanches et me dirige fière et conquérante vers le carton de pansements pour aller les mettre dans l'étagère.

Ça fait pas longtemps que je travaille à l'infirmerie de Terrae, mais je m'y sens déjà un peu comme chez moi. La première fois que les infirmières m'ont vue dans ma veste blanche et le bandeau caractéristique dans mes cheveux en chignon, elles m'ont comparée à un p'tit ange -en même temps blanc sur blanc sur blanc, ça fait blanc... J'crois que je suis devenue leur chouchoute. Elles ont jamais remis en question le fait que je porte parfois des jupes au travail, ont rapidement commencé à s'adresser à moi au féminin quand elles ont compris qui j'étais au fond de moi. Alice m'avait prévenu que tout se passerait bien, mais j'ai encore du mal à en parler si ce n'est pas elle ou ma psy.

Mais le meilleur dans tout ça c'est que je peux utiliser mes pouvoirs de Guérisseuse. Depuis la fin de l'éclipse j'avais mûrement réfléchi à ce que je pouvais faire de ça et il m'était paru évident que j'allais devenir folle à ne rien faire... J'avais envie de soigner les petits bobos de terraens que j'ai vu tant peiner durant cette année étrange... Je voulais soutenir comme j'avais été soutenue. Et quand j'ai vu qu'on cherchait de l'aide de la part d'un Guérisseur pour l'infirmerie de l'Institut, je n'ai pas réfléchi longtemps. Tout comme je ne réfléchis pas plus longtemps quand j'entends toquer à la porte... C'est forcément un malade, ma responsable entre toujours sans toquer. Je me dépêche de refermer l'étagère et de me retourner.

-Oui ! Excusez-moi je-... Chiri !

Ma joie éclate dès que mes yeux se posent sur le visage de mon ami. Je suis toujours heureuse de le voir et mon sourire s'agrandit automatiquement. Je vais pour le rejoindre mais je bloque quand je baisse un peu les yeux... sur sa main tordue et violacée. Et toute ma joie s'évapore pour faire place à de l'inquiétude, si forte qu'elle me perce le cœur. :

-Chiri ! je répète cette fois sans sourire, m'approchant pour examiner sa main de plus près. Qu'est-ce qu'il s'est passé ?!

Parce que je suis peut-être novice mais c'est pas en soulevant des portes qu'on se fait une entorse pareille au poignet mon bon monsieur !... Ce n'est pas trop grave au moins ?... Sans lui demander son avis, je m'empare de son avant-bras, évitant de toucher la zone blessée, d'une main... De l'autre, je fais glisser mes doigts légers sur l'hématome... Le corps humain est un grand réseau où grouille la vie infiniment petite... Les globules rouges comme des petites fourmis qui transportent l'oxygène, des battements de cœur comme le mouvement des ailes d'un papillon, la mélodie de l'air qui pénètre les poumons comme le chant d'un grillon. Je murmure, mes yeux rivés sur le chaos qui règne dans le corps du Tonnerre. :

-Ce n'est pas déchiré, heureusement. L'œdème est impressionnant à cause de l'inflammation... je lève mes yeux réprobateurs sur lui. Tu ne l'as pas mis tout de suite dans de la glace, c'est ça hm ?! Viens par là !

...C'est pas la deuxième fois que je le traine derrière moi pour le soigner ? Décidément, j'aurais dû deviner plus tôt que j'étais faite pour ce métier. Je le force à s'asseoir sur un des lits après avoir ouvert en grand le rideau. J'attrape une pochette de glace réutilisable et je reviens vers lui. Ça me fait bizarre de le voir de cette hauteur, il est bien plus grand que moi quand il est debout. Il portait encore ses vêtements de sport... Je prends une longue inspiration, j'ai l'impression d'entendre mon cœur battre jusque dans mes oreilles. Je suis plus douce quand je prends sa main et dépose la pochette sur son poignet. Je ne le lâche pas. Mon pouce survole sa peau sous laquelle mes pouvoirs entendent la douleur et l'urgence... :

-Je vais soigner tes bleus pour apaiser un peu la douleur... mais pour l'entorse, il te faudra un bandage ou une atèle et éviter d'utiliser ton poignet pendant quelques jours.

- Ch... Chou ?!

Senri n'avait pu camoufler sa surprise de voir son amie au milieu de l'infirmerie, en blouse blanche avec son ruban dans les cheveux. Comme un ange. La pensée fugace que le surnom par lequel il l'appelait lui allait vraiment bien, le fit rougir. Si bien qu'il ne réalisa pas tout de suite qu'elle venait de s'approcher. L'inquiétude de Chou en voyant le poignet de Senri fut presque instantanée et pinça le cœur du tonnerre. Il se laissa tirer vers l'infirmerie en bafouillant quelques mots.

— Euh... Je... J'étais...

Il ne pouvait pas dire qu'il s'entraînait au combat et s'était blessé ainsi ! Déjà, parce que le fait qu'il se bagarre à tout bout de champ avait été la source d'un éloignement certain entre eux, et en plus, ce serait admettre qu'il n'avait pas fait attention à son coup. Cette fierté mal placée trahissait également l'angoisse d'inquiéter son amie.

— Euh, ma porte est tombée sur ma main.

Au moment où il prononça ses mots, il les regretta immédiatement. C'était un mensonge gros comme une maison !!! Depuis quand les portes tombaient sur les gens ? Certes, il avait tendance à les décrocher à tout-va, mais tout de même, ça ne faisait aucun sens !!

Quand elle revint auprès de lui, il eut la même réflexion qu'elle en levant les yeux. Habituellement, il les baissait pour la regarder. Le fait qu'il porte encore ses vêtements imbibés de transpiration le fit rougir de honte et détourner le regard. Honteux. Il ne reprit que lorsqu'elle posa la glace sur son poignet.

— Euh, en fait, j'ai juste passé de l'eau froide dessus. C'est pour ça que je suis venu directement, sans me changer ou me doucher. Désolé...

Sans s'en rendre compte, il venait d'un peu plus décrédibiliser son mensonge. Il l'écouta attentivement, les yeux rivés sur les traits doux et harmonieux de son amie. En fait, il n'écoutait pas si attentivement que ça.

— D'accord, je mettrais un pansement.

Même dans sa situation, il était parfaitement capable de réaliser qu'on ne mettait pas un pansement sur un hématome !!! S'il avait pu, il aurait propulsé son crâne contre la première surface solide, par dépit. Mais ça impliquait de détourner le regard. Toujours absorbé par le visage de Chou, il ouvrit la bouche. La referma. La rouvrit. La referma. Avant d'enfin parler.

— Tu travailles ici ? Ta blouse est jolie.

Il rougit presque instantanément. La nuit dernière, il avait lu un shojo où une scène en tout point similaire se produisait. Pourquoi rougissait-il ?? Ça n'avait rien à voir ! Chou et lui étaient amis, ça n'avait rien à voir ! Elle accomplissait juste son travail, rien à voir avec une attention particulière. Ces pensées le ramenèrent immédiatement à la fois où il s'était excusé et qu'elle avait soigné sa fièvre. Autant dire que ses joues continuèrent d'être rosies.

Même s'il est surpris, quand Senri m'appelle "Chou", j'ai l'impression qu'il me reconnait vraiment. Plus que n'importe qui.

Malgré l'inquiétude pour sa blessure, je reste attentive à ce qu'il me dit. Il m'explique qu'une porte est tombée sur sa main... Qu'une porte est tombée... UNE PORTE. Je lève mes yeux vers lui, avant de les rebaisser en souriant... En vrai, je me retiens de rire. Premièrement parce que de le voir blessé me fait de la peine, ensuite parce que je vois que même lui ne croit pas à son mensonge. J'arrive jamais à lui en vouloir quand il me cache des choses comme ça, même en comptant ce qu'il a pu faire subir à Alice... Parfois je réalise à quel point c'est injuste ; ça aurait été n'importe qui d'autre je ne l'aurais jamais pardonné... Et puis je vois ses yeux et quelque part, une partie de moi, bien loin, réalise pourquoi il ne dit pas les choses.

Alors je reste silencieuse. Je reste silencieuse avec le fantôme d'un sourire sur les lèvres pendant que je résorbe petit à petit les bleus qui se sont formés sur sa main. Je suis encore débutante, alors c'est un peu long. Avoir un contact direct avec la peau m'aide le plus souvent. Je ferme les yeux sans perdre mon sourire, écoutant à la fois sa voix et son corps que je répare avec douceur... Il dit qu'il a passé de l'eau froide, qu'il n'a pas eu le temps de se changer. Je murmure, sans m'arrêter de caresser son poignet. :

-L'eau froide ne soulage que sur le moment... c'est toujours mieux d'utiliser de la glace. Alors tu as bien fait de venir directement.

Est-ce que j'ose pas lui dire qu'en fait il est magnifique comme ça ? OUI. Oui c'est bon merci j'assume pas, passons s'il-vous-plaît, merci. Je suis heureuse de l'entendre dire qu'il va mettre un pansement... Je soupire toutefois. :

-Je vais te poser le premier. On a des bandages neufs en plus...

...et je veux te réparer le plus rapidement possible. ERF. Je retiens mon cœur de sauter hors de ma cage thoracique quand Chiri me dit que ma blouse est jolie. Je plante mon regard dans le sien, perdue. C'est ma blouse qu'est jolie. Oui. C'est pas moi, que j'me dis. Oui c'est évident. Ohlala j'ai failli paniquer AHAHAH. :

-C'est l'uniforme obligatoire... je souffle.

MMMH VOILA. Passons à autre chose voulez-vous ? Je prends un bandage, je prends le morceau de plastique qui va immobiliser son poignet et je commence à enrouler le premier autour du second. Je suis calme et délicate, professionnelle quand mon corps me hurle de le prendre dans mes bras, de lui faire un câlin. Même si un câlin ne soigne pas. Quand j'ai fini mon ouvrage, j'embrasse le bout de ses doigts et, mu par l'habitude de soigner des petits, je lui demande sans moquerie. :

-Tu veux un bonbon ? J'ai des caramels ou de la menthe.

J'illustre mon propos en me servant d'un bonbon mentholé qui traîne dans l'une des poches de ma blouse...

Sans que Senri s'en rende tellement compte, une chose avait changé. Il avait d'abord été absorbé par le visage de Chou, puis, rapidement, ses yeux firent la navette — très lentement — entre la douce expression de Chou, attentif au mouvement de sa main et cette main qui caressait son bras. La douleur de Senri s'estompait, comme repoussé par l'attention que lui portait son amie. Un picotement agréable naquit à l'arrière de son crâne pour se propager un peu partout dans son corps. L'apaisant d'une certaine façon.

Il acquiesça quand Chou parla de la glace et des bandages. Elle sembla néanmoins... Troublée quand il évoqua de la blouse. Il écarquilla les yeux, en détournant un peu le regard, gêné. Il n'aurait pas dû poser cette question. Maintenant, qu'ils n'étaient plus dans les mêmes classes, il se voyait assez peu souvent en uniforme de classe. Ainsi, Senri ne savait toujours pas si Chou avait revêtit l'uniforme féminin. Peut-être, que c'était à cause de ça que Chou avait semblé troublé. Les uniformes, c'étaient quelques choses d'assez stricts au Japon... Peut-être que c'était difficile pour elle et... Il se mit soudainement à rougir en imaginant Chou porter l'uniforme d'hiver. Celui des filles lui semblait assez modeste... Alors, il faudrait certainement que Senri mette sa veste sur les épaules de Chou pour la couvrir et...

— Euh. Caramel. La menthe, c'est froid.

Ces joues étaient complètement rouges alors que la proposition de bonbons de Chou venait de la sortir de ses songes. Ses yeux se posèrent sur les lèvres de Chou. Elle aimait les bonbons à la menthe. Même si leurs visages n'étaient pas collés, il avait pu détecter un doux arôme de menthe et de violette.

— Euh, menthe ! En fait ! Le caramel, c'est enfan... Enfin, sucré. Pour les muscles et tout, c'est pas bon.

Senri était un garçon assez superficiel. Mais il avait de nouveau ce sentiment étrange. Qu'il n'arrivait pas vraiment à décrire. Il baissa le regard vers son poignet et ses pieds qui battaient légèrement l'air.

— Hm. Sinon, tu t'en sors avec les cours ?

"ET L'UNIFORME !!" Si, nous avions tous dans notre chambre mentale, plusieurs alter-ego. Celui qui venait de hurler ça à l'intérieur du crâne de Senri venait aussi de prendre une porte en plein visage. 

Chiri a l'air perdu dans ses pensées. Je pensais pas que choisir entre menthe ou caramel serait aussi difficile. Je mets le bonbon que je viens de déballer dans ma bouche, m'occupant à nouveau de son bandage dès que j'ai mis le petit papier qui le couvrait dans ma poche. A peine terminé qu'il se décide enfin pour un caramel. Je le regarde, je souris et fouille ma poche... sauf qu'il se ravise. Il veut de la menthe finalement. Je hausse les sourcils avant de sourire. Il est bête parfois Senri. Je prends un caramel, le déballe tout doucement. :

-Le corps a aussi besoin de sucre pour fonctionner... il ne faut pas en abuser c'est tout.

Sans lui demander son avis, je fais glisser le bonbon entre ses lèvres. Je les fixe, quelques secondes, ma main immobile, une sensation bizarre dans le ventre... avant de prendre une inspiration, sourire et mettre mes mains dans mes poches. :

-Et tu as le droit de préférer le caramel à n'importe quel âge. J'aime bien tricoter ça fait pas de moi une petite mémé...

Je marque une pause, mon regard part dans le vide. Ah. Peut-être que je suis une petite mémé. Hm. J'peux vivre avec. Je retrouve mon sourire et tapote gentiment la tête de mon ami, espérant qu'il apprécie son caramel.

Ensuite, je vais vers le bureau ; je dois noter que j'ai soigné un patient... et que je lui prépare un bandage de secours au cas où. Je m'assois et utilise mon stylo plume pour écrire. Il m'a demandé comment je m'en sortais avec les cours. Je prends un temps pour réfléchir. :

-Pour l'instant oui. Et bientôt je vais devoir suivre d'autres cours de japonais, pour avoir le vocabulaire médical donc-...

Je n'ai pas le temps de lui dire qu'on se verra encore moins souvent maintenant que je travaille, ni d'être triste, ma responsable revient en ouvrant la porte en grand. Je sursaute, manquant de faire une tâche d'encre sur le registre de l'infirmerie mais heureusement, pas d'accident. Elle commence à marmonner plus ou moins à voix basse, à propos de rumeurs dans les couloirs que je ne comprends de toute façon puisque je ne suis pas les potins -mais je fais très bien semblant d'écouter il paraît-, avant qu'elle ne voit Chiri. :

-Yamada ? Qu'est-ce que tu as fait encore ?

-Euuuh ! je fais en me levant précipitamment, me plaçant entre eux. C'est rien qu'une petite entorse ! Problème de manœuvre sur une porte récalcitrante... Je lui ai donné une pochette de glace et des bandages. A Chiri je veux dire, pas la porte.

Je savais que mon ami venait souvent à l'infirmerie, je savais qu'on nous avait plus ou moins conseillé de ne pas utiliser nos pouvoirs sur lui s'il n'y avait rien d'urgent. Je savais que Senri n'avait pas vraiment eu un problème de porte, je savais que j'étais une très, TRES mauvaise menteuse. Je dois être rouge jusqu'aux oreilles... En plus, je réalise que je l'ai appelé Chiri devant ma supérieure. WELP. Je vois le regard de l'infirmière passer de moi, à lui, avant de revenir à moi. ...Alèd ? :

-Ooooow ! Ton premier patient sans supervision est un ami à toi ! C'est adorable, je suis fière de toi ma grande.

Elle tripote mes joues, le regard soudain très tendre. Mon... mensonge est passé ?! Par quel miracle ?! J'ai pas le temps d'ajouter quoi que ce soit qu'elle me fout le matériel de soin que j'avais sorti pour Chiri dans les mains et nous pousse tous les deux hors de l'infirmerie. :

-C'est l'occasion pour toi de pouvoir entreprendre un suivi minutieux ! Yamada est un chahuteur, il ne faudrait pas que l'inflammation ne s'aggrave n'est-ce pas ? Je te laisse prendre soin de lui jusqu'à la fin de la journée.

Elle ne m'écoute pas quand j'essaie de l'interrompre et rapidement, on se retrouve devant la porte fermée, mon sac à mes pieds et les bandages dans les mains. Je regarde Chiri de biais avant de lâcher un rire nerveux ; j'ai rien pigé de ce qu'il vient de se passer. :

-...Beeen. Je vais pouvoir... refaire ton bandage aujourd'hui si tu as besoin au moins.

Il y a des moments comme ça, où le cours des choses semblent simplement s'arrêter. C'est exactement ce qui se produisit quand Chou glissa le bonbon au caramel entre les lèvres de Senri. Mécaniquement, il entrouvrit les dents pour laisser passer le bonbon et, tandis que le goût du caramel emplissait sa bouche, il sentit la légère pression du pouce de son amie contre ses lèvres.

Pendant ce moment qui semblait aussi bref qu'infini, Senri regardait Chou. C'était, ce regard, plein d'étoiles, souligné par le rouge des joues du garçon. Ce regard qui faisait de tout shojo, un shojo.

Il ne récupéra pas immédiatement ses esprits, et perdit le fil de la conversation. Ainsi, il tenta de faire le lien entre le caramel et les mamis, sans tellement y parvenir. En tout cas, son bonbon lui collait aux dents. Il releva néanmoins les yeux vers Chou quand elle se mit à parler. Il sourit intérieurement. Même s'il était nul en japonais, ça restait sa langue !!! Il allait pouvoir aider Chou ! Ils se retrouveraient à la bibliothèque, s'entraideraient ensemble dans les matières difficiles en se lançant des regards complices, puis ils iraient à la cafétéria pour prendre un rafraîchissement et Senri raccompagnerait alors Chou jusqu'à son aile, et alors que sur le pas de la porte de sa chambre, elle se retournerait vers lui, Senri poserait son bras sur le mur et lui dirait...

EH OH YAMADA A QUOI EST-CE TU PENSES-LÀ.

L'adolescent fut brusquement sorti de sa rêverie aussi honteuse qu'involontaire.

— EUH NON C'ÉTAIT JUSTE POUR DIRE AU REVOIR PAS POUR L'EMBRA...

Il réalisa qu'il était de retour dans le monde réel et qu'il venait de s'emporter. Devenant rouge de honte, heureusement, Chou lui vint en aide. Le fait qu'elle l'appelle Chiri lui fit chaud au cœur. Ce qui le troubla. Même si, c'était elle qui l'utilisait, c'était devant l'infirmière ! Une parfaite inconnue — qu'il avait néanmoins menacé avec une porte —! Pour ce qui s'est passé ensuite, Senri cherche toujours une explication. Il faut dire qu'avec ses pensées chaotiques —mais parfaitement innocentes, les cafouillages et sa tendance à se perdre dans les yeux, cheveux, traits de Chou, avait tendance à altérer sa perception.

Reste que Chou et lui se retrouvèrent soudainement devant l'infirmerie, tandis que Chou était invitée à dispenser un suivi "minutieux". C'était une nouvelle mesure de l'infirmerie ? Il se sentit un peu honteux quand l'infirmière le qualifia de chahuteur. Ça voulait dire, que parce qu'il était venu, Chou était obligé de quitter l'infirmerie pour s'occuper de lui... Il se tourna vers elle quand elle lui parla, tout en regardant son poignet.

— Euh, je pense que... C'est bon. Tu as pris du temps à le faire, je vais essayer de pas le défaire.

Mais s'il disait ça... Ça voulait dire qu'il n'avait pas besoin de suivi, donc nul besoin pour Chou de rester avec lui.

— Mais, après, je suis très maladroit.

Il se gratta l'arrière du crâne, et étouffa un râle de douleur. Il venait de la faire avec son poignet blessé. L'imbécile.

— Ah... Ça commence... Hm, tu veux que je t'offre un chocolat, pour le dérangement ?

NE PENSE PAS AU KABEDON. COUCOUCHE PANIER LES HORMONES. 

Hein ? Quoi ? Qu'est-ce qu'il a dit ?... Dire au revoir ?... Oh tiens c'est pas bête, j'aurais pu sortir une excuse du genre qu'il ne faisait que passer... Oui ben écoutez dans le feu de l'action on fait ce qu'on peut !

Et faire ce qu'on peut résulte à se faire virer de l'infirmerie sans sommation. Chiri a l'air tout aussi perdu que moi... Il dit d'abord qu'il va essayer de faire attention à son bandage avant d'avouer qu'il était maladroit quand même. Comme souvent quand il est gêné, il se gratte la nuque... Je le regarde faire, amusée, l'ombre d'un sourire aux lèvres. Je murmure un petit "fais attention, baka" en attrapant sa main du bout des doigts pour ne pas lui faire plus mal. Là, si je le tiens, il arrêtera de faire des bêtises avec.

Il me propose un chocolat et si d'abord mon sourire s'agrandit à cette idée, les yeux pleins d'étoiles, je marque une pause pour réfléchir. En vrai, il ne me dérange pas, c'est mon métier maintenant de prendre soin des autres... En plus je m'étais dit que je serais toujours là pour lui quand j'ai su que j'étais Guérisseuse. Mais j'ai envie de le taquiner. :

-Hmmm... D'accord, mais après, il faudra te doucher et te changer. Tu n'as pas eu le temps de le faire je crois ?... J'te préparerai à manger pendant ce temps. Si tu cuisines, tu vas devoir utiliser ton poignet alors je m'en chargerai.

Oui, j'viens de lui proposer de lui faire à manger ce soir. Trop smooth~ ! Il pourra pas se défiler en plus, s'il essaie j'aurais le droit d'utiliser mon autorité d'infirmière. J'vais pouvoir enfin lui montrer mes progrès, j'ai un peu hâte ! Mais avant, chocolat chaud. Je lève mon index. :

-Ah ! Attends, avant d'y aller...

Je déboutonne ma veste d'infirmière pour l'enlever, la plier et la mettre dans mon sac.Je pouvais pas me balader en tenue de travail dans l'Institut... J'ai seulement ma chemise d'été à manche courte en dessous, mais ça ira tant qu'on ne va pas dehors, je pense. Ensuite, je m'occupe de mon bandeau, décroche les épingles parsemés dans mes cheveux et mon chignon se défait tout en douceur. Je ne sais plus quand j'ai arrêté de couper ma tignasse... Un an ? Deux ans ?... Dire qu'avant je devais faire ça tous les mois, je suis bien contente de les avoir comme je veux maintenant, sans m'occuper de l'avis des autres. :

-C'est bon on peut y aller ! je m'exclame en n'oubliant pas de m'emparer de ses doigts. Vu l'heure, il ne devrait pas y avoir trop de monde à la cafét', mais on devrait se dépêcher au cas où..

Je suis tout sourire, mais au bout de quelques pas, je réalise seulement ce que je suis en train de faire en fait... Je marche. Je suis en train de "tenir" la main de Chiri. Enfin, je tiens ses doigts. ...Ça le gêne peut-être ? J'ai le souvenir qu'il rougit quand je le touche, je devrais faire attention à ça. OUI BON je le dis à chaque fois que je le vois mais- je sais pas ok ?... Bon faut que je fasse la conversation pour éviter qu'il soit mal à l'aise. :

-Erm... Et toi, comment ça se passe les cours ? Parce que je t'ai raconté du coup mais je sais pas comment tu t'en sors de ton côté.

Et bim. Parfait ! C'est que je deviens presque une pro dis donc !

Une fois n'est pas coutume, le garçon écarquilla les yeux et se sentit rougir quand son amie utilisa le terme "baka". C'était une insulte !! Alors pourquoi il avait l'impression que son coeur avait imitée son crâne contre les portes ? Pour les néophytes, ça voulait dire que son cœur venait de bondir dans sa poitrine. Finalement, Chou attrapa sa main et répondit à sa proposition. Il se sentit un peu honteux quand elle évoqua le fait qu'il fallait qu'il se douche et se change. Il l'avait presque oublié.

Et non, il n'avait pas eu de pensées inappropriées, cette fois.

Il se gratta l'arrière du crâne de l'autre main, en détournant le regard quand elle évoqua en plus, son projet de lui faire à manger.

- T'es pas obligée, tu sais. J'ai sûrement des pots de nouilles instantanée... Mais... Hm... Je suis content si on peut se voir.

Il eut la présence d'esprit d'écourter sa phrase pour ne pas dire quelque chose d'encore plus gênant. Finalement, les deux terraens se décidèrent à se rendre à la cafeteria, mais avant ça, Chou retira sa blouse et libéra ses cheveux.

À ce moment-là, il est important de s'arrêter sur le fait que Senri était en adolescent fan de shojo. Fan d'anime. Quand il découvrit la cascade de cheveux argentés qui dégringolait sur les épaules de Chou, il n'eut qu'une réaction.

- ... Waw.

C'était un souffle, imperceptible presque. Mais tout dans son être exprimé à quel point il avait été subjugué par ce qu'il venait de voir. Il tenta de se reprendre autant que possible en acquiesçant faiblement quand elle l'invita à se diriger vers la cafet. Tout ça, le conduisit à prendre la main de Chou de manière très naturel. S'en même s'en offusquer. Quand il réalisa qu'il lui tenait la main, s'il pensa que c'était un peu étrange, il balaya vite cette pensée. Il avait juste envie de continuer de sentir la chaleur des doigts de son amie.

- Hm, bah. J'ai encore redoublé, alors, je suis un peu le gars qui fait peur dans la classe. Mais, y a des gens bizarres. Bizarre, gentil, tu vois ? Genre, elles comptent sur moi, parce que j'suis plus grand quoi. Mais...

Il hésita un moment, avant de reprendre.

- C'est surtout mes pouvoirs qui sont bizarres. Je sens plus rien.

La vérité, c'est qu'il était comme dépossédé d'une moitié de lui, pour une raison qu'il ignorait. Et, le rêve de l'éclipse revenait régulièrement le hanter.

Chiri me dit que je suis pas obligée, qu'il a probablement des nouilles instantanées... Je fais la moue, le regard désapprobateur. S'il a fait du sport, il lui faut un bon repas pour retrouver de l'énergie et les plats tout prêts sont clairement pas une bonne solution pour ça. Mais avant que je puisse le lui dire, il ajoute qu'il est content si on peut se voir. Je bats mes paupières quelques secondes avant de lui offrir un grand sourire. Moi aussi je suis contente, mais je n'ose pas le lui dire... J'aimerais le voir plus souvent. Il me manque parfois.

Bref après avoir mis mes affaires dans mon sac en bandoulière et pris la main de mon ami, ce qui avait l'air de ne pas autant le gêner que ce que je craignais, il répond à ma question. Je savais qu'il avait redoublé, ça me peinait mais bon, est-ce qu'on pouvait vraiment s'en étonner ? Faudrait que je vois si j'ai le temps cette année pour l'aider, au moins dans ses révisions avant des examens importants... Je comprends ce qu'il ressent à propos du décalage avec ses autres camarades. Et j'ai expérimenté de front son apparence de caïd lors de notre première rencontre... mais je sais aussi qu'il peut être adorable et généreux. :

-Il faut être patient et tes kōhai apprendront à te connaître au cours de l'année. Et toi aussi ! Tu les trouves bizarres pour l'instant mais qui sait, bientôt ils seront comme des petits frères ou des petites sœurs pour toi.

C'est peut-être naïf dit comme ça, je suis bien consciente que les relations à l'école c'est jamais aussi facile... Je suis vraiment pas la meilleure placée pour parler de ça. Mais faut être réaliste, et après tout Chiri est devenu mon ami, je suis sûre qu'il peut largement se faire des amis, sans même forcément s'en rendre compte. Des fois, j'aimerais avoir ce talent...

Ce qu'il ajoute ensuite me fait réagir instantanément. Pas difficile de comprendre ce qu'il sous-entend... On arrive à la cafétéria et on se place dans la file d'attente mais ma tête est complètement ailleurs. Je le regarde, inquiète ; est-ce que ça le rend triste ? est-ce que ça lui fait mal ? est-ce que les Masters sont au courant ? est-ce qu'il a quelqu'un pour l'aider ?... J'ai d'autres questions qui se baladent dans ma tête mais je prends une inspiration lente. Ma main libre va chercher la sienne que je tiens déjà. Tenant ses doigts, je sens les cales en les frottant doucement. C'est pas désagréable. :

-Tu sais... Avant l'éclipse, j'avais pas eu mes pouvoirs encore. Ça les a débloqué. Alors pendant tous ces mois étranges, j'ai dû découvrir tout ces pouvoirs différents, sans rien connaître du mien...

Surtout la guérison en fait, parce que j'avais fait l'expérience de l'Air brièvement, mais à côté de tous les changements que j'avais subi, le souvenir restait comme flou -sauf tout le chaos que j'avais vécu avec Monsieur Williams, ça, je ne l'oublierai jamais c'est sûr. :

-Et ce que j'ai appris c'est que... hm... c'est que mon impression, mais j'ai la sensation que les pouvoirs sont comme des vraies personnes. Si je communiquais avec elles, si je les écoutais, je pouvais faire des choses incroyables avec elles. Si j'avais peur ou que j'étais triste, c'est comme si elles se défendaient, me blessant en pensant bien faire... Je crois que c'est pour ça que quand j'étais Morphe-...

Je finis pas ma phrase, je sens que j'ai les joues roses. Je toussote et lève mes yeux vers lui avec un petit sourire. :

-Enfin ! Ce que je veux dire c'est que je suis sûre que ça ira Chiri ! Je sais pas vraiment ce qui t'arrives et j'ai encore un peu de mal à comprendre tout ça... Comme pour ta nouvelle classe, tu as peut-être besoin de temps pour apprendre à connaître ton côté Sensitif à nouveau ? ...Ou alors je suis à côté de la plaque mais dans tous les cas... si tu as besoin d'aide, je suis là pour te soutenir, ok ?

Je penche la tête sur le côté, le sourire un peu plus grand pour le rassurer. Je suis inquiète, et ça me fait de la peine de le savoir comme ça... Je peux comprendre ce qu'il traverse je crois ; avoir tous ces pouvoirs différents c'était une expérience, mais ce n'était pas moi non plus. J'avais ressenti un grand soulagement quand ce fût terminé, sans même avoir connu mes pouvoirs avant, les "retrouver" avait soulagé une peine dont j'avais ignoré la présence pendant des années.

J'amène sa main blessée à mon cœur et je la tiens là. C'est peut-être égoïste ce que je vais dire mais je veux le voir sourire plus souvent, comme lorsqu'il lance la balle à Roda et qu'il s'émerveille à chacun des tours qu'elle peut faire. Je veux qu'il fasse semblant de jouer les durs pour que je lui donne plus de bonbons au caramel. Je veux être là quand il est heureux, quand il est triste, quand il a mal pour le soigner. Je tiens à lui, énormément... peut-être un peu trop. J'ai des papillons dans le ventre à cette pensée...

-Oy les amoureux... interpelle le caissier. C'est à votre tour.

La bulle dans laquelle je me tenais éclata soudain et j'ai retrouvé les pieds sur terre un peu trop violemment à mon goût. J'ai lâché la main de Chiri pour me tourner vers celui qui allait prendre notre commande, secouer les mains dans tous les sens en rougissant fort et bafouillant pendant beaucoup trop longtemps. :

-AH ! Pardon, pardon j'avais pas vu- Enfin je voulais dire on n'est pas- Ce n'est pas ce que vous-....... Un chocolat s'il-vous-plaît.

Oui j'ai abandonné les explications devant l'air blasé du mec. Je suis liquéfiée de honte à l'intérieur. SUPER.

Quand on y pensait le fait de se gratter l'arrière du crâne chez Senri, évoquait l'habitude des héroïnes de shojo qui constituait à se recoiffer lorsqu'elles étaient gênées. Le plus souvent lorsqu'elles étaient à côté de la personne dont elles étaient amoureuse.

Évidemment, si Senri avait ne serait-ce qu'une fois pensé cela, il l'avait rapidement mis sur le compte de la coïncidence et d'une sur-interprétation des symboles. Bien qu'en réalité, c'était simplement un déni profond. Tout ça pour dire, qu'il se gratta l'arrière du crâne, avec un sourire léger quand Chou lui répondit sur sa classe. Il avait déjà commencé à jouer l'aîné modèle pour Leona et Pearl. ça irait sûrement, comme elle le disait.

Très vite, quand la discussion s'orienta sur les pouvoirs, Chou dit quelque chose qui résonna bizarrement en Senri. "Voir les pouvoirs comme des personnes". Le garçon repensa immédiatement à ce rêve qu'il avait fait lors de l’éclipse, où il avait vu cette version de lui-même, qui n'avait que la peau sur les muscles. Maintenant qu'il y repensait, avait-il seulement une peau, hormis celle de son visage ? Cette silhouette, qu'il avait choisi au détriment de l'autre, plus forte, plus rassurante.

Senri releva la tête vers Chou quand elle parla de son pouvoir de Morphe. Il ne pouvait qu'imaginer ce qu'elle avait pu ressentir - quand bien même il avait fait l'expérience du changement de sexe aussi - et de ce que cela avait pu avoir comme incidences sur elle. Peut-être devrait-il lui demander ? Ne sachant pas vraiment comment trouver les mots, il fit glisser son pouce contre la peau des mains de Chou. Dans une caresse qui se voulait rassurante.

Il n'avait que vaguement réalisé qu'ils faisaient la queue dans la file de la cafétéria. Face à ce visage réconfortant, et ces paroles toute aussi réconfortantes, Senri se mit à sourire. C'était un sourire doux, que l'on voyait rarement sur son visage crispé.

- Merci Chou, moi aussi je serais là pour te soutenir. P... Toujours.

Senri ne se mit pas rougir outre mesure, peut-être parce qu'il était tellement sincère, qu'il ne mesurait pas le sous-texte que cette phrase représentait ou peut-être encore qu'il était juste immunisé à... Non. Impossible.

Impossible car, quand Chou posa la main de Senri contre son cœur, le jeune garçon devint rouge. Un rouge ardent, un rouge incandescent !! Pour dire, il avait si chaud qu'il avait l'impression qu'il allait s'évanouir.

- Ch... Ch... Ta ma... P...

Il n'arrivait même plus à parler. Pourquoi ? Eh bien. Sa main contre le cœur de Chou se trouvait à quelques centimètres de sa poitrine. Et, depuis que Senri avait vu son amie affectée par son pouvoir de Morphe, depuis qu'elle lui avait dit qu'elle se sentait heureuse ainsi, il la considérait comme une fille. OR. Sa main était juste au-dessus de sa poitrine !!! C'était un geste tellement intime !!! Alors qu'il était au milieu de la cafetaria !!!

Pendant ce bref moment, Toute la file, pu sentir quelque chose. Un battement. Senri, bien que déjà occupé à maîtriser son émoi d'adolescent ressenti ce léger picotement au fond de lui. Mais pas seulement. Il avait l'impression d'être plus que jamais dans son corps, et à la fois, de se tenir devant lui-même, à la place de Chou, ou à d'autre endroit de la file.

La voix du caissier le tira de ce drôle de moment, qui parut très vite chimérique. Chou paniqua, se défendant de la nature de leur relation. Pincement. Tandis que Senri, la suivait les yeux rivés sur pieds et les joues rouges.

- L... La m-même chose.

L'homme soupira devant cette expression de la jeunesse et leur souffla de se diriger au bout du comptoir pour attendre leur boisson. Senri s'y rendit avec Chou, toujours rouges comme une pivoine. Lorsqu'il releva la tête, il rencontra le regard complice d'un autre membre du personnel, qui lui glissa un clin d’œil. Le tonnerre resta un moment perplexe, avant de découvrir, que sur leur chocolats, des petits cœurs avaient été fait avec de la mousse de lait. Le garçon se tourna vers son amie.

- Je... Je crois qu'ils... ont voulu nous taquiner.

En temps normal, Senri aurait retourné le comptoir de honte. Mais là, il guettait juste la réaction de Chou. En espérant que ça ne la mettrait pas trop mal à l'aise.

Il y a quelque chose d'étrange dans le toucher non ?... Quand Alice me prend dans ses bras pour me faire un câlin, je ressens tout l'amour qu'elle a pour moi. Quand des amis ou des collègues touchent mes joues, c'est agréable. C'est comme une chanson dont j'avais oublié les paroles... J'ai été si longtemps privée de contacts, plongée dans la solitude, à éviter les autres parce qu'ils ne me reconnaissaient pas, parce que je ne me reconnaissais pas. Je pouvais trouver ma place dans le monde, je me sentais vivante. Avec Senri, c'est à la fois pareil et totalement différent. C'est peut-être parce qu'il est Tonnerre, mais il y a comme de l'électricité dans l'air quand ses doigts cherchent à me rassurer. Des étoiles crépitantes et éclatantes qui tournent tout autour, me tâtonnant parfois, hésitantes et timides... c'est vraiment étrange, le toucher.

Et j'ai vraiment envie de le croire quand il me dit qu'il sera là lui aussi pour me soutenir. Je sais qu'il est aussi sincère que je le suis. Mais l'ombre de ce qui me poursuit depuis toute petite est juste derrière moi, à me souffler ce simple fait trop réel ; les gens meurent, les gens partent, les gens me laissent seule qu'ils le veuillent ou non. Je lui souris, je veux le croire, mais cette moitié de moi, comme empoisonné ou trop habitué à la dure réalité, me rappelle qu'il ne faut pas espérer, qu'il ne faut pas prendre l'escalier qui mène au bonheur... Trop haut et la chute sera plus terrible. Alors je m'accroche à sa main contre mon cœur, il est gêné, je ne comprends pas ce qu'il veut essayer de me dire mais ce n'est pas grave... Je m'accroche comme je m'ancre dans une réalité alternative où ses étoiles sont la seule vérité. J'ai l'impression que mon cœur bat si fort que je peux l'entendre.

...MAIS DU COUP OUI le caissier, la commande, la ca-fé-te-ria. HM. C'est vrai que j'aurais pu choisir un meilleur moment quand même. Chiri prend lui aussi un chocolat et nous nous déplaçons pour attendre nos boissons. Je sais pas trop quoi dire... J'aimerais enchaîner avec des questions sur ses pouvoirs mais j'ai des restes des émotions qui m'ont traversé juste avant avant. Je reste le regard baissé sur le comptoir quand nos verres apparaissent. Il y a des cœurs dessinés sur la mousse. Je les fixe, interdites pour quelques secondes et Chiri dit que les serveurs ont sans doute fait ça pour nous taquiner.

Je comprends pas où il veut en venir, je bats rapidement des paupières. On doit pas avoir la même définition de taquiner ; j'me faisais taquiner à l'école avec mes traits fins ou quand mes cheveux devenaient trop longs, quand je portais trop souvent le même t-shirt par manque de moyen ou quand je ne répondais pas quand on me posait des questions. Des remarques plus ou moins dures sur ma personne. Là, c'était des cœurs. J'arrive pas à me retenir de sourire. :

-C'est adorable~ ! Vous êtes vraiment doués ! Vous devriez faire ça plus souvent ! En tout cas, merci. C'est vraiment trop mimi.

Je prends les verres et leur offre un grand sourire qu'ils me renvoient. Ça doit pas être facile tous les jours d'être serveur et ils ont pris le temps de nous faire un petit dessin... Je suis contente de leur offrir un peu de joie en échange de leurs efforts. Et puis grâce à eux, je me sens un peu plus légère... je leur dois bien ça. Je me tourne vers Chiri que j'invite à me suivre pour qu'on s'installe à une table. A peine assise que je pose mes doigts autour du gobelet, pour sentir la chaleur de la boisson au travers. J'ai un nouveau sourire en regardant le cœur en nuage. :

-Ça me fait de la peine de ruiner un joli dessin... mais je peux pas résister au chocolat !

Et aussitôt je prends une gorgée. J'en ferme les yeux tellement ça me fait du bien. Quand je repose mon gobelet, je ne peux m'empêcher de regarder si le dessin a bougé... J'ai un peu de mousse sur la lèvre que je lèche mais à part ça il n'est pas aussi déformé que ce à quoi je m'attendait. Je lâche un rire tout léger, satisfaite. :

-Je viens ici parfois et ils m'ont caché qu'ils étaient des artistes... dis-je avant de lever les yeux vers mon ami. Fais attention à la main que tu utilises Chiri.

Je décale un peu ma chaise pour me tenir un peu plus près de lui, juste au cas où. :

-Ton problème avec tes pouvoirs... est-ce que tu veux m'en parler un peu plus ? Est-ce que les Masters sont au courant ? Tu n'as pas d'amis Sensitif avec qui en parler, pour t'entraîner peut-être ?

Si Chou avait semblé pensive un moment, et que Senri s'était inquiété que les cœurs dans leurs tasses ne la mette mal à l'aise, il n'en fut rien. Elle rayonna même de joie, ce qui fit légèrement rougir Senri, mais pas de gêne. Il jeta un regard rapide aux serveurs en soufflant un remerciement timide, avant de talonner Chou vers une table.

Tout en s'asseyant en face d'elle, il ne put s'empêcher de sourire tendrement quand elle évoqua le fait qu'elle n'avait pas envie de ruiner le dessin, mais que l'appel de chocolat était trop fort. Cela dit, il ne put s'empêcher de rougir un peu plus quand il réalisa qu'elle avait de la mousse sur le coin des lèvres.

IL AVAIT FAILLI LUI DIRE ET L'ESSUYER AVEC SON DOIGT.

Il fit en sorte de disparaître derrière son gobelet alors que Chou l'avertissait de faire attention à sa main blessée. Il aurait bien bu en tenant son gobelet à deux mains, mais il ne voulait pas ajouter plus de travail à Chou.

— Ah... Je n'ai pas eu autant de chance moi...

En effet, quand il reposa son gobelet, le lait se mélangeait avec le chocolat, déformant totalement le dessin. Et lui, ne s'était pas aperçu qu'il avait de la mousse un peu partout autour de la bouche.

Mais, en même temps, il était davantage préoccupé par cette nouvelle proximité avec Chou, ainsi que sa question. Il leva les yeux vers le plafond, pensif.

— Hm, m'sieur Williams est au courant. Je crois. Fin, après, il a dû gérer mon étoilisation avec des pouvoirs qui allaient dans tous les sens. Ça lui est p'tet passé à côté.

Il baissa les yeux vers son chocolat, toujours un peu préoccupé.

— Je devrais p'tet en parlait à Nicolas. On s'est entraîné ensemble. Mais je trouve qu'il se la pète un peu trop, surtout depuis qu'il est préfet ! Y a Elfie, aussi, qui est sensitive depuis la fin de l'éclipse. Mais elle doit en baver plus que moi vu qu'elle avait jamais eu ce pouvoir et qu'elle est déjà étoile.

Il reporta alors son regard sur son amie.

— Enfin, de toute façon, c'est un truc que je dois régler seul. Et, j'ai pas envie que ça flingue les moments que je passe avec toi. 

Il va falloir m'expliquer comment ce gamin passe d'adolescent gêné par de la mousse de lait au coin des lèvres à un play-boy séducteur tout droit sortie d'un shojo. 

Chiri abîme les cœurs dessinés en prenant une gorgée. Il a de la mousse un peu partout sur la bouche... J'ai un petit sourire avant de me pencher pour récupérer quelque chose dans mon sac. Pendant ce temps, il réfléchit brièvement puis me répond. Il me parle de Monsieur Williams, je suis contente d'apprendre qu'il n'était pas tout seul pour son étoilisation. Connaissant le professeur, je ne pense pas qu'il ait oublié son état quel qu'il soit... Quoique chaotique, le Master était toujours attentif envers ses élèves. Il s'est occupé de moi lors de l'éclipse, certes parce qu'il m'a embarquée aux quatre coins du monde, mais surtout je pense, parce qu'il a vu que j'étais pas bien. Il me parle ensuite de son Préfet que je ne connais pas. Ils se sont entraînés ensemble mais il n'a pas l'air de l'apprécier ; c'est dommage, les Préfets sont là pour soutenir les autres. Il enchaîne directement avec une certaine Elfie, qui elle aussi semble avoir du mal avec ses pouvoirs...

Je réalise que ces pouvoirs, apparemment intrusifs, doivent peser sur leurs porteurs. Je le savais déjà un peu ; ma première inquiétude quand Alice m'a dit qu'elle était Télépathe était de savoir si elle s'en sortait avec... Je la connais, elle n'aime pas s'imposer, préfère soutenir, la télépathie est un pouvoir qui peut dévoiler beaucoup de choses sur les autres qu'ils le veuillent ou non. J'avais peur pour elle... Mais bien sûr, elle le prenait comme quelque chose de positif qui pouvait faire la différence dans certains moments. C'est son caractère... mais pour les autres...

Je sors enfin mon mouchoir propre de mon sac et je me tourne pour nettoyer les lèvres de Senri quand il ajoute que de toute façon il devait régler ça tout seul... qu'il ne voulait pas que ça entache nos moments ensemble. Je m'immobilise, d'abord touchée par ce qu'il me dit. Puis je rougis, fort je pense, parce que j'ai chaud jusqu'au bout de mes oreilles... Je bafouille des mots incompréhensibles pour une seconde avant de réaliser quelque chose qui me ramène les pieds sur terre... ou le cul sur la chaise je suppose ?... Je tape faiblement l'épaule de Chiri, je redeviens l'infirmière d'un coup. :

-N-Ne joue pas au plus fort avec moi ! Ça ne marche pas. Rien ne peut "flinguer" nos moments... sauf si tu ne prends pas soin de toi. Il y a des gens à Terrae pour t'écouter, si ce n'est pas un Master, c'est un Préfet, pas seulement le Sensitif. Si ce n'est pas un Préfet, il y a l'infirmerie... On n'est pas là que pour soigner les entorses, on peut te diriger vers des personnes à l'hôpital pour t'aider.

Je déplie le mouchoir en parlant et essuie la mousse présente sur ses lèvres. :

-On n'est pas fait pour être tout seul Chiri... Sinon il n'y aurait pas autant de moyens d'avoir des contacts, que ce soit à Terrae ou ailleurs. Il n'y a rien de déshonorant à avoir un soutien, certaines choses pour certaines personnes ne peuvent être... réglées seul.

Je sais de quoi je parle... Je recule un peu pour voir si j'ai correctement nettoyé sa bouche avant de sourire, poser une main sur sa joue et ajouter très sérieusement, le fixant dans les yeux. :

-Je comprends que tu veuilles le faire toi-même mais promets-moi, si ça te peine trop, de te tourner vers quelqu'un. Moi ou n'importe qui.

Je replace mes mains autour du gobelet et je fais genre, je suis autoritaire ahah. :

-Parce que si tu le fais pas et que je l'apprends jeee... je réfléchis un instant. ...Je ne te donnerai plus de bonbon. Là.

...OK C'ÉTAIT NUL ! Laissez-moi me cacher dans mon chocolat.

Senri se trouvait dans un état d'esprit assez étrange. État d'esprit que plusieurs experts avaient appelé "shojoïte aiguë". Pour Senri, cet état se traduisait par une espèce de court-circuit dans son cerveau, anesthésiant la partie liée à la gêne, la honte, etc. Enfin, cette explication pseudo-scientifique est surtout un procédé scénaristique pour justifier ce qui va suivre. 

Il se laissa faire quand Chou entreprit de lui essuyer les lèvres, le tout sans broncher. Un sourire attendri se dessina même sur son visage quand Chou commença à bafouiller. Mais il le camoufla rapidement, pour laisser son amie parler et l'écouter.

Jusqu'à ce qu'elle prononce sa menace.

Mais loin de se défaire, Ikemen-Senri (c'est son identité lorsque sa shojoïte aiguë atteint un statut critique) se mit à sourire. Il se pencha vers Chou, et posa ses grosses mains autour de celles de son amie.

— Ce n'est pas quelque chose pour laquelle on peut m'aider, c'est... je dois le faire tout seul. C'est pas juste un problème d'énergie, c'est plus que ça. Mais...

Il chercha les yeux de Chou pour planter son regard dans le sien.

— Je ne le ferais pas vraiment seul, si je sais que tu es là pour me rattraper, alors je pourrais me donner à fond.

Il se redressa. Éloignant progressivement ses mains de celles de Chou. Une fois droit, il détourna le regard, les joues un peu plus rouges.

— Je ferais en sorte de toujours avoir droit, aux... Bonbons.

L'ennui de la shojoïte aiguë, c'était son aspect très limité dans le temps, et sa tendance à plonger le patient dans un état de gêne intense, juste après.