Deux semaines sont passées depuis cette foutue soirée en boîte. Deux semaines qu'on ne s'est pas parlé, avec Allen - enfin, parlé vraiment je veux dire, évidemment qu'on se dit bonjour et qu'on échange des informations quand on est au boulot, mais le strict minimum quoi. C'est con à dire, vu que je le vois plusieurs fois par semaine, mais il me manque. Nos pauses-déjeuners, nos soirées films... Même ses blagues nulles me manquent !

J'ai eu envie de m'excuser dès le lendemain de la soirée, après avoir dessaoulé en fait, mais j'avais juste trop honte. D'avoir réagi de manière aussi lamentable, déjà, mais aussi et surtout qu'il m'ait vue sous mon plus mauvais jour... J'suis sûre qu'il ne peut plus me regarder sans voir ma démarche alcoolisée et mon accoutrement de traînée. En vrai, c'est devenu tellement "normal" que je n'y prête plus vraiment attention moi-même, mais lui... J'aurais préféré qu'il continue à me voir comme la Pandora "d'avant". La fille bien quoi.

Chaque jour, j'me suis dit "allez, aujourd'hui je vais le voir", mais j'me suis dégonflée à chaque fois, et c'est devenu de plus en plus difficile de marcher ces quelques putains de mètres qui séparent sa porte de la mienne. On est encore plus près l'un de l'autre qu'avant depuis que j'ai ma nouvelle chambre, pourtant j'ai l'impression de n'avoir jamais été aussi loin de lui. Je ne suis vraiment qu'une lâche, c'est quand même pas si difficile d'aller s'excuser, non ?

Si, si c'est difficile, mais vous savez quoi, j'vais le faire quand même, parce que je ne suis PAS une lâche en fait. Et puis cette situation nulle ne peut pas durer comme ça éternellement, on ne va quand même pas arrêter d'être amis pour un truc aussi con !! Revenant de mon cours de self-défense, après m'être bien vidé la tête, je marche d'un pas décidé jusqu'à la porte de mon ami, et je frappe quelques coups un peu secs. Allez, tu peux le faire !

"Allen ? C'est Pandora. Est-ce que... Est-ce qu'on peut parler ?"

Bon, le plus dur est fait. Mais j'me sens beaucoup moins confiante là d'un coup... Il n'est pas du genre rancunier, hein ?

Cela fait deux semaines déjà que j'ai croisé Pandora en boîte. Deux semaines que je me suis fait recalé comme jamais, et qu'à l'intérieur de moi plusieurs sentiments continuent à se disputer en permanence. Entre colère et culpabilité, mon coeur balance. Faut dire qu'elle a pas été tendre, d'autant que j'étais là par pur hasard et que je n'ai rien fait. Mais d'un autre côté, j'ai été à sa place, j'ai cédé à la solitude, et j'me suis même probablement retrouvé dans des états pires qu'elle - j'ose l'espérer en tout cas ? (Elle ne boit pas trop, rassurez-moi ?) Alors je sais qu'elle n'est pas non plus totalement responsable de cette situation.

Pourtant, je ne fais rien. Cette situation me pourrit et me met quotidiennement mal à l'aise, et je ne fais rien.

Un soupir m'échappa alors que je relisais la même phrase pour la cinquième fois, incapable de me concentrer sur ce cours que j'étais en train de réviser pour un examen bientôt. Je finis par poser mes notes à côté de moi sur le lit, m'étirant en fixant le plafond. Mouais. Situation bien pourrie quand même. Il était peut-être temps de crever l'abcès.

Mais alors que j'allais me lever pour tenter de lui rendre visite, on toqua à ma porte. La voix de Pandora m'arracha un mince sourire d'ironie du sort, et je me redressai pour aller lui ouvrir.

-Je t'en prie, entre. Comment tu vas ?

Pire question de la Terre mdr. Elle va pas bien, j'le sais déjà, c'est justement parce qu'elle va pas bien qu'on a eu cette dispute. D'ailleurs, en disant les choses aussi simplement et clairement que ça, la seule chose que je constate, c'est que ça aurait dû être à moi de lui rendre visite, pas à elle.

La porte s'ouvre, et Allen m'invite à entrer. Il n'a pas l'air fâché, pas l'air content non plus ; juste neutre en fait. Je lui adresse un sourire crispé tout en rentrant dans la pièce, et remarque directement les livres ouverts sur son bureau. C'est malin, je débarque en plein milieu d'une séance d'étude je vois... Mes lèvres s'étirent en une moue contrite alors que je me retourne pour faire face au brun.

"Je tombe mal, tu étais en train de bosser non ?"

Je lui proposerais bien de repasser plus tard, mais je ne suis pas sûre d'avoir le courage de revenir une seconde fois... Autant crever l'abcès directement, maintenant que je suis là. Je hausse les épaules quand il me demande comment je vais. Honnêtement ? Je ne sais plus. Je ne vais ni mal, ni bien ; la grosse majorité du temps, j'ai juste l'impression d'être une coquille vide, totalement à la dérive.

"Ecoute, j'en peux plus de cette situation de merde où on s'évite sans s'éviter là... Alors je suis venue pour m'excuser, pour l'autre soir. J'étais surprise de te voir, j'ai pas su comment réagir et... Ben du coup, j'ai réagi n'importe comment ! J'aurais préféré que tu ne me voies pas... Enfin... Comme ça, quoi. J'suis désolée."

Je détourne les yeux pour regarder mes mains vers la fin de ma phrase. Parce que j'ai honte et que j'assume qu'à moitié ce qui s'est passé. Je sais qu'il va me poser des questions maintenant, et c'est normal, mais je ne suis pas sûre de pouvoir lui répondre.

Je haussai une épaule quand elle insinua qu'elle tombait mal à cause de mes révisions.

-Boarf, j'arrivais pas à bosser de toute façon. T'inquiète.

J'eus à peine le temps de terminer ma phrase que Pandora se tourna vers moi. Une lueur de détermination brilla dans son regard une seconde, avant de disparaître vers la fin de sa tirade. Ses yeux se rivèrent sur ses mains et, malgré moi et malgré la situation, un léger sourire vint étirer mes lèvres. Je m'approchai d'elle, le coeur chaud, et ébouriffai ses cheveux.

-Il paraît que c'est un problème fréquent quand on est amis avec ses collègues, on a trop l'habitude de se voir au travail, sérieux et dans le cadre, et du coup, dès qu'on en sort et qu'on se croise ailleurs, on est tout de suite gêné de se montrer !

Je reculai ma main pour croiser mes bras sur mon torse, arquant légèrement un sourcil.

-Tu crois que tu te sentirais mieux si je te racontais les états dans lesquels moi j'ai pu me trouver avant d'aller en cure ?

Allen s'approche de moi pour m'ébouriffer les cheveux, et je me laisse faire, soulagée qu'il ne m'en veuille pas. Enfin, je suppose qu'il ne ferait pas ça s'il était encore fâché, du moins ? Je relève les yeux vers lui et secoue légèrement la tête, la gorge nouée.

"Non, je- c'est pas la peine de ressasser tes mauvais souvenirs."

Même si j'apprécie l'attention, mais ça ne servirait à rien à part nous mettre tous les deux mal à l'aise. Je soupire en me passant une main sur le visage avant de reprendre d'un ton hésitant.

"C'est même pas ça le problème, ça me dérangerait pas de te croiser en soirée en temps normal..."

A vrai dire, si je n'étais pas au courant de ses problèmes avec l'alcool, il serait carrément une des premières personnes à qui je proposerais une sortie ! Mais bref, ce n'est pas le sujet. Je soupire - encore, oui.

"C'est juste que... Y'a quelques mois, ça ne serait jamais arrivé. Tu ne m'aurais jamais croisée comme ça je veux dire. Je-je sais bien que je fais de la merde, mais j'aurais préféré que... Que toi, tu le saches pas ? D'une certaine manière, garder tout ça caché, c'est un peu comme si... Comme si ce n'était pas en train d'arriver."

Comme si je n'étais pas en train de perdre les pédales, comme si je maîtrisais encore ce qui m'arrive. Sauf que maintenant qu'il sait, c'est plus compliqué de faire semblant...

Un mince sourire étira le coin de mes lèvres face au refus de Pandora. Je fronçai pourtant assez rapidement les sourcils en remarquant les traits tirés de mon amie. J'avais voulu l'aider en ne pointant pas du doigt ce qui n'allait pas, en essayant de ne pas la juger, et en la laissant vivre sa vie sans interférer, mais était-ce la bonne solution ? Ma psychologue m'avait dit que je devais faire attention à mon implication, qu'elle avait tendance à me bouffer parce que je voulais toujours bien faire pour aider ceux auxquels je traînais, mais finalement, laisser Pandora dans cet état-là, était-ce réellement la meilleure chose à faire ?

Une ombre passa dans mon regard alors qu'elle continuait à se descendre, remettant en cause son comportement, affichant ouvertement sa honte, culpabilisant de se sentir mal. Je me pinçai les lèvres avant de m'asseoir sur le bord de mon lit, invitant la brune à en faire de même.

-Pando.

J'essayai de me détendre et de chasser l'inquiétude pour lui offrir un sourire sincère.

-Tu me dois rien, tu sais. Et même si je te l'ai déjà dit, t'as le droit d'aller mal. Et t'as le droit de le montrer. Et tu peux même le crier à la Terre entière ! Faut que t'extériorise !

Je me passai une main sur le visage, lâchant à mon tour un soupir.

-J'sais pas quoi te dire. Honnêtement, tu gères les choses à ta manière. J'suis personne pour te forcer à faire quoi que ce soit. Et je te jugerais jamais, peu importe l'état dans lequel je te croise. Bordel mais Pando t'enchaîne la merde, c'est normal que t'aille pas bien !

Je tournai mon regard vers elle.

-La seule chose que j'peux te dire c'est que j'm'inquiète pour toi. Mais t'as l'air tellement consciente de ton état que j'sais même pas c'que je pourrais faire pour t'aider...

Allen m'écoute calmement, avant de m'inviter à m'asseoir sur son lit à coté de lui. Pourquoi est-ce que j'ai ce cliché en tête, que la plupart des conversations difficiles ont lieu sur un bord de lit comme ça ? J'ai regardé trop de séries je crois. J'esquisse une grimace lorsqu'il me dit que j'ai le droit d'aller mal, et que j'ai le droit de l'extérioriser.

"Extérioriser, tu sais bien que c'est pas trop mon point fort, hein... C'est plus facile de- de prendre des trucs pour oublier."

De l'alcool. De la drogue. Du sexe aussi dans une certaine mesure, même si l'effet est beaucoup plus ponctuel... Et je multiplie les partenaires pour combler ma solitude, plutôt.

"Après qu'Amy soit partie... Après mon Etoilisation, j'ai juste pas réussi à reprendre le dessus je crois. Rester seule dans ma chambre le soir me terrifiait, j'avais l'impression que j'allais tomber dans un trou sans fond si je restais là... Du coup j'ai commencé à sortir. A boire. A... Prendre d'autres trucs. Et à ramener n'importe qui, pourvu que je ne sois pas seule."

Je sens que ma voix commence à trembler un peu, alors je prends une courte pause. J'inspire un grand coup avant de reprendre où je me suis arrêtée, perdue dans la contemplation de mes mains.

"Mais là... J'sais plus. Je devais me forcer au début, je jouais un rôle en quelque sorte. Sauf que maintenant, c'est devenu presque normal. J'ai l'impression que je ne serai plus jamais la Pandora d'avant, mais je ne suis pas sûre d'aimer la Pandora de maintenant..."

C'est bien la première fois que je mets des mots là-dessus, mais je crois que je ne sais simplement plus où j'en suis, qui je suis. Brûler la vie par les deux bouts en faisant n'importe quoi, ce n'est pas moi ça... Mais rester enfermée dans ma coquille sans oser profiter et passer à côté de ma vie, ce n'est plus moi non plus. La véritable moi est sûrement quelque part entre les deux, mais je ne sais pas trop où. Je relève les yeux vers mon ami avec un faible sourire.

"J'ai juste besoin... Je sais pas, que tu me bottes le cul je crois. Je sais que je déraille et que je stagne dans mes conneries, mais j'ai aucune idée de comment avancer et me sortir de là."

J'ai besoin d'aide, mais je ne sais juste pas comment le demander, en fait.

Sans l'interrompre, j'écoutais Pandora. Même si j'avais déjà conscience de ce qu'elle me racontait, l'entendre sortir de sa bouche avait une autre saveur. Je fronçais légèrement les sourcils quand elle déclara qu'elle avait l'impression de se perdre totalement, allant jusqu'à se demander si elle pourrait un jour retrouver la Pandora d'avant. Mon estomac se noua quand elle dit qu'elle avait peut-être plutôt besoin que je lui botte le cul, et je détournai assez brusquement le regard, mal à l'aise par la situation. Je savais pas faire ça. Et en plus, j'avais vraiment pas capté à quel point ça allait mal. Parce qu'autant l'alcool, ok, j'ai connu, même si j'suis pas sûr d'être le mieux placé pour aider non plus. Mais les... "trucs" ? C'est quoi, les trucs ? Des pilules ? De la drogue ? Elle prend quoi exactement ? Parce que tout ça je connais pas, moi. Et j'ai aucune idée de l'effet que ça fait. De la dépendance que ça crée. Car j'imagine que c'est encore différent ? Je buvais pour oublier. Mais ce genre de truc, on le prend pas pour oublier. On le prend pour avoir la sensation d'aller bien, non...?

Un peu maladroitement, ma voix finit par m'échapper, parce que je sens bien que je dois parler, même si les mots que je vais prononcer ne seront certainement pas les plus adaptés.

-Tu as déjà envisagé d'aller voir un psychologue ?

Et après je lui donne la carte de la mienne ? Pff...

-Je... J'sais pas faire ça, Pando. Franchement, j'sais pas si j'suis capable d'être le soutien que tu attends de moi.

Et là, mon coeur se serra alors que je revoyais Aria quitter cette même pièce après que je lui ai fait plus ou moins le même aveu. Je fermai assez durement les yeux, me pinçant l'arête du nez pour essayer de me reprendre. Putain mais Allen tu dois arrêter de lâcher les gens quand ils ont besoin de toi. Et juste arrêter de croire que tu as un rôle hyper important à tenir alors qu'on te demande juste d'être présent et de soutenir ! Bordel ! Pourquoi t'en fais toujours une histoire personnelle ?!

-Mais peut-être que si ça peut t'aider, on pourrait tenter une coloc ? Au moins tu serais pas toute seule...

C'est si mal proposé. Ca aurait été une bonne idée si tu l'avais proposé spontanément, sans chercher une solution aussi piteusement.

Allen m'écoute sans m'interrompre, mais je vois bien que tout ça le met mal à l'aise. Ce n'est sûrement pas facile à entendre, mais c'est encore moins facile à dire ! Terminé l'image de la Pandora forte et droite comme une tour de cathédrale. Mettre des mots sur ma déchéance m'aide à réaliser à quel point j'ai sombré. Parce que croyez-moi, c'est très facile de le vivre sans vraiment s'en rendre compte, en faisant simplement l'autruche...

Lorsque le brun reprend le parole, je relève les yeux vers lui avec une expression de surprise sur le visage. Un psy ? Maintenant qu'il le dit, ça semble tellement évident, mais je n'y avais jamais pensé avant... Je me passe une main sur le front avec un léger sourire.

"Eh ben... Non. Je t'avoue que ça ne m'a même pas effleuré l'esprit, mais... C'est pas une mauvaise idée en fait..."

Une personne à qui parler, qui soit à la fois extérieure à tout ça et objective. Et dont c'est le métier de donner des conseils, surtout ! Je suppose que les psys de Terrae ont dû en voir, des cas, ils savent sûrement gérer.

Allen continue ensuite sur sa lancée et je reste un peu pantoise face à ses mots. Il vient clairement de me mettre un gros stop et de me dire qu'il ne peut pas m'aider. Je ne m'y attendais pas, et ça fait mal. Ca fait super mal, mais en même temps je ne peux pas lui en vouloir... C'est la quantième fois qu'il me ramasse à la petite cuillère, déjà ? A un moment, la coupe est pleine, et c'est injuste de ma part d'attendre de lui qu'il recolle les morceaux à chaque fois... C'est même super égoïste en fait. Parce que je sais bien qu'il n'est pas encore tout à fait en phase avec lui-même non plus, et qu'il a raison de vouloir se focaliser sur ses propres problèmes plutôt que sur ceux des autres - les miens, en l'occurence. Je soupire et penche ma tête en arrière pour fixer le plafond un moment, sentant mes yeux picoter un peu. Allez pleure pas, ça sert à rien. Je redresse ensuite la tête pour poser à nouveau mes yeux dans ceux de mon ami.

"T'as raison... Je suis désolée. De venir toujours poser mes problèmes sur tes épaules, alors que t'as déjà les tiens à gérer. C'est juste que... J'ai personne d'autre à qui en parler. Mais dans le fond, je sais bien que la seule personne qui puisse m'aider, c'est moi-même."

Réaliser qu'un truc ne va pas, c'est la première étape pour s'en sortir. La seconde, c'est de décider qu'on veut s'en sortir, justement... Et c'est là que ça coince. Le déclencheur, je ne l'ai pas encore trouvé. Stupidement, j'ai pensé que ça pourrait peut-être être lui, mais ça ne fonctionne pas comme ça. La réponse, elle est quelque part en moi, et c'est le moment d'être forte et de me bouger le cul pour la trouver. "You never know how strong you are until being strong is the only choice you have." J'crois que cette phrase n'a jamais autant fait écho que maintenant.

Résolue, j'esquisse un nouveau sourire au brun tout en secouant la tête à sa proposition.

"C'est gentil de proposer, mais je ne veux pas être un fardeau. J'veux pas que tu prennes sur toi la responsabilité de me surveiller... Après tout, j'suis une grande fille, hein ! J'crois que j'avais juste... Besoin que ça sorte. Mettre des mots sur ce qui se passe. Je suis désolée de t'avoir mis dans cette situation..."


[Désolée pour la longueur, je craque ! Wah j'ai la p'tite larme à l'oeil là quand même ! J'vais tirer des leçons de vie de Pando je crois xD]

HRP : Arrête Pando me met trop mal, j'ai envie de gifler Allen là omg. Déjà quand j'écrivais hier il m'a saoulée à se mettre en retrait comme ça lààà.

Mon coeur se serra si fort en voyant les yeux de Pandora devenir humides que l'espace d'un instant, la seule chose que j'eus envie de faire fut de la prendre dans les bras pour lui dire de rester et de ne pas partir. Pas comme quand Aria l'a fait. Je voulais pas revivre ça. Mais en même temps Allen, p'tain mais qu'est-ce que t'es con ! Tu rejettes ceux qui te sont chers dès que tu sens que c'est trop pour toi, et tu espères qu'ils vont rester ? Alors que tu les rejettes parce que leur détresse ne te convient pas ? Mais tu t'es pris pour qui en fait ?

Et alors que j'allais essayer de briser le silence pour m'excuser, Pandora baissa à nouveau les yeux, les ancra dans les miens, et un frisson me parcourut l'échine tandis qu'elle reprenait la parole. Non. Non, tu peux pas dire ça. Bordel mais non. Tu fais la pire chose de la Terre en fait, et même ma psy me le répète sans arrêt : tu n'as pas à t'excuser d'aller mal ! C'est à moi de m'excuser d'être un gros con ! Mais pourquoi c'est si dur ? Pourquoi c'est si dur d'être là pour les autres ? Pourquoi j'arrive pas à donner de ma personne ? Pourquoi j'arrive juste pas à être le soutien dont mes amis ont besoin ? Ca vient d'où ça putain ?! Pourquoi j'arrive même pas à lui répondre ?!

Un ange passa avant que Pandora reprenne la parole. Pour s'excuser, encore. Pour me dire qu'elle ne voulait pas être un fardeau. Je l'ai fait se sentir comme un fardeau. Est-ce que je ne suis pas la pire des pourritures ? Bien sûr que je suis la pire des pourritures. Je la fais se sentir encore plus mal. Je la fais s'excuser une PUTAIN DE DEUXIEME FOIS.

Je sentis que mes poings se serraient de frustration et je me mordis la lèvre inférieure pour essayer de me contrôler. Si je croyais que j'avais progressé depuis le début de ma thérapie, je faisais clairement fausse route, je crois.

-Quand j'ai sombré dans l'alcool, c'est un peu parti de rien, à vrai dire.

Et les mots s'échappèrent tout seuls.

-Avant que ça arrive, je m'étais disputé avec Aoi, parce que j'avais découvert qu'elle avait des nouvelles de mes parents, par le biais de sa mère, et qu'elle ne m'avait rien dit. Si je suis arrivé à Terrae, c'est parce que du jour au lendemain, mes parents ont disparu -avec ceux de Mitsu- ne laissant derrière eux qu'une maison en flammes.

Je baissai les yeux, fixant mes pieds. Je n'avais pas la moindre idée de pourquoi je balançais ça là, comme ça, maintenant. La seule chose que je savais, c'est que c'était la première fois que j'en parlais à quelqu'un d'autre qu'à ma psy.

-Après ça, j'ai plus jamais eu de nouvelles. Les pompiers ont supposé qu'ils étaient morts dans l'incendie, même s'ils n'ont retrouvé aucun corps. Et j'étais persuadé que c'était pas le cas, alors j'ai continué à y croire, sans vraiment comprendre la raison pour laquelle ils nous avaient abandonnés comme ça.

Mes poings se desserrèrent alors que je ramenais mes mains devant moi.

-J'me suis documenté à fond sur l'ancienne Terrae, parce que j'savais qu'ils venaient de là-bas, et bref, quand j'ai découvert qu'ils étaient encore en vie, et que pire, d'autres personnes avaient des nouvelles d'eux alors que de mon côté c'était le silence radio, ça m'a mis hors de moi.

Est-ce que c'était vraiment pour ça que j'avais commencé à boire ? Je n'sais pas. Probablement.

-Peu de temps après, à cause d'une connerie de gamin qui se balade là où il a pas le droit, j'ai découvert l'Avatar, qui était enfermée dans les sous-sols de Terrae. J'avais clairement rien à foutre là, et c'est donc un peu de ma faute si elle a été libérée. Elle a alors attenté à la vie d'Aoi, qui a failli mourir, par ma faute. Et puis après, j'ai commencé à stagner. J'étais capable de rien, j'avançais pas, je mettais tout le temps en danger les gens autour de moi. Et quand je les mettais pas en danger, je leur faisais juste du mal à cause de ma jalousie.

Alors c'est pour ça ? C'est pour ça que tu te fais pas confiance pour aider les autres, espèce de crétin ?

-Tout le monde a commencé à évoluer, Mitsu est passée Master, Aoi aussi, et moi je restais là, incapable de bouger, sans comprendre comment Mitsuki pouvait laisser couler l'abandon de mes parents, sans comprendre comment Aoi pouvait juste faire comme si elle n'avait jamais failli mourir.

Je me pinçai la lèvre inférieure, sentant les larmes me monter aux yeux. Putain mais sans déconner ! C'est pas elle qui est sensé aller mal là ?!

-Alors j'ai bu. Parce que quand on boit, tout semble plus simple. Tout disparaît, on oublie tout... Et en plus, si jamais on fait une bêtise ben... On peut dire "c'était pas vraiment de ma faute, j'étais bourré."

Et là, mes amis ont été là pour moi. Alors que moi j'ai jamais réussi à l'être pour qui que ce soit.

Je me passai une main sur le visage, soufflant un coup pour trouver le courage de relever le regard vers Pandora.

-T'as jamais à t'excuser d'aller mal. Et j'veux plus jamais que t'aies l'impression d'être un fardeau pour moi. Parce que tu l'es pas. J'suis juste trop con pour comprendre qu'aider les autres, parfois, c'est juste pardonner et tendre la main.

Et oui Allen. On ne t'a jamais demandé plus que ça. Et toi, tu en as toujours fait une montagne.

HRP² : Mdr là j'te sors un #c'étaitpasprévu

Allen a l'air... Fâché ? Je le vois serrer les poings, il tremble un peu, et je ne suis pas sûre de comprendre ce qui se passe dans sa tête. Et puis d'un coup, c'est comme si le barrage cédait, et il me déballe toute sa vie, comme ça, chaque épreuve, chaque étape qui l'ont conduit au bord du gouffre. Mes yeux s'agrandissent un peu plus à chaque révélation, et je me rends compte à quel point je ne savais rien du tout de son passé. Je n'ai jamais rien demandé, par peur d'être indiscrète, et surtout parce que je sais qu'il est comme moi ; extérioriser ce genre de choses, c'est plus difficiles pour certains que pour d'autres ! Mais je n'aurais jamais imaginé qu'il avait traversé tout ça...

Son flot de paroles finit par s'arrêter, et je me trouve bien incapable de lui répondre, les mots restant coincés dans le fond de ma gorge. Je me contente de soutenir son regard, et je lui prends la main, je la serre fort dans la mienne. Comment il peut dire que son alcoolisme est parti "un peu de rien" après tout ça, sérieux ! N'importe qui aurait craqué, lui encore plus que les autres, à cause de sa foutue manie à tout garder à l'intérieur jusqu'à ce qu'il n'y ait plus de place et que ça explose. Ouais, j'fais la même chose, je sais. Nous restons silencieux un long moment, avant que je ne retrouve finalement l'usage de ma voix.

"Je- j'avais aucune idée de tout ça... J'sais pas quoi te dire, c'est horrible tout ce qui t'est arrivé... Est-ce que... T'as repris contact avec tes parents ?"

Ce n'est sans doute pas la meilleure chose à dire, mais c'est tout ce qui me vient. Pour avoir perdu ma mère, je sais la déchirure qu'engendre la perte d'un parent. Mais moi au moins, j'ai pu lui dire au revoir, j'avais une tombe où me recueillir... Alors qu'une disparition, ou plutôt un abandon carrément, ça doit être tellement pire ! A sa place, j'aurais pété un câble aussi...

Je sais à quel point c'est frustrant de voir les autres autour de soi avancer alors qu'on est coincé dans sa peine et sa rancoeur. Je le sais parce que moi non plus, je n'arrive pas à lâcher prise, à laisser le passé où il est et reprendre ma vie comme si rien ne s'était passé. Mais si il y a bien un truc que j'ai appris, c'est que ça ne sert à rien de se comparer aux autres. On n'est clairement pas tous égaux face aux épreuves de la vie, mais on n'a pas d'autre choix que de faire avec les armes qu'on a... Et clairement, à ce niveau-là, lui et moi on n'a pas trop été gâtés par la nature, alors ça prend du temps. Beaucoup de temps.

C'est effrayant à quel point on se ressemble tous les deux. Mais en même temps, c'est rassurant de me dire qu'il y a au moins une personne qui puisse me comprendre... Alors je décide de tout lui dire, moi aussi. Pas parce que je m'attends à ce qu'il trouve une solution et règle mes problèmes à ma place, mais juste parce que je lui fais confiance, et qu'une peine partagée est diminuée de moitié...

"Je bois pas vraiment pour oublier. Je bois parce que... Ca me fait devenir quelqu'un d'autre, et en ce moment c'est tellement plus facile que d'être moi. Je sais que c'est lâche et que c'est nul, mais sur le moment ça m'a semblé être la seule solution pour faire face et continuer à vivre sans passer mes journées à pleurer au fond de mon lit. Pendant plusieurs mois, j'me suis persuadée que j'avais le contrôle, que c'était juste "temporaire" et que j'en avais besoin pour remonter la pente. Alors que j'étais totalement en train de sombrer mais que je refusais juste de l'admettre... Et puis on m'a proposé de l'ecstasy, et d'un coup le monde a retrouvé ses couleurs. Jusqu'au lendemain matin, où c'était de nouveau ce visage terne et ces yeux vides qui me fixaient dans la glace. Alors j'en ai repris, encore et encore... Et maintenant, la seule chose qui me fait tenir la journée, c'est de me dire qu'au soir je vais pouvoir recommencer."

Cette fois je sens les larmes dévaler mes joues, et je n'essaie même plus de les arrêter. Je serre mes poings sur mes cuisses et reprends d'une voix rauque.

"J'ai tellement peur, si tu savais. De rester seule, de finir seule... J'ai l'impression d'avoir tellement à donner, mais personne à qui le donner. J'ai perdu toutes les personnes que j'ai aimées, que ce soit en amour ou en amitié d'ailleurs, de tous ceux qui ont vraiment compté pour moi, il n'y a plus que toi. Et je comprends pas, je comprends pas si le problème vient de moi ou si j'ai juste la pire malchance du monde... Je suis seule jusqu'au plus profond de mon âme, et je crève d'envie d'être aimée mais j'ai tellement peur de souffrir encore plus que je me cache derrière un mur blindé et je repousse quiconque s'approche de trop près. C'est totalement contradictoire, je suis coincée dans ce cercle vicieux à la con et j'en vois pas la sortie..."

Au point où j'en suis, j'ai même presque perdu espoir qu'il y en ait une.


[HRP: mais Allen qui se confie ENFIN <3 on les a tellement perdus là :'( ]

Je baissai les yeux sur ma main quand Pandora la serra dans la sienne. Les souvenirs me ramenèrent quelques années en arrière. J'étais quand même un gamin, à l'époque... J'avais quoi, 18 ans ? Quand elle reprit la parole, ne rebondissant pas sur les dernières choses que j'avais dites, un léger rire m'échappa et je hochai la tête. Si j'avais repris contact hein...

J'crois que je pourrais jamais oublier ce moment. Ys avait pris la décision de retrouver nos parents. Oh, pas pour moi, hein, pour Mitsuki, à qui il s'était attaché bien plus qu'il n'osait l'avouer. J'me souviens d'ailleurs de ce voyage et de cette amitié naissante, contradictoire et gênante par moment d'ailleurs, sachant que j'étais moi aussi encore amoureux d'elle. Quelques dix-huit années à l'aimer sans jamais oser lui dire ce que je ressentais hein. Quand il s'est lancé dans ce voyage pour retrouver ses parents, il m'avait demandé de l'accompagner, partant du principe que je devais forcément mieux les connaître que lui, vu que nous avions été voisins presque toute notre vie. Et puis, mes parents devaient bien être avec eux vu qu'ils avaient disparus en même temps.

Alors après de longues recherches et beaucoup d'échecs, on avait fini par les retrouver. J'me souviens tellement de ce sentiment que j'ai éprouvé quand j'ai ouvert la porte du chalet et que je les ai vus, vivant leur vie normalement, comme si de rien n'était. Je me souviens de Maman qui s'est jetée sur moi pour m'enlacer, je me souviens l'avoir repoussée, je me souviens de ces larmes qui ont embué ses yeux, et du regard que papa m'a jeté. Je détournai légèrement le regard. Je me souviens aussi de toute la colère qui bouillonnait déjà en moi, de tout ce qui n'allait pas dans ma vie et que je leur reprochais. Parce que s'ils n'étaient pas partis, s'ils ne nous avaient pas abandonnés, alors j'aurais pas fini ici. J'aurais pas libéré l'avatar, Aoi n'aurait pas manqué de mourir, Mitsuki ne se serait pas fait exploser avec un missile, il n'y aurait pas eu de mort lors de ma toute première mission ; je n'aurais tout simplement pas été obligé d'évoluer dans ce monde de fou sans avoir la possibilité de retourner à ma vie d'avant.

N'arrivant pas encore à mettre suffisamment d'ordre dans mes pensées pour proposer une réponse correcte à Pandora, ce fut donc elle qui reprit la parole en premier. Je relevai le regard vers elle, l'écoutant sans l'interrompre. Je connaissais tellement ce sentiment. Sauf que j'avais été suffisamment loin dans l'alcool pour, moi, finir par boire à toute heure de la journée. Et Pandora, elle, avait eu suffisamment de force mentale pour se limiter aux excès le soir...
Les larmes commencèrent à s'accumuler sur le coin de ses yeux, avant de se décider enfin à dévaler ses joues. Un pincement au coeur, j'avançai ma main pour reprendre la sienne entre mes doigts, l'invitant doucement, par le geste, à desserrer son poing. J'attendis qu'elle termine de parler pour prendre enfin la parole.

-On va déjà y aller pas à pas. J'vais pas te faire la promesse que tu trouveras quelqu'un un jour et que vous serez ensemble, parce que j'suis le pire pour ça et que moi-même j'me demande comment ça va finir pour moi. C'que j'peux te dire par contre, c'est que t'es vraiment une fille chouette, et que si t'aime pas le visage que tu vois dans le miroir parce que tu le trouves trop vide de vie, ben moi j'le trouve plutôt sympa ce visage, et je pense que sans ce joli sourire j'aurais quitté la boutique depuis longtemps !

Je lui adressai un sourire doux, posant ma deuxième main sous la sienne pour la tenir entre mes deux mains.

-Et c'que je peux te promettre aussi, c'est d'être avec toi et t'accompagner au moins pour essayer de se débarrasser de cette drogue.

Je libérai l'une de mes mains pour aller essuyer les larmes sur sa joue.

-Mais peut-être que pour ça, ça serait vraiment mieux qu'on soit en coloc, parce que j'vais pas pouvoir être tout le temps au téléphone avec toi pour t'empêcher de faire des bêtises ! Ce sera trop facile de raccrocher !

Je laissai un mince sourire étirer à nouveau mes lèvres tandis que je me levai du lit, en profitant pour m'étirer.

-Et ouaip, j'ai repris contact avec mes parents. Ca a pas été folichon au début, j'ai quelque peu reporté toute les fautes du monde sur eux. Mais maintenant tout ça ça va mieux, on peut dire que les thérapies ont aidé. Après on s'voit pas si souvent que ça mais... Au moins j'suis plus en colère.

Et balancer un peu tout ça au milieu de nulle part a au moins eu le mérite de m'aider à comprendre pourquoi j'étais un gros con qui fuyait tout le temps dès qu'il s'agissait d'être là pour les autres.

Après j'garantis rien, hein. Là ça vient de me donner une force de bâtard, mais probablement que dans quelques heures je serais roulé en boule dans un coin à me demander pourquoi j'ai dit tout ça.

Après une certaine hésitation, je m'ouvre finalement à mon ami au sujet de ma descente aux enfers, des doutes et des peurs qui me rongent depuis de longs mois maintenant. Les larmes dévalent mes joues à mesure que les mots s'échappent, c'est douloureux mais à la fois ça fait tellement de bien de pouvoir se confier... Allen m'écoute en serrant mes mains dans les siennes, me laissant vider mon sac avant de reprendre la parole. Je laisse échapper un rire mêlé de larmes à son compliment, et relève les yeux vers lui en reniflant légèrement.

"Ah bon ? Moi qui croyais que c'était pour Jerem' que tu t'accrochais à ce job !"

Mdr. Non mais en vrai, il est quand même assez cool comme patron, on n'a pas à se plaindre. Mais l'heure n'est clairement pas aux plaisanteries, et soutenant toujours le regard du brun, je hoche doucement la tête alors qu'il essuie délicatement mes larmes tout en me promettant son soutien tout au long du chemin que je m'apprête à emprunter.

"Merci... Je vais... Aller voir quelqu'un, aussi. J'vais avoir besoin de l'aide d'un professionnel je crois."

Décider de s'en sortir c'est bien, avec le soutien de ses amis, c'est encore mieux... Mais ça ne va tout de même pas être une promenade de santé, et une aide extérieure ne sera sûrement pas de trop. J'ai toujours eu des réticences à consulter un psy, mais si je veux mettre toutes les chances de mon côté, je n'ai pas trop le choix... Et puis, ça a l'air de lui faire beaucoup de bien à Allen, alors pourquoi pas à moi aussi ?

Il renouvelle ensuite sa proposition de colocation, et cette fois je prends vraiment le temps d'y réfléchir, gardant le silence un petit moment. Est-ce que c'est vraiment une bonne idée ? Je ne sais pas. D'un côté, je ne serais plus jamais vraiment seule, mais d'un autre... Le risque de me reconstruire autour de lui et devenir dépendante de sa présence est bien trop grand, et ce ne serait pas du tout constructif. Sans parler du fait que j'ai pris mes petites habitudes à vivre seule, et si la plupart sont auto-destructrices et doivent changer, il y en a certaines que je ne suis pas prête à abandonner. Comme la possibilité de jouer de la musique à toute heure du jour et de la nuit. Le petit joint avant de dormir. Les plans culs occasionnels aussi... Je finis donc par secouer la tête en lui expliquant.

"Je ne suis pas sûre que ce soit une bonne idée... J'ai peur de devenir... J'sais pas, dépendante de toi en quelque sorte ? On se voit déjà tous les jours au boulot, si j'emménage ici en plus, ça veut dire que tu seras là avec moi à chaque seconde... Et même si c'est tentant, je risque vraiment de bâtir ma reconstruction sur toi plutôt que sur moi-même. C'est important que je réapprenne à vivre avec moi-même j'crois."

Je lui offre un sourire sincère. J'espère qu'il comprendra et ne le prendra pas mal. En soi, l'idée d'une coloc n'est pas si mauvaise, mais il faudrait que ce soit avec une personne neutre histoire d'éviter tout risque de transfert quoi... En plus je ne suis vraiment pas sûre qu'il ait bien pensé à tous les aspects de la cohabitation avant de me le proposer, je lui rends sûrement service là ! Vivre avec ses amis est rarement une bonne idée, c'est là qu'on remarque tous les petits défauts de l'autre, qui d'habitude ne nous dérangent pas mais qu'on ne peut plus supporter à force d'y être exposés. Et franchement, s'il y a le moindre risque de ternir notre amitié, je ne veux pas le prendre !

"En plus t'as oublié que je suis musicienne ou quoi ? Tu peux dire adieu à tes moments d'étude si je squatte ici !! Mais plus sérieusement... Je te promets de venir te voir si je suis sur le point de faire une connerie. On reste quand même voisins hein !!"

Seulement quelques petits mètres nous séparent, je peux toquer à sa porte n'importe quand et lui à la mienne... Ca devrait aller. Mon sourire s'allonge légèrement lorsque le brun me parle de ses parents. Il a l'air d'avoir fait la paix avec son passé, et c'est tant mieux.

"Tant mieux alors... Je sais qu'on ne choisit pas sa famille, mais c'est important quand même ! Parfois, j'hésite à essayer de retrouver la trace de mon père... Même si je ne sais pas trop comment je pourrais m'y prendre, mais bon."

Toutes les affaires de ma mère et ma grand-mère sont encore dans le grenier de mon appartement londonien. Je n'ai jamais eu le courage d'y chercher des réponses, mais un jour, peut-être... Mais chaque problème en son temps.

Quand Pandora rejeta ma proposition de colocation, un sourire étira délicatement mes lèvres et je dus même retenir un léger rire, me contentant de hocher la tête en réponse à toutes ses précautions. J'avais presque l'impression de me voir dans un miroir quand j'ai réalisé que je devais prendre du temps pour moi, prendre le temps de me reconstruire, de me comprendre. J'aurais tant aimé qu'Aria le comprenne sans le prendre pour elle, ce jour-là... Qu'en était-il maintenant ? Avait-elle compris ce que je voulais dire, même si j'avais été si maladroit ? Je décidais de chasser cette pensée. Ce n'était pas le moment de penser à ça.

-Bon, j'avoue, la coloc c'était p't'être pas une bonne idée. Mes partiels approchent en plus, on arrive à la fin de l'année scolaire, va falloir que je cartonne pour valider mon année ! Alors si tu joues de la basse à côté ça va pas le faire.

Je lui adressai un léger clin d'oeil, content de la tournure qu'avaient pris les événements. Même si je sentais que c'était loin d'être fini, et qu'il y allait encore y avoir des crises à passer. Mais l'avantage, c'est que Pandora était bien plus forte que moi, elle arriverait forcément à gérer la situation, je lui faisais confiance. Peut-être un peu trop d'ailleurs, mais ça, seul le temps pourrait nous le dire.

-A la place je propose un rituel pizza-film une fois par semaine. Comme ça ce soir-là au moins on est sûrs tous les deux que tu seras pas dehors à te faire du mal !

Et puis avec le temps, peut-être qu'on pourra même sortir vraiment un soir, voir que c'est possible de passer une soirée sans rien prendre et s'amuser quand même... Mais ouais, j'imagine que c'est pas franchement trop possible encore. On attendra. Quand on en sera là, elle aura bien avancé déjà.

Je répondis à sa question concernant mes parents, et ses mots me firent sourire. Je haussai une épaule en m'installant sur ma chaise de bureau pour être en face d'elle et non plus à côté, sur le bord du lit.

-Ben écoute, le temps a prouvé que j'étais pas si mauvais enquêteur pour retrouver des gens... J'pense qu'il y a une part de chance, mais si jamais t'as besoin de quelqu'un pour t'accompagner à ce moment-là, j'suis là.

Allen ne semble pas du tout prendre mal mon refus et rebondit même sur ma plaisanterie, aussi je me détends et lui adresse un léger sourire. Je suis sûre qu'il en a bien compris la raison profonde, lui aussi est passé par là ! Ce n'est pas la peine de s'étaler plus sur le sujet, aussi je renchéris sur ses cours.

"Oh mais c'est vrai, c'est pour bientôt déjà ! Et ça va aller, tu es prêt ?"

Quand je pense que je parlais de reprendre des études l'année dernière, de reprendre ma vie en main... On en est bien loin, hein. Je conserve l'idée dans un coin de ma tête, mais ce ne sera clairement pas encore pour cette prochaine rentrée scolaire. L'idée de cours à distance se fait quand même de plus en plus attractive, ça me permettrait d'avancer à mon rythme plutôt que de me mettre la pression avec des horaires scolaires stricts...

Je hoche ensuite la tête avec un sourire à sa proposition. Bon, c'est déjà plus ou moins ce qu'on fait de façon tacite, mais prévoir un rendez-vous régulier n'est pas plus mal. La routine, il paraît que c'est rassurant, et c'est sans doute ce dont j'ai besoin pour le moment...

"D'accord, ça marche ! On peut dire les samedis ? Vu que la boutique est fermée le dimanche, c'est le soir où... J'ai tendance à faire le plus d'excès en général, hm. A moins que tu aies déjà des obligations ?!"

Non mais je ne voudrais pas non plus m'imposer ! Déjà que j'ai été une amie nulle ces derniers temps, je ne voudrais pas en plus me mettre en travers de ses plans. S'il en a... Ce dont je n'ai aucune idée, vraiment. Quand je vous dis que j'ai été une amie nulle dernièrement, bien trop centrée sur moi-même pour m'intéresser à autre chose.

"Sinon, je n'ai même pas pensé à te demander, mais quoi de neuf ces derniers temps ? Je sais bien que ma vie est un peu un naufrage, mais je ne voudrais pas que ça t'empêche de parler de la tienne et de ce qui t'arrive..."

Parce que c'est tout aussi important ! Se soutenir, ça va dans les deux sens hein... Et si les nouvelles sont bonnes, le savoir heureux me rendrait déjà un peu le sourire ! Je hausse ensuite les épaules lorsque vient le sujet de retrouver mon père. Je garde son offre dans un coin de ma tête, mais ce n'est clairement pas un choc que je suis prête à endurer dans un futur proche !

"Un jour, peut-être, on pourra en reparler... Je n'ai jamais eu le courage de fouiller dans les affaires de ma mère, et ça ne risque pas d'arriver tout de suite. Mais... Oui, un jour ou l'autre, je voudrai sûrement des réponses."

Quand je serai devenue assez forte pour les entendre, ce qui prendra du temps.