Evidement tu es sur ton trente et un aujourd’hui. Tu es pas si mal comme ça. Ca te va plutôt bien. Dans le genre. Une p’tite chemise, un jean. On dirait presque que tu es normal. Enfin, si on oublie de remarquer les traces de peinture au niveau des poignets… Il ne faut pas abuser, tu ne peux pas être trop propre sur toi. On t’a dit de venir bien sapé mais pas de laisser ton originalité ou ta personnalité de côté.

Remarque suffit de te regarder pour comprendre que t’es pas un gars comme les autres, certes cela ne se voit pas au premier regard. On pourrait te qualifier de grand, mais dans la norme, de brun mais pas de ténébreux. Tes grand yeux n’y sont pas étrangers, car le soleil de la journée les fait briller du plus étrange des éclats. Si d’aucun ne se douteraient que leur olive, car au soleil ils ne sont que lumière et chaude ambre.

Quand tu rentres dans l’établissement, tu te dis qu’il a un peu changé. En quoi ? Tu n’en es pas certain. L’ambiance sans doute. Ou peut-être toi ? Les deux à la réflexion, tu n’y avais pas mis les pieds pour un rencard depuis l’esclandre avec Tiago. Heureusement plus rien de ce genre ne pourra se produire, sur ton profil la photo de fée verte n’est plus la première, elle n’est même plus présente en réalité remplacées par celles plus ou moins réussies de Mitsuki. Toujours est-il que grâce à elle tu avais eu plusieurs matchs.

Tes pupilles s’étirent quand tu entras dans la pénombre du bar, et l’ambre laisse place au vert habituel de tes orbes. Tu t’avances vers le zinc, c’est là qu’il doit te rejoindre. Il te faut commander quelque-chose, mais tu ne comprends rien à la carte, et une chose est certaine, tu ne peux pas prendre d’alcool. Alors tu regardes la serveuse pour attirer son attention. Ce n’est certes pas la meilleure des tactiques, mais celle qui te ressemble le plus. On n’attend pas dans un bar sans verre à la main.

__-Une soirée tranquille, y’a pas à dire, ça fait plaisir. Ça fait plaisir parce que ça veut dire deux choses : d’une, que je peux me reposer un peu et en foutre pas trop, et rien foutre est de très loin mon activité préférée. De deux, parce que je peux recevoir des clients un peu spéciaux et leur donner des commissions un peu spéciales. Du cannabis, on va pas jouer à ce petit jeu là plus du temps d’une phrase. Ils m’envoient un message avant de venir, commandent un truc et je leur apporte un sachet avec la note. Maintenant que j’ai un boulot, je n’en ai même plus besoin, c’est juste pour ne pas laisser tomber mes anciens clients. Je me suis promise de ne plus en prendre, c’est déjà ça.
__-De client, pas d’herbe. Ça, ça ne risque pas d’arriver. J’en ai même sur moi. Dans mes poches, toujours, quelques unes dans mes cheveux. Je ressemble moins à une phyto-clocharde, par contre. C’est passé de sauvage à composé. Je me jardin-à-l’anglainise, on va dire. Il me resterait encore un truc à faire avec les plantes : en foutre dans le bar. Pour l’instant, je sélectionne des variétés, fais des tests, essaie surtout de comprendre la comptabilité, la gestion des stocks, ce genre de choses. La décoration c’est quand j’aurai du temps, mais tout celui que j’ai de libre, je le passe à rien glander. Ouais nan devenir une adulte responsable et intégrée dans la société c’est pas encore ça.
__-Là, le dernier est reparti et il n’y a plus que deux… non, trois personnes. Ça tête me dit un truc… Et ses mains, quand elles ont quelque chose de spécial, j’oublie pas les pognes des gens – allez savoir pourquoi. Impossible de recadrer son nom, mais je suis sûre d’avoir déjà croisé ces tâches de peinture.
__-Il a l’air d’attendre quelqu’un. Qui a l’air d’être en retard. Il me regarde. Je suis assise sur mon tabouret, à attendre qu’il me demande un truc. Il ne dit rien. Je mets un upvote sur la connerie que je regardais sur Reddit et vais le voir.
__-« Alors mon pote, qu’est-ce que ce sera pour toi ? Et on s’est pas déjà vu ? T’es Terre, nan ? »

Tu as beau savoir que ce n’est pas grave d’avoir du retard, cela te stresse toujours autant quand toi tu fais l’effort d’être à l’heure. C’est évident, bien entendu, que ce n’est pas régulier. Tu as souvent des problèmes avec la régularité du temps, certains instant te paraissent des éternités quand d’autres sont bien trop courts. Faut avouer que c’est jamais bien facile pour toi d’être dans les temps, aussi quand tu as un rendez-vous tu vérifies à peu près cinquante fois que c’est la bonne heure et tu mets au moins trente réveils. Bon c’est un peu à la louche. Certes. D’ailleurs pris d’un instant de flip tu regardes impulsivement l’écran de ton portable qui est par miracle chargé aujourd’hui. Non c’est bon tu ne t’es ni trompé de date ni d’horaire.

Ah et la serveuses a enfin pigé que tu l’appelais du regard, tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes. Sauf qu’elle te pose quand même beaucoup de questions et que t’as pas encore la réponse à toutes… Donc tout se mélange en un magnifique :

« Euuuuuuuuuh. »

Certains diraient que c’est une réaction normale à un trop plein d’informations questionnées, mais sincèrement ça te donne juste l’air débile. Alors voilà maintenant aligne tes trois neurones et réponds.

« Euh oui, salut, moi c’est Angie, j’crois on s’est déjà croisé mais jamais parlé… »

Oui c’est probable vu que tu ne te souviens pas d’elle mais qu’elle a un bras en liannes. Genre elle c’est une terre une vraie.

« Tu proposes quoi de pas alcoolisé ? »

Histoire que tu ne sois pas bourré pour ton date. Ca fait mauvais genre. Et je sais de quoi je parle…

__-Ouah. J’ai trouvé quelqu’un de plus long à la détente que moi. Et ce alors qu’on est sobres tous les deux. Incroyable. Ce jour devait donc arriver.
__-« Enchantée. Luna. »
__-Normalement, un patron de bar demanderait pas comme ça au pif le nom d’un client ou donnerait pas forcément le sien, mais on doit être, genre, voisins de pallier ou un truc du genre.
__-« Alors, en pas trop alcoolisé… Ben y’a toujours les sodas… J’ai du Pepsi – jamais tu ne verras de Cola chez moi –, de l’Orangina – oui, je suis au courant de l’ironie de la chose –, du Seven Up, de l’oasis et tous les trucs japonais dont je serais infoutue de te lire l’étiquette et que tu peux voir là derrière… Puis j’ai de la limonade. Et du jus de fruit. Pomme, litchi et pareil, des machins japonais que je n’ai pas envie d’essayer de prononcer. »
__-Ouais, ça fait très professionnel de pas lire la langue dans un bar achalandé principalement par Tokyo, je sais. Mais franchement, ça m’a pris des années pour baragouiner un anglais compréhensible, il ne faut pas s’attendre à ce que j’arrive à maîtriser le japonais là comme ça. Surtout si je ne fais aucun effort dans ce sens. Ce qui serait peut-être un truc à prendre en compte, à l’avenir. Ouais. On va rajouter ça à la liste des trucs à faire pour devenir une adulte responsable.

« Donnes-moi un truc que tu ne veux pas prononcer, comme ça il disparaitra et tu n’auras plus besoin de dire que tu ne peux pas le prononcer. »

Ta logique me semble toujours si candide. As-tu oublié ce qu’il arrive quand on ne sait pas ce que l’on demande ? Et bien, on n’a pas ce que l’on souhaite. C’est déjà le premier inconvénient de la manœuvre. Ensuite on risque d’avoir de l’alcool quand on ne sait pas lire le japonais… Et pour finir, en plus de ne pas avoir ce que l’on souhaite et de potentiellement tomber sur de l’alcool… Et bien… On se retrouve avec quelque-chose d’alcoolisé, qui n’est pas ce que l’on veut, et qui en plus a mauvais goût. Tant pis pour toi.

Parce qu’évidemment, faut pas se mentir ce qu’elle te sert est abject. Ceux qui maitrisent les kanjis auront pu lire « ginger beer » et ceux qui ne les maitrisent pas mais en ont déjà bu savent à quel point ce liquide tient du souffle du dragon. Sérieusement, ça arrache la gueule, même sans alcool. Tu grimaces parce que tu n’as rien de mieux à faire, et que tu ne peux pas t’en empêcher. Si t’étais malin tu commanderais autre-chose, mais tu as oublié d’être malin.

« Tu as déjà gouté ce truc ? » tu demandes à la barmaid. Barman ? On dit comment pour être politiquement correct ? T’en sais quelque-chose ? Non ? Bon, t’es toujours d’aucune aide. Sérieux. Tu abuses.

__-Euh.
__-Je me gratte la tête. J’ai un peu envie de lui dire que c’est pas comme ça que ça marche, parce que je ne vais pas lui servir le dernier exemplaire de la boisson en question et comme on m’en demande, je dois garder des stocks, donc en recommander quand il n’y en a plus… Mais d’un autre côté, j’ai été pilier de bar assez longtemps moi-même pour savoir ce que ça veut dire en sous-texte : que le mec, il n’a aucune idée de ce qu’il veut, qu’il commande plus par prétexte que par envie de boire – en même temps, qui va dans un bar pour boire seul le contenu d’une cannette – et qu’il n’a pas envie de me déranger en passant cent-sept ans à choisir.
__-Je lui dirais bien que j’en ai rien à foutre vu que là c’est calme et que s’il veut prendre son temps pour choisir il peut, mais j’ai eu de l’anxiété sociale assez longtemps pour savoir que des fois, on a juste pas envie de s’épuiser à prendre une décision et que se faire dire qu’on peut prendre son temps, ça ne fait que rajouter de la pression.
__-Et c’est pas parce que j’en vend que… ouais non vous savez quoi, même pour moi ce jeu de mot est à chier, flemme de le finir.
__-Du coup dans le doute, je lui sers un truc sans alcool mais qui a quand-même un peu de personnalité, histoire qu’il se retrouve pas avec un bête soda à la con. Je crois que c’est une bière au gingembre ?
__-« Tiens champion. »
__-Ah, à voir sa tête, c’est bien une bière au gingembre.
__-« Euh, je ne crois pas, non. Ça peut paraître étonnant, mais en fait, je me suis renseigné et pas mal de bars tokyoïtes semblent proposer cette boisson. C’est donc qu’il y a déjà un marché, tu vois ? Donc que je n’ai pas besoin de vérifier si elle vaut le coup. Et puis, tu sais, moi les boissons sans alcool… Enfin vu la tronche que tu tires, tu veux autre chose ? Comme t’as commandé au pif, je te l’offre. »
__-Par contre, si tu tombes deux fois d’affilée sur un truc dégueu… ben là tant pis pour toi.
__-« T’attends quelqu’un ? »

Champion ? Je crois que toi tu n'as pas tiqué, mais moi je crois qu'elle se fout de ta gueule. Elle sait que ça va être particulièrement dégueulasse et soit petit a, elle t'encourage pour l'épreuve à venir, soir, petit b, elle te traite de champion pour ne pas te traiter de demeuré. Enfin quelqu'un qui comprend la manière dont je te vois.

"Avec plaisir, tu as du sirop de grenadine, ou un truc dans le genre ?"

Les goûts et les couleurs... Tu peux comprendre beaucoup de choses mais à priori, tu dirais que la cavité buccale humaine n'est pas fait pour accueillir cet étrange breuvage qu'est la gingerbeer. C'est beaucoup trop fort, et ça arrache pas mal la gueule, mais après tout si tant de personnes fument alors que ça promeut les cancers, et bien autant te dire que c'est pas si étonnant que les gens puissent boire ce truc dégueux. Autant boire de l'acide acétique, oui tu sais que c'est du vinaigre, bref.

Elle est quand même vachement sympa de te proposer de boire quelque-chose d'autre, et même si elle ne t'avait proposé qu'un verre d'eau plate du robinet pour te rincer la bouche, elle aurait été ta sauveuse.

"J'attends..."

En fait tu t'en veux d'être un peu gêné à cet instant, t'aimerais être capable de fièrement porter tes couilles et de dire "mon rencard Tinder" mais tu sais pas. Tu sais qu'on n'a pas à te juger, mais ça t'angoisse encore un peu parce que dans un coin obscur de ton cerveau il y a une petite voix qui dit "tinder c'est tricher !"

"Mon rencard, mais je crois qu'il m'a posé un lapin. A partir de combien de temps on considère que c'est un lapin d'après toi ?"

__-T’as raison, reste sur une valeur sûre. Je cherche un peu dans les placards – c’est que j’ai pas beaucoup de mineurs qui viennent, les seules fois où on me demande du sirop c’est quand des jeunes veulent une bière mais sont pas encore taillés pour la boire pure – et en verse dans un grand verre cylindrique. Je lui demanderais bien entre eau plate, gazeuse ou limonade pour avoir un diabolo, mais je lui file ce verre parce qu’il ne savait pas quoi choisir de base. On ne va pas pousser le bouchon plus loin, m’voyez.
__-« Voilà. »
__-Et il attend son rencart, je l’aurais pas imaginé chaud lapin, mais après tout, on est à Terrae. De ce que j’en sais, le Angie là, il peut être master et capable de plier la réalité à sa volonté. Enfin au moins je sais qu’il n’est pas voyant.
__-« Mm, je dirais au bout du troisième message sans réponse, avec environ cinq à dix minutes d’intervalle entre chaque message. Ça dépend aussi de comment tu l’as rencontré, d’au combientième rencard vous en êtes… D’à quel point tu supportes d’attendre, aussi. J’ai envie de dire de s’il prend les transports avant de venir ou pas, mais ça va être dur d’être le cas ici. Du coup tu te retrouves marron pour la soirée et… ah mais si ! Je te resitue. On est voisins. Enfin presque, il doit y avoir deux ou trois apparts entre le tien et le mien ? Après, y’a pas cinquante personnes qu’on peut voir dans nos couloirs avec de la peinture sur eux. »
__-En fait, avec Alice, y’en a deux.
__-En vrai, s’il se retrouve seul comme un con, et comme ce soir y’a rien à faire et que je ferme à la fin de son verre, on pourrait passer la fin de soirée ensemble. Histoire de rencontrer les voisins, faire autre chose de sa soirée que mater une série en bouffant des chips, tout ça. Genre, je sais pas. Mater des séries chez lui en mangeant ses chips. Soyons fous.

Tu essais de calculer, à quand remonte le premier message que tu lui as envoyé ? C'était il y a une quinzaine, vingtaine de minutes... Peut-être plus vu que tu lui as envoyé avant de rentrer dans le bar et qu'il a fallu un petit temps avant que la serveuse ne te remarque... Donc oui peut-être que c'était presque un lapin.

"Je vais lui renvoyer un message pour être sûr."

Angie, je tenais à te dire que ça fait quand même grandement désespéré ce genre de comportement ! Franchement, si tu veux savoir la vérité, ce type il viendra pas pour des besoins scénaristiques, alors va falloir que tu te fasses une raison et que tu parles à la madame. Merci.

Alors que ta main glisse subrepticement vers ton téléphone la jeune femme amène de nouvelles informations. Peut-être que tu les avais déjà cela dit... Ou pas, clairement son visage ne te dit rien car tu n'y as attaché nul souvenir, pas même celui d'un nom... Et c'est un peu gênant comme situation, car elle, elle voit très bien qui tu es... Sans doute car tu es l'une des fleurs les plus extravagantes que l'on trouve chez les terres.

"Ah... Euh... ouai si tu le dis... Mais t'es qui ?"

Non mais sérieux, je croix qu'il y a des manières plus polies de demander à une personne de se présenter, genre en te présentant en premier ça aurait pu l'entrainer à en faire autant... Sauf que non, toi t'as pas cette finesse. Faut dire aussi que t'étais en train de tenter de réfléchir à comment demander à ton tinder s'il aimait les lagomorphes.

__-Je lui ai pas déjà donné mon nom ? Je crois bien que si pourtant. Ou alors c’est une question plus profonde. Le genre à laquelle la plupart des gens répondraient par leur profession : « je suis la gérante du bar » – ce qui dans mon cas est encore plus con comme réponse vu qu’il le sait déjà. Mais on ne peut pas réduire un individu à son seul métier, vous voyez. Déjà parce que, oh, je n’ai le mien que depuis quelques mois donc qu’est-ce que je serais, si je n’étais que mon métier ? Un être à part entière depuis quelques mois seulement sur vingt-trois ans d’existence ?
__-Ne pas répondre par sa profession donc, ou en tout cas, ne pas répondre que par sa profession. Mais et ensuite ? Qu’est-on pour les autres, pour l’ensemble d’une communauté, autre que le rôle qu’on sert au sein de celle-ci ?
__-Ces questions pourraient avoir de l’importance, si Angie n’avait pas cet air paumé que je connais bien, parce que ça m’arrive parfois de l’arborer. Cet air de quelqu’un qui a un peu conscience mais pas trop d’avoir dit un truc qui ne correspond pas vraiment aux normes sociales en vigueur. Et qui ne sera donc pas sur le cul si je ne les respecte pas particulièrement.
__-« C’est un peu ce que tout le monde se pose ici j’ai l’impression, non ? »
__-Répondre à une question par une autre question, le vieux truc.
__-« Quoi qu’il en soit, je vais bientôt fermer… Ça te dit on va y répondre chez moi ? Comme visiblement en plus, t’as rien de mieux à faire de ta soirée. Vu que tu me resitues pas, ce sera l’occasion de mieux se connaître entre voisins. »
__-Bon et alors oui je suis conne mais pas à ce point, j’ai compris sa question d’origine. Qui n’avait rien à voir avec tout ce ramdam mais juste le fait qu’il a oublié mon prénom :
__-« Oh et moi c’est Luna, au fait. »

HRP : Bon je tiens à dire qu’à l’instant où je me mets à la rédaction de ce post je viens de passer une heure à faire un cours d’anatomie à un gosse qui pensait qu’envoyer des images de sa teub à des inconnus sur le net pour savoir si elle était normale. Donc j’ai mouru de rire en cliquant sur le titre. Je voulais le partager.

Est-ce que tu te demandes qui tu es ? Maintenant oui. Mais non, t’avais pas entendu son prénom tout perdu que t’étais avec ton histoire de lagomorphe. Faut pas te stresser et te faire penser à deux trucs à la fois. L’attention divisée c’est clairement pas ton fort. Encore moins quand tu es un peu stressé. Alors non, ta question elle était pas profonde comme ta gorge, non tu lui redemandais juste pas subtilement son prénom pour essayer de la replacer. Parce que t’es nul avec les noms et les prénoms et qu’elle te dit être terre et que c’est méga la honte.

Heureusement qu’elle n’est pas dans tête quand même. Parce que là quand elle te dit qu’elle va fermer tu te rends compte que c’est vraiment mort pour ton date et tu calcules même pas qu’il pourrait y avoir une proposition dans l’invitation.

« Euh ouai, c’est une bonne idée. Vraiment désolée, j’ai pas la mémoire des noms. »

Ni des gens. Ni des lieux. Ni du temps. Sérieusement, Angie quand tu t’apprêtes à envoyer un message à ton non-date.

« OH PUTAIN ! »

C’est beau.

« J’me suis planté, c’est demain que j’avais rendez-vous. Je suis teubé. »

C’est bien et comme ça tout le monde est au courant si jamais quelqu’un dans le bar avait un doute. Sait-on jamais.

__–Oh putain ?
__–« Qui ça ? »
__–Non attendez. Surtout qu’en plus je suis Portugaise, donc comme interjection vulgaire j’ai plutôt entendu porra, qui veut dire bite.
__–« Laquelle ? »
__–C’est mieux. Mais ça ne règle pas le problème.
__–« Non rien pardon. »
__–Et il a oublié que— Ah. J’ai une pensée pour la personne qu’il a harcelé de messages pour lui demander à quelle heure elle se pointerait.
__–« Des dates non plus, on dirait. Enfin c’est pas moi qui vais critiquer, hein. »
__–Si j’essayais de faire la meuf qui est carrée sur son emploi du temps, même lui qui a pas l’air d’être le plus finaud du groupe il verrait direct que ça ne me correspond pas des masses.
__–« Bon enfin c’est pas tout ma mais il est l’heure. Huh. Même dans mon flux de pensée je loupe de ces occasion de la fermer. HÉ LES DERNIERS ! VIDEZ VOS VERRES ET BARREZ-VOUS ! Voilà ça c’est fait, je devrais pas en avoir pour longtemps, tu peux m’aider ou attendre dehors, j’en ai pour cinq, dix minutes. »
__–En soi c’est simple : passer un coup sur les tables et le comptoir, mettre les sièges dessus, jeter les détritus éventuels, couper l’électricité et fermer. Je passe jamais la serpillière le soir, je préfère encore me coucher à une heure décente et me lever un peu plus tôt.
__–Une fois que tout cela est fait, je sors et envoie à Charlie un « Bon ben allez mon gars. Ça te dérange si je fume ? T’as envie de mater un film ? Tu pensais faire quoi avec ton mec ? »
__–Je sais à quoi vous pensez, je sais à quoi je pense, mais on se calme. S’il est gay et pas bi, je ne vais pas faire ma grosse forceuse.
__–« 
__–Non. Tut tut tut tut tut tut tut. On ne dit rien. On se contrôle. Rien du tout. Attention.
__–Con j’espère qu’il est pas télépathe.

Ah non, clairement. Les dates c’est encore moins ton dada que les noms. En même temps, les dates ça change tous les jours, les noms par contre, en théorie ça reste plus longtemps. Sauf quand on est master Terre et qu’on ne se sent plus ou un personnage edgy… hm. Bref.

La manière dont elle vire tout le monde est pour le moins impressionnante. Tu n’aurais jamais osé, c’est fou. Tu restes un peu con et tu vides ton verre, même si tu savais qu’elle ne s’adressait pas à toi. Dans le doute…

« Ah, euh, oui je vais t’aider ! »

Te gêner eut été plus adapté. T’es pas un super commis, mais tu sais quand même passer un coup sur les tables, tu lui laisses la vaisselle par contre. Tu as plus l’habitude d’entasser les couleurs dans tes verres que de les laver…

« Ah, oui, un film pourquoi pas ? T’es branchée quoi ? »

On ne va pas se mentir, même le pire navet peut convenir à Angie. Si tant est qu’on lui laisse le droit de critiquer le montage, les angles, le jeu des acteurs, et le scénario… Il saura apprécier le générique de fin, les costumes, et les décors.

« On était censés discuter autour d’un verre, voir si le feeling passe en vrai, on ne parle pas la même langue et par messages interposés c’est galère… »

Parce que définitivement tu n’entends rien au coréen, tu aimerais bien que les puces traductrices traduisent aussi l’écrit !

« Tu allais dire quelque-chose ? »

En général tu ne prêtes pas tellement attention à ce que pensent les autres, c’est un brouhaha dont tu n’as rien à faire… Mais par contre quand quelqu’un pense subitement « j’espère qu’il est pas télépathe » il le pense très fort. C’est un peu comme s’il le criait. C’est perturbant.

__–Hop ça c’est fait. Il faudra juste que je ne me couche pas à une heure indécente pour finir de rendre le bar présentable demain. Sur ce, on sort, j’allume mon splif, tire un coup dessus – il m’a pas répondu, mais si ça le dérange vraiment, je le verrai à son regard et l’éteindrai.
__–Ah et donc c’est vraiment un télépathe. Évidemment. Je ne sais pas quelle divinité j’ai insulté dans une vie précédente, mais visiblement elle m’en veut. Je ne peux pas vraiment lui dire un truc genre « non rien t’inquiètes » et changer de sujet, si ? Il va le percevoir et ça va être encore plus gênant ? Est-ce que là il perçoit ce que je pense en ce moment et que j’essaie de trouver une échappatoire ?
__–Bon en vrai vous savez, quand on est voisine de pallier de télépathes, on s’habitue. Ce genre d’angoisse métaphysique sur ce qu’il faut penser ou non s’arrête très vite. Surtout pour moi, qui n’en ait, au final, plus grands-chose à foutre de ma réputation, que tous les solaires de l’étage doivent déjà connaître s’ils prêtent ne serait-ce que par accident attention à ce qui se passe dans ma chambre :
__–« Oh rien, je me disais que t’es plutôt beau gosse et que si t’es libre ce soir j’aurais pu littéralement boucher le trou. Je veux dire, t’es beau gosse et tout. »
__–Quelque part, j’avais l’espoir que ça rende mieux comme ça que dans ma tête. Hé bien non.
__–« Enfin t’inquiètes je déconne – enfin, pas vraiment –, on est entre adultes responsables – tu parles ouais –, on sait ce qu’on fait et ce qu’on veut – alors là, mes seins sur la commode –, si tu le sens pas te force pas. »
__–Passons. Un film.
__–« Mmm, si ça t’embêtes pas on passe chez toi et on regarde ce que tu as ? Au pire je fais un crochet par mon appart’ et je ramène un disque dur. »
__–Pricie a interro demain, je veux pas la déranger en ramenant quelqu’un.
__–« Après je sais pas, j’aime bien les films d’action. En ce moment je mate pas mal de cinéma hongkongais des années genre 90, 2000. Genre Tsui Hark, tu vois ? »

Littéralement boucher le trou ? On parle de so**mie là ? Possiblement, probablement. Par contre le soucis, c’est que t’as tellement peu confiance en toi que ton esprit est réfractaire au beau-gosse. T’as pas forcément eu le sentiment qu’elle se moquait de toi en disant ça, non, c’est bien plus perfide dans ta tête. Genre. BIEN PLUS. Ton estime de toi te dit qu’elle doit être désespérée pour te proposer un plan cul à toi. A TOI. Genre toi le mec lambda qui n’a rien pou lui que son air teubé, des taches de peinture… Et c’est tout, parce que de toute manière tu le sais que t’es pas un type intéressant, et que du coup on ne peut pas s’intéresser à toi à moins d’être désespéré…

Je crois que je commence à comprendre pourquoi tu ne pécho pas sur tinder, et à me dire qu’il faudrait que tu retournes voir un psy… Tu sais que tu as le droit d’exister et d’être heureux tel que tu es ? Oui, tu le sais, tu l’intellectualises, mais tu ne le comprends pas vraiment.

Heureusement, elle ajoute assez rapidement qu’elle plaisante, et ça te permet de ne pas remettre tes opinions en question, on ne te proposerait pas du cul sérieusement à moins d’être désespéré. Elle n’est pas désespérée. Pourtant t’es télépathe non ? Pourquoi tu ne prends pas sur toi pour utiliser ton pouvoir ? Genre, comme ça tu aurais pu être sûr dès le début de ce qu’elle voulait dire ! Mais, non, ça aurait été trop dur de te prouver que tu avais raison. Savoir une chose et la voir, c’est quand même bien différent.

Tu sais ce qui me peine le plus dans cette histoire ? C’est que tu ne t’es même pas demandé une seconde si elle, elle te plaisait. Enfin, on ne te changera probablement pas.

« Euh, j’ai pas la moindre idée de ce qu’est Tsui Hark mais j’ai un ordinateur avec internet, donc pas de soucis pour qu’on aille chez moi. »

Tu ne préviens même pas que ta chambre est en bordel, à quoi bon ? Elle n’est jamais rangée, et c’est un bordel organisé. Puis en ce moment on voit le sol et les affaires sont en tas, donc ça va. Sans doute.