Comme souvent quand il fait beau on te retrouve à profiter du soleil. Débardeur crasseux et rempli de transpi, check ! Coup de soleil en formation, check ! Peinture qui déborde sur ton pantalon et tes godasses : CHECK. Faut avouer que t’as rarement une meilleure dégaine, mais au moins l’hiver un gros pull vient masquer tes bras minces. C’est à se demander comment tu arrives à porter ton sac de bombes de peinture. La réponse la plus évidente, serait : avec difficultés.

Mais qu’importe. Franchement t’as une super idée en tête. Genre, l’idée du siècle, du moins dans ta tête. Tu as envie de faire un pochoir de ton corps. C’est peut-être pour cela que tu as l’air encore plus crasseux que d’habitude. Tu as tout prévu, genre, t’as trouvé le mur parfait : gris, terne, perdu dans le parc, donc parfait ! Tu t’es même entrainé à faire pousser des plantes super vite pour qu’elles puissent porter les bombes de peinture pendant que fais le pochoir contre le mur. Quelque-part, tu sais que ça aurait été plus facile de faire de frais pochoir, mais ça n’aurais pas eu le même sens. Et toi t’aimes les choses belles, mais aussi qui ont du sens.

Seulement, tu t’es peut-être un peu trop entrainé parce que quand tu tentes de faire pousser une plante, tu y arrives, mais c’est fastidieux de la faire bouger. Tu as l’impression de te fatiguer vachement vite, et ça ne te convient pas du tout. GENRE PAS DU TOUT. Tu fronces les sourcils puis tu vois, ou plutôt tu entends quelqu’un d’l’autre côté des buissons qui dissimulent ton pan de mur.

« HEY BONJOUR ! TOI ! TOI, OUI LE BLOND ! Tu fais quelque-chose là ? Tu peux m’aider ? »

Il fait si beauuuuu aujourd'hui ! Comme d'hab', j'me suis couché tard, levé tôt. Dessiner la nuit, bosser le jour. Habituellement, j'me fais une petite sieste sous ma couette mais là, le soleil est trop tentant. Puis peut être que si je me remets à dessiner quand j'ai du temps la journée, je reprendrai l'habitude de roupiller la nuit ?

Grosse blague ça. Accepte que t'as pas TANT besoin que ça de dormir.

Un coup d’œil dans le miroir et j'capte mes cernes et m'dis que peuuuut être j'ai besoin de dormir des fois.
Plus tard ? Plus tard.

J'prends un sac à dos dans lequel je fourre mon carnet de dessin, une trousse BEAUCOUP TROP LOURDE remplie de crayons et de feutres de différentes tailles - j'en ai besoin de combien sérieux ? l'abus quoi - ainsi que divers trucs plus ou moins utiles.

Une tp plus tard, me voici au parc. J'me trouve un coin d'ombre derrière un grand pan de mur, les fesses dans l'herbe, une p'tite brise pas du tout désagréable sur l'visage, et commence à observer autour de moi c'que j'pourrais bien dessiner. En tailleur contre le mur, j'me roule une cigarette que j'allume et esquisse des croquis...de visages d'Anna. Putain, même là au milieu du parc avec tout l'reste, je continue d'bloquer.

Je tire une taf en soupirant un coup et ferme les yeux une seconde.
Ou plus, apparemment, vu qu'j'me réveille d'un coup en poussant un petit couinement quand d'la cendre bien chaude tombe sur ma main. ET SUR LE MENTON D'ANNA. MERDE.

- PUTAIN !

J'me suis trop agité et ma tête a cogné contre le mur. C'est quoi c'réveil foiré là ?

Nouveau soupir. Je m'apprête à souffler sur ma feuille de dessin pour virer mes conneries quand j'entends une voix qui...m'interpelle ? Un coup d’œil à droite, un à gauche, j'suis le seul blond du coin donc j'suppose qu'on s'adresse bien à moi ?

J'me lève d'un p'tit bond avec la technique du Nicky des p'tits éclairs sous les pieds. Oups, un peu trop fort l'énergie envoyée, pendant une second j'dépasse le mur et aperçois un grandas plein d'peinture ? Avant de retoucher sol, je me rattrape avec les mains et hop ! j'me hisse sur le mur.

Le gars peut se tp mais il veut faire le malin, évidemment.

Erm. J'avais UN PEU oublié.
Assis les jambes dans l'vide, j'le jauge d'en haut. Il a un sacré paquet d'bombes de peinture...J'suis bien intrigué là j'avoue.

- J'étais entre sieste et dessin, donc j'suppose que j'suis pas trop occupé. Qu'est-ce qui t'arrive bombe-man ? j'demande en haussant un sourcil amusé.

J'frotte l'arrière de mon crane d'où je sens une belle bosse arriver et j'ajoute en rigolant un peu :

- Tu s'rais pas soigneur par hasard ? J'sens un vilain mal de crâne arriver. J'me suis cogné la tête contre le mur en me réveillant en sursaut. Puis j'me suis un peu brûlé la main avec ma cendre aussi.

Ah ouais, zéro fierté quoi, t'assumes totalement.

Toujours.

- J'm'appelle Asbjorn au fait. Ou Asb. Ou Boubou. Vraiment, c'est au choix !

C’est quoi ce surnom de terroriste ? Bombe-man ? Encore, il y aurait eu une piscine dans le coin ça aurait pu… Non, il y aurait eu une piscine dans le coin jamais on ne t’aurait donné ce surnom. T’es pas comme ce tonnerre, toi. Moins tu fais de cabrioles, plus tu as de chances de rester en vie. Quand on a un mauvais sens de l’équilibre, on évite de ouf de sauter dans tous les sens et encore plus de tenter de tenir sur un mur. Les yama-cassés, très peu pour toi.

« Non, je suis pas soigneur mais si tu veux un peu d’aloe vera pour ta main ça peut s’arranger. »

Même si elle pousse lentement, vu la taille de la brulure, franchement il n’y a pas grand-chose à faire pousser. Quand il a parlé de dessin ton regard s’est porté automatiquement vers le cahier resté au sol. Un portrait ? C’est pas ta forme d’art favorite, déjà parce que le représentatif tout ça, c’est pas ta cam, ensuite parce que un portrait raté ça peut faire beaucoup de peine. Un portrait réussi aussi d’ailleurs. Imaginez, vous dessinez quelqu’un avec un gros nez : s’il a un gros nez il va complexer, s’il n’en a pas, il va se vexer.

« Et du coup tu dessines en dormant ? C’est un procédé créatif étonnant… J’aime bien l’effet barbe de la cendre, mais pas certain que ça plaise autant à la jeune fille. »

Non. Mais Angie. TG. Merci. C’est pas ton élève, il a clairement pas à t’expliquer ce qu’il a voulu représenter, parce que déjà ça te regarde pas. Il t’a pas demandé ton avis, il t’a juste dit qu’il dessinait. D’où tu te permets de donner ton avis quand on ne te l’a pas demandé ?

« Ah, et moi c’est Angie, enfin Charlie-Ange, mais je préfère Angie, et euh… Déso, j’parle trop aujourd’hui, mais si tu fais rien de particulier tu veux bien faire quelque-chose avec moi ? »

… Non. Mais. Vraiment. TG.

J'vois le regard du gars zieuter ma Anna et j'ai une petite boule dans la gorge. Je m'en fous qu'on me parle de mes dessins, mais j'crains un peu les questions.

- J’aime bien l’effet barbe de la cendre, mais pas certain que ça plaise autant à la jeune fille.

Un rire automatique sort de ma gorge. Ouais. Non. Ça lui plairait beaucoup en vrai j'suis sûr. Ça la ferait sûrement marrer, sa barbe de gros daron, et elle s'amuserait à en jouer. Anna rigolait pour tout, de toutes façons, pas bien compliqué.

- J'sais, j'suis une personne toujours innovante dans la création. Tu peux m'faire confiance Bombe-man !

Même si c'est pas tout à fait vrai en ce moment.

Pilote automatique activé. J'descends du mur et ferme mon carnet. Au passage, je récupère ma clope posée au sol et la rallume.

J'éclate d'un rire beaucoup plus sincère quand le dénommé Angie me dit...qu'il parle trop ??

- Angie j't'arrête tout d'suite avec moi tu parles AUUUUTANT que tu veux ! Et franchement si c'que tu m'proposes a un rapport avec tes bombes de peinture, j'suis plus que partant !

Avec un peu d'chance, ça m'sortira de la spirale infernale des portraits d'Anna en boucle ? Je tire une petite taffe, attend les instructions du dadais plein de tâches de peinture. Rien qu'pour ce style, j'l'aime bien !

« Ca a tout à voir avec mes bomes de pein… AAAAAAAAAAAAAAAAAAAAH BOMBE MAN C’EST POUR CA : Ahum. J’avais pas compris ! Déso. J’suis lent parfois. »

Tu me saoules à te dénigrer comme ça, t’as bien le droit de prendre le temps qu’il te faut putain. T’es vraiment relou de ouf quand tu t’y mets. Enfin. Pardon, si en plus je commence à te couper tu pourrais nous perdre encore plus tes moyens.

« Bref, pardon, mais oui du coup, j’suis en train d’essayer de colorer ce mur, le principe ce serait que je fasse des poses différentes devant le mur et que je serve de pochoir (ou toi si ça t’intéresse !). »

On entend presque les parenthèses au changement de ton. Genre un peu plus incertain ce ton, hésitant. C’est la partie de ton plan qui n’est pas encore élaborée.

« A la base je m’entrainais à faire pousser des plantes pour qu’elles appuient d’elles-mêmes sur les pressions des bombes de peinture, parce que je suis terre en fait, et du coup la proposition d’aloe vera est toujours d’actualité si tu veux, enfin ça sera un peu long parce qu’en m’entrainant j’ai un peu beaucoup utilisé d’énergie et que du coup bah voilà maintenant c’est un peu plus long eet fastidieux de faire monter la sève dans le feuillage et de réussir un mouvement potable. »

Trop d’explications mais il a dit que t’avais le droit de parler et va savoir pourquoi quand on te donne ce droit tu le prends…