Nicolas était penché sur son microscope, main gauche prenant des notes, mains droite maintenant un livre ouvert, depuis un certain moment déjà quand Aaron a toqué pour entrer dans sa chambre. Il a aussitôt tout lâcher pour se tourner vers lui... Papou avait l'air... pas sûr de lui... et sacrément solennelle si c'est juste pour une pause café. Toutefois, Nicolas étant Nicolas, il ne se posa pas plus de question... Il marqua la page de son livre avec son crayon, réunit les papiers sur lesquels il avait pris des notes et retira la lamelle qui rejoignit ses amies dans une boîte précise avant d'éteindre le microscope. Il évita son sac à dos, sa guitare puis sortit de sa chambre pour rejoindre le couloir, direction le salon. Là, il croisa Jérémy. Ils se regardèrent brièvement, surpris mais pas trop. Ça leur arrive de prendre un goûter tous ensemble quand tout le monde a le temps... et puisque Nicolas avait fini ses dossiers de demande de stage dans certains lieux à l'environnement bien particulier et que Jérémy était nutritionniste diplômé, effectivement, un goûter familiale c'était pas de refus.

Si on demande à Nicolas qui est son frère de cœur, il dira Huo. C'est l'homme qui lui a appris les bases pour se battre sainement, s'amuser et non plus survivre désespérément. Il lui a aussi ouvert les yeux sur pleins de sujets... Ses sentiments pour Mathéo certes, mais aussi le lien qu'il avait forgé avec Ronron qui était irremplaçable. Le papa qui lui avait manqué toute sa vie. Mais si on lui demande qui est son frère, alors il dira Jérémy. La différence doit paraître bien maigre pour certains, mais elle existe. Comme ils se le disent souvent, ils ont grandi ensemble, ils se connaissaient bien malgré eux, malgré les malentendus,... Mais ce qui a fini par le convaincre que Jérémy n'était pas que le petit salaud qui a failli le buter plusieurs fois, encore une fois, c'est l'intervention quotidienne de leur Papou. ...Et Mamoulou aussi il fallait l'admettre. Parce que, si Nico était "le fils de son père", alors Jérém' était "le fils de sa mère". Ils ont jamais senti de "préférence" mais il ne faut pas nier qu'il y en a un qui traîne plus avec un certain parent que l'autre... et inversement proportionnel ou égal.

Au fil du temps, ils avaient développé ce "langage muet" particulier qu'ils s'échangeaient en se regardant... et ils l'avaient perfectionné avec Lottie. Charlotte, demi-sœur de Nicolas et demi-sœur de Jérémy, leur faisait donc une sœur complète. Il n'y a rien de plus gênant que de voir la fratrie Williams en train de se faire une bataille de regards lorsqu'ils font les courses pour savoir quel parfum de glace ils allaient demander à leurs parents. Fun fact ; Lottie gagne toujours.

Bref... Tout ça pour dire que Nicolas allait goûter avec ce qu'il considérait jusqu'au plus profond de son cœur comme une famille, et il était content. Parce que bouffe + gens qu'on aime, c'est toujours agréable.

Jérémy était en train de trier les graines à semer avant le fin du mois de juin pour le potager de la famille quand Louisa est entrée dans sa chambre après avoir toqué. Il devait faire attention en majorité aux goûts de chacun, même s'il se réservait une petite parcelle pour ses expériences culinaires, donc il mit quelques secondes à organiser ses pensées avant de se tourner vers Mamoulou. Elle lui demanda d'une voix douce de venir dans le salon. Jérémy hocha la tête en lui répondant qu'il arrivait. Il rangea le calendrier et les graines dans la boîte qu'il leur réservait, puis reposa le livre sur les plantes aromatiques sur sa bibliothèque. Il prit le temps de bien caler sa chaise sous le bureau, d'aligner ses crayons avant de sortir de sa chambre. Là, il croisa Nicolas. C'est pas souvent qu'il leur arrive de sortir en même temps, il y en a toujours au moins un qui traîne lorsqu'on les appelle, pour une raison ou pour une autre... Ça lui fait plaisir de retrouver son petit frère comme ça. Pour ceux qui ont l'habitude, ça doit n'avoir l'air de rien, pour lui qui a toujours voulu une grande famille, ce sont ces petits moments qui ne comptent pas qui ont trop d'importance à ses yeux.

Jérémy s'était attaché à Hélène, la mère biologique de Nicolas, lorsqu'elle a commencé à vivre avec son père biologique, Laurent... mais ça n'avait rien à voir avec les sentiments qu'il avait pour les habitants de la maisonnée Williams. Chaque moment, chaque conversation était un trésor, des jeux aux disputes, des rires aux silences. Un endroit fou où tout pouvait se passer d'incroyable mais toujours remplis d'amour. Papou ne l'a jamais jugé parce qu'il aimait cuisiné, il l'a même encouragé à étudier. C'est grâce à lui qu'il a appris les bases du jardinage pour avoir des produits frais. Mamou a cette autorité douce, parfaitement contradictoire mais aussi parfaitement logique, il ne s'est jamais senti mal à l'aise en lui parlant de ses problèmes, ses émotions chaotiques, ses doutes ou ses peurs... Elle est toujours attentive et pleine de bon conseil, et il adore cuisiner avec elle des recettes qui leur rappellent pleins de souvenirs, qu'ils aiment voir le reste de la famille dévorer au cours d'un repas. Ses parents, parce qu'ils s'agissaient bien de parents, avait une place de choix dans son cœur et il espérait les voir à chaque étape de sa vie à l'avenir... plus que n'importe quel Laurent ou Hélène...

Les frères Williams remontèrent donc le couloir pour entrer dans le salon, s'installer à table où... il n'y avait pas Charlotte. Jérémy eut un moment d'incompréhension avant de réaliser que c'est un jour d'école pour la petite choupette... Il remplit alors délicatement sa tasse d'eau chaude, choisissant un thé aux fruits rouge tandis que Nicolas engouffra la moitié d'un croissant dans sa bouche en une bouchée, le sauvage. Il y a un petit silence qui traîne, et Jérémy lève la tête pour entamer la conversation, puisque Ronron et Lou ne semblent pas disposer à poser des questions et Nico a la bouche pleine. ...Mais en parlant de Ronron, il remarqua qu'il se tenait droit. Très droit. Trop droit ? :

-...Papou ça va ?

...Il fait un AVC ?

La journée est douce, dehors. Il y a du soleil, Terrae est calme ; pas moi.

—Nan, je peux pas leur demander ça, c'est trop bizarre…

C'est à peu près la quatrième fois que la même plainte m'échappe. Ma tête est posée sur mes bras, eux-même sur mon clavier. Je n'arrête pas de regarder les papiers qui sont sortis de l'imprimante il y a plusieurs jours déjà ; c'est les démarches. Ca fait un moment qu'on en discute avec Lou, que je me dis que oui, puis que non, puis que je ne sais plus. Parce que c'est trop, c'est réel, et c'est peut-être pas ce qu'ils souhaitent eux, je sais pas. J'ai toujours le ventre qui se tord quand j'y repense, comme si j'avais pas le droit de le demander, pas le droit même d'y songer.

Lou est assise à côté de moi, une main posée sur mon bras, comme pour me rassurer. Elle est toujours la moins anxieuse de nous deux dans ces moments-là, mais je sais que ça la touche, elle aussi. Parce que ça la concerne, bien sûr. Je devrais pas me sentir effondré pour si peu, mais bon sang. Et s'ils le prenaient mal ? Et s'ils ne voulaient pas ? Bien sûr, ils ont droit de ne pas le vouloir… Ahhh.

Je pose mes poings contre mes yeux. Ca fait remonter tellement de trucs en moi, par rapport à ma propre histoire, déjà, la relation que j'ai avec mon père. Pas mon père biologique, mon géniteur ; non, l'autre. Celui que je vais voir parfois, qui s'est remarié il y a peu, et qui adore Charlotte et les deux gamins. Qui ne pose pas de questions, qui appelle parfois, qui me réprimande, mais qui est là.

Et puis il y a Louisa, bien sûr. J'échange un regard avec elle, finalement, comme un labrador aux yeux mouillés. Elle n'a pas besoin de parler, parce que je sais ce qu'elle va dire ; elle me l'a répété déjà trois fois. C'est dingue, quand il s'agit de faire les choses, j'ai aucun mal ; mais alors officialiser ? Pouah, je suis vraiment pas doué pour ça.

—Si tu ne leur demande pas, tu ne le sauras jamais, sourit-elle, encourageante.

Et je déglutis, mais j'acquiesce. Je me penche pour l'embrasser sur la joue, et elle me prend la main pour m'obliger à me lever. Je grimace comme un vieux con, puis finis par me laisser entraîner. Avant qu'on ne sorte de mon bureau, je l'attire à moi pour une étreinte exagérée qui lui tire un rire. Ses mains fraîches se posent sur mes joues, on se regarde, tranquillement.

—Ne doute pas d'eux. Ne doute pas de moi, chuchote-t-elle. Ne doute pas de toi non plus. On t'aime.

Nos fronts se rencontrent et je ferme les yeux pour contenir l'émotion qui y monte trop vite. Son souffle est chaud, doux. Elle sait que c'est pas d'eux que je doute, au fond. C'est toujours de pas être assez bien. Et si je m'engage auprès de la femme que j'aime, je veux aussi m'engager auprès de mes gamins.

Parce qu'ils sont mes gamins.

—Je t'aime aussi, je réponds en posant mon nez contre le sien.

Je l'entends sourire. Elle a toujours ce petit souffle, quand elle sourit. Et puis ses émotions fourmillent. C'est tendre. Et comme les mots sont jamais suffisants, je lui renvoie tout ça. Elle, moi, nous. À quel point je me sens bien, aimé ; à quel point je l'aime elle et tiens à notre famille, à ce qu'on essaie maladroitement de construire. Des fois, j'ai envie de l'emmener au bout du monde et de l'épouser là-bas, sans personne pour nous regarder, que ce soit un moment qui n'appartienne qu'à nous. Juste avec Nico, Jérem, Charlotte. Juste nous cinq.

Et puis égoïstement, parfois, j'ai envie qu'on nous regarde, et de fêter ça avec tout le monde. C'est compliqué de choisir, encore. C'est peut-être pour ça qu'on prend notre temps. Mais bon, maintenant, faut bien choisir un jour. On va pas rester fiancés à vie comme certains autres, hein. C'est pas comme si on avait pas de thunes. C'est pas comme si on n'était pas déjà certains.

Avec un regain de courage, je m'écarte d'elle et attrape sa main dans la mienne. Faut qu'elle puisse compter sur moi aussi, même si j'ai envie que les décisions se prennent à deux. Ca fait un moment que je me demande quand j'ai commencé à être comme ça ; à être adulte. Puis je croise le regard de Charlotte, celui de Nico ; et enfin, celui de Jérem. Et j'sais que c'est pas pour eux, mais que c'est grâce à eux.

J'entraîne ma fiancée dans le salon, et on commence à s'affairer. Je suis nerveux, alors je pose ce qu'il faut avec des gestes automatiques. De quoi manger — les biscuits ont fini de refroidir — et bien sûr, de l'eau chaude dans la bouilloire, du thé et du café. Chacun a sa préférence ; Nico et moi, c'est le café ; Jérem et Lou, le thé. C'est souvent comme ça, au niveau de nos goûts, de nos comportements. Parfois, au début, j'avais l'impression que j'imposais cette cohabitation à tout le monde. À Nicolas, avec Jéremy, ce garçon qui lui avait fait tant de mal, il y a une éternité maintenant. À Jéremy, avec Nicolas, ce garçon qui, pour lui, lui avait enlevé sa soeur, son trésor. À Lou, qui a quitté sa vie pour venir s'installer avec nous, avec des garçons qu'elle ne connaissait pas, avec une enfant en bas âge. Les garçons, la peur de leur imposer Lou, qui si elle est exceptionnelle, n'était pas leur mère. De m'imposer moi, qui ne suis pas leur père.
"Tu n'es pas mon père"…

Et aujourd'hui, quand je vais maladroitement chercher Nicolas dans sa chambre et qu'on s'installe tous tranquillement pour le goûter, je me rends compte qu'au final, on a tous fait beaucoup de chemin.

Nicolas et Jérémy sont comme des frères, aujourd'hui. De l'eau a coulé sous les ponts ; ils s'entendent à merveille avec Lou, c'est instinctif. Parfois, on a pas besoin de parler tout court, mais je fais la conversation quand même ; pour meubler, pour faire rire. Parce que j'aime entendre le son de leur voix. Quand j'ai peur, je les regarde et la peur s'envole. Jérémy et moi, on parle pas mal, mais c'est pas forcément à moi qu'il se confie. Y a des choses qui m'appartiennent pas, et qui se passe qu'entre eux deux. C'est pareil avec Nicolas et Lou, quand ils s'amusent avec Charlotte ou qu'ils discutent de tout et de rien, des études de Nico, du boulot… De musique, un peu, aussi, parfois. On aime tous écouter Nico jouer, même s'il a moins le temps, aujourd'hui. Trop de responsabilités sur ce gamin — et pourtant, j'ai été Master au même âge. Ca doit donner cette impression, de l'extérieur, qui sait…

Alors pendant que tout le monde mange, j'essaie de me concentrer sur ma tasse de café, le dos très droit. Je les observe, me perds dans mes pensées.

La voix de Jérem me tire de mes pensées, et je lève les yeux vers lui. Puis vers Nicolas. Puis vers lui. Puis je reprends une gorgée de café.

Ptdr.

—Hmmmr, oui, ça va, ça va très bien aha.

Aha.

Lou roule des yeux et me lance un sourire en coin qu'elle ne prend même pas la peine de cacher derrière sa tasse. La pigmentation de mon visage a dû virer à l'écarlate, là, c'est bon. Je reprends une gorgée de café… et elle me met un léger coup de pied sous la table. Roh ça va, je rassemblais mon courage ! M'éclaircissant la gorge, je repose ma tasse sur la table. J'ouvre la bouche. La referme. Regarde Blobby, dans un coin du salon, qui doit se demander pourquoi je l'imite.

—On a une chose importante… à… vous dire, j'articule, avant de couler un regard apeuré vers Lou, qui m'encourage à continuer.

Ouais, j'ai répété et tout. J'ai tout oublié.

—En réalité, on a une chose importante à vous demander, me corrige-t-elle gentiment. Tous les deux.

Alors j'acquiesce, très, très lentement. Je pose mes coudes sur la table et joins les mains, mes deux indexs posés contre ma bouche, avant d'inspirer. Ca peut pas être plus stressant que de faire cours pour la première fois devant une bande de collégiens quand t'as aucune compétence en éducation et qu'on vient de te propulser au rang de prof du jour au lendemain. Ca peut pas non plus être plus stressant que d'accepter d'adopter la petite soeur de ton élève au cours d'un voyage improvisé. Ca peut pas être plus stressant que de demander ta copine en mariage sur un coup de tête, parce que tu supportes plus d'être loin d'elle. Lou prend ma main, patiente.

—Ca fait un moment qu'on y réfléchit, je commence, le temps de retrouver les mots qui se sont envolés. On commence à penser à l'organisation du mariage, comment on a envie de fêter l'événement…

Puis je crois le regard de Nico. Je recroise le regard de Jérem. Et je m'apaise. Ca, c'est la partie que je maîtrise.

—On a envie d'y réfléchir avec vous aussi, avoir votre avis là-dessus. Où le faire, est-ce qu'on invite des gens, est-ce qu'on le fait juste tous les cinq…

Il y a de nouveau un silence, et là je baisse les yeux, parce que je suis de nouveau pris de ce doute, de cette peur qui m'explose l'estomac.

—Et vous le savez, on est une famille. Vous êtes… ma famille, tous les quatre. Et bientôt, pour Lou et moi, ce sera officiel, pour Charlotte, ça l'est déjà, mais… (J'ai une boule dans la gorge qui m'empêche de parler un instant, alors je relève les yeux, et je me rends compte que je vois un peu flou à cause des larmes.) Vous pouvez dire non, mais est-ce que vous, vous voudriez… Que ce soit officiel aussi ? Parce que nous, on aimerait bien… J'aimerais bien…

J'ai pas osé poser la question directement, parce que c'est déjà trop pour moi. J'ai l'impression qu'il y a mille émotions qui menacent d'exploser partout à l'intérieur de moi. Parce que peut-être que c'est trop, que juste être ensemble c'est déjà suffisant, que je devrais me contenter de ce bonheur-là, ne pas chercher à prendre une place qui n'est pas la mienne. Mais ils sont ma famille.
Ils seront ma famille, toujours.

Nicolas a levé les yeux de son croissant à moitié dévoré pour jeter un œil sur Papou, quand Jérémy a demandé s'il allait bien. Il a la confirmation de ce qu'il a légèrement perçu plus tôt quand il est venu le chercher, à savoir qu'il est tendu un max. Pas besoin de pouvoirs pour le voir. C'est tout dans le petit "aha" en fin de phrase, un truc qu'il fait lui aussi quand, finalement, ça va mais c'est tendax du slip. Nicolas essuie alors sa bouche du revers de sa main et se redresse, prend une gorgée de café pour tasser la moitié de croissant qu'il avait en bouche au fond de son estomac. Ronron et Lou ont quelque d'important à demander. Il hausse un sourcil à sa mère avant de se tourner vers Jérémy qui a l'air aussi paumé que lui. Il répond en haussant les épaules, pas qu'il s'en fout, juste si on devait traduire ça ferait un truc du genre "Bon ben écoutons hein".

...Bon Papou prend son temps mais ils sont pas pressés. S'ils ont quelque chose à demander ça peut pas être une mauvaise nouvelle... Wait. Non, non, non écoutons avant de stresser lel.

Quand Papou explique enfin, il parle du mariage. Nicolas sourit direct. Il n'est pas autant attaché à cette "tradition" que Jérémy... à part pour les éventuels avantages sociaux que ça peut apporter selon les pays but bruh, il vit à Terrae. ...Est-ce qu'il devrait parler à Mathéo de ça, si lui voulait se marier ?....... AHAH c'est pas le moment de penser à ça PASSONS. YES PLEASE. Aaron et Louisa aimeraient avoir leur avis ? Nicolas bat des paupières... C'est. C'est ultra gentil hein, mais c'est leur mariage ? Nico pense qu'il servirait à rien durant un tel événement, à part peut-être aider s'ils font la fête après, organiser des happenings tout ça, mais une cérémonie ? A savoir s'ils font ça à deux, cinq, douze mille ??? Il n'arrive pas à concevoir la différence que ça peut faire alors donner son avis va être compliqué. Bon ça veut pas dire qu'il allait pas y réfléchir hein : il s'agit du mariage de ses parents, il ferait un effort c'est évident.

Du coup le silence s'est installé et Ronron a baissé les yeux. Nico s'en veut un peu et aimerait dire quelque chose pour l'encourager mais quoi ?... Hein elle est bonne cette question AH. Heureusement qu'il arrive à enchaîner en fait. Il parle de famille... Du fait que c'est déjà officiel pour Charlotte, bientôt pour Lou... "mais". MAiisS ? Le cerveau de Nicolas vient tout juste de se faire NUKE hors de la stratosphère. Aaron n'a pas fini de bafouiller qu'il a claqué ses mains l'une contre l'autre, position de prière ne cachant rien de son visage souriant tout en se posant au fond de sa chaise. EST-CE QUE C'EST CE QU'ON PENSE ?! :

-Oooooooooooooooh !

Nicolas se tourne vers Jérémy, attrape son bras et commence à le secouer dans tous les sens. Il lui hurle dans les oreilles. :

-AAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAH !

...Ouais, la dose de bonheur est si intense qu'il n'arrive même plus à faire des phrases ce con. Une fois qu'il a fini de bien remuer Jérémy, il se lève pour faire le tour de la table, se caser entre ses parents pour eux aussi leur servir un tremblement de terre câlinesque, sautillant sur place, les larmes aux yeux. :

-I LOVE YOU I LOVE YOU I LOVE YOUUUUU !

Pour ceux qui n'ont pas compris, ce dont parle Aaron, c'est leur nom de famille. Leur petite sœur s'appelle déjà Charlotte Williams. Une fois mariée, leur mère s'appellera Louisa Williams. Pour eux, Nicolas avoue qu'il s'était déjà posé la question... quand il a dû aller voir sa famille biologique, et qu'ils ont voulu lui faire changer son nom. Il n'était pas plus attaché à "Lefebvre" qu'à "de Lacvivier"... Il s'était arrangé pour rien changer, juste ajouter son héritage "bourgeois" -erk- sur des papiers qui lui demanderaient de justifier des transactions en France... sans pourrir sa vie au Japon -essayer de remplir des papiers de fac avec des noms européens, c'est la galère alors s'il doit ajouter tous ses prénoms et ses noms c'est le bordel. Mais pour un bref instant, il avait bien souhaité avoir le nom de son père. Le nom de Ronron. Comparer comment sa "famille" biologique a voulu faire changer son état civil en soum-soum, à la façon dont Aaron FUCKING Williams le demande, on sait qui est le vrai papa dans l'histoire.

Bien sûr que Nicolas allait être heureux direk'.

Bon. Qu'est-ce qu'il se fucking passe ? Jérémy hausse un sourcil à la réponse fuyante de Ronron, observe intensément les interactions entre Louisa et lui avant de se tourner vers Nicolas qui s'essuie négligemment la bouche en haussant les épaules. Jérémy souffle, croise les bras et se tasse au fond de sa chaise. Il aime paaaaas quand ils lui font ça putaiiiiiiin... Ils peuvent pas annoncer les choses directement nan, il faut qu'ils le fassent baigner dans le stress pendant des plombes pour des fois une nouvelles à la con, c'est épuisant. Mais bon, Mymy bon garçon hein, il va prendre son mal en patience... Et il n'est plus aussi stressé de toute manière dès que ça parle de mariage. Il a un petit sourire qui cache le tsunami de ses pensées et ses émotions. Il se retient à mort d'aller dans sa chambre et chercher un petit cahier où il avait déjà tout prévu... Vraiment tout. Parce qu'il avait déjà aidé au mariage de Laurent et Hélène, il avait déjà un carnet épais avec des images de robes, différents concepts de bouquet et des samples de tissus de différentes couleur pour les serviettes des invités au repas, jusqu'à la play-list des chansons jouées tout au long de la journée. ...Oui, Jérémy est ce genre de mec.

Mais il ne dit rien pour le moment, Aaron a l'air d'en avoir plus à dire... et il bite rien. :

-De quoi ? Officiel ? On est déjà une fam-

Le premier cri de Nico n'est pas si pire... Par contre le second lui défonce le tympan, et il est tellement secoué qu'il doit s'accrocher à la table devant lui pour ne pas tomber de sa chaise. Jérémy bat des paupières et se recoiffe une fois relâché... Son frère fait le tour de la table en sautillant, prenant leur parent dans ses bras. Ok alors, c'est mignon il va rien dire, mais il se vengera un de ces quatre. :

-Non mais j'ai toujours pas compris au fait. Mom ?

Oui parce qu'il ne peut compter que sur elle pour dire les choses clairement. No offense Papou mais full offense. Il se retrouve avec des papiers dans les mains... Il toussote et examine. Une fois. Deux fois. Trois fois. Il retourne les feuilles. Oui, oui, il y en a deux. Sous le choc, il relit encore une fois. Oui, oui, c'est bien ce qu'il pense. Il couvre ses lèvres avec sa main, encore sous le choc. Il est compris dans le "packaging". Il va "devenir" un Williams aussi. C'est évident peut-être, mais ça l'émeut. Il fait de son mieux Jérémy, pour être un bon fils, un bon frère, mais il a jamais eu la prétention d'avoir le même statut que Charlotte, ou même Nico, aux yeux de Aaron et Louisa. Il est comme dans un rêve, un rêve qu'il ne s'était pas rendu compte qu'il l'avait jusque là. Comme un gosse qui a toujours voulu aller à Disneyland, savait parfaitement que c'était impossible et qu'on lui disait demain, on y va. ...Ok la comparaison est moyenne mais c'est chaud d'expliquer ce qu'il se passe dans la tête de Jérémy.

Par contre, physiquement, je peux raconter easy : il chiale.

C’est dans les moments où je dois dire des choses importantes que je me rends compte que communiquer avec des mots, c’est compliqué. J’ai jamais appris, du moins pas quand j’étais gamin ; après j’ai appris avec mes pouvoirs, puis auprès de mes amis, de ma famille. C’est toujours aussi difficile, j’arrive mieux à montrer, à faire ; à serrer dans mes bras, m’occuper d’eux, sécher leurs larmes, péter des gueules au besoin. Et je le ferai toujours, comprenez-le ; je suis leur père, aujourd’hui, même s’il y a quelques années, je n’aurais certainement jamais imaginé cette situation possible. Ils sont adultes, maintenant ; légalement, c’est plutôt bancal, ce qu’on fait, mais on est à Terrae, et on a réussi à obtenir un arrangement.

Quand Nicolas réagit, instantanément, je ferme presque les yeux pour contenir mes larmes et le laisse nous enlacer Lou et moi. Je m’accroche à son bras en riant et pleurant, essayant de me cacher le visage dans le processus, comme un enfant pris en faute, mais heureux. Je me retourne un peu et le serre contre moi fort, un peu plus rassuré, ému aussi. “On est déjà une famille.”

Ma voix est bloquée dans ma gorge. Moi aussi je t’aime, fils.

Jérémy, lui, eh bien… eh bien il comprend pas tout. Je le vois, et surtout je le sens, passer de l’incompréhension à la stupeur. Heureusement, Lou est là ; elle lui tend les papiers, pendant que je me liquéfie une seconde fois dans ma chaise. Stressé. En plus il prend le temps de lire, et tout et tout, et c’est vraiment horrible pour moi C’EST PAS POSSIBLE DE FAIRE BAIGNER AUTANT QUELQU’UN DANS LE STRESS (ouais moi j’ai pas fait ça juste avant, j’ai, euh, j’ai fait de mon mieux ok). Et puis je sens la vague arriver un peu avant de la voir ; je me redresse, m’extirpe de l’étreinte de Nico en tapotant son dos, puis les vois — ses larmes. Jérémy pleure, et ça, ça n’arrive pas souvent. Est-ce qu’il est heureux ? Il en a l’air, oui, mais-… Choqué, aussi. Je m’écoute pas penser, je vais juste le serrer fort contre moi, lui aussi. Je suis plus petit que lui, mais il est encore assis et moi pas — et pour une fois, ça me donne un peu plus l’impression d’être l’adulte, ici.

—Je suis désolé, c’est un peu brusque, tu as le droit de dire non si tu veux pas-

Malgré tout ce qu’il a fait à Jérémy, je ne veux pas remplacer Laurent. Je ne veux pas remplacer le père ne Nicolas non plus. Mais ils font partie de ma famille, ils font partie de moi, de tout ce qu’on a construit ici.

Je me recule pour le regarder, pour regarder Nico. Bon, j’ai compris que Nico était content, ça au moins j’en suis sûr — enfin j’en serai absolument sûr et certain quand Nico m’aura attrapé par les épaules pour me dire “papou, oui” droit dans les yeux, mais hé, un “je t’aime” en boucle ça vaut tous les beaux discours, hein.

—Que ce soit sur le papier ou pas, pour moi, ça changera rien. C’est juste… Parce que vous êtes mes garçons.

J’sais plus parler et je chiale de nouveau, ça y est.

Jérémy quand il était petit et qu'il pleurait, il se prenait une mandale dans la gueule. Parce que, que ce soit pour de la tristesse, de la joie ou de la douleur, un mec ça ne pleure pas. Un vrai bonhomme ça ne s'effondre pas... Sinon comment tu peux prétendre protéger ta famille ? Défendre les tiens ?... Si celui du fond qui suit pas -parce qu'il boude le salaud, depuis que Jérémy ne l'écoute plus, mais c'est bien fait pour sa gueule- ne s'est pas encore rendu compte que l'éducation de Laurent est à des années-lumière de ce qu'offre Aaron, ben c'est le moment. Jérémy pleure, et au lieu de se faire battre, son père... son vrai père le tient dans ses bras. Il s'excuse, le rassure... Il ne dit pas que c'est de sa faute, qu'il ne sert à rien, qu'il est faible, qu'il doit fermer sa gueule et obéir... Il a le choix. En plus, il a le choix ! Aaron s'éloigne un peu et Jérémy fait de son mieux pour contrôler ses larmes, il grimace et ferme les yeux forts comme pour maltraiter ses glandes lacrymales d'avoir osé lâcher les vannes... Il n'a pas fini d'essuyer ses joues que le Master ajoute que Nico et Jérém', dans toutes leurs conneries phénoménales, leurs caractères de merde, leur passé bancal, leurs défauts affreux, leurs erreurs monumentales sont ses garçons. Papier ou pas.

Et c'est reparti. Jérémy lâche un sanglot presque douloureux et se lève, il s'accroche à Aaron, les yeux toujours fermés, ses mains l'agrippant comme un gosse qui s'est trop éloigné dans les rayons d'un magasin et a cru perdre ses parents. Tout immense et large qu'il est, quand il fait un câlin à son père, il est tout petit. Penché à s'en faire mal au cou pour se cacher dans son épaule, plié et fragile. Ses pouvoirs Invisibles déconnent un peu, de pas grand chose mais assez pour que ça se remarque ; un bras qui disparaît et réapparaît presque aussitôt, ses jambes presque floues pendant un instant. Il se sent tellement vu par les siens, pas qu'il veuille se planquer, mais ça le touche tellement... Il marmonne, le visage toujours planqué au creux d'Aaron, sa voix interrompue par des sanglots. :

-Thank you, dad. Love you. Thank you. My dad. Our dad. And mom.

Trop de bonheur d'un coup, il est cassé. Parce que oui, on parle d'Aaron, mais il y a Lou aussi dans l'équation. Une vraie maman avec qui il cuisine parfois, ce qui lui manquait depuis tant d'années. Une maman qui l'aide à canaliser ses angoisses, qui lui rappelle qu'il est un bon grand frère mais qu'il ne doit pas surprotéger Lottie. Une maman qu'il aide autant qu'il peut dans cette grande maison avec une famille chaotique, avec qui il aime partager un thé à la fin d'une grosse journée pour lui raconter ce qu'il a fait au travail, à l'entraînement, en soirée avec ses amis et Elwynn qu'il aime de tout son cœur. Une maman surprenante, pour lui qui voyait les femmes comme des êtres fragiles à l'image d'Hélène ou qui pouvait être brisée comme Virginie, des femmes à protéger si on ne voulait pas les perdre, Lou était ferme, déterminée... et pleine d'humour. Dieu qu'il a ri avec elle. Souvent au dépend du reste de la famille mais toujours dans la bienveillance... Elle avait aussi un don pour commander avec douceur la fratrie qu'ils étaient.

Y'a Nicolas aussi du coup. Qui va vraiment pour de vrai devenir son frère. Qui l'aurait cru ? Pas lui. Pas il y a quelques années. Jamais il aurait pensé mériter une si grande famille, alors que c'était son souhait depuis tout petit. Encore moins avec Nicolas dans le tableau. Mais au final, heureusement qu'il était là. Heureusement que Jérémy a survécu... A toutes ces épreuves qu'il a dû endurer. A tout ce qu'il a fait et dû subir. Pour un nom. Plus jamais. Et la joie était si grande qu'il n'arrivait pas à étouffer ses larmes.

Nicolas sourit comme un débile. Il laisse Aaron s'éloigner quand Jérémy a besoin de lui mais lui pique sa chaise dès qu'il le peut, un bras toujours autour des épaules de Lou. Son frangin peut dire ce qu'il veut sur tous les désavantages que de vivre avec des Sensitifs apportent mais en attendant, il est bien content d'être compris... d'être vu. Ne vous y trompez pas, il fait genre il va bien mais Nicolas est dévasté par la réaction de Jérémy. Parce qu'il sent qu'il est heureux, il sent qu'il est ravi d'avoir été intégré... sans jamais remettre en doute la place du gamin qu'il a failli détruire, juste heureux d'être là et d'avoir changé les choses. D'avoir réussi quelque part, à ne perdre personne et en trouver de nouvelles. En sachant que la seule fois où il l'a vu pleurer c'est parce que Jérémy était persuadé qu'il allait le tuer... Ouais fuck you all, Nicolas est fier ok. Il est fier d'avoir un grand frère pareil, qui a ouvert les yeux, qui a changé pour le meilleur et qui prend soin de la famille. OK. Non, il pleure pas mais DAMN c'est pas loin.

Il se coupe un peu des émotions qu'il perçoit de Ronron et Mymy pour se concentrer sur Lou. Lou qui a débarqué dans cette histoire complétement folle et qui aurait pu refuser tout ça. Cette femme est incroyable et le premier qui tente de lui faire du mal j'vous promets qu'on le défonce. ...Erm, ça c'était moi. Nicolas de son côté, se contente de lui sourire en se décalant un peu, attraper ses mains qu'il couvre des siennes aisément... :

-Merci 'Ma. Je sais que tu sais ce que c'est pour nous. Et tu sais que je pense pas que tu remplaces qui que ce soit de nos vies. Mais j'espère que tu sais que pour nous t'es bien plus. Tu es là.

Comprenne qui pourra. Dialogue de Tonnerre, même moi j'ai pas suivi.

Il n'attend pas de réponse, parce qu'il a pas besoin. Il se lève et encourage Lou à faire pareil, pour qu'ils aillent jusqu'à Aaron et Jérémy, encore dans les larmes. Il cale tout le monde dans ses bras -c'est facile puisque Jérémy est tout plié- et réunit tout le monde dans un câlin groupé, Aaron coincé entre Jérémy et lui, Lou casé à ses côtés. Zéro chance de fuite, c'est le problème quand on élève des prédateurs. :

-Faut qu'on prévienne tout le monde ! Qu'on se fasse une bouffe et- HAAAN ! Faut que je raconte ça à Marie ! ELLE VA HALLUCINER !

Marie. Sa tante. Aaaah c'est sûr que les histoires de famille côté Nico, ça va être rigolo. ...Et oui il a pensé à sa tante avant sa mère biologique mais écoutez, Marie est 300% plus cool qu'Hélène. Elle est carrément moins hétéro du coup ça joue, leurs conversations valent le détour. LGBTQ+ bitchin', y'know ?

Au début, elle avait eu peur de ne pas se sentir incluse dans cette grande famille un peu étrange, ou plutôt de ne pas y trouver sa place. C’est vrai ; elle était une pièce rapportée, et une pièce rapportée ne se fixe pas toujours correctement dans le puzzle. Parfois, il faut un peu insister pour que les bords se rejoignent. Pourtant, jamais Nicolas et Jérémy ne le lui ont fait ressentir de cette manière.

Lou n’a jamais été timide, plutôt discrète, certes. Elle ne parle pas toujours, ne s’impose pas ; et justement, elle ne voulait pas s’imposer entre eux. Pourtant, ces garçons aussi ont créé un petit chemin jusqu’à son cœur — ça a été beaucoup trop facile, d’ailleurs ! Qui aurait pu en douter, à part elle…

Peut-être que c’est ce qui les rassemble tant, dans cette famille : ce besoin d’appartenance qu’ils n’ont jamais osé nommer et cette crainte de ne jamais être suffisants. Et pourtant, ils le sont, les uns pour les autres ; ils sont suffisants, bien assez, et même parfaits tels qu’ils sont.

Alors doucement, elle serre ses doigts entre les siens et lui sourit, les yeux humides. Son autre main rejoint la joue qui gratte de son garçon pour la caresser de son pouce.

—Je ferai en sorte de toujours l’être, répond-elle simplement à Nicolas, émue. Vous comptez énormément pour moi.

Dire aux gens qu’elle les aime, c’est bien facile ; mais réaliser qu’ils l’aiment en retour, parfois, c’est étrange et ça la déstabilise…

Alors elle le suit en riant et fixe et Aaron qui se pleurent dessus mutuellement. Elle échange un regard mutin avec Nicolas et, sans prévenir, entoure de ses bras le plus de monde possible en riant. Pose sa tête contre celle de Jérémy, tout sourire, mais reniflant elle aussi.

—Je veux voir sa tête quand tu lui diras, rit-elle. Je vous aime, tous les trois. Ca veut dire toi aussi, Jérémy.

Oui, elle insiste, au cas où. Pour qu'il comprenne qu'il compte tout autant pour elle.

Quand Jérémy se relève pour se serrer contre moi, je sens mes bras se refermer instinctivement sur lui, le gardant fort fort. Je le lâche pas, je le lâcherai pas. Mes yeux me brûlent, on chiale tous les deux. J’ressens tout son amour, son incompréhension, cette sensation… étrange, douce, comme de la réassurance, je crois. Elles sont floues, mais probablement autant que les miennes. J’enfouis mon nez dans ses cheveux, le serre à risquer de lui faire mal — mais il est tout grand et costaud, même s’il a l’air tout petit en cet instant, mon fils.

Je renifle pour essayer de respirer ; mon coeur tambourine dans ma poitrine… De l’autre côté de la table, Lou parle avec Nicolas, et ils finissent par se rapprocher, tous les deux… Je lâche un petit couinement puis un rire entre deux sanglots quand on se fait écrabouiller dans les bras de Nicolas. Je ferme les yeux très fort, je sais plus quoi dire à part que je les aime, que je suis heureux. C’est ça qui est magnifique. Qu’on soit tous ensemble…

Alors je fais un bisou sur le front de Jérem, à ma portée ; j’ébouriffe les cheveux de Nico, les yeux encore pleins de larmes ; Lou est là elle aussi. Je suis… heureux. J’ressens leur joie, tout. C’est comme si on était uns, là. Je les serre plus fort contre moi. C’est plus que tout ce dont j’ai pu rêver…

—Moi aussi je vous aime. Même si vous êtes en train de me péter une côte bordel-

Je ris encore, et pleure encore, puis je renifle ; finalement je lâche en m’étouffant un peu dans mes hoquets :

—Vas-y, viens on l’invite pour le repas. Et vos copains. Han, ça va faire plein de monde… Je suis sûr que si on s’y prend bien, Hideko nous laissera réquisitionner la salle des fêtes…

… Enfin au pire, je sais où sont rangées les clés.

—Sinon, on peut faire un gâteau ensemble pour fêter ça, j’essaie d’amadouer Jérémy, pour qu’il arrête de pleurer — comme ça j’arrête de pleurer aussi !!

Ils me rendent tous tellement heureux. J'échange un regard avec Lou, puis avec Nicolas. Qui aurait cru qu'une glace à l'orange nous amènerait aussi loin ensemble ? À construire notre petit coin de paradis... Et je sais, j'espère en tout cas, qu'on en est encore qu'au tout début de cette vie de famille.

Jérémy se redresse quand Aaron lui dit qu'il se fait péter les côtes mais il ne lâche personne. Il renifle quand Lou lui rappelle qu'il compte aussi pour elle et il doit lutter pour ne pas s'effondrer à nouveau. Il se concentre sur Nicolas qui s'excite, veut faire une bouffe avec toute la bande, la famille, bref, inviter du monde. L'idée lui plaît mais pas maintenant. Il veut profiter d'eux avant, il veut être un peu égoïste et passer du temps avec ses proches avant de les partager. Aussi, il saute sur l'occasion quand Aaron propose de faire un gâteau. Peut-être sûrement qu'il a compris ce à quoi il pensait. :

-Est-ce qu'on peut... organiser ça plus tard ?... Je préfère qu'on fasse un gâteau ensemble plutôt.

Comme s'il ne le réalisait que maintenant, Jérémy se frotte les joues et les yeux pour faire disparaître ses larmes, reculant pour de bon cette fois pour s'éloigner un peu de la pile de Williams -c'est un Williams !- et se diriger vers la cuisine... avec d'abord l'idée en tête de trouver des mouchoirs et l'excuse de sortir un carnet de recette. :

-Vous voulez... vous voulez de la glace avec ? Je crois qu'il n'y en a plus. marmonne-t-il, encore ému.

Il n'était pas là pour la première glace à l'orange, mais il était là pour les autres, et il serait là pour les suivantes. Il pensait s'en être sorti, avoir échappé de justesse à un trop plein d'affection mais c'était sans compter sur Nicolas qui a percuté son dos avant de lui chopper les épaules et sautiller sur place.

Lou veut voir la tête de sa tante quand il va lui annoncer la nouvelle. Nicolas a un petit rire un poil sadique avant de lui dire qu'il ferait un appel en visio exprès. Il relâche un peu Ronron quand il dit qu'ils lui pètent les côtes mais vraiment rien qu'un peu. Il veut pas arrêter le câlin qu'il fait à ses deux parents. Deux parents les gens. Forcément qu'il veut en parler au monde entier et raconter à quel point il a de la chance à ses potes... qui vont probablement le regarder avec un air blasé genre "d'où c'était pas déjà tes parents en fait" ou juste être ultra ravi pour lui -devinez qui et dans quelle catégorie lel. Mais Jérémy est pas comme lui, c'est une grosse peluche qui aime profiter de son petit cercle rassurant... Il ne lui en veut pas du tout, il comprend un peu. Ils feront la fête plus tard, c'est pas interdit.

Alors il attend qu'il essuie ses larmes et qu'il parle de glace, le faisant se redresser d'un coup, alerte, et il embrasse encore une fois la joue d'Aaron puis celle de Lou avant de se décoller d'eux. Vif, il saute dans le dos de son frère pour l'attraper. :

-Mymyyy il veut pas nous partageeeer ! Gros nounours.

-Nico !

-Eh ! J'me moque pas ! C'est vrai ou c'est pas vrai ?! il se décale pour le chopper sur le côté, bras-dessus bras-dessous, doucement, fraternel. Mais revenons plutôt à la glace.

...Il reste des oranges ?