__–Mais pour qui se prit-il. Karen eut un mouvement de recul quand cet espèce de gig—
__–T-t-t-t ferme ta bouche là. Oui mais c’est juste parce qu’il est brusque, Tonnerre, normal quoi, après ça va elle est juste viteuf surprise, pas choquée ou quoi. En fait c’est bizarre, parce que là, Karen commence à se rendre vaaaachement compte qu’elle a été la pire des connasses avec ce mec qui l’a, au final, vachement bien aidé.
__–C’est fou comme ça me rappelle absolument tous les adultes de Terrae qu’elle a croisé
__–Dingue.
__–« Euh ouais ok ça marche. Ma doc c’est… bah c’est Aoi quoi. »
__–Regardeeeez comme elle est fière et touuut c’est mignon.
__–Ou alors, il ne s’agit que d’une information qui pouvait s’avérer utile à qui lui parlait de ce sujet.
__–C’est ça t’as raison.
__–« Mon tel, ouais attends… enfin t’sais quoi nan j’l’utilise pas trop quoi mais vas-y t’as Whatsapp plutôt ? Tiens file ton num. »
__–Hé, vous le sentez l’espèce de gros mix sale et lourd de honte, culpabilité et peur qui traîne, là ? Contexte, vous savez pourquoi elle utilise plus son tel ? Parce qu’elle l’a balancé dans le lac. Un morphe qui se l’est pris sur… bah les branchies j’suppose, le lui a ramené, elle a récup’ la carte SD et s’est payée un nouveau modèle, mais elle a jamais remis la carte dedans. Vous savez pourquoi ? Parce que si elle le fait, elle verra les dizaines d’appels manqués et messages de ses parents, ses amis, tout ça. Non elle leur a toujours pas dit où elle était. Ou si elle était toujours en vie.
__–Il est vrai. Et utile d’ajouter que Karen n’avait même pas installé ladite application, ce qui allait rendre l’échange de contacts assez étrange. Elle s’en rendit compte :
__–« Euh nan mais attends ça bugue là je le ferai plus tard. T’façons c’est bon quoi j’te vois souvent passer puis t’es un master, tout le monde sait comment on te contacte. »
__–Et sur ces entrefaites, je vous propose un petit saut temporel.

Mars 2023.

__–Entre la convalescence de Nicolas et l’accouchement de Karen, il y avait eu bien peu de temps disponible pour les entraînements magiques particuliers. Oh, ils s’étaient bien croisés quelques fois dans les couloirs, aux entraînements publics des Tonnerres, mais n’avaient pas encore pris le temps de se voir en personne.
__–Et puis, Boyce et John étaient nés depuis un mois.
__–C’est donc dans l’espoir d’en discuter, de se préparer à ressentir leurs émotions, une après-midi où elle savait qu’il serait disponible, qu’elle contacta Nicolas à nouveau. Un simple message, qui lui indiquait qu’elle irait se promener dans les bois et qui l’invitait à, non pas la, mais les rejoindre. Karen l’attendrait à l’entrée, assise sous un arbre, ses deux bébés dans les bras.

Nicolas hausse un sourcil quand il entend le nom d'Aoi. Évidemment, pour lui, c'était la meilleure. Mais il ne le dit pas... Karen a l'air de ressentir une certaine fierté à le dire. Elle a de quoi mais pas la peine d'en rajouter.

Il a Whatsapp, pour la fac. Parce qu'il passe plutôt sa vie par sms ou sur Discord avec ses potes mais il se force à l'utiliser pour ses collègues nippons. Alors il sort son téléphone avant qu'elle ne l'arrête. Elle... panique ?... Est-ce qu'elle n'a pas de téléphone ?... Nicolas range le sien en haussant les épaules. C'est vrai qu'il passe souvent dans le couloir Tonnerre, mais c'était en cas d'urgence qu'il était prêt à lui passer son numéro. Qu'importe. :

-Très bien, as you wish... répète-t-il en faisant un clin d'œil.


Mars 2023

Avoir des nouvelles de Karen était rassurant, en vrai. Oh il en avait demandé à Aoi, mais rien de bien personnel, juste pour voir où elle en était, vu qu'il ne la voyait pas assez souvent à son goût. Elle avait eu le temps d'accoucher, c'est dire si neuf mois au final, ça passait vite. Ça dépend pour qui. Le temps est une illusion pour moi mec, d'où tu me parles en vrai ?!

ANYWAY rendez-vous dans la forêt où Karen l'attend devant. Assise sous un arbre. Ses deux bébés dans les bras. Elle a l'air... paisible. Bien plus paisible que les fois où il la croisait. Quand elle pose ses yeux sur eux, elle semble aimer. Pas que les aimer : aimer tout court. Ça n'a l'air de rien comme ça mais c'est important pour nous. Nicolas et moi. Je m'approche en faisant du bruit, pour qu'elle se rende compte qu'on est là et puis je m'accroupis avant qu'elle ne se lève... Je ne suis pas une menace, pour elle et ses bébés. Je suis juste là. J'ai une aura douce autour de moi et un sourire. :

-Salut Karen. Tu me les présentes ?

__–Ah bah ouais ça frère, pour être paisible. Ah au fait, ça veut dire que j’l’ai détecté, lève la tête. Oui, c’est Nico, il est là.
__–Il me semblait que les masters étaient dotés d’une protection passive contre les pouvoirs psychiques.
__–Alors, oui, mais pas les bébés. Non parce que j’explique, là Karen avait ses écouteurs et était un peu concentrée sur ses mômes, alors quand bah eux ont entendu les bruits de pas et tout et que leur curiosité a fait pop c’est quoi ça, bah ouais elle l’a capté direct par eux.
__–C’est fort alambiqué, dis-moi.
__–P’têt. Ça en dit long aussi. Sur quoi, j’en sais rien, j’suis pas payé pour y réfléchir. Bref, tu fais la suite de la narration ou tu te les touches ?
__–Tssk. Karen ôta donc ses écouteurs et leva la tête vers un Nicolas qui s’était baissé vers elle. Elle avait un petit sourire calme.
__–« Salut. Yep, bien sûr. Lui là, en bleu, c’est John. John Minoru. »
__–Y doit au moins calculer viteuf qui c’est vu qu’il a participé à son initiation, normalement.
__–John observait avec intérêt cette immense créature noire qui s’était penchée sur lui et dont émanait une telle sérénité. Comme il avait à peine un mois, ce n’était pour ses sens de nourrisson qu’une entité obscure et floue, mais il pouvait reconnaître son caractère étranger et que c’était bien la première fois qu’il la rencontrait.
__–« Et ce petit monstre en rouge, c’est Boyce Aoi. »
__–Lui aussi regardait Nicolas, mais si son besson était confus et intrigué par cette forme sombre, Boyce la trouvait on ne pouvait plus hilarante. Il s’en esclaffa donc et en bava de joie sur la manche de sa mère, qui ne réagit même pas. (Elle commençait à avoir l’habitude.)
__–« J’crois il t’aime bien. Il fait ça à la moitié des gens qu’il croise, aussi, mais quand-même. »
__–Note pour Nico (niconote ? jsp), si Karen a l’air vlàààà détendue et tout, pis pas que grâce à toi gars, elle est aussi. Tellement. Mais. Tellement. Crevée. C’est juste pas possible. En fait, c’est pas qu’elle a arrêté d’être vénère et tout, enfin, enfin si parce qu’elle est heureuse – stp elle prend sa pose de Vierge sous un arbre et tout –, mais c’est aussi parce qu’avoir la haine c’est crevant et à un moment t’as juste plus la force.
__–« Et toi alors ? J’ai été heureuse d’apprendre que t’étais pas crevé comme un chien dans un trou de merde je sais pas où, là. T’façons t’avais pas le droit. »
__–C’eeeeeeeeest… sympa ? Je crois ? Écoutez, c’pas parce qu’elle a viteuf la même gueule que c’est Marie hein. Ça reste Karen.

Nicolas pencha donc sa tête d'un côté, d'abord celui de John. Plus réservé mais pas effrayé, il le regarde avec curiosité. Alors il lui sourit, bouche fermée, parle doucement pour souffler "Enchanté John.". Puis il penche la tête de l'autre, voit un enfant un peu plus réactif. Alors il tire sa langue, fait un bruit de pet avec sa bouche avant de saluer Boyce à son tour. Nicolas a l'habitude des bambins... c'est un grand frère. Il a pas besoin d'être Sensitif pour comprendre qu'ils sont tous différents, même aussi jeune. Il a jamais besoin de mettre un masque pour parler avec des gosses aussi. Il est toujours plus attentif en présence des petits. C'était peut-être pour cette raison que, lorsqu'il était un des plus vieux du gang, les mômes s'amassaient autour de lui, rarement pour des histoires de boulot, mais plus parce qu'ils avaient un souci à la maison, avec leurs devoirs, et ils ne voyaient pas à qui d'autre demander.

Bref moment nostalgique, mais passons. Karen lui explique à sa manière qu'elle est contente de le voir et Nicolas la regarde sans se départir de son sourire. Il s'assoit en tailleur en face d'elle, souffle un rire un peu éteint. :

-Ouaiiis j'ai eu plusieurs interdictions de crever et je me disais que ça ferait trop de paperasse donc je suis revenu quand même. Et puis j'avais des promesses à tenir...

C'est à croire que tout le monde lui a demandé des trucs avant de partir exprès pour qu'il revienne ! Ah quel terrible fardeau que d'avoir une seule parole... D'ailleurs en parlant de paroles. :

-Mais on n'est pas là pour discutailler de ça. Est-ce que tu veux me parler ? Genre... Dire des news de toi, me parler de John et Boyce, avant qu'on commence... En sachant qu'à n'importe quel moment, on s'arrête. On peut même ne pas essayer si t'as juste envie de profiter là.

Tranquillou quoi. No stress.

__–Boyce, de prime abord, resta interdit d’incompréhension devant la démonstration de Nicolas. Qu’importait : les bruits qu’il effectuait étaient fort divertissants, cela avait fait mouche, aussi répondit-il par un rire clair. Il n’allait pas quitter Nicolas des yeux de toute la discussion. John, de son côté, était plus timide et décida qu’il était temps pour lui de piquer un somme, ce qu’il fit.
__–Sous les yeux très attentionnés de Karen, Nicolas s’assit à ses côtés. Elle le trouva quelque peu différent. Infiniment plus calme. C’était très apaisant pour elle au moins autant que pour ses enfants.
__–Hé ben mon couillon, je pensais pas voir le jour où tu dirais du bien de quelqu’un.
__–« Oh bah t’inquiètes que j’ai des trucs à te raconter, ouais. Déjà les pouvoirs plus les gamins, ça marche de fou en fait. Bon le sensitif là c’est assez évident j’pense. genre t’sais les bébés bah, ça pense pas encore trop quoi, j’ai demandé à une télépathe un jour où ils pleuraient leur mère c’était horrible j’comprenais pas, elle a pas trop pu m’aider. Mais en fait avec leurs émotions ça va c’est clair, puis elles sont… brutes, tu vois ? Méga simples. Puis méga intenses. Puis y’en a qu’une à la fois, c’est pas trop confus. Ça fait plaisir… »
__–Du coup pour ceux qui se demandent, là John est grave calme et tout, en même temps il pionce, Boyce est tout excité et curieux et fait plein de gestes comme ça là, il sait pas trop pourquoi mais il s’en fout.
__–« Puis en vrai, j’avais méga peur avec l’électricité au début, mais en fait attends, j’vais te montrer. Tu veux bien le prendre ? En plus j’ai l’impression qu’il réclame. »
__–Elle lui tendit Boyce, en faisant garde à ne pas trop bouger John pour éviter qu’il ne se réveillât. Puis, Karen claqua les doigts, ce qui redirigea l’attention du premier vers sa mère.
__–« Mate. »
__–Karen disposa ses son pouce et son index en une sorte de pince et fit jaillir un petit arc électrique entre les deux. Elle le maintint, ce qui produisit un bruit blanc comparable à celui de l’énergie qui parcourt une boule de plasma. Boyce cessa aussitôt d’être dissipé et plongea son regard, bouche bée, dans ce petit spectacle si magnifique à ses yeux. Même John se recroquevilla et serra des poings plus fermement.
__–« Ça m’tue mais ils kiffent. Ça les calme mais direct quoi, comme ça. La vérité j’ai découvert ça par accident, genre à un moment je te jure ils s’y étaient mis à deux, j’avais la tête comme ça, ça m’a gonflé ’fallait que je nique un truc, alors j’ai balancé mon électricité sur le radiateur là, comme il était en métal – puis t’inquiètes hein ils étaient à l’autre bout de la pièce genre – et paf, ils ont fermé leur gueule direct. Puis en vrai si je le fais pas souvent ils réclament. J’crois c’est la lumière plus le bruit blanc. »

Et donc Karen raconte. Elle dit que mêler ses pouvoirs à sa maternité, c'est pas si pire en vrai. Être Sensitif ça aide beaucoup à comprendre les besoins primaires des bébés, c'est si intense et vif, précis et honnête, on peut pas vraiment se louper entre s'ils ont faim, s'ils sont fatigués, s'ils ont peur ou s'ils s'ennuient. C'est brute, mais c'est beau. Pour son côté électrique, elle dit avoir fait une découverte après s'être énervée sur un radiateur -à aucun moment il a songé qu'elle aurait pu blesser ses mômes, même par inadvertance. John et Boyce adorent la lumière. Le bruit. Elle n'a pas besoin de faire la démonstration, il la croit mais il la regarde faire tout de même, saisissant Boyce du coup, pour qu'elle fasse crépiter un petit arc entre ses doigts. Si la réaction du petit dans ses bras est évidente, celle de John mérite d'être notée aussi.

Nicolas sourit. :

-Ça peut être la lumière. Ça peut être le bruit. ...Ça peut être aussi parce que c'est le pouvoir de maman.

Après tout, ils étaient dans son ventre pendant plusieurs mois, elle avait déjà ses pouvoirs. Ça joue peut-être. Forcément. Sinon on interdirait à tous les terraens d'avoir des marmots. Il y a peut-être même une science derrière pour justifier cette réaction mais, malgré tout ses réflexes de chercheurs, Nicolas préfère voir les choses de manière plus poétiques. "C'est le pouvoir de maman", et toute la violence qu'on peut voir dans l'orage disparaît. :

-Tu t'en sors vraiment bien, ça fait plaisir à voir.

Elle a bien changé depuis la dernière fois qu'ils se sont parlés.

__–Le pouvoir de maman. Karen eut une petite moue d’approbation. Elle appréciait la tonalité, la saveur en bouche de l’expression. n revanche, elle fut… plus sceptique, sur sa seconde affirmation :
__–« Ouais, euh, je sais pas trop, ça. En fait, t’sais, genre… bah ils sont devenus toute ma vie, quoi. Et je dis pas, c’est cool hein, mais du coup tout le reste existe plus. J’irai jamais à la fac, genre. »
__–Oui alors, la blague c’est qu’elle sait pas qu’elle parle à un repris de justice qui vient du trou du cul du monde et qui a fini… je sais plus, il est pas docteur ? Bref on s’en fout, comme par hasard elle dit ça au mec qui pourra lui dire que non tkt t’auras une vie après et qu’en plus ça sonnera vrai.
__–Comme par hasard.
__–C’est fou ça, les hasards.
__–« Puis ça me fait bizarre parce que, bah… J’suis à Tokyo et j’ai de la magie quoi, genre j’peux faire c’que j’veux de ma vie, mais j’ai l’impression je deviens… putain la loose de le dire à voix haute, ma mère, à avoir des gosses super tôt et devoir rester à la maison m’en occuper tout le temps. Sauf qu’en plus, je suis seule et j’en ai deux. »
__–À bien y réfléchir, Karen arriva cependant à la conclusion que sa mère devait s’occuper de son frère et d’un autre enfant dépendant d’elle ; à savoir son mari. Jamais on aurait surpris ce personnage en train de faire la vaisselle, à manger, voire se lever pour aller chercher une bière.
__–Mais c’est quoi ce discours de gros gaucho, t’es malade mon reuf ?
__–Ce n’est pas parce que je trouve que Nicolas est très loin d’être une figure paternelle, fraternelle ou quoi que ce soit de respectable pour qui que ce soit, que je trouve préférables celles qui occupaient précédemment la vie de Karen.
__–Mouis mouis mouis. Bon ils font quoi les enfants du coup ?
__–Ils échangent des banalités ?
__–Les autres, connard.
__–John avait donc agrippé le tissu de veste de sa mère et dormait à poings résolument fermés. Boyce, constatant que les éclairs s’étaient achevés, chercha dans son environnement un nouveau jouet, considéra avec délectation et envie le menton de Nicolas et s’en saisit de toutes ses forces, curieux de cette excroissance glabre qui s’agitait à la moindre de ses palabres.