Justine sortit de la salle de bain toute apprêtée... Il n'y a pas à dire, c'est quand même plus rassurant et agréable d'avoir une chambre à soi. Elle s'était sentie coupable d'abuser de la gentillesse d'Aria les premiers jours, mais il était difficile de renier qu'un tel confort était bienvenu... D'autant plus qu'elle arrivait enfin à faire des nuits complètes. Elle est arrivée à faire confiance en la Préfète Morphe au bout de quelques jours, sûrement Justine arriverait à faire confiance à plus de personnes... Sûrement. C'était difficile mais pas impossible, c'était suffisant pour espérer enfin évoluer dans la bonne direction. Aujourd'hui toutefois, une étrange nostalgie l'avait saisi quand elle s'est regardée dans le miroir. L'apparition lente, mais loin d'être discrète, de ses racines noires au milieu de sa rousseur non-naturelle, sur son cuir chevelu. Elle n'avait plus à s'en inquiéter. Mais le fait qu'elle n'avait plus à s'inquiéter l'inquiétait. Est-ce qu'elle devait s'inquiéter du fait que ça l'inquiétait ? Probablement. Machinalement, elle a mis son ras-de-cou en se disant que cela compenserait cette lancinante anxiété... ainsi que sa plus belle robe noire, dont le tulle volumineux voletait à chacun de ses pas. Elle ne se séparerait pour rien au monde de ses aiguilles, dans leur petite boîte accrochée à sa cuisse, mais sinon, elle ne portait plus de maquillage toxique. Son seul venin était caché...

C'est sans doute mue par cet élan mélancolique qu'elle s'est dirigée vers la forêt. C'est quelque chose de commun à tous les gamins ayant grandi en campagne -et qui apprécient la nature- il faut croire, cette sensation de trouver une véritable maison entouré d'arbres, s'entendre respirer dans le silence immémorial des vieux bois. Peut-être allait-elle trouver au moins quelques plantes sauvages communes de chez elle, bien qu'elle soit à des milliers de kilomètres de là, peut-être que le battement de cœur des arbres sera le même...

...Alors le battement de cœur des arbres elle ne sait pas mais celui de la terre, ça, elle n'a pas connu. Elle fut tentée de retirer ses ballerines pour mieux comprendre d'où venait les vibrations avant de réaliser qu'elles montaient en puissance de toute façon. La ballade tranquille se transforma en étrange ballet déséquilibré, Justine ballottant de gauche à droite, chaloupante et chavirante sans charrier, tout en s'avançant vers ce qu'elle pensait être l'épicentre. Il lui fallut un temps avant de se rappeler qu'elle n'était pas en France mais à Terrae, dans un lieu où des personnes ont des pouvoirs, certaines ont des pouvoirs reliés à la terre... et donc voir une nana en train de créer des séismes n'était pas si étonnant. "Normalement" pas si "étonnant". Justine, accrochée au tronc le plus proche, haussa la voix. :

-Erm... Excuse-moi ?... Excuse-moi !!

Parfois, s'excuser avant même d'avoir fait quoi que ce soit pour être pardonnée ne servait à rien. La preuve, la demoiselle semblait trop concentrée à secouer la terre autour d'elles qu'elle ne l'entendait pas. Justine se pencha donc, ramassa un marron et arma son bras. Son regard changea brièvement, le temps d'une seconde, et elle profita que le sol soit stable pour tirer son projectile... droit sur la tempe de la demoiselle. :

-OH MERDE ! s'écrie-t-elle avant d'accourir vers la Terre. Pardon j'essayais d'attirer ton attention et j'ai... J'ai fait n'imp', désolée... Ça va ?

C'est ce qu'on appelle une première impression impactante.

__–Hé, y’a quelque chose là, non ?
__–J’vous jure j’ai senti un truc. Quelque chose qui marche dans ma direction. Qui s’arrête au niveau du grand bouleau.
__–Mais ! Aïeuh !
__–Ah là j’ai senti un autre truc. Je sais pas ce que l’autre voulait faire mais si ça impliquait de rompre ma concentration, c’est pas mal réussi, déjà parce que je me vautre, ensuite parce que le sol autour de moi arrête de pulser.
__–Encore sonnée par le choc – c’est que j’ai pas été loupée –, j’arrive à retirer mon bandeau et mes casques anti-bruits et… un peu du contexte ? Un peu de contexte.
__–Donc alors, je poursuis mon étude plus profonde de la terre et ce que m’a conseillé Alice, à savoir d’en faire comme avec les plantes une extension de mon corps et de mes sens. Et histoire d’être dans la plus totale immersion, quand je veux m’exercer, je me pose en tailleur le cul sur le sol, avec de quoi couper ma vue et mon ouïe sur les oreilles. Et je ressens. La magie qui coule dans le sol. Les racines, les vers de terre, les taupes, les insectes, les champignons, les petits pas des rongeurs. Pour le moment, le seul moyen vraiment efficace, vraiment intuitif que j’ai trouvé, c’est la manière forte : de grands coups de poing qui envoient des secousses, relayées par ma maîtrise de la terre pour devenir de petits tremblements, puis de véritables mini-séismes. Ça fonctionne comme un sonar souterrain. Sans, j’arrive à détecter ce qu’il y a sous le sol sur un mètre et demi environ, pour l’instant. Si on y ajoute les vibrations, ça passe à près d’une quinzaine. Et vous vous en doutez, le pré-requis pour, bah, découvrir un tout nouveau sens, c’est de couper les anciens.
__–Métaphore de, pour découvrir un nouveau membre il a fallu que l’ancien se fasse couper ? Je refuse d’y penser. Si c’est votre conclusion, gardez-la pour vous.
__–Mais bref, revenons à mon coup dans la tempe, là. Sa mère, j’avais oublié la sensation de quand on se prend un gnon. Ça fait trop longtemps que je me suis pas battue. Mais qu’est-ce que je raconte, ça fait pas assez longtemps. Ah ça c’est clair que ça me manque pas.
__–Par contre la roukmoute – oui quand-même, je suis plus aveugle maintenant – a l’air… bon déjà magnifique, genre wow, qu’est-ce que quelqu’un d’aussi bien sapé fout dans ces bois, je passe encore pour une énorme clocharde, ensuite tout à fait désolée.
__–« Ça va. Ça va. Je vais bien. Ça va. »
__–Le fait que je presse ma tempe et que mon expression doit clairement traduire que j’ai super mal indique plutôt l’inverse.
__–Je me lève, même. Pour le contexte, et pour la forme, je me suis remise dans ma tenue de quand je veux faire de la magie intensément : ma fameuse veste aux poches intérieures où vivent des plantes. Ce qui fait que j’ai complètement l’air d’une phyto-clocharde à côté d’une princesse en noir. Eh, j’ai l’habitude.
__–« La violence n’est pas une solution meuf. »
__–Non mais à un moment, il faut assumer d’être une espèce de rasta.
__–« Et toi ça va ? J’t’ai pas dérangé avec mon boucan ? Et, euh… bon j’dis pas t’as le droit hein, c’pas la question, mais, uuh… Non mais je laisse tomber, y’a aucune manière de dire ça poliment. Tu fous quoi ici ? Oooookay il devait au moins y en avoir de le dire avec un peu plus de tact. J’veux dire, y’a pas de problème mais, bon, généralement quand les gens voient quelqu’ un s’entraîner avec ses pouvoirs ils vont pas le déranger, quoi. Tu voulais m’dire un truc ? »
__–Elle a pas l’air d’être là depuis longtemps, ceci dit. Je le saurais, autrement.

La jeune femme lui dit qu'elle va bien... Justine n'y croit pas une seconde. C'est qu'elle a l'habitude d'envoyer des... choses... avec assez de puissance pour percer la peau et creuser la chair. Sauf si elle utilise un poison urticant c'est différent. ...Enfin bref. Ce n'était qu'un marron, elle s'en remettra, même à la tempe. Quoique, si elle lui dit que la violence n'est pas la solution, elle a peut-être une commotion cérébrale ?... Qui dit ça ? Les pacifi- aaah... Oooh... D'accord elle respecte, elle comprend pas mais respecte. :

-Moi ? Ah oui c'est juste... Je me promenais ? Juste, normalement. Comme les gens normaux ahah. Les gens font ça des fois. Se balader dans les bois...

C'est pas comme si elle avait une idée de quelle plante japonaise -même si elle en reconnaissait quelques unes- collecter pour faire des poisons ou des médicaments... Non, non, non. Justine était une jeune fille tout à fait normale en promenade, et pas en repérage parce qu'elle se sentait nostalgique. Du tout. Et comme si ce n'était pas suffisant, voilà qu'elle apprend que ça se fait pas de déranger quelqu'un qui s'entraîne... Parce qu'il faut s'entraîner avec. Justine bat des paupières. :

-Oh. Oh non. Je suis désolée, je pensais pas... Je savais pas, je suis novice. C'est juste que je n'arrivais plus à marcher et je-...

Elle ne savait pas quoi penser en vrai. C'est pas souvent qu'on croise quelqu'un qu'est capable de secouer la terre. ...et qui fait pousser des plantes dans sa veste, qu'est-ce que ?... Justine plisse ses paupières. Ok. C'est pas banal. ...Pourquoi elle essaie de se faire passer pour quelqu'un de "normal" en fait ?! Justine soupire et baisse la tête. :

-Pardon... Je crois que je suis un peu... ...perdue ? Je me suis pas encore adaptée. J'ai du mal... je crois.

__–Les gens font ça ?
__–« Les gens font ça, oui. Bon ben j’ai compris, la prochaine fois je m’enterrerai, ça te donnera peut-être l’idée de rebrousser chemin plutôt que de me… ah ben, je saigne, super. »
__–Pas beaucoup, mais fais chier, quoi. Ça a tâché ma veste. Qui a sûrement vu bien pire, je m’en tamponne hein, mais disons que c’est pour le principe. De ne pas rendre plus dégueulasse ce qui l’est depuis que j’ai abandonné l’idée de la laver. ’faut dire que c’est littéralement un écosystème maintenant, ce vêtement. Ça vous étonne si je vous dis que des petits champignons ont commencé à y pousser ? Non, hein, on est d’accord.
__–Et, ah là là, les novices. Ils sont si mignons. La meuf là, elle croise au débotté une clocharde couverte de plantes avec un bras phyto-robotique qui parle comme une baba cool, sent l’herbe à plein nez et provoque des tremblements de terre pour le plaisir. Et essaie très dur de faire passer ça pour une conversation normale entre deux personnes normales. Ils sont tous pareils, c’est adorable. Ce petit temps d’adaptation, où te rends à peine compte de la folie généralisée de l’endroit où t’es tombé et où tu te sens encore moins capable d’y plonger la tête la première. Dès que t’es initié, cette innocence des débuts disparaît.
__–« Oh ouais t’inquiètes, comme tout le monde au début. Les dortoirs sont comment ? »
__–Si elle a parlé à ne serait-ce qu’une seule autre personne depuis qu’elle y est arrivée, elle sait pour la rumeur. Pourquoi toutes les chambres ont plusieurs plantes en pot, pourquoi il y en a dans les couloirs et aux fenêtres, pourquoi il y a une odeur de forêt qui a imprégné cette salle et qui ne la quittera probablement plus jamais.
__–Bon enfin, t’façons j’ai fini ce que je voulais faire. Ça et en vrai j’ai bien mal à la tempe là, je vais juste pas pouvoir continuer à me concentrer.
__–« Bon, tu m’as pas loupée du tout… Il y a de la glace au bar, j’vais y faire un crochet. »
__–Souviens-toi Luna, tu ne parles pas à quelqu’un qui connaît déjà tout ce qu’il y a à savoir.
__–« C’est moi qui le gère. Enfin, ça pareil t’as pu t’en douter si t’es passée devant. Tu veux venir ? Je t’offre ta première bière à Terrae. Ou autre chose, je sais pas ce que tu bois. »

Justine se tasse un peu sous le ton de la jeune femme... C'est qu'elle voulait vraiment pas la déranger à la base, mais la terre qui bouge, pour une française qui n'a jamais connu un tremblement de terre autrement que par l'effondrement d'une ancienne carrière de charbon -et donc ultra dangereux- ça a réveillé des choses en elle. Plus en mode "danger" que "aaah c'est normal les gens ont des pouvoirs MAGIQUES"... Mais elle ne pouvait pas lui en vouloir pour lui répondre comme ça... Par contre elle pouvait s'en vouloir pour la faire saigner. :

-Quoi ?! Où ça ? Justine l'attire vers elle pour mieux voir la blessure. Attends ne bouge pas.

Dans sa pochette d'aiguilles, il y a aussi des flacons importants : anti-poisons correspondant aux aiguilles, un simple désinfectant et le plus important au village, une pommade de sa spécialité. Elle avait perfectionné la recette à mesure qu'elle soignait les membres de son gang... Elle couvrit ses doigts d'une bonne noisette avant de l'étaler sur la plaie, n'acceptant aucun recul. Justine allait la soigner par la force s'il le faut, même sans pouvoir. :

-C'est de la calendula avec quelques plantes anti-coagulantes.

Ça sentait surtout la menthe, puisque la plante surpassait les autres, mais dans tout les cas, elle allait surtout sentir la fraîcheur de la concoction avant quoi que ce soit. Justine observa son œuvre avant de ranger sa fiole dans la pochette à sa cuisse.

La jeune femme parle des dortoirs... Justine prend une inspiration avant de réfléchir à sa réponse. :

-C'est. Bizarre.

Justine est incapable d'en dire plus. Comment avouer qu'elle avait un traitement de faveur ? Qu'elle n'avait passé que très peu de temps dans les dortoirs tellement elle était mal à l'aise ? Qu'elle avait eu la chance de tomber sur Aria pour l'héberger ?... Impossible. Elle préfère ce concentrer sur le fait qu'elle a encore mal au point d'interrompre son entrainement pour avoir de la glace... Bon réflexe en vrai, elle n'allait pas la contredire là-dessus. :

-Laisse-moi t'accompagner. C'est le moins que je puisse faire...

AH... mais de toute façon elle proposait de l'amener pour... boire une bière ? Justine a un long moment où son regard fixe se plonge dans les yeux de la demoiselle. ...Elle décide d'opter pour l'honnêteté. :

-J'ai jamais bu trop d'alcool... J'aime bien les sirops d'agrumes dans mes limonades...

__–Ah, contact physique. Juste sur ma blessure. Je bouge pas hein, j’ai largement ce qu’il faut pour me soigner chez moi puis c’est pas son doigt qui va me… Okay. On va être copines toutes les deux.
__–« Oui, je connais, même si j’en ai jamais utilisé. Par chez moi, c’est plutôt la sanipanga. »
__–Du coup je la laisse faire. Ça n’a jamais trop été mon truc d’utiliser les plantes à Manaus, mais quand on passe sa vie à se faire des bleus et des coupures partout et qu’on a pas une thune, y’a deux-trois trucs qu’on apprend qu’on le veuille ou non. Hé, si elle aime les plantes elle est bien tombée. Ma spécialité c’est pas vraiment les médicinales, ni même les psychotropes contrairement à ce qu’on pourrait croire, à quelques exceptions près, mais justement. Quelqu’un qui s’y connaît plus que moi sur une partie de mon sujet de prédilection, le bonheur. On saura de quoi parler autour d’une bière.
__–Son cataplasme est frais, picote un peu et sent bon. C’est pas désagréable.
__–Et elle élude le sujet des dortoirs. Bon ben écoute, je pensais avoir laissé plus d’effet que ça, ça m’apprendra à péter plus haut que mon cul.
__–Par contre ouais, j’ai bien l’intention que tu m’accompagnes. Déjà ta conversation va m’intéresser, ensuite c’est mort tu échapperas pas à une bière.
__–… Ou à une limonade, qu’importe. On se dirige vers le bar, même si dans le fond ça ne sert plus à rien que j’y aille me prendre de la glace. C’est amusant, elle m’a regardé droit dans les yeux et dit ça comme si c’était quelque chose de grave. Hé, comme si j’en avais quelque chose à foutre, je suis bien la dernière personne qui va te juger sur ce que tu fais ou non entrer dans ton p’tit corps tout mignon.
__–« Limonade j’ai, agrumes aussi, sûrement. Au pire, je t’en fais pousser une. »
__–Oh Luna, tu te souviens que ce qui est normal pour toi ne peut par définition pas l’être pour une novice ?
__–« Terre, végétaux, tout ça. »
__–Je lui fais un coucou de ma main sylvométallique. Au cas où si elle était pas assez flagrante. Et je remarque maintenant mais elle fait genre. Vingt centimètres de moins que moi. Même sans titanisme je pourrais la porter sur mon épaule. On va éviter hein, c’est pas la question, mais le fait est là.
__–« Tiens question, tu les obtiens comment tes plantes ? Je veux dire, tu fais du jardinage ? T’as vu on a une forêt, mais c’est plus genre, un bosquet bien entretenu quoi. Je sais pas à quoi t’as été habituée, mais pour mon référentiel, disons que c’est pas tout à fait ça. Pour la promenade c’est sympa. ’faut éviter les imbéciles qui s’entraînent avec leurs pouvoirs, c’est tout. »

La Terre connaît la calendula... Justine pince ses lèvres en se disant que... oui, en fait, c'est logique qu'elle connaisse idiote, si elle manipule la terre et se balade avec des plantes dans sa veste il y a moyen qu'elle connaisse le souci hein. Mais elle attire surtout son attention sur ce qu'elle dit ensuite. Sanipanga. C'est une plante qu'elle n'a jamais vu et Justine le sait. Parce que sa petite tête ne peut retenir que peu de choses et ses rencontres avec le moindre arbuste en fait parti. :

-Sani... Sanipanga de la famille des Simaroubaceae ?... Tu viens d'Amérique du Sud ?

En fait, selon l'espèce, on peut trouver de ce genre de plantes un peu partout sur le continent américain tant qu'il fait assez chaud. Mais statistiquement, on en trouve plus dans la jungle Amazonienne qu'en Floride. Et les notions de géographies de Justine s'arrêtaient là.

Elle n'ose pas poser plus de questions, ayant l'impression d'avoir abusé du temps de la jeune femme qui voulait juste s'entraîner et qui maintenant était blessée à cause d'elle. Elle la suit simplement, et l'écoute quand elle parle de faire pousser une agrume. .....AH OUI elle peut ! Décidément, il va lui falloir du temps avant de l'imprimer... Elle hoche la tête avec un sourire gênée, bien consciente de passer pour une idiote, zieutant la main mécanique, elle aussi couverte de plantes... C'est malin ! Si elle maîtrise bien les plantes, elle doit avoir plus de mobilité que quelqu'un qui ne le peut pas.

Justine est si perdue dans ses pensées qu'elle doit se reconcentrer sur l'échange, levant la tête pour observer son visage. :

-Mon village était entouré de bois... Rien d'entretenu, juste... Des vieux arbres à perte de vue et différentes plantes qui poussaient en totale anarchie. Je jardinais... à ma façon disons... J'aidais les plantes plus faibles à mieux pousser dans ces bois, je plantais d'autres choses parfois mais je les laissais vivre et se développer d'elles-mêmes la majorité du temps. C'est pour ça que je suis venue... je crois que j'essayais de trouver un peu de ça ici.

Mais ce n'est vraiment pas pareil... Et oui, des gens avec des pouvoirs magiques s'y entrainent aussi, et elle ne l'avait pas pris en compte. Justine pousse un gros soupir en frottant son visage de ses mains. Elle marmonne. :

-Je suis vraiment désolée, j'ai pas du tout réfléchi et je-... elle prend une grande inspiration en serrant ses petits poings. Ok. On va reprendre. Je m'appelle Justine. Je viens d'arriver à Terrae.

Oui, recommencer sur de bonnes bases avant qu'elle ne s'en veuille éternellement pour cet... impact... à chaque fois qu'elle risque de croiser la Terre dans un couloir. Bonne idée.

__–Oh wow, j’ai pas affaire à la moitié d’une branque. On va vraiment pouvoir discuter.
__–« Euh, ouais, j’connais pas son nom latin, mais si tu le dis. »
__–Enfin, presque.
__–« Et yep correct. Si tu veux, à deux rues de chez mes parents… Trois peut-être, y’a la forêt amazonienne. »
__–C’est fou, j’ai comme cette impression qu’on a toutes les deux le sentiment d’être plus débile que l’autre. Mais hé, au moins elle est pas timide. Je vois bien ce dont elle me parle, en ce qui concerne l’entretien de la forêt. Les Amérindiens font pareil. Enfin, j’en ai jamais vu faire hein, ils sont pas dingues ils vivent le plus loin possible de Manaus, mais j’en ai connu un qui vivait en ville et m’a raconté que chez lui on faisait comme ça. Puis j’ai revu passer l’info en cours de biologie, quand je me suis intéressée à l’Amazonie. Sans parler du fait que ceux qui pour le coup vivent à côté ou carrément dans la campagne environnante font exactement ce qu’elle décrit.
__–Bon par contre ici ça va être un peu dur. Enfin, ce serait possible, mais tant qu’à faire, si elle finit pas Terre, autant aller s’inscrire au club de jardinage. Après je dis pas, il doit bien y avoir un attrait aux forêts… J’y suis pas super perméable, déjà parce que mon domaine c’est et ça a toujours été la ville, ensuite parce que la forêt que je connais, là on en a une très pâle incarnation. Enfin, loin de moi l’idée de doucher ses espoirs. Qui sait, peut-être que pour une Européenne, ce sera suffisant.
__–Et elle s’excuse encore. C’est la troisième fois. Arrêtez quoi, je suis pas si impressionnante que ça…
__–« Ouais ça j’avais compris, t’inquiètes. Du coup moi c’est Luna, enchantée. Ce qui est adapté vu que c’est toi la sorcière. »
__–Héo, Luna, tu te souviens que le catholicisme existe et qu’une blagounette sur le fait qu’elle est roukmoute, aime les plantes, fait des onguents et prend soin des forêts dans lesquelles elle se problème pourrait être super mal pris ? Oui bon ben, je vais devoir trouver un moyen de rectifier le tir.
__–« Et je trouve ça plutôt sexy. »
__–Ou de l’empirer, après tout.

Elle ne connaît pas le nom latin, mais vient bien d'Amérique du Sud. Précisément, pas loin de la forêt amazonienne... Justine est tellement excitée que les millions de questions qu'elle a soudain envie de poser sont toutes contenues dans son regard bleu illuminé et ses mains qui s'agitent devant elle sans pouvoir rien faire de plus. Justine se calme d'un coup, de peur de ressembler à la petite psychopathe qu'elle est, lissant les plis de sa robe en respirant profondément. En plus, la Terre lui rappelle qu'elle s'est déjà excusée avant de se re-présenter. Oui, restons sobre. Enfin, autant que possible hein.

Pourtant Luna fait une allusion au fait qu'elle est une sorcière. Justine bat fortement des paupières... Comment elle sait ? Ne s'attendant pas du tout à ce qu'elle "l'insulte" d'un coup, Justine est perplexe, son visage restant de marbre... mais Luna ajoute qu'elle trouve ça sexy ? .........EUH. Woah, elle savait bien que les codes sociaux allaient être compliqués en dehors du village mais à ce point-là c'est TELLEMENT difficile. :

-Em euh je euh.... Merci ?

Et puis bercée par ses habitudes, parce qu'il lui semble évident que Luna la drague, elle ajoute sans l'ombre d'une émotion dans la voix. :

-C'est environs 40 000 yens si tu veux coucher avec moi.

Bien sûr qu'elle a converti et enflé ses prix en arrivant au Japon... C'est une professionnelle voyons !

__–Ooooookay je pense que ça ne pouvait pas plus mal déraper que ça. Enfin, y’a eu le moment où j’ai sorti mon propre tel et fait le calcul pourquoi combien ça représentait en réaux et lâché un « une brique et demie, ah bah putain ». (Je ne sais pas ce qui est le pire dans cette phrase.)
__–Alors soyons sérieuse un instant. Est-ce que j’ai effectivement envie me la taper ? Bien sûr que oui, elle est super belle, absolument adorable et manifestement a une expérience avec les filles.
__–…
__–Non j’ai dit, soyons sérieuse.
__–« Euh… Oui, non. Enfin. Si tu veux du pognon je peux te dépanner, mais, bon, peut-être pas autant et je demanderai rien en échange, t’inquiètes. »
__–Ça devient de plus en plus bizarre. Vous savez, à Manaus, j’avais effectivement des amies à moi qui étaient prostituées, mais en fait, de un je ne me suis jamais rapprochée de près ou de loin à ce monde là. Avec les courses, la drogue et les petits boulots j’arrivais à faire sans. Et quand j’étais avec mes amies… ben on parlait pas de boulot. Ça m’est arrivée une ou deux fois de claquer la gueule d’un client mauvais payeur, d’un mac qui manquait un peu trop de respect, voire de servir d’escorte – à une escorte, oui, concept intéressant – avec mon taurus bien en vue à des amies qui avaient des problèmes, mais elles n’avaient pas à m’expliquer la situation. Et puis je me sapais en mec, avec des bandages pour masquer le peu que j’avais et une cagoule. En climat tropical c’est vraiment une idée de merde. Mais c’était pour pas qu’on me reconnaisse et que ça me retombe dessus après.
__–Du coup, tout ça pour dire, je suis complètement désarmée sur comment réagir proprement.
__–« Okay, tu sais quoi, on va re-remettre à zéro la conversation, hein ? Tu, euh… tu veux qu’on parle plantes ? »
__–Hé bien les enfants, je pensais pas que ce serait possible un jour de couper mon envie de cul. Par contre je peux pas la laisser juste comme ça avec une ébauche de début d’entrée en matière, il faut que je lui tende une perche un peu meilleure.
__–« Tiens, ça me fait penser, d’ailleurs – pense à un truc, pense à un truc… – y’a un club de jardinage. Si t’es pas Terre, après tout y’a qu’une chance su cinq, ça pourrait te plaire. Y’en a plein qui y passent, mais aussi juste des gens qui aiment ça. »
__–Et accessoirement, comme je n’y vais presque jamais, si tu ne veux plus jamais me recroiser, ce que je comprendrais, c’est pas mal.

Sa potentielle cliente prend le temps de regarder avec son téléphone ce qu'elle vaut... Et semble surprise. Justine se demande si elle n'a pas un poil trop abusé mais d'un autre côté, tant mieux... Elle en avait marre de se faire raboter le tunnel pour moitié moins ou des pipes à la sauvage pour 50 balles. En devenant Madonne, elle avait le luxe de pouvoir refuser si la clientèle n'était pas propre, mais les prix ne fluctuaient qu'au bon vouloir d'Amadéus qui, clairement, n'avait pas à écarter les miches s'il n'en avait pas envie lui. Maintenant, elle avait ses propres prix et elle savait ce qu'elle valait. Peut-être que Luna allait discuter des détails ; généralement pour ce prix, les clients sont curieux de savoir ce qu'elle peut offrir... Ça mène parfois à du marchandage, mais le plus souvent ça donne assez l'eau à la bouche pour faire craquer les plus en chien.

Du coup, elle ne s'attendait pas du tout à la suite. Vipère se tend toute entière, démarche raide, son regard vide planté sur Luna qui vient de lui dire qu'elle peut "dépanner", sans rien demander en échange. Elle ne comprend pas. Est-ce qu'elle essaie de refuser poliment ?... C'est vraiment le pire truc à dire alors ; Justine n'est pas miséreuse, elle refuse la charité. Si elle n'avait plus envie à cause du prix, qu'elle le dise franchement ! Et comment ça, rien en échange ?... Elle croit qu'elle est née de la dernière pluie ?! AH ! Donc c'est forcément de la manipulation, elle essaie de faire en sorte qu'elle lui doive quelque chose pour l'avoir dans sa poche plus tard... Faire du tapin pour la rembourser ou qui sait, faire des trucs vraiment hardcore au lit. Ça s'trouve, elle est tombée sur une tarée qui se tripote sur des snuff movies...

Pourtant, Loup lui avait dit qu'il n'y avait rien à craindre... Oui il y avait des cons à Terrae mais comme partout, et Vipère pouvait bien gérer un con autant que les psychopathes du village. Il lui manquait un détail... ...alors elle reprit sa démarche plus souple et regarda à nouveau devant elle, sa voix reprenant naturellement son ton de Madonne habituée à subir le bon vouloir de sa clientèle mais ferme. :

-Noté.

Du coup il faut reprendre la conversation et Luna s'en charge, apparemment encore un peu déboussolée... ...Ok c'est elle qui vient de lui mettre un vent mais c'est elle qu'est mal à l'aise ?... Elle n'a jamais vu de pute ? Attend mais c'est pas logique tout ça... Justine inspire longuement avant d'essayer de sourire à moitié. :

-Oui merci, on m'a déjà parlé des clubs. C'est vrai que celui de jardinage me tente mais j'ai peur de faire tache dans le paysage... tu sais... avec mes décoctions de sorcière.

C'est dit sur le ton de l'humour mais c'est vrai. Justine voulait vraiment essayer de paraître "normale" aux yeux de ces gens avec des super pouvoirs. Ça n'aidait pas d'être témoin de l'innocence de la plupart ; Aria arrivait toujours à trouver un positif même quand ses mots sous-entendaient quelque chose de plus affreux... Et Luna avait l'air désemparée alors qu'elle n'avait pas à l'être, puisque Justine n'avait fait que son "travail". :

-J'hésite encore un peu pour le moment sur lequel choisir... et je dois aussi trouver un travail mais je prends le temps de m'adapter d'abord, c'est déjà assez compliqué pour moi, j'évite de me compliquer la tâche.

Elle prend une pause pour réfléchir à la façon dont poser sa question. :

-C'est un bon environnement ici ? Pour tenir un bar ?... J'évitais de traîner autour chez moi, c'était des zones pas... sereines. Je suppose que pouvoir virer les plus éméchés en les soulevant par la peau du cul doit beaucoup aider !

Ah bah c'est clair que lorsqu'elle verra le bar de Luna, Justine va halluciner.

__–Et galère.
__–Bon alors d’une part. Quoi que je dise sur le sujet, je ne pourrai plus qu’empirer la situation. Genre un « non mais, je voulais pas vraiment te baiser on se calme », serait presque plus insultant que tout le reste. D’autre part. Je me mets à retrouver tout ce que j’ai oublié et à me rendre compte de tout ce qui ne va pas dans cette discussion. Mettons, j’aurais été à sa place il y a deux ans. Quelqu’un me dit qu’il peut me filer des billets comme ça au calme, gratuitement, alors que je connais à peine son nom. Je pense que j’aurais réagi avec la même espèce de froideur méfiante. Si c’est, était une prostituée, alors d’accord elle ne fait pas tout à fait partie du même monde que moi, mais en même temps suffisamment pour que les mêmes principes s’appliquent.
__–Sauf que, on est à Terrae, c’est plus comme ça que ça marche.
__–« Alors en fait. »
__–Je plonge ma main gauche dans ma poche, en sors une graine, la fais germer. Puis guide sa croissance de mon ongle de métal. Les racines s’enroulent autour de ma main. J’insuffle un flux intense de magie par ma paume et en concentre un léger point au bout de mon index droit. La tige qui se forme le suit, répond à son appel, ses feuilles se déploient, son écorce apparaît. Et en même temps, je fais tourner l’arbrisseau sur lui-même ; décrire une spirale. Contrôle sa taille, lui évite de faire plus que vingt centimètres. À la fois libérer et modérer sa croissance. Quand enfin il a une forme qui me plaît, je cesse l’afflux dans ma main gauche, prends une feuille dans ma droite et la fais grossir, éclore, germer, puis donner un fruit. Que je cueille. Une orange. Et la tends à Justine.
__–« On a pas vraiment de notion de « tâche dans le paysage », ici. La magie, c’est la norme. »
__–Il ne faut pas oublier que c’est peut-être quelqu’un qui vient d’un milieu comparable à celui que j’ai connu, avec sa bonne dose de violence et de destruction de tout ce qui fait de toi quelqu’un de normal et fonctionnel dans la société des classes moyennes. Mais il ne faut pas oublier non plus que c’est une novice. Ça y est, je suis Étoile, c’est mon tour d’accueillir les p’tits jeunes paumés et de les rassurer sur la maison de fous dans laquelle ils vont passer le restant de leur vie et où chaque jour est différent du précédent, mais dans le bon sens. À Manaus, ne pas avoir de routine, ça voulait dire l’insécurité permanente. Ici, c’est l’inverse.
__–« Un bon environnement… Ben. Ça te dit on va voir ? »
__–On arrive peu après. À la sortie de la forêt, je retire l’oranger de ma main et le plante dans un coin. Jamais je tue une plante, moi ! Et vous pouvez être sûrs que je repasserai la voir de temps en temps.
__–Le bar, donc. Depuis que Kaiko et Katsuyo me dégagent une belle quantité de temps, j’ai pu revoir la déco à la haute. De larges fenêtres pour la lumière – autant pour les plantes que les clients –, de la végétation partout sur les murs, le plafond, des pots suspendus. C’est un festival d’odeurs et de couleurs le fleurs et fruits. (Et avoir une Eau dans le personnel aide pour leur irrigation, on va pas se mentir, ça plus une petite injection de magie tous les matins pour les maintenir pimpantes.) Donc non, pas trop un tripot crade.
__–Soit dit en passant, niveau essences, vous vous en doutez, c’est très sud-américain dans le thème. La petite Française là, je suis à peu près sûre qu’elle a jamais vu ce genre de fleurs. Les héliconias épiscopales qui ressemblent à des flammes, le blanc éclatant du lis d’Amazonie, le rose irréel des tillandsias et bien sûr, toutes les orchidées.
__–« Je suis sensée être en congé aujourd’hui – dis-je alors que je passe derrière le comptoir après un coucou aux filles –, mais tu veux que je te serve quoi ? On reste à l’intérieur ou terrasse ? »
__–Elle a un tiers non-fumeur, je précise.

Le morceau de phrase incomplète que balance Luna attire son attention. Justine la regarde fouiller ses poches, en tirer une graine qui devient très vite une pousse, des racines, une tige, des feuilles, une fleur, une fruit... Une belle orange que Luna lui tend. Justine était restée silencieuse, mais son regard s'est soudain éclairé, son visage s'est animé, pas aussi douloureusement que d'habitude et elle a tendu timidement ses petites mains pour saisir le fruit comme un trésor. Elle a souri tendrement en sentant l'odeur qui s'échappait de l'épicarpe, acide et sucré à la fois. Luna la rassure... Personne n'est "normal" ici. Justine a le droit d'être elle-même, même avec son bizarre à elle... Sa voix est toute faible, mais au fond d'elle, elle saute de joie. :

-Ok...

Sa question par rapport au bar est répondue par une invitation et Justine la suit sans inquiétude. Elle est plutôt intriguée même par ce que la Terre dégage. Un mélange de chaos et de calme improbable, de force et de douceur quand elle la voit planter la plante qu'elle venait de faire pousser à la sortie de la forêt. ...Vipère l'aimait bien finalement.

Ce fut l'apothéose dans le bar. Justine regardait partout autour d'elle sans jamais s'arrêter sur les détails et pourtant tout était enregistré dans sa petite tête... Elle murmurait des noms en latin devant certaines fleurs, se concentra pour mémoriser toutes celles qu'elle ne reconnaissait pas pour les chercher plus tard et apprendre à les connaître. Pas une seule fois elle remarqua qu'il y avait des gens dans ce bar, toute concentrée sur la verdure qu'elle était... Subjuguée par les pots suspendus, elle s'approcha du comptoir, le nez en l'air, pour répondre à Luna sans la voir. :

-Là... Là c'est bien... c'est très bien. Et un... Daiquiri... si tu as. Tu n'es pas obligée... ajoute-t-elle en se sentant coupable de la faire travailler aujourd'hui.

Hmm, elle a failli demander un "Entre les draps". Pas sûr que ce soit pris sans ambiguïté avec ce qu'il s'est passé plus tôt. :

-Tu fais tout pousser toi-même ?...

Justine était clairement submergée par tout, l'amas de couleurs, d'odeurs et maintenant qu'elle était un peu redescendue, des gens autour.

__–Je sors le rhum et le citron entre deux questions. Heureusement qu’elle m’en a pas demandé un trop compliqué, je peux discuter et le préparer en même temps.
__–« Tout, yep. C’est moins de boulot que ça en a l’air. Enfin, ça l’est moins maintenant. C’est pas à toi que je vais apprendre ça, mais les végétaux, ça meurt et ne se décompose pas si vite que ça, tu peux leur laisser plusieurs jours pour certaines avant qu’elles ne deviennent vraiment irrécupérables. Le Japon, c’est clairement pas un environnement idéal pour des plantes amazoniennes, mais t’auras remarqué qu’il fait plus chaud et humide à l’intérieur qu’à l’extérieur. Le principal défi… Est-ce que j’entre dans des considérations techniques à fond ? Oui, je pense que c’est une personne qui pourra m’écouter parler écosystèmes pendant autant de temps que nécessaire. C’était de créer une atmosphère tropicale miniature, pour ne pas avoir à investir trop de magie chaque jour. C’est fatiguant et il y en a beaucoup. Toutes les plantes que tu vois ont quand-même besoin de mes pouvoirs pour se maintenir, mais à une dose bien inférieure à ce que ça a pu être au début. Ce qui explique pourquoi il y en a autant : plus le climat leur a plu, plus j’en ai rajouté. »
__–Je lui sers sa boisson.
__–« Et ça s’entretient tout seul. Quand t’as autant de végétaux dans un même endroit, ils commencent à altérer l’air autour d’eux. Le milieu est inséparable de ceux qui y vivent, c’est la première chose que j’ai apprise. Si tu veux, plus je rajoute de plantes, plus elles fixent l’humidité et la chaleur, plus j’en rajoute. Après, les murs isolent très bien, il y a des humidificateurs d’air, elles sont toutes irriguées en eau et magie pour leur donner un coup de pouce… Mais eh, les humains qui s’occupent d’elles font aussi partie du milieu. »
__–La seule différence entre moi et elles, c’est que si on me retire de l’équation, tout l’écosystème meurt, sauf moi. Enfin je me tape une bonne grosse dépression, quand-même. Et encore. Je réfléchis à une machine à cristaux, pour pouvoir me faire des vacances un de ces quatre. J’en discuterai avec Mitsuki.
__–« Vu comment tu parles de la forêt, j’me dis que tu dois très bien comprendre de quoi je parle. »
__–À ceci près que si on la retire de ses bois, eux ne meurent pas. Hm. J’espère que c’est pas elle dont la santé va se dégrader après avoir été déracinée. J’aurais plein de conseils à lui donner à ce titre. À tous les coups elle connaît personne, comme tous les novices. Je lui présenterais bien des gens, à l’occasion.

Justine écoute avec attention ce que lui raconte Luna. Elle veut la laisser terminer avant d'ajouter ses propres connaissances mais elle retient tout. Plus facilement que n'importe quel cours de maths ou d'histoire, pas autant qu'avec les rapports de son gang ; dans cet entre-deux qui l'anime mais la force tout de même à se concentrer. Déjà qu'elle se sentait dépaysée, elle n'osait pas imaginer ce que cela pouvait être pour Luna. Oui, il fait bien plus chaud et humide à l'intérieur, mais comme ce n'est pas désagréable pour elle, elle ne s'en est pas rendue compte. Pourtant, tout est pensé pour le bonheur de la verdure en premier lieu, ça doit gêner certains clients... Luna n'a pas l'air de s'en préoccuper plus que ça.

Son verre est déposé devant elle. Verre qu'elle surveillait du coin de l'œil pour savoir si rien de douteux n'avait été ajouté, avec en plus une rapide et discrète vérification olfactive, et qu'elle apporta à ses lèvres avant de marquer une pause et boire une petite gorgée et de le reposer. Justine ne connaissait pas beaucoup d'alcool. Que de vagues noms, entendus en soirée, prononcés à la préférence du client qui le lui payait le plus souvent. On ne commande pas le même verre avec un fermier ou un PDG. Et l'allure à laquelle elle le buvait était millimétré, selon chaque boisson, pour ne jamais être ivre. Chaque excuse expliquant son rythme était aussi calculée.

Malgré tous ces réflexes basiques, elle réussit à s'ouvrir... un peu. :

-Oui je comprends. On ne peut pas faire pousser un cactus sur un iceberg. ...c'est... une expression que j'ai inventé.

Pour expliquer à ses petits du gang que, même si Amadéus leur offrait un moyen de survivre, ça ne leur donnais pas les moyens de vivre. D'être eux-mêmes. Justine a un sourire gêné avant de baisser les yeux. :

-On pourrait croire que le Japon et l'Europe de l'Ouest se valent en terme d'écosystème... mais j'ai reconnu que peu de choses dans la forêt... tout au plus, ce que l'on considère comme des mauvaises herbes vivaces étaient plutôt rares.

Elle fixe la plante la plus proche avec un sourire faible... Cette plante, elle ne doit même pas réaliser qu'elle est à des milliers de kilomètres de l'endroit où elle devrait pousser, pourtant elle est là, heureuse, en pleine forme... Grâce à de l'entretien et un peu de magie. :

-C'est beau d'avoir réussi à leur offrir une maison à Terrae. C'était fatiguant tu dis, mais je crois que tu ne le vis pas comme ça. Avec eux, c'est aussi un peu plus ta maison à toi... et je trouve ça beau.

Justine dévoile ses dents pour imiter un sourire avant d'observer à nouveau la nature autour d'elle... Si elle a remarqué le regard des autres clients, elle n'y prête plus aucune attention désormais. :

-Dis, si je te ramène une graine, tu pourrais faire pousser certaines choses pour moi ? Je ferais en sorte d'espacer mes demandes pour ne pas t'épuiser, pour que tu continues de t'entraîner et de t'occuper de tes bébés... mais j'ai besoin de certaines plantes que je n'ai pas trouvé pour... certaines choses. En échange euh... je suppose que quand j'aurais des pouvoirs, je pourrais faire des cristaux ? si j'ai bien compris ?

Elle se refusait à parler d'argent pour le moment.