__–« Salut les filles, à demain ! Et vous savez c’que ça veut dire les autres, finissez vos verres ! »
__–C’est mon tour de fermer ce soir, je regarde Katsuyo et Kaiko passer la porte et commence à ranger ce qu’il y a sur les tables. Encore une belle soirée là, avec de la bonne ambiance, de la musique, de la danse, plein de clients… C’était crevant mais c’était chouette.
__–Tiens ben comme je suis là, quoi de neuf par rapport à la dernière fois que j’ai décrit mon bar ? Hmm, voyons, déjà comme on est genre en début décembre et que putain sa mère on se les pèle c’est pas possible, j’ai foutu toute la terrasse sous des bâches transparentes avec des réchauds. Et pareil à l’intérieur. Si ça tombe sous les vingt degrés en fait je meurs. Et mes plantes aussi. Et du coup pour ceux qui crient que c’est pas écolo, j’ai refait toute l’isolation avec le pognon gagné en octobre. Non parce que, un bar c’est quand-même de grandes vitres par lesquelles la chaleur se barre comme elle veut, mais bon même si j’ai Katsuyo pour aider un peu à limiter la casse niveau facture des radiateurs, avec ses cristaux et une machine que Mitsuki nous a fabriqué (je la remercierai jamais assez) quand j’ai visualisé dans ma tête ce que ça coûterait, j’ai failli faire une attaque. Du coup maintenant on a du triple vitrage.
__–Pour l’intérieur, ça reste assez proche, j’ai atteint un bon niveau de luxuriance là. Deux trucs ont changé : Déjà, sur les murs, j’ai scotché des affiches qui invitent tous les artistes de Terrae à me présenter des œuvres qu’ils voudraient voir accrochées. Non c’est vrai quoi, j’ai une grande salle où tout l’institut va, ’faut que ça serve. Ensuite, derrière le comptoir, j’ai mis à côté de la grande étagère à bouteilles un tableau avec des souvenirs, trophées, photos et autres de collées. Pour l’instant c’est assez vide, mais c’est appelé à se remplir. Y’a une photo de Lloyd, l’ancien proprio parce que bon ’faut rendre à César ce qui est à César quand-même. Une photo de la serre à chicha qu’on avait fait pour Noël dernier, avec Katsuyo dans sa tenue d’elfette trop mignonne. Une autre avec Katsuyo, Kaiko et moi dans nos costumes d’Halloween. Et un portrait encadré du président Lula. Bah oui attendez, on est dans le bar d’une gaucho brésilienne ou on est pas dans le bar d’une gaucho brésilienne. Ça m’a fait tellement plaisir de savoir qu’il a été élu, ’fallait que je marque le coup.

__–Bref, il reste plus que trois personnes dans le bar : moi, Ariana, toute belle, toute apprêtée, qui est venue passer la soirée avec nous à boire et papoter avec ses copines.
__–Genre, c’est ce qu’elle nous a dit à Katsuyo, Kaiko et moi en arrivant hein, « papoter avec ses copines ».
__–Du coup quand j’ai vu ce mec lui tenir la jambe pendant au moins une demi-heure j’ai déjà senti qu’il y avait une couille dans le potage.
__–Puis bon, pas besoin d’être télépathe pour reconnaître quand Aria fait son petit sourire gêné (typique des Eaux) en mode j’veux rester polie mais tu me gonfles et ce serait incroyable si tu pouvais te barrer. Par curiosité, je me rapproche, l’air de rien, l’air de vous occupez pas de moi je me contente de ranger, pour écouter la conversation.
__–Ouais.
__–Vous savez, quand on gère un bar, y’a un moment on a dans sa tête un peu la liste des consos prises par les clients. La Ariana là je vois bien ce qu’elle a bu et hmm j’ai moyen envie que la propal du mec en mode « si tu veux on finit la soirée chez moi » se réalise dans quelque univers que ce soit. Pourquoi ? Parce que je sens bien qu’Ariana a pas spécialement envie de tout ce qu’elle implique mais qu’elle est un mix de trop alcoolisée et trop gênée pour refuser fermement.
__–Alors, soyons clairs, c’est Ariana. C’est une grande fille, elle sait se débrouiller toute seule. M’enfin, c’est pas un argument pour la laisser effectivement se débrouiller toute seule. Si j’peux aider, hein. Au pire comme elle sait dire non elle me le dira à moi, mais quelque part j’me dis que c’est plus simple et moins chiant de le dire à ses potes qu’à des inconnus.
__–Alors je m’approche, l’air de rien.
__–« Bon chérie j’ai fini, on rentre ? »
__–Alors ça les enfants, en langage technique, c’est ce qui s’appelle balancer une grenade dans un lac. Le poisson il sort d’un coup et se retrouve sur le rivage la bouche ouverte à pas comprendre ce qui lui est arrivé. Et effectivement la tête du mec fait pas mal celle d’un arapaima qui gigote sur le rivage.
__–Le mec s’excuse. Je le regarde avec un air de « bah oui fréro c’est ma meuf tu croyais que t’avais une touche ? Tu vas plutôt rentrer chez toi te branler tout seul devant ton paquet de kleenex », passe par dessus le comptoir, prend Aria sous le bras (celui avec de la vraie peau dessus) et lui souris.
__–« Oh va chez toi ? »
__–Et pendant que l’autre regarde pas, je lui envoie un clin d’œil et oh bordel vu notre passif j’espère si fort qu’elle va pas interpréter ça comme il serait tout à fait normal qu’elle l’interprète alors que je veux juste m’assurer qu’elle rentre tranquille et, grand max, peut-être mater un truc sur son canap’ avec une Bible… enfin j’en ai pas donc on va dire avec un livre de cuisine entre nous deux.

Début décembre, avant l’opération Thémis.


Ariana ne met plus trop les pieds au bar ces derniers temps, sans doute parce qu’elle est trop occupée à jongler entre toutes les responsabilités qu’elle s’est imposées ; il faut dire qu’entre son travail de couturière qu’elle délaisse un peu, son job de serveuse dans le café comics en compagnie d’Erik où elle ne se pointe plus que quelques heures par semaine, ses diverses activités sociales ou associatives, ET les entraînement, bon. Voilà. Elle n’a jamais eu de mal à remplir son emploi du temps, et apprécie de fonctionner à haut régime de la sorte, mais il est un moment où les entraînements ont un peu empiété sur le reste. Certainement pas pour s’encombrer l’esprit davantage, mais plutôt pour le vider un peu. Au moins, elle se sent utile — et cette attente qui lui vrille les viscères semble lui donner toujours plus de force.

Pourtant, elle s’épuise un peu, parfois. On l’a reprise plusieurs fois : vas-y doucement, ne te pousse pas trop. On parle d’Aria, là, hein ; évidemment qu’elle rentre tous les soirs trop épuisée pour parler, et s’effondre sur son lit.

Bon, aujourd’hui on l’a renvoyée de la salle d’entraînement, et on lui a dit qu’elle n’avait pas le droit d’utiliser ses pouvoirs jusqu’à demain. C’est bougonne qu’elle a constaté que même faire tenir magiquement sa couleur de cheveux lui demandait trop d’énergie ; alors elle a un peu abandonné pour la journée.

Mais punaise qu’elle s’ennuie ! Elle est allée embêter tout le monde aujourd’hui, du moins elle a essayé. Ses amis la soutiennent, elle leur en a un peu parlé, mais pas à tous. A demi mots, souvent, avant de changer de sujet, puis de s’effondrer, se relever, rigoler, recommencer. Elle se permet avec eux, parce qu’elle n’a pas le droit de flancher devant Aylan, et il a besoin que des adultes soient là.

Bref, tout ça pour dire : elle ne s’est pas entraînée aujourd’hui, et même si elle est fatiguée, elle déborde d’énergie à dépenser et de nervosité. C’est pour ça qu’elle est venue se dépenser au bar ; elle y connaît bien Katsuyo, Luna évidemment, et Kaiko aussi un peu. Elles lui donnent toujours envie de sourire, c’est chill ou enjoué, c’est pile ce dont elle a besoin — en plus d’une bonne, bonnnnnneee dose d’alcool et de danse pour faire évacuer toute sa rage et son angoisse.

Mdr la gueule de bois sur le terrain d’entraînement, demain, ça va être beau. Elle pourra même pas le cacher à ses camarades parce qu’elle a une guérisseuse, une télépathe et un sensitif avec elle en tout temps, s’il vous plaît. Quelle misère c’est. Pouah.

Bon, elle a une p’tite robe, des collants épais, ses plus hauts talons — oui elle sait marcher dedans, mais peut-être plus pour longtemps — et son plus beau maquillage ombré. Pour aller avec ses cheveux roux (snif) : aujourd’hui, c’est du vert qu’elle porte.

Sauf qu’elle en a p’tetre un peu trop fait, parce que vu qu’elle est seule au bar quand ses copines sont occupées à bosser, un mec s’est installé et a commencé à lui taper la discut’. Non mais c’était sympa au début, j’vous jure ! Ils ont parlé de… j’sais même plus, là, du temps p’tetre, de leur boulot, de Noël et des mille cadeaux qu’elle aura jamais le temps de faire,… Juste à un moment donné il était super proche et il mettait son bras autour de ses épaules et woaaahhh mais il a pas compris quand elle lui a renversé sciemment son cocktail sur son fut en fait ?! Il s’est genre téléporté et il est revenu avec un autre futal, mais SERIEUX ?? Il peut pas comprendre ses signaux de fumée là ???

En plus Luna veut fermer le bar mais ça veut dire qu’elle va devoir se lever ET DU COUP IL VA ENCORE INSISTER. Elle peut plus dire “non mais j’ai envie de rester encore un peu”, elle si elle répète pour la millième fois en trois minutes “*BAILLE POUR DE FAUX* woah qu’est-ce que je suis fatiguééée et j’ai entraînement très très tôt demain matin je peux pas louper ça !”.

Et là il lui dit : “si tu veux on pourra y aller ensemble !”

MAIS SERIEUX POURQUOI IL COMPREND PAS AHHHHH.

Du coup, Aria sourit, nerveuse.

Ouais.

Putain, elle a un flash back de ses dernières sorties au bar, elle comprend pourquoi elle venait plus, en fait, c’est presque plus stressant que marrant, comme soirées. Et elle a même pas eu le temps de dire au revoir correctement à Katsu et Kaiko, là, il saoule de dingo !!!!

ET PUIS SOUDAIN. UNE SAUVEUSE. UNE HEROÏNE. QUE DIS-JE. La phytovampire titanide nymphe robot… barmaid ?

Ariana tourne tellement vite la tête vers elle qu’elle manque de se faire un torticolis. Les yeux brillants, elle se laisse attirer contre Luna, cligne des yeux, sent ses oreilles chauffer très fort et lui envoie un grand sourire. WOAH ELLE POURRAIT CHIALER. A-t-elle toujours été aussi incroyable ?? Magnifique ?? Puissante ?? Merci de comprendre la panique dans ses yeux, Luna. Merci, ptn.

—Oh super, je t’attendais !! Oui, quand tu veux !

PAS DU TOUT MAIS ELLE ATTENDAIT BIEN QUE QUELQU’UN VIENNE LA SAUVER PAR CONTRE. Elle se redresse sur ses petites jambes, tangue un peu à cause de l’alcool, et a un élan pour faire un gros câlin à SA POTE INCROYABLE. MERDE, NON, C’EST PAS SA POTE CE SOIR, C’EST CHERIE, LUNA CHERIE, OK, OK, C’EST BON.

Du coup attendez on reprend : la petite Eau s’élance pour lui faire un câlin autour du cou et lui coller un méga béco sur les lèvres. MERDE ELLE VISAIT LA JOUE NNNNNNNNNNNOOOOOOOOOOOOOON. Elle devient écarlate et s’écarte aussi vite, mais attrape quand même la main de Luna pour euh. La. La. Le scénario. (Cerveau en train de crasher, je répète : cerveau en train de crasher.)

Woah.
Putain.
Elle a une grande main... Elle fixe Luna. Sa main. Luna.

INSPIRATION. ON SE CONCENTRE.

—Mi Luna, tu as encore des choses à ranger ou tout est ok ? (C'est elle ou sa voix a genre craqué en plein milieu ? Mdr ?)

Oh le mec est en train de partir, tout gêné. YES ELLE A GAGNE IL SE CASSE AHAHAH. MAIS QUELLES HEROINES MAIS QUEL MATCH INCROYABLE c’est splendide, bon, maintenant, elles peuvent se diriger tranquillement, main dans la main, vers la sortie. TIENS ENCORE UN PEU LE COUP ARIA, NE T’EFFONDRE PAS ENCORE PAR TERRE EN ENTOURANT TES GENOUX DE TES BRAS STP, IL EST PAS ENCORE TOUT A FAIT SORTI.

Elle jette un regard en biais à Luna, vraiment, vraiment honteuse, et chuchote un tout petit, pathétique et honteux :

—Hum..... désoléemerci-

Elle ne cessera donc jamais de se taper la honte devant Luna, c’est ça ?

__–Ariana se tourne quand je passe par-dessus de zinc et, ouah, elle est super bonne actrice, direct elle est rentrée dans mon jeu et l’immense sourire qu’elle m’envoie fait vraiment super convainquant. J’suis impressionnée, ça va super bien marcher.
__–Non mais sans rire, on dirait qu’elle m’attendait vraiment. Elle en rajoute, même, à se jeter dans mes bras (et vu sa taille, concrètement, ça veut dire juste au-dessus de mes seins, heureusement qu’elle a des talons). Même moi j’ai failli y croire, c’est dire !
__–Pfiou, elle va jusqu’à me mettre un bon gros baiser, ah vraiment, ça c’est du dévouement à son rôle, y’a pas à dire, ah, attendez.
__–Attendez.
__–Ariana QU’EST-CE QUE TU FOUS.

__–Alors oui d’accord, si elle a passé la soirée à envoyer des signaux plus ou moins discrets et explicites au mec, là c’est plus l’équivalent de lui braquer un phare dans la tronche et il fallait bien ça pour qu’il comprenne, ce qui ce voit enfin sur sa tronche, du coup c’est réussi. Mission accomplie, youpi, sortons le champomy (elle a assez bu là).
__–C’est aussi vrai que, quelque part, c’est un peu à charge de revanche pour la première fois qu’on s’est vues, j’imagine.
__–Et accessoirement elle est plus beurrée qu’un p’tit Lu donc est-ce que c’est si étonnant ?
__–M’ENFIN. QUAND-MÊME.
__–Ouais c’est là que je vois que c’était effectivement important que je la laisse pas toute seule ce soir, ç’aurait été un coup à ce qu’elle tombe sur des gens comme moi et on ne souhaite ça à personne.
__–Et comment elle m’appelle, là ? Est-ce que je lui dis que c’est comme ça que me surnomme mon grand-père ? Naaaan. Naaaaaaaaaan. C’est, étrangement je sais, la situation la moins érotique du monde pour moi et, encore plus étrangement je sais, visiblement dans le haut du panier pour Aria, alors bon, tant qu’elle est sur son petit nuage, j’vais l’y laisser hein. Au moins le temps de la raccompagner jusqu’à son lit, et… l’aider à se déshabiller… oui bon ok là j’en fais un peu trop.
__–Du couuuuuuuuuup je prends les quelques tonnes de gênes qui se sont installées dans mon cerveau, je les pousse sur le côté, j’inspire un grand coup mais que intérieurement et je lui réponds avec mon sourire le plus sincère.
__–« Nan c’est bon, je suis toute à toi  »
__–Au secours.
__–Enfin, pendant qu’on se regarde comme si on était un vrai couple, bien assez pour rendre ce moment extrêmement embarrassant pour le mec et hallucinant pour nous deux, il se barre et nous laisse tranquille. Je la quitte des yeux et souffle un coup. Ariana se recroqueville en excuses.
__–Sauf que bon, meuf, ta main est toujours dans la mienne. Alors bah, euh.
__–Je la prends dans mes bras hein. Mais plus comme une vraie pote qui veut la réconforter, là. Et après quelques instants, je lui chuchote à l’oreille :
__–« Et si je te raccompagnais chez toi et on ne parlait plus jamais de ce qui vient de se passer à personne, d’accord ? »

Woah, elle a paniqué. Fort. Très fort. Elle est déjà prise dans une spirale infernale de regret et de honte et de beaucoup beaucoup de chaleur genre pfiouh les collants en laine c’est un peu épais en fait… Mais elle arrive à garder la face : après tout, elle a survécu à une mission avec Ashton où elle devait se faire passer pour quelqu’un d’autre toute la journée, lol. Easy. Tout est faisable depuis, même faire semblant de ne pas se liquéfier sur le sol après avoir embrassé une de ses potes et d’utiliser les pires surnoms de la Terre du monde entier.

D’un coup, la petite Eau rougit plus fort encore et se cache la bouche avec la main, en train de hurler intérieurement au ton de Luna. Woah. Woah…… Ca fait longtemps qu’on ne lui avait pas parlé comme ça, dites donc, ça la rend toute chose. Elle en aurait presque les jambes qui flageolent. Alors qu’il quitte la pièce, Ariana se détourne juste légèrement, sans regarder Luna, encore dans la même position. Si un télépathe passait dans le coin, ça ferait sûrement “AHHHHHHHHHHHHHHHHHHHH” en continu dans son cerveau. Elle se pince les lèvres quand Luna la prend dans ses bras pour… un câlin… Soudainement vidée de son énergie dans ses bras forts et musclés (pfiouh respirons), Ariana s’autorise à se liquéfier un peu plus contre elle, front contre sa poitrine (déso) et lui rendre son étreinte d’un bras. Ohlala comme ça fait du bien… Elle a un peu de pression des derniers jours qui s’évacuent, elle inspire pour résister à l’envie de pleurer pour elle ne sait même plus quoi juste POURQUOI LES EMOTIONS CA EXISTE C’EST PAS JUSTE et… Luna lui chuchote à l’oreille. C’est. C’est proche. Contre son oreille. Oh.

La rouquine lève les yeux vers la titanide et pose finalement son autre main contre l’autre, toujours sur sa bouche, de plus en plus écarlate. Y a un truc qui se passe dans ses iris. Ca brille un peu pendant qu’elle regarde Luna.

Woah.

Elle peut même rester un peu après l’avoir raccompagnée si elle veut hein y a de la place et euh-
Elle inspire et décolle un peu ses mains.

—Oui, ok, d’accord, je. Je veux bien. Je suis pas sûre de réussir à marcher toute seule jusqu’à ma chambre. Je. Je crois que j'ai trop bu.

Et elle bouge pas. Parce que... Parce que.
Stp me juge pas t’es trop jolie et gentille là, mon coeur il fond j’ai envie de me noyer dans un truc oskour mais qu'est-ce que je fais OH PUNAISE.

__–Bieeeeeeeen aloooooooors il ce passe quoi ici là.
__–Oh bah vous savez tranquille, j’ai Aria qui me fait un long câlin la tête dans mes seins. Ça pourrait être une super situation, si y’avait pas une partie de mon cerveau qui faisait « AAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAH » en continu, une autre qui répétait en boucle « mais il ce passe quoi mais il ce passe quoi mais il ce passe quoi mais il ce passe quoi mais il ce passe quoi » et une troisième qui était juste prostrée dans un coin en position latérale de sécurité à regarder le mur.
__–J’veux dire. On est censée être juste potes, non ?
__–Je l’entends respirer. Elle est toute chaude. Elle a l’air plus apaisée dans mes bras, quand-même. J’sais pas trop ce qu’elle vit, ce qui la fait aller à deux cents à l’heure, je m’intéresse pas plus que ça à son quotidien, mais c’est un petit village, Terrae. Et quand on dirige son bar, autant dire qu’on finit un peu par tout savoir sur tout le monde, au moins de loin. Puis ça crève les yeux que depuis quelques semaines… non, depuis cet été en fait, Ariana est plus tout à fait comme avant. Comme si un truc c’était cassé en elle et qu’il y avait un mix entre, je me prépare à le réparer et je m’oublie dans une préparation ultra intense pour juste plus avoir à penser.
__–Enfin. Après tout. J’suis pas là pour ça, moi. On est potes, mais pas au point qu’elle vienne tout me confier. Je lui demande pas ça, elle le sait, puis j’ai genre zéro légitimité, ce serait chaud, on se connaît pas assez… j’imagine ? Je suis là pour la tenir et éviter qu’elle glisse et s’effondre par terre, plutôt. Profiter du moment de pause, aussi. Ça va, c’est dans mes cordes, ça. (Je suis à ça de lui proposer une taffe, mais si je la juge pas assez en contrôle de son cerveau pour me baiser, c’est pas pour lui proposer de la drogue, m’voyez.) Je la serre un peu plus.
__–Ah, elle se tourne vers moi.
__–Meuf t’as le regard explosé.
__–Et ok ouais d’accord je vois.
__–Je reste immobile moi aussi, à la regarder, lui sourire, réfléchir un peu. Je déteste tellement ce qui va suivre et en même temps c’est clairement ce qui me semble être la chose la plus décente à faire, et en même temps elle est tellement dans un état second que y’a absolument zéro moyen qu’elle interprète pas ça complètement de travers…
__–Bon… Écoutez. On pourra toujours en rediscuter demain, hein.
__–Enfin, ça c’est si on accepte de se recroiser un jour.
__–J’inspire un petit coup.
__–« Tu veux que je te porte ? »
__–Et je tends mes bras en mode vas-y pose tes fesses sur celui-là et je mettrai l’autre contre ton dos.
__–« ’faut bien que le titanisme serve à quelque chose. »

Elle pourrait la regarder longtemps comme ça, c’est dingue. A partir du moment où elle accepte qu’elle est en train de se dire “eh mais je ressens du désir envers ma pote là en fait ? chelou de fou ??”, ça va mieux, elle arrive un peu mieux à respirer et fonctionner. Elle a été prise de court, c’est tout. C’est l’alcool, et puis le fait qu’elle soit arrivée comme ça, bon, on glisse, ça arrive, voilà tout. C’est pas comme si elles s’étaient pas embrassées lors de leur toute première rencontre. Pas qu’elle n’avait jamais été attirée par Luna, mais en général, elle se sent attirée, elle n’a pas envie de se coller à la personne sans plus la lâcher en fait. Elle sait que boire, même juste un peu, un peu ça la rend tactile, et très très faible aux avances. Elle a l’impression qu’elle a besoin de ça, parfois, parce que ça la débarrasse de l’ultime barrière de sa réserve, celle qui l’empêche de prendre le visage de quelqu’un qu’elle apprécie pour juste lui rouler un patin. Et puis, le toucher c’est doux, les câlins c’est doux. Ca lui manque un peu, et elle n’a plus trop de vie affective depuis Allen. Elle a bien eu quelques rencontres par-ci par-là, mais c’était pas forcément plaisant pour elle, ou en tout cas parfois un peu bizarre. Ca fait un moment qu’elle essaie de faire le deuil d’une relation qui n’aurait jamais marché, de toute manière. Lui ne se gêne probablement pas, et il ne voulait plus d’elle en tout cas.

C’est marrant, parce que ça ne l’attriste même pas. Elle est juste bien. Alors toujours très gênée, mais plutôt rassurée de se rendre compte que ben, oui, c’est bien, Aria, tu ressens ; t’es encore capable de ressentir, et t’as le droit, parce que ta pote est trop belle et gentille. Juste, c’est chelou. T’es pas obligée de faire un truc de ça, même si t’as envie. C’est vrai que ça pourrait casser une jolie amitié que vous vous êtes forgées à deux. Et ce serait dommage.

HMMMMMMMMMMMMMM.

Aria respire profondément, et abaisse ses mains — par contre elle s’appuie un peu au bras de Luna. C’est tout froid, c’est celui en métal. C’est rigolo, parce qu’il y a des petites lianes, et elle a jamais trop osé les toucher. Elle joue gentiment avec une petite feuille, puis reporte son attention sur Luna.

—Euh. Ah. (Elle rougit encore.) … T’es sûre que ça te gêne pas ? Ca va pas être bizarre ?

Elle aurait bien dit non, et l’aurait sûrement fait en temps normal, mais elle a envie d’essayer en fait, et elle osera jamais plus réitérer sa demande, donc vale. Alors elle s’écarte et essaie de comprendre comment elle est censée faire pour s’installer, mais elle se perd un peu dans ses gestes, sait pas où elle doit s’accrocher à Luna,… Ouais c’est cata.

—Hm non, tu sais quoi, si je m’accroche juste à ton bras, ça ira ahaha- Je te dirai si j’ai besoin- J’ai des jambes non mais oh, faut bien qu’elles me servent quand même, hein, et je fais pas tout ce sport pour me faire porter par les gens après, même si j’adorerais hein, mais ce serait pas sympa pour toi, en plus l’institut est quand même super loin- T'es trop gentille en fait.

Et bla, bla, bla. Ce qu’il y a à retenir, c’est qu’elle entreprend donc de s’accrocher au bras valide de Luna. Elle sait que l’autre est pas fragile, mais elle a toujours peur de tout casser, puis si elle casse une branche elle va se mettre à pleurer là wesh.

__–C’est que, elle est super mignonne. Elle a une place à part, Ariana. Ça doit être la personne dans les bras de qui je me sens le mieux, en fait, je me rends compte. Oui, même si c’est affreusement gênant, même si c’est parti de quelque chose de lunaire (ahah) au possible, on a compris tout ça, mais je veux dire, sérieusement. J’saurais pas le décrire… Y’a toujours une tension sexuelle ultra bizarre, m’voyez, mais  en même temps on est toutes les deux au clair que, bah en fait, non.
__–Alors je dis pas, j’ai déjà baisé des potes. (Enfin. En fait, je n’ai jamais baisé que des potes. J’ai jamais été en couple avec qui que ce soit.) Mais pour elle, c’est différent, c’est un peu comme s’il fallait quelque chose d’autre pour qu’on s’autorise à ce niveau d’intimité, vous voyez ? Et, genre… Qu’on se l’autorise l’une à l’autre, mais surtout qu’on se l’autorise à soi, d’avoir ce genre de sentiments.
__–Et clairement c’est pas là avec sa quantité de grammes dans le sang et moi d’heures de boulot qu’on va faire ça.
__–Toujours, Ariana a pas spécialement envie d’aller jusqu’à ce que je la prenne dans mes bras, mais refuse de rompre le contact et, ouais, je te comprends. Elle se colle juste à moi. Je pose ma tête contre la sienne. Elle pose une question… un peu bizarre, à ce stade. J’ai très très envie de lui répondre « Moins que quand tu m’as embrassé ou que je t’ai proposé de te soulever ? » mais non, déso pas déso les potos mais c’est plus l’ambiance là.
__–Bon par contre JE SAIS PAS CE QUI M’A PRIS mais écoutez je suis pas la seule à plus tout à fait contrôler mes gestes là, je lui embrasse le front et lui dis un « Non, t’en fais pas. » tout doux.
__–Et on commence à sortir du bar, tranquilles, toujours collées l’une à l’autre, elle qui parle sans s’arrêter et moi qui essaie surtout de faire gaffe à son rythme de marche, à ce qu’on se dirige vers la bonne direction, à pas qu’on se mange un lampadaire ou un caillou qui traîne ou le bord du trottoir qui nous sépare du champ de fleur, ainsi de suite.
__–Et lui répondre, quand-même.
__–« J’essaie, j’essaie. »
__–Si tu savais à quel point j’ai lutté contre moi-même, là. Bon enfin, elle a probablement au moins autant lutté contre elle-même… à cette différence près qu’elle l’a fait après être arrivée en première base, mais passons. Encore une fois, vu comment on s’est rencontrées, c’est pas moi qui vais juger.
__–« Il fait froid, non ? On sera bien sous une couverture. »
__–Oooooooooook oubliez tout ce que je viens de dire il est sorti tout seul celui-là et manifestement le côté réfléchir avant de parler c’est pas encore une compétence acquise.

Une fois que les choses sont clarifiées, au moins un peu, ou après avoir au moins fait un peu semblant, on va dire que ça va vachement mieux. En tout cas, Aria est moins au bord de l’implosion, c’est bon, elle flotte encore dans sa tête, mais ça c’est normal. Quand Luna pose sa tête contre la sienne, ça lui fait tout bizarre, comme un coup de chaud, mais un peu doux, et elle ferme un peu les yeux, juste un instant, juste un peu. Et elle reçoit un bisou sur le front, qui sort un peu de nulle part, et là elle doit se retenir de lui tirer le col pour-

Non, elles vont sortir hein. Finalement, même ça, juste comme ça, accrochée au bras de Luna en lui parlant, Luna qui l’observe du coin de l’oeil, presque grave, mais délicate, qui la retient avec précaution quand elle trébuche sur les pavés du village.

—Comment ça, tu essaies, boude Aria, qui ne comprend pas.

La Titanide ne frissonne pas, mais elle fait la discussion. Aria n’a pas trop froid, elle n’y pense pas trop ; même si maintenant qu’elles sont dehors, sa petite veste n’est presque pas assez suffisante. Elle appuie sa joue contre l’épaule de Luna en riant un peu. Elle doit penser à quoi, au juste ? Une proposition ? Ou juste l’envie de se mettre au chaud ? De se réchauffer autrement ? Hmng.

—Tu voudras une bouillotte ? Et j’ai une bonne couette à la maison, et plein de plaids chauds, elle sourit ensuite. Tiens, tu as des plaids chauds, chez toi ?

Si elle n’en a pas, elle peut lui en offrir un pour Noël… Qu’est-ce qui lui ferait plaisir, comme motif ? Ca lui permet de penser à autre chose. Elle frotte son dos un peu pour la réchauffer.

—On dirait que t’es encore plus frileuse que moi ! Ou alors c’est l’alcool…

__–Comment ça, comment ça j’essaie.
__–’fin bref, on avance tranquillement.
__–Et si je me les pèle complet, je vous rassure, mais, deux choses. Déjà, j’ai encore un peu de la chaleur du bar sur moi et il n’y a pas de vent, donc c’est relativement supportable. Ensuite j’ai déjà une bouillotte, collée à moi, que je vais jusqu’à rapprocher de mon corps, à faire passer mon bras par-dessus son cou. Et enfin, ben la vérité vraie les gens, je me suis pas remise de ce qui vient de ce passer là et de ce qui ce passe encore et ça me donne de l’énergie et de la chaleur.
__–Hm.
__–C’est marrant ça me rappelle quelque chose, ce genre de sensation.
__–C’est fou, hein.
__–J’arrive juste pas à resituer son nom.
__–On va ranger ça dans un coin et ne plus y penser avant une bonne douche, longue, chaude et, surtout, surtout, prise avec avec personne d’autre. Puis après avoir longuement câliné Bob, aussi. En essayant de pas trop imaginer que c’est la belle p’tite rousse accrochée à moi que je câline.
__–Ou alors en y pensant un peu trop, mais, hm, j’ai dit quoi, là ? Pour plus tard, pour plus tard. S’il vous plaît.
__–Oui voilà Aria très bien, lance la conversation, fais-moi penser à autre chose. Est-ce que je voudrai une bouillotte. Une bouillotte. Attends. Rapport à quoi ? Au truc complètement explosé de la tête que j’ai dit juste avant ?
__–Ah.
__–Oh.
__–OUF OUI MERCI T’AS INTERPRÉTÉ LA CHOSE PAS COMME MOI JE L’AURAIS INTERPRÉTÉ.
__–« Ah ah, ouais, possible. Je la serre un peu plus fort. Merci d’être toi. »
__–J’ai pensé un peu fort, là.
__–Elle m’a posé une autre question au fait.
__–« Hm, non j’en ai pas, je traîne en général dans mon salon enroulée dans ma couette avec Bob collée à moi, quand j’ai froid… Ce qui est moyen pratique vu qu’après les deux sentent la beuh, mais bon. Ce serait pas con, ça, tiens. »
__–Et ouais t’inquiètes que je suis vachement plus frileuse que toi, sans problème, alors là.
__–Sur ce… On arrive jusqu’à devant sa porte.
__–Si j’entre, nul ne sait ce qui pourra se passer.
__–Enfin si on va mater un film, manger un micmac, boire de l’eau, possible que je m’effondre sur le canap. Dans le pire des cas, elle s’effondrera sur moi toute habillée je précise, après avoir tiré une latte.
__–« Après toi. »
__–Après si elle veut pas que je reste, j’ai toujours une douche et mon chien qui m’attendent. Et j’arrive pas à dire ce qui serait pour le mieux.

Elle a un air un peu perdu dans le lointain, là, Luna. C’est parce qu’elle pense à quelque chose, vous pensez ? Ou alors elle est peut-être fatiguée par sa longue soirée au bar ? Ariana la fixe un peu du coin de l’oeil, pas très longtemps parce qu’elle doit se concentrer sur sa marche, mais suffisamment régulièrement quand même. Marcher, c’est un peu plus facile, maintenant qu’elle a pris l’air. Ca lui fait du bien, l’air frais — froid, en fait. Glacial, un peu. Elle frissonne aussi, tout compte fait, et accepte avec plaisir de se coller contre Luna quand elle passe son bras par dessus ses épaules.

Puis… Aria fronce un peu les sourcils et fait la moue, à nouveau, sans comprendre. Elle hausse mentalement une épaule, sourit tranquillement, comme on peut se sentir tranquille quand on marche dans la nuit avec un taux d’alcoolémie positif et une capacité à tenir l’alcool au ras des pâquerettes.

—J’ai rien fait ? De rien ? Merci à toi ? C’est toi qui me ramène, et qui m’a sauvé d’un date sûrement ultra pourri, quand même.

Elle opine du chef tranquillement, et sourit un peu plus. OH !! Donc elle a pas de plaid ! Mince ! Non ! Oublie cette idée !

—Je pourrai euh. T’en prêter un si tu veux, répond-elle un peu vite.

Comme ça, c’est sûr qu’elle en achètera pas vite fait avant Noël ! Bon, ce n’est pas Aria qui se plaindrait d’avoir plusieurs plaids moelleux chez elle, mais quand même, ce serait bête qu’elle fasse l’investissement juste avant d’en recevoir un comme cadeau…

Enfin, elles arrivent enfin dans l’institut. Et prennent l’ascenseur, faut pas déconner. Pfiouh. Aria s’appuie un peu contre Luna pendant le temps d’attente, puis lui attrape la main pour la tirer derrière elle dans le couloir des Eaux. Elle se souvenait pas que ça claquait autant contre le sol des dortoirs, ce genre de talons, c’est dingue… Elle galère à sortir ses clés et sourit, ouvre la porte, dégage ses chaussures dans un coin en juste… les jetant de ses pieds, pour pouvoir retrouver un peu de mouvement. Elle tourne sur elle même, contente, et allume la lumière. Elle voit Luna qui attend toujours dehors, et elle cligne des yeux.

—Oh bah tu viens pas ? Tu voulais pas que je te fasse quelque chose de chaud ? C’est pour, euh… Pour le dérangement. Et pour te remercier. Mais tu dois être fatiguée après le boulot, alors peut-être que tu veux... Oh… Attends !

Là, elle est un peu gênée. Alors elle a une idée, et va chercher une peluche licorne avec du riz dedans, qu’elle met dans son mini micro-onde avec un verre d’eau pour éviter qu’il ne prenne feu d’un coup. Elle lui fait signe de rentrer.

—Ah… c’est le bazar, fais pas attention…

__–C’est moi qui t’ai sauvée.
__–Oui, c’est pas faux. Si on veut.
__–J’ai un espèce de haussement de sourcil qu’elle peut pas voir, le genre qu’on fait quand on est d’accord en dépit de son meilleur jugement.
__–Et du coup histoire de pas répéter merci encore, quand elle me propose de me prêter un plaid, je me contente de la frictionner un peu et de sourire. Ça me fera clairement pas de mal, un peu de chaleur.
__–Je vais reformuler.
__–Un peu de chaleur humaine, hein.
__–Je vais re-reformuler.
__–Un peu de… d’une couverture et d’une bouillotte. Voilà. Après oui je sais que j’ai déjà dit que c’était un peu Ariana ma bouillotte et que oui elle est collée à moi et ma me déplairait pas qu’elle le reste, mais, on se calme par pitié là c’est plus possible.
__–On arrive chez elle, je la regarde depuis le pas de la porte, sans trop savoir où me mettre. J’entre au calme, j’attends…? Ben au final, à pas savoir quoi faire, ça fait comme si j’attendais. Jusqu’à ce qu’Ariana s’en étonne.
__–« Si si, j’arrive ! Oh un truc chaud, carrément, t’es trop gentille. Tu veux boire quoi toi ? Si jamais, je peux faire pousser de la menthe… »
__–Oui, évidemment que j’en ai des graines sur moi. C’est un des petits services rigolos que j’offre quand quelqu’un m’en commande au comptoir, j’en fais pousser dans ma main et coupe les feuilles dans la théière. Comme ça, ils ont la plus fraîche possible.
__–Après, oui, c’est un peu le souk chez elle, mais j’aime bien l’ambiance souk. Je retire mes grolles, pousse les peluches qui s’amoncellent sur le canapé, m’y pose, sans m’y affaler, des fois qu’elle ait besoin de moi et que je doive me lever d’un coup pour être serviable, ou si genre elle se loupe et que je doive aller l’aider, non parce que quand-même, elle a bien bu hein. Et puis déjà j’assume pas trop le fait que j’aie le droit d’être là, alors que j’ai le droit d’être au calme, laissez tomber.
__–Bref je suis… bah bien quoi, mais en même temps un peu tendue.
__–Vite, dire une banalité.
__–« Ça t’ennuie si j’allume un pétard ? Promis je te filerai de l’encens pour faire partir l’odeur, si ça t’emmerde. »
__–Non pas ça.
__–« Puis je pourrai faire tourner, si ça te branche. »
__–Non vraiment pas ça non plus.
__–« Celle-là aussi je la fais pousser moi, que de la qualité. »
__–J’ai dit stop sans déconner là.
__–« Et c’est super beau chez toi. »
__–Voilà plutôt comme ça.
__–« Et toi aussi t’es super belle. »
__–Et non, ça je l’ai pas dit à voix haute. S’il vous plaît, oh. Je veux dire, un peu de sérieux. En fait, je viens de saisir le truc. Plus je regarde Ariana – qui est quand-même pas mal musclée en vrai maintenant que je le remarque, la vache –, plus j’en arrive à la conclusion que je l’estime trop pour la laisser coucher avec quelqu’un comme moi. On est pas si mal, sur le banc de touche. On peut regarder et encourager. Et puis, j’ai vraiment envie qu’elle soit heureuse en fait. J’arrive plus à penser très droit ou très cohérent par contre, dur.

Pendant qu’elle s’active pour rassembler ce qu’il faut pour démarrer à la fois la bouillotte et le thé — elle s’emmêle un peu entre les deux et reste quelques secondes à fixer la peluche en ne se souvenant plus de l’endroit où elle voulait la mettre… micro-onde ! — Luna s’installe elle aussi, tranquille. Aria lui lance des regards en biais, contente qu’elle se soit installée quand même, et s’exclame :

—Ohhhhh de la menthe !! Oui avec plaisir, j’adore te voir faire ça ! Enfin, quand tu fais ça. Tu vois.

Nous voyons. Nan mais c’est cool les plantes. C’est sympa. Faire pousser sa menthe, tout ça. La petite rouquine met l’eau à chauffer et dégaine sa théière, qui pourrait être classique si elle n’était pas écarlate. Elle hausse un sourcil et sourit en coin, à demi moqueuse :

—Tu devrais vraiment ralentir la consommation, c’est pas bon pour ce que t’as ! Ca me dérange pas, mais je préfère que tu fumes à la fenêtre, Aylan vient souvent me voir et j’ai pas non plus envie que ça s’imprègne dans les tissus… (Elle désigne les vêtements qu’elle a cousu dans un coin de la pièce, pour certains bien alignés sur une barre de dressing, d’autres au contraire soigneusement entassés sur le bureau, des poufs, ou des sièges dispos.) Mais je veux bien fumer un peu avec toi.

Elle lui tire la langue et entreprend de se mettre sur la pointe des pieds pour attraper ses tasses, toujours rangées à l’endroit le plus débilement haut du placard. Elle a même un marchepied dans un coin, mais elle va pas monter dessus et jouer à la funambule à cette heure-ci, Luna va encore lui faire une crise cardiaque, la pauvre.

—En tout cas merciii, j’aime bien décorer mais je sais rien jeter ! J’ai envie de tout accrocher aux murs… Du coup j’entasse et ça donne ça aha. Mais c’est chouette si tu aimes bien, l’important c’est que ce soit confortable. Oh, hésite surtout pas à dégager les peluches si elles t’embêtent hein…

PFIOUH elle a enfin attrapé ses tasses. Elle les exhibe, victorieuse, à Luna.

—C’est chiant d’être petite. C’est pour ça que je mets des talons. Mais promis je les porte pas à la maison. Enfin ça dépend.

… Ca dépend, hm.

__–Elle adore me voir faire ça. Ah ben, si c’est pour le spectacle. J’attends un peu qu’Ariana arrête de faire des trucs. Qu’elle finisse de s’occuper de la bouilloire. Réussisse à attraper sa théière. (Sa très jolie théière, je dois dire.) Quelle me réponde. Me parle d’Aylan (encore lui, mais c’est pas possible, il est partout ce gamin, je m’attends presque à le trouver si je soulève un coussin). Me montre toutes ses fringues attachées partout et m’explique qu’elle veut bien que la fumée aille dans ses poumons, moins dans ses tissus, ce qui est assez sensé. Puis me tire la langue. Puis se redresse autant qu’elle le peut pour attraper deux tasses. (Je me suis levée par réflexe pour être sûre qu’elle se vautre pas, oui. Et oui j’étais à ça de la prendre dans mes bras pour la lever, mais elle a été plus rapide.) Puis qu’elle me parle de son appart,’ de sa déco, tout ça. Et me montre les tasses qu’elle a récupéré. Puis me parle, encore d’autres trucs. Ça n’arrête pas, mais j’ai pas spécialement envie que ça s’arrête.
__–« Au pire tu te transformes en girafe. »
__–C’est assez rigolo de la voir. S’agiter partout, parler beaucoup, faire plein de trucs en même temps, avoir manifestement une dizaine de fils de pensée qui se chevauchent en simultané. Ça doit pas être reposant tous les jours.
__–« Niquel les tasses. Tiens, attends… »
__–Je sors un sachet de graines de ma poche, en prends une, la fait rouler entre mes doigts de la main gauche… Hmm, je sais. Je continue à la faire rouler. Elle germe. Sa tige s’enroule autour d’elle-même, comme une boule. Ses racines et ses feuilles commencent à se développer, mais je la maintiens contractée, repliée, puis quand elle a atteint une taille qui me convient, je lance la petite sphère, qui se déploie en un plant de menthe, comme un feu d’artifice vert, qui retombe gracieusement dans ma main.
__–« Hop là. »
__–Puis je coupe quelques feuilles et les met dans les tasses.
__–Et maintenant ganja, ça va bien hein.
__–Je me lève pour de vrai, ouvre un peu la fenêtre, me colle contre le mur, sors mon pétard et commence à l’allumer. Tire une belle latte, que j’envoie hors de la baraque. Pfiou, y’a pas à dire, ça fait du bien. Je lui tends.
__–« On va pas le finir j’pense, ça fait un courant d’air froid et je préférerais être au chaud sur ton canap’. Mais ça détend, non ? »
__–J’ai plus trop envie de rien dire. Juste, profiter du moment, boire un thé et fumer un coup avec une amie à côté de moi, avant de se poser à rien faire. La belle vie, quoi.

Oh, bah, pourquoi elle est debout ? Aria lui lance un regard interrogateur, puis rit un peu lorsqu’elle lui conseille de se changer en girafe, posant les tasses sur la table basse au niveau du canapé.

—Si je voulais, j’aurais juste à changer mon apparence pour me faire plus grande ! Une taille de mannequin, ça m’irait peut-être pas si mal ! Non parce qu’on l’oublie, mais on peut prendre n’importe quelle tête… si ça se trouve, le visage que tu vois, c’est pas vraiment le mien !

Tout en disant ça, elle fait quelques gestes désignant son propre visage, sourcils haussés accompagnant un sourire hilare. Elle veut retourner chercher la bouilloire, mais Luna l’interpelle, alors elle reste. De sa poche, elle sort un petit sachet et en tire une graine… Aria se rapproche, un peu près, pour pouvoir observer la magie se déployer. Comme à chaque fois qu’elle voit une plante pousser à vitesse accélérée, la petite Morphe sent ses yeux briller de joie. Elle a du mal à comprendre pourquoi elle reste en boule comme ça… et pousse une exclamation lorsqu’elle se déploie dans la main de la Titanide.

—Woah, c’est trop bien !! (Elle relève des yeux rieurs vers Luna.) Je reviens avec la bouilloire. Merci !!

Et elle trottine vers le plan de travail à nouveau, puis arrive avec l’eau chaude.

—Han mais j’aurais pu chauffer l’eau moi, j’ai de nouveau oublié….

Tant pis, hein. Vaut mieux pas qu’elle s’y essaie de toute manière, même si elle pense objectivement — très objectivement — ne pas être assez ivre pour ne pas réussir une opération aussi basique. Tranquillement, Aria verse l’eau et laisse la menthe infuser le temps que Luna s’installe à la fenêtre. Avant de l’y rejoindre, elle sort la bouillotte du micro-onde et récupère un de ses plaids dans le panier qu’elle range sous la table basse ; elle essaie de lui mettre sur les épaules, mais ne parvient réellement qu’à la mettre à moitié sur sa tête.

—Ah merde pardon, je vise pas bien ce soir.

… Oui alors le contexte dans lequel elle a utilisé cette phrase un peu plus tôt dans la soirée était pas nécessaiiiiiiiiiiire à répéter. Tout ça. Bon. Hein. Pour changer de sujet, Aria lui tend la bouillotte et se glisse épaules sous le plaid à ses côtés, essayant de lui mettre correctement.

—T’as dit que tu avais froid, alors… Enfin, comme ça on prend le temps. Mais on est pas obligées de le finir. (Elle attrape finalement, enfin, le pétard que Luna lui tend.) Merci.

Elle prend une latte à son tour, et ferme les yeux avant de souffler profondément, lentement. Puis elle le retend à Luna, un peu plus apaisée.

__–Je souris et souffle du nez à sa réflexion sur son visage.
__–« Écoute, tant que t’es pas Ashton sous couverture en mode brigade des stups. »
__–Un jour, je vous raconterai mes accrochages avec la police fédérale.
__–Je bloque un peu quand elle parle de chauffer l’eau elle-même. Comment ça ? Elle est pas Feu ? Puis je me rappelle avoir lu quelque part que les Eaux peuvent agiter les molécules de flotte et les chauffer, ou quelque chose du genre. Logique, si on contrôle la glace, notez, il suffit de faire l’inverse. Huh. Pour que la seule chose qui la retienne de faire un truc du genre, alors qu’elle est fine bourrée et un peu claquée, c’est qu’elle ait oublié, c’est qu’elle doit être sacrément balaise. En même temps, elle est Étoile depuis… vachement avant mon arrivée, en fait. Grosse expérience là derrière, mine de rien.
__–Et je me retrouve avec une bouillotte sous le bras, une tasse dans la seule main qui me reste et un plaid… sur la tête. Ok alors, on va refaire les choses dans l’ordre. Je pose ma tasse quelque part, glisse la bouillotte sous mon pull – ça fait du bien ahlàlààà –, m’enroule avec elle dans le plaid façon toge mise par une personne qui ne connaît que l’existence du mot toge et a vu deux, trois films historiques dans l’Antiquité, ce qui est assez approximatif on va pas se mentir, surtout qu’on est deux dessous, reprend ma tasse, regarde si c’est bien infusé, non pas encore, la repose, tire une autre latte et fais tourner à Ariana.
__–« Merci. Tiens. »
__–Oui ’faut la remercier, tout de même.
__–Quoi ?
__–Moi, faire une blague salace sur « viser », sachant que la dernière fois qu’elle a tenté le coup elle a montré que les fléchettes avec sa bouche et mon visage c’était ou son point faible, ou son point fort mais pas d’entre-deux ?
__–Naaan.
__–NON J’AI DIS NON.
__–J’veux dire, même pas je lui pose un p’tit bécot sur la joue, alors que j’aurais littéralement à tourner la tête. Oh, c’est ma pote, vous vous souvenez ? C’est pas le moment de faire ma dalleuse. Je l’ai pas sauvée d’un gros lourd pour faire ma grosse lourde, y’a des limites.
__–« Toi, merci. En vrai on est pas mal là, il fait bien chaud. Si tu veux que j’te passe la bouillotte, à un moment, tu me le dis. »
__–Comme ça t’auras pas à faire glisser tes mains sur ma peau pour aller la chercher, tu vois.
__–Bref.
__–J’dis beaucoup merci, non ?
__–Ah et, si y’en a un qui fait une blague sur « oh là là en effet il fait chaud » je le trouve et je le décalque. Aller-retour de ma main sur ses joues, hop là. Et ce sera pas avec la gauche, 200 grammes de phalanges en acier à mach un vous m’en direz des nouvelles.
__–Ariana tire un coup.
__–Vous vous souvenez, de l’aller-retour ? On s’comporte bien dans l’assistance, pas de blague nulle sur ça non plus ? Voilà, merci.
__–Franchement, on est tellement posés là, on va se l’échanger, rien dire, contempler le vide, doucement s’endormir sur place appuyées l’une sur l’autre, boire notre thé et voilà hein. Dans un de mes films préférés, Pulp Fiction, Mia la femme de Marcellus dit que quand deux personnes sont vraiment amies, elles peuvent profiter du silence ensemble, ne se sentent pas obligées de le combler avec un sujet de discussion. Alors, je sais pas si on en est là, mais j’vais clairement pas m’en plaindre si on atteint ce stade.