Oscar commençait à se faire à la vie de Terrae. Il avait intégré une classe après un stage d'études pour déterminer son niveau. Si il lui manquait certaines bases, il était bien assez cultivé pour suivre des cours, malheureusement  pas avec les autres enfants de son âge. Il était donc entré dans la classe juste en dessous de celle de son âge. Il n'en était pas mécontent, les cours étaient intéressants et comblaient en partie son avidité inépuisable de connaissances. Et pour son plus grand bonheur, il avait retrouvé des visages familiers en la présence de Lola et Aylan.

Bon, comme dit précédemment, Oscar n'était pas tout à fait satisfait par les cours : il avait besoin de plus, des trucs précis, des détails, des anecdotes. Et il avait besoin de lire. Pas que des documentaires, mais aussi des la science-fiction et de la fantasy. Il s'était en réalité plongé récemment dans la série de la Guerre des Clans. Des chats, des intrigues politique (si on veut), de la bagarre, de la magie, des mystères... Rien qu'à l'idée d'une série aussi grande que celle-ci - qui est en plusieurs cycles contenant plusieurs volumes rappelons-le - Oscar en frétillait d'avance.

Et justement : Oscar s'était réfugié dans la salle commune pour terminer tranquillement le tome 4 du cycle 1. Oui, oui. 4 tomes en un mois, en parallèle des cours. Après la dernière page, il referma le livre et poussa un soupir. Comme à chaque fois, terminer un livre le déprimait un peu. Il devait prendre quelques instants pour faire le deuil de ces instants enivrants que lui procuraient ces simples mots sur le papier. Maintenant qu'il avait fini un nouveau tome, cela voulait dire sortir et aller à la bibliothèque. Encore. Quand il y allait, il se faisait le plus discret possible et interagissait rarement avec la bibliothécaire, qui il faut le dire, l'intimidait un peu. Mais la suite de sa série l'appelait.

Oscar se leva avec un nouveau soupir. Le deuil était fait, maintenant il était temps de retourner dehors pour aller chercher sa prochaine dose. Il sortit de la salle et descendit les escaliers pour sortir dans le hall. D'un geste posé, il rabattit la capuche de son sweat, libérant son épaisse tignasse blanche. Il glissa le petit livre dans la poche ventrale de son sweat-shirt et fit quelques pas vers la sortie quand une voix l'interpela.

__–« Hé toi là, la demi-portion, approche. »
__–Pire manière du monde de lancer le sujet, c’est bien, j’parie vingt balles qu’il se taille en courant.
__–Vingt yens, cela ne va pas faire lourd. Qu’importe, reprenons la narration au début. Karen se trouvait face à un petit embêtement. En effet, à présent que ses enfants faisaient plus volontiers leurs nuits, deux impératifs opposés mais conjoints s’étaient dressés : d’une part, celui de les accoutumer au divertissement avant d’aller dormir le plus traditionnel qui soit, j’ai nommé l’histoire de soir, d’autre part celui de se renseigner plus fermement sur comment, au juste, s’occupe-t-on de l’éducation de ses enfants.
__–Bien sûr, il suffisait qu’elle aille en bibliothèque, mais ce serait oublier un problème majeur.
__–C’est une Tonnerre et les Tonnerres, ça sait pas planifier.
__–Sommaire, expéditif même, mais correct. Bien sûr, Karen n’aurait pas pu avoir cette idée présentée plus haut à un moment où ses enfants étaient avec leur nounou. Non, il fallait que l’idée la traversât là, alors qu’elle les portait tous les deux contre son torse, blottis dans un porte-bébés, dans une période où ils étaient agités et excités, donc bruyants, donc incompatibles avec l’esprit de sérénité d’une bibliothèque.
__–Fort heureusement, elle avait repéré un usager dudit bâtiment qui s’y rendait, d’un pas discret, mais décidé.
__–Bof, il est pas loin de flipper sa mère de s’être fait sonner comme ça au pif par une meuf qu’il connaît pas et qui a genre trois piges de plus que lui.
__–« Hé, tu peux me rendre un service ? Ok, écoute. J’ai besoin de bouquins, mais, Boyce chaton lâche stp, attends toi là hein, Karen desserra la poigne de son fils sur ses cheveux, puis revint vers le jeune garçon, ok oui, sauf que là ils sont un peu intenables et ils vont bientôt réclamer à graille, tu peux aller me les chercher ? Steup ? »
__–Notons que si Boyce était pris d’une furieuse envie de jouer avec tout ce qu’il pouvait agripper, John était pris dans la succion de sa tétine et observait d’un œil intéressé et curieux cette petite forme blanche.

Oscar s'était arrêté un peu par réflexe en entendant quelqu'un l'interpeler. Et puis, après le ton laissant clairement à désirer, les mots le percutèrent. Ok, ça commençait très mal. Oscar perdit toute expression et regarda celui, non celle qui lui avait parlé aussi vulgairement.

- Quoi ?

Pas de bonjour, pas de politesse. Juste, quoi ? Parce que clairement, le respect c'est dans les deux sens. Et là, clairement, Oscar n'en sentait aucun venant de la femme a l'air fatigué qui le regardait, ses deux gosses dans les bras. Elle était blonde, pas très âgée, et bordel comment elle s'est retrouvée à pondre deux gamins à son âge. Mais bon, c'est pas parce qu'elle n'avait aucun sens de la politesse qu'Oscar devait se montrer grossier, donc il garda sa question pour lui. Par contre, ça va, pas besoin qu'elle s'approche plus. Oscar recula d'un pas avec une moue agacée. En plus de lui parler sans même se présenter, elle l'avait totalement tiré de la sensation délicieuse que lui procurait plusieurs heures de lecture sans intervention extérieure. Donc non, il n'était absolument pas disposé à lui rendre un quelconque service.

- Alors d'abord, t'es qui ? Et ensuite, nan, j'ai pas envie, j'te connais pas, j'aime pas les bébés et t'es malpolie.

Oscar déclama cette tirade sans reprendre sa respiration, en plantant ses yeux dans ceux de la femme. Et quand enfin, il eut terminé de lui parler, il tourna les talons et reprit son chemin.

__–À la voix d’Oscar, Boyce ouvrit de grands yeux, inspira longuement et lança un grand, un profond, un vocal « KA ! » qui fit vriller les oreilles de sa mère, en plus de vouloir dire à la fois tout et son contraire. Ravi de la plaisanterie qu’il venait de proférer, il s’en esclaffa, sous le regard quelque peu consterné et interloqué de John, qui n’entendait goutte à ce qui se tramait là. Puis, celui-ci considéra avec plus d’attention les propos de son besson et décida d’y ajouter sa propre touche, par un florilège tout à fait ininterrompu, excepté pour inspirer périodiquement, de « ka ka ka ka ka ka ka ka ka ka ka ka ka ka ka ka ka ka ka ka ka ka ka ka » dont le sens est, hélas, perdu.
__–Karen elle, bah elle est blasée de fou mdr. Alors elle tend la main, vers Oscar même si bah déso refré mais ça t’est pas vraiment adressé, puis elle fait claquer un éclair entre ses doigts. Un p’tit zap là comme ça, façon taser de film t’sais où t’as l’arc électrique entre les deux bouts de métal. Mais non promis c’est pas pour ta p’tite tête toute blanche.
__–L’effet fut immédiat : John et Boyce se calmèrent pour contempler le passage de la foudre.
__–Avec un long soupir, Karen reprit sa conversation avec le jeune garçon.
__–« Bon j’ai pas cent-sept ans avant qu’ils s’y remettent, vazy tu veux quoi ? C’est quoi ton blaze déjà… Aylan ? C’pas toi, Aylan ? Bon bref, j’m’appelle Karen, celui qu’est lourd mais adorable c’est Boyce, celui qu’est super mignon mais chiant c’est John, voilà voilà, puis tu me parles quoi de pas aimer les bébés, j’en ai rien à foutre mon petit pote, je te demande pas de les prendre. »
__–Ceux-ci abondèrent en ce sens : Boyce réclama un autre éclair par une pression exercée sur une mèche de cheveu de sa mère, comme on le ferait d’une manivelle. Et en effet, Karen produisit un autre éclair électrique, à l’air non moins agressif que le précédent ; non moins fascinant et spectaculaire pour ses fils.
__–Promis p’tit loupiot elle te menace pas lel.
__–« Allez flemme de négocier de fou là, je te file cent yens, c’est ok pour toi ? Par bouquin ? »

Alors qu'Oscar prenait la parole, un des bébés lâcha un bruit tellement fort qu'il porta instinctivement les mains à ses oreilles. Pour un malentendant, c'est quand même le comble. Après quoi, les deux petits qui se lancèrent dans un jacassement incessant et de plus en plus irritant pour l'adolescent qui commençait à fusiller leur mère des yeux. Il n'était pas là pour souffrir ok ?

Du coup, il ne put pas s'empêcher de reculer quand la blonde tendit la main devant elle. Des petites étincelles apparurent au bout de ses doigts. Oscar observa le taser humain improvisé. Même si il ne se sentait pas exactement en sécurité avec ce truc entre lui et la femme, ça valait mieux que le braillement intenable des enfants. Cependant, sa réponse resta la même. Dans des termes simplifiés : PTDR t ki, je te connais pas, non j'ai pas envie et j'aime pas les gosses. Pourtant ça n'eut pas l'air d'atteindre la jeune femme qui entama une tirade au fur et à mesure de laquelle le visage d'Oscar se froissa de plus en plus. D'abord les sourcils froncé, puis le nez légèrement retroussé, la moue agacée compléta rapidement le tableau.

Tout d'abord, qu'est-ce qu'ils avaient tous à le confondre avec Aylan ?! Ensuite, d'une part il ne voyait pas du tout la différence entre "lourd mais adorable" et "mignon mais chiant". D'autre part, il en avait pas grand chose à faire qu'elle s'appelle Karen. Et pour terminer il ne "voulait" rien à part qu'on lui foute la paix. Il ouvrit d'ailleurs la bouche pour le dire, mais la femme (Karen, donc) ne lui en laissa pas le temps, rallumant un nouveau simulacre de taser sous son nez.

- Mais nan ! Qui te dit que j'allais à la bibliothèque d'abord ? Et puis tu fais flipper avec tes éclairs chelous. J'te préviens si t'essaies de me menacer ça prend pas. Dit l'adolescent.

Il croisa les bras sur son torse, ce qui lui donna l'air d'une crevette se prenant pour un lion. Mais c'était le mieux qu'il puisse faire, d'autant plus qu'il commençait vraiment à considérer cette mère comme une menace. Et comme il n'y avait personne pour l'aider dans le coin, il était coincé.

- Puis en plus tu veux me payer, mais t'es au courant que c'est illégal d'embaucher des enfants ?

Avec un peu de chance, elle aussi allait se fourvoyer sur son âge et le prendre pour un petit de 11-12 ans.

__–Karen roula des yeux si fort qu’ils auraient pu être expulsés de leurs orbites.
__–« Bah parce que t’allais vers l’entrée ? Je sais pas ? C’est un indice, un peu ? Et parce que tu portes des bouquins ? T’es pas le pingouin qui glisse le plus loin, toi. »
__–Ah bah c’est beau ça mdrlol, donc ta grande gloire, c’est d’être plus maligne qu’un môme duper qui vient d’arriver ? Nan mais, ’faut se mesurer à des trucs à sa hauteur intellectuelle, c’est sûr !
__–Cela dit, qu’est-ce qu’il pouvait bien raconter sur ces histoires de travail des enfants. Karen le regarda avec un air encore plus outré et méprisant qu’il ne l’était déjà – ce qui était une gageure.
__–« Euh, aller chercher des livres, c’est pas un vrai travail hein, c’est — oh putain non mais sérieux. »
__–Hé ouais. Bah au moins l’autre loustic va plus la prendre pour une menace !
__–Cela ne risquait plus, en effet : John venait de régurgiter sur l’épaule de sa mère une partie de ce que contenait son estomac. Karen poussa un très long et profond soupir.
__–« Vazy tu saoules. Toi – Oscar –, toi – John – et toi aussi là, un peu, des fois – Boyce, qui explosa de rire d’être ainsi pointé du doigt, encore à faire vriller les tympans de Karen –, ooook puis pas qu’un peu. sérieux là… »
__–N’y tenant plus, elle déposa Boyce au sol. Il ne risquait pas d’aller bien loin et il fallait qu’elle s’occupe de son pull et de l’état de John. Karen sortit donc un mouchoir et commença à éponger les dégâts. Boyce, quant à lui, constatant qu’il n’était plus partie intégrante de l’étoile binaire autour de laquelle révolutionnait le monde entier, en premier lieu l’attention de sa mère, se mit en quête de quelqu’un d’autre qui pourrait s’occuper de lui et répondre à sa soif d’attention jamais comblée.
__–Ça alors, il n’y avait qu’une seule autre personne présente.
__–Aussi, d’un pas décidé et à quatre pattes, Boyce se dirigea-t-il vers Oscar, fort curieux de ce que pouvait bien être cette créature blanchâtre qui se dessinait.

La réponse de Karen agaça un peu plus Oscar qui sentit ses sourcils se rapprocher encore un peu l'un de l'autre. Sa bouche se contracta en créant un pli et, étonnamment, une fossette ? pensant qu'il se mordait l'intérieur de la joue.

- Et toi t'es pas la truite la plus oxygénée d'la rivière. Qui t'dit que j'sors pas juste dehors pour lire, histoire d'être tranquille ?

Le dernier mot était chargé de reproches et d'agacement contenu. Mais sans attendre la suite, il reprit. Et quand la jeune mère voulut lui répondre, son rejeton lui dégobilla dessus. Oscar fit un pas en arrière, le nez froncé. On peut appeler ça le karma, mais berk quand même. Visiblement, la jeune femme s'en agaça, et se lâcha en pointant grossièrement Oscar du doigt, qui donc se renfrogna encore un peu. Il allait avoir des rides à 14 ans avec cette malotrue si ça continuait.

- Bah si j'te soûle, t'as qu'à me foutre la paix aussi. Répliqua Oscar d'un ton mielleux.

Et il s'apprêtait à la planter là quand elle déposa l'un des deux gamins par terre. Mais surveille ton truc là ! Il se rapproche, j'en veux pas de ton bébé bordel ! Pensa Oscar, très fort (tant pis pour les télépathes du coin). Il recula d'un pas, puis d'un autre, et s'apprêtait à effectuer un troisième pas quand il se cogna au mur. Horreur, il était acculé. Et le bambin qui continuait son escapade vers lui. Au secours.

Avec un soupir (et une moue de dégoût), Oscar se pencha et prit le bébé à bout de bras, le plus loin de lui possible. Il alla ensuite le déposer aux pieds de sa mère occupée à s'essuyer après l'accident de son deuxième marmot. Il posa le gamin presque sur son pied et recula.

- Bah bon courage hein. Bye.

Et il la contourna dans l'espoir de fuir cette situation qui le mettait de plus en plus dans un inconfort inconfortable (oui, à ce point).